jeudi 27 septembre 2018

Le défaut de Descartes

Le problème de Dieu est très simple : si Dieu est parfait, comment peut-il tolérer de l'imperfection? Quels que soient les arguments que l'on trouvera pour justifier de l'existence de l’imperfection en régime de perfection, par exemple expliquer pourquoi Dieu a créé un monde imparfait, s'Il est parfait et s'Il n'avait pas besoin de le créer, le résultat est que l'on est confronté à quelque chose qui nous dépasse. Certes, on peut recourir à l'irrationalisme, selon lequel la raison ne peut fournir les raisons pour lesquelles l'être est imparfait alors que Dieu est parfait, mais il n'est pas certain que cette position soit admissible, vu que la raison est la faculté humaine de la réflexion, dont l'homme ne peut se passer. C'est d'autant moins possible si l'on adopte une position rationaliste, ce qui est le cas de Descartes. Dans les 2 cas, le fait d'accepter que du défaut existe dans une configuration où Dieu existe pose problème (par Dieu, j'entends le Dieu de la Bible). 
Pour ce qui concerne Descartes, sa position est intenable. D'un côté, il estime que la raison peut connaître la vérité physique et métaphysique, ce qui implique que Dieu fonctionne de manière rationnelle pour ce qui concerne l'homme et son monde, puisqu'il permet la connaissance; de l'autre, il introduit l'existence du défaut dans son système philosophique, ce qui est incompatible avec sa position épistémique et l'épistémologie qu'il défend. Mais il se rend compte de la faiblesse de sa position, qui contient une contradiction si béante. D'un point de vue rationnel, impossible, en postulant l'existence du Dieu chrétien, fût-il métaphysicisé, d’accepter qu'il existe du défaut dans le réel. Descartes va proposer comme solution et résolution que le défaut soit situé dans le langage. De la sorte, il pense circonvenir le problème. Mais ce n'est qu'un sophisme, qui gâte son bel édifice philosophique. Descartes sur ce point a repris l'erreur constitutive du transcendantalisme, qui n'a jamais résolu le problème et qui a accepté d'introjecté le néant dans son système en ne définissant jamais ce que l’Être. 
Mais il lui a donné une inflexion particulièrement habile. Il propose que le défaut existe dans le domaine du langage, pensant sans doute que le langage étant un domaine particulier qui appartient au réel sans y appartenir vraiment, il arrive ce faisant à réduire le problème. En effet, le langage peut être tenu pour un domaine extérieur au réel, puisqu'il parvient à l'évaluer. Or, cette argutie ne réussit qu'à masquer le problème et à le reporter, ce qui revient après tout à reprendre la stratégie transcendantaliste en l'aménageant et en la rendant encore plus cachée, donc moins accessible à la révolution expérimentale, qui entend abolir la méthode métaphysique. Mais peut-on tenir cette position sur le plan rationnel? Bien entendu que non. Aussi "à part" soit-il, il n'en demeure pas moins que le langage est un domaine réel comme les autres. 
Dans tous les cas, le système philosophique que construit Descartes comporte un vice caché, et d'autant plus vicieux qu'il est caché.Ce vice n'est pas une mauvaise conception métaphysique ou ontologique. Ce problème, c'est  qu'il a voulu résoudre la crise née de la révolution expérimentale. Descartes était un novateur dans le conservatisme, et non pas un innovateur comme on le présente trop souvent. La nuance est importante. On passe à côté du geste de Descartes si on ne le comprend pas comme tel. En science, Descartes, qui était grand mathématicien, voulut là aussi être le premier scientifique de son temps. Mais sa méthode consista à accommoder la méthode expérimentale à sa conception de la métaphysique, selon laquelle c'est la raison qui décide sans vérification extérieure. 
Cela explique qu'il échoua sur toute la ligne, car aujourd'hui on sait qu'il ne suffit pas de se montrer rigoureux pour obtenir la vérité sur le plan physique (au sens large). En métaphysique, le problème est plus épineux, car on ne peut vérifier à l'intérieur du réel que la conception de l'ensemble du réel est bonne. il faudrait pouvoir bénéficier d'un point de vue extérieur au réel pour y parvenir. comme ce n'est pas le cas, en tout cas pour le moment, nous nous situons dans un indécidable assez fort. Raison pour laquelle Descartes n'est pas discrédité, alors que ses mérites insignes sont entachés par des errances coupables. Je ne me montre pas sévère en disant cela, Descartes l'admirable philosophe n'a réformé la métaphysique scolastique déclinante qu’en la rendant encore plus indécidable, c'est-à-dire en la soustrayant à toute possibilité d'être réfutée. 
Aristote fut réfuté scientifiquement par la méthode expérimentale. Craignant que cette réfutation mette également en danger la métaphysique de l'Autorité philosophique du Moyen-Age, Descartes intervient pour rendre la métaphysique indécidable. Mais on constate après coup, et avec la netteté que confère le recul de 4 siècles environ, que le problème de la philosophie de Descartes, c'est qu'elle a encore plus introjecté le néant que les autres démarches philosophiques avant elle. Et le problème ne s'est pas amélioré depuis, puisque la philosophie moderne fonctionne sur le cartésianisme, quelle que soit les critiques intentées contre lui. Il convient donc d'isoler le défaut central et fondamental de Descartes. Et ce défaut, c'est donc que le néant existe dans le langage, et donc existe dans le réel et vient détruire l'ensemble du système organisé de la manière la plus cohérente et admirable.
Dès lors, tout ce que Descartes considère comme positif n'existe pas. La certitude n’existe pas, la clarté pas davantage. Qu'est-ce que Dieu? Rationnellement parlant, quelque chose cloche, un virus qui a insidieusement contaminé tout le réseau philosophique, de telle sorte que le non-être contamine tout l'être et toutes les valeurs de l'être. Raison pour laquelle au final on ne sait pas bien ce que Descartes a connu; on ne sait pas bien ce qu'il appelle la lumière naturelle; et on ne sait pas bien s'il a réussi à réconcilier la connaissance physique avec la connaissance métaphysique. Mais ce qu'on devrait plus savoir, c'est que Descartes a réussi le miracle de dissoudre la connaissance dans l'indéfinissable, de telle sorte que tout ce qu'il peut dire, c'est que l’Être comprend du néant. C'est un terrible aveu d'échec métaphysique.

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