vendredi 23 octobre 2015

Que pense la science?

Si la connaissance d'une partie du réel s'avère impossible, ne retombe-t-on pas dès lors dans les rets de la contradiction nihiliste, selon laquelle il existe une opposition irréconciliable entre deux éléments étrangers et antagonistes, l'être et ce qui est nommé en opposition non-être, de manière conséquente, puisqu'il est inconnaissable? Le nihilisme pose l'inconnaissabilité, mais le néanthéisme pose la complémentarité, selon laquelle la connaissance ne peut que intervenir et réussir que dans de l'être, ce qui implique que la propriété de malléabilité ne puisse être décrite de manière expérimentale.
Mais sa connaissance n’impliquerait rien de tangible, puisque le propre du malléable est "seulement" de jouer sur le donné, en le transformant et en l’étendant. Par contre, en tant que différence ne s'oppose pas à l'être, il ne lui est pas antagoniste, mais empêche des visions factualistes et naïves comme le scientisme ou le positivisme, et plus généralement toutes les conceptions qui tiennent le réel pour donné une bonne fois pour toutes, de type factualiste - ainsi d'Aristote.
Ce qui fait que le rêve scientiste ne s’est pas réalisé, en tant que conséquence des ambitions d'Aristote de tout connaître dans un monde fini, projet alors cohérent, c'est que le réel n'est pas constituée seulement de donné, autrement dit d'être, ce qui impliquerait alors qu'il soit fixe et fixiste. Le coefficient de malléabilité qui l'affecte ne se montre pas rédhibitoire pour la connaissance, mais explique que plus la science progresse, plus la connaissance s'avère importante à connaître, non que ce qui reste à connaître soit déjà infini (au nom de l'illusion selon laquelle l'infini existe déjà), mais que le fini s’étend au fur et à mesure que ses limites sont atteintes, de telle sorte que la science ne peut être qu'une quête en perpétuelle évolution, en ce sens indéfinie.
La science ne pense pas, a proclamé le dernier des métaphysiciens. C'est dire que la métaphysique pour se sauver pense que parvenir à sa fin, c'est prôner la destruction légitime de tous ceux qui, selon elle, ne pensent pas et l'inégalitarisme viscéral, seuls les êtres pensant l’Être, comme Heidegger et ses disciples, méritant d'exister et d'affronter la tâche unique et singulière de méditer.
Où l'on voit que cette philosophie est un postromantisme décadent et macabre, qui annonce la fin suicidaire de la métaphysique, Heidegger ne sachant plus trop que déclarer après la défaite du nazisme. Mais la science ne pense pas au sens où sa tâche est de penser l'être, autrement dit de se confronter à l'évolution permanente de cet être qu'elle ne comprend pas, puisqu’elle ne lui est pas extérieure. Si la tâche de la pensée quand elle pense l'ensemble du réel (quand elle se distingue de la science) est d'affronter la différence qui est au cœur du réel, alors la science ne peut pas penser, car ce n'est pas sa tâche.
Mais comment comprendre cette déclaration dans l'optique métaphysique, soit dans le cadre d'une pensée selon laquelle il n'y a que de l'être et du néant? Cette assertion infondée signifie que celui qui pense tente de lever la contradiction être/non-être - ou que la philosophie décrète que penser, c'est affronter l'ensemble de l'être sans savoir bien précisément de quoi il retourne - ce que cette distinction recouvre. De ce fait, dans l'optique de l'être, que ce soit l’Être ou l'opposition être/non-être, la science pense autant que la philosophie, et même parfois plus en cas de manque d'intuition originale de la pensée philosophique. Au moins la science pense-t-elle quelque chose, bien que ce domaine soit restreint.
Que la science ne pense pas, voilà qui est faux, mais la science ne peut penser la différence, ce qui l'amène à rester dans le fixisme de l'être. Quand elle pense, c'est à partir de la dernière innovation, ce qui peut constituer une innovation, qui s'avérera vite dépassée dès la prochaine innovation. La pensée scientifique est figée, privée de dynamique. De ce fait, la connaissance scientifique se distingue nettement de la philosophie, en ce que seule la philosophie peut penser la différence. La science en reste au domaine du même. 
La limite de la science n'en est une que par rapport à la philosophie qui a rejeté le transcendantalisme; sinon, la limite concerne plus la philosophie : toute pensée qui entend se déployer dans la finitude n'est pas assujettie à la limite de l'être, mais doit se fixer des limites (un cadre) si elle veut pouvoir réussir son opération de réflexion (au sens propre comme au figuré).

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