dimanche 2 septembre 2018

La joie ivre ou la vraie nature de l'alcoolisme

Le fait que Rosset ait été alcoolique ne ressortit pas de l'anecdote people. Car l’alcool joue comme un puissant anxiolytique contre la réalité. Bien entendu, Rosset avancera qu'il n'est pas un alcoolique ordinaire. Les alcooliques ordinaires sont des délirants, lui est un alcoolique extraordinaire, c’est-à-dire voyant. Cette argutie rappelle l'arbitraire avec lequel Rosset compose quand il veut définir. Le réel étant le réel, il est indéfinissable. Donc il est à la merci de l'usage qu'on en fait. Usage extraordinaire dans le cas des gens extraordinaires, et Rosset est extraordinaire, lui qui est normalien, très cultivé, reconnu comme philosophe hétérodoxe, etc. Usage ordinaire, qui ferait que n'importe quel crétin prétendrait avec idiotie, cette fois dans son sens premier et courant, que le réel est le réel. Il y a donc deux usages de la définition tautologique, comme il y a deux usages de alcool.  
Revenons à un peu de bon sens. Quand on en vient à prétendre que la même chose présente deux sens diamétralement opposés suivant son usager, on sombre dans l’arbitraire, donc la partialité. La tautologie veut tout et rien dire à la fois, selon Wittgenstein? Mais selon Rosset, créateur de sa petite secte philosophique postspinoziste, postschopenhauerienne et postnietzschéenne, la tautologie veut tout dire, non pas en général, mais pour lui et ceux qui sont dignes de se réclamer de lui. Le critère produit sera informulable : c'est à Rosset de le décider, et maintenant qu'il est mort, c'est à ses thuriféraires que revient cette charge honorifique. Le résultat n'est pas seulement dangereux, puisque le même comportement peut engendrer deux verdicts opposés : l'un sera digne du réel, et réaliste en ce sens; l'autre en sera indigne, parce que le même usage qu'il fait contrevient aux réquisits rossétiens, qui fonctionnent sur la domination que l'on est capable de proposer dans le réel, reprenant la définition spinoziste de l'accroissement de la puissance individuelle.
On voit le résultat avec l'alcool : en décidant que l’alcoolique extraordinaire fait un usage extraordinaire de l’alcool, c'est-à-dire est un voyant qui voit le réel tel qu'il est, tandis que l’alcoolique ordinaire est  un raté qui fait un usage illusoire et hallucinatoire du réel, Rosset accepte que la proposition A puisse signifier à la fois A et non A, autrement dit tout et son contraire. Le résultat concernant la philosophie de Rosset est catastrophique : il ruine tout simplement la possibilité que son propos soit pertinent, puisque la même chose peut vouloir dire les 2 opposés. Pratiquement, cela signifie que Rosset sombre dans l'illusion, en défendant que ce qui est illusoire le plus souvent est aussi l'acmé de l'expression réaliste quelques fois, quand l'individu qui l'exprime est exceptionnel. C'est embêtant pour celui qui se veut l'expression exclusive du réel sauce nietzschéenne. La raison pour laquelle ce qui est illusoire ne peut être en même temps véridique est simple : parce que le principe de non contradiction est vrai et a toujours été tenu pour tel. 
De ce fait, soit ce qui est illusoire est illusoire, et alors tout est illusoire. Soit ce qui est illusoire n'est pas illusoire, et alors tout est vrai. Ce qu'il importe de savoir est : si l’alcoolisme est bon ou mauvais. Chacun sait que l'alcoolisme est mauvais, et comme tel, qu'il est illusoire. Cela implique que Rosset raconte bien entendu n’importe quoi et qu'il n'existe pas plus d’alcoolique voyant qu'il n'existe de toxicomane voyant en général. Un alcoolique peut être un voyant, mais au sens seulement où il l'aurait été encore de manière plus s'il n'avait versé dans son addiction. Ce qui est valable pour Baudelaire ou Brel vaut aussi pour Rosset. Baudelaire n'avait pas besoin des parais artificiels pour être un grand poète et un grand écrivain en général; Brel aurait été un meilleur chanteur encore s'il avait moins bu; idem avec Rosset, qui a sans doute bu pour oublier qu'il ne supportait pas la compagnie du réel.
Raison pour laquelle il a passé toute son existence à écrire des livres fort bien écrits et fort sophistiques sur le réel. Pourquoi Rosset buvait-il? Mais parce que le réel l'angoissait et que la philosophie qu'il avait choisie, entre Spinoza, Schopenhauer et Nietzsche, n'avait fiat qu’accroître son angoisse. Comme les malades qui choisissent le poison pour se soigner, Rosset choisit Nietzsche pour guérir de son spleen. Autant dire qu'il se vouait à plus de souffrance encore, si l'on se souvient que la méthode de Nietzsche consiste à accroître le mal pour mieux le guérir. En réalité, l’alcool est un des plus sûr moyens de s'aviser que son utilisateur se tient dans le déni du réel. Mais là encore, je ne crois pas qu'il soit besoin d'aller bien loin pour obtenir la confirmation de ce que j'avance. Dans un entretien avec Christine Goémé dans l'émission A voix nue en 1994, à partir d'1 heure et 4 minutes, Rosset déclare : . Il a certes en plus le sentiment d'être plus dans la réalité que les autres, mais, outre qu'il retombe ce faisant dans le subjectivisme furibard et le contentement de soi, ce n'est pas parce qu'il estime bien connaître l'histoire de la musique ou des vins qu'il tient une conception générale du réel qui est réaliste.

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