mercredi 14 octobre 2015

La raison négative

Si l'on prend les paroles les plus célèbres de Socrate, dans le personnage que lui a attribué Platon, comme un double plus de compréhension que de fidélité historique, il importe peu qu'il les ait prononcées ou non : "Je sais que je ne sais pas". Que cette parole fonde la philosophie (là aussi, peu importe que la philosophie ait existé à ce moment précis ou déjà auparavant) indique la négativité qui en est le fondement.
La positivité s'ancre sur la négativité. Il ne s'agit pas d'une positivité qui dépasse son origine négative, car elle n'affirme rien de nouveau, mais se déduit en demeurant dans le même sillage. "Je sais" signifie que le positif s'obtient en prolongeant le négatif - et rien d'autre. Ce n'est pas seulement la philosophie, ni le monothéisme dont elle constitue l'expression rationaliste, qui recèlent en leur sein cette structure.
C'est l'ensemble du transcendantalisme qui exprime cette pensée selon laquelle l'usage final de la raison ne saurait dépasser le négatif. Il n'est pas d'expression de la pensée humaine sans qu'elle représente cette caractéristique. Ce constat indique l’échec de la pensée à se constituer en expression autonome et indépendante réfléchissant sur le réel (au sens de la réflection). Pourtant, la positivité existe dans le réel, ce que confirme n'importe quelle expérience.
Signe que le rationalisme se tient au service de l'action et n'est pas capable de susciter autre chose qu'une pensée sur lui, pas à partir de lui pour découvrir qu'elle relève d'une autre dimension que la sphère physique. D'une manière générale, Dieu n'est pas définissable, parce qu'il exprime ce fait difficile à admettre, quoique évident à l'examen, selon lequel la positivité ne parvient pas à être atteinte par la pensée quand cette dernière s'exprime par le truchement de la raison.
Le négatif est le propre de la raison, non pas si celle-ci se place au service de la créativité, mais quand elle est tenue pour l'expression attitrée de la philosophie, la plus haute forme à laquelle la pensée puisse atteindre. Le négatif est ce qui sous-tend toutes les pensées des hommes et qui s'avère le propre du transcendantalisme. Je sais bien que ce constat peut sembler scandaleux à qui constate que la visée du rationalisme est le positif.
C'est parce que l'existence du positif est attestée par l'expérience, dans le réel et par l'expérience. Mais le positif n'a jamais existé dans aucune affirmation qui estime que la réalité est composée de l'être, en particulier de l’Être, terme fourre-tout dont on n'a jamais réussi à définir positivement l'identité. C'est un fait que les affirmations de la pensée, comme en philosophie, sont déguisées et qu'elles ne peuvent jamais être fondamentalement définies.
Le positif n'a jamais été découvert par la pensée humaine, ce qui explique le penchant de la métaphysique à survaloriser l’intériorité et à éprouver de plus en plus de peine avec sa méthode rationaliste à découvrir l’extériorité. Quant à la méthode scientifique, Carnap et d'autres logiciens empiristes (comme Nagel ou les partisans de la conception sémantique) ont montré qu'ils n’étaient pas en mesure de définir ce que désignait le contenu théorique.
C'est le signe que la méthode scientifique, si elle est capable de connaître au niveau de l'être, n'est pas capable d'être définie en son noyau élaboration, parce qu'elle ne fait pas appel à des moyens rationnels. Pour sortir du négatif, il convient de recourir à la positivité créative. Sans création, il n'est pas de positivité, ce qui implique que toute démarche de connaissance nous pousse à innover plus qu'à comprendre ce qui existe déjà.

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