dimanche 6 mars 2011

Prochaine métonymie


Interview de Kadhafi qui achève définitivement le mythe al Quaeda et la guerre contre le terrorisme :
http://www.lejdd.fr/International/Afrique/Actualite/Exclusif-Mouammar-Kadhafi-accorde-un-entretien-au-JDD-278745/?from=cover
Le clan Kadhafi est directement lié à l'Empire britannique; les liens entre Blair, Lord Jacob Rothschild et les proches du Colonel défrayent la chronique. Désormais la LSE pleure toutes les larmes de son corps en jurant ses petits dieux (Mithra ou Dionysos?) qu'elle n'aurait pas dû accepter l'argent du mécène Kadhafi. Quand c'est une chanteuse de R&B américaine new wave qui regrette d'avoir chanté pour le Colonel, ça passe; mais pour des soi-disant experts en libéralisme, c'est à la limite de l'insolence.
Que déclare le Colonel le plus lucide de la Terre au JDD, un journal français qui se distingue par sa vulgarité consommée et l'intervention régulière d'un intellectuel français so british (Philippe Sollers, qui ferait bien d'arrêter d'écrire)? "Je m'étonne vraiment que l'on ne comprenne pas qu'il s'agit ici d'un combat contre le terrorisme. (...) Pourquoi lorsque nous sommes dans un combat contre le terrorisme, ici en Libye, on ne vient pas nous aider en retour?". Mais encore : "Al Qaida a donné instructions à ses cellules dormantes en Libye de faire surface".
Il est intéressant de constater que quand c'est un Président américain ou un Président britannique, leurs affirmations grotesques autour d'al Quaeda sont prises au sérieux, alors que quand c'est un dictateur libyen qui réitère ce genre de propos, on décrète qu'il est manifestement fou. Pourtant, il dit la même chose que les pouvoirs occidentaux et, ce faisant, il fait preuve d'une certaine habileté, liant son sort à celui de l'Empire britannique (officiellement l'Occident) : après tout, il se met du côté de la lutte contre le terrorisme lancée par W. et théorisée par Lewis & Co. - et il ne fait que discréditer (un peu plus) les propos hypocrites des dirigeants occidentaux sur cette question centrale de leur politique stratégique en complète mutation depuis le 911.
Pourquoi les citoyens occidentaux accréditent les propos de leurs dirigeants concernant la farce al Quaeda et la justification de la guerre contre le terrorisme; alors que ces mêmes citoyens jugent parfaitement délirants ces mêmes propos quand ils sont appliqués par un dictateur aux abois? C'est la preuve qu'au mieux, ils ne veulent pas savoir l'identité effective d'al Quadea, prête-nom pour des causes inavouables et impérialistes; et qu'ils se rangent comme un seul homme (borné) derrière la loi du plus fort : en gros, W. étant le plus fort, ce qu'il a dit en 2001 est vrai; tandis que Kadhafi étant en position de faiblesse, ce qu'il avance en 2011 est faux.
Cette manière de juger, qui ne défend nullement la folie Kadhafi, est très inquiétante : outre qu'elle est certaine de se tromper, elle consiste à retenir un critère de décision qui n'est pas la vérité, mais la loi du plus fort. Que juge Kadhafi dans une rhétorique sans doute bouffie et déformante, mais qui a le mérite de faire ressortir les actions des Occidentaux et la loi du deux poids deux mesures? "Et vous ne croyez pas que le régime algérien depuis des années combat l’extrémisme islamiste en faisant usage de la force! Et vous ne croyez pas que les Israéliens bombardent Gaza et des victimes civiles à cause des groupes armés qui s’y trouvent? Et en Afghanistan ou en Irak, vous ne savez pas que l’armée américaine fait régulièrement des victimes civiles? Est-ce que l’Otan en Afghanistan ne tire jamais sur des civils? Ici, en Libye, on n’a tiré sur personne."
C'est un raisonnement imparable : Kadhafi rappelle que sa manière d'agir est calquée sur la manière d'agir des Occidentaux. Kadhafi rappelle que les crimes occidentaux commis en Irak ou en Afghanistan sont encore pires que ceux qu'il commet contre les insurgés de son peuple. Kadhafi rappelle qu'al Quaeda n'existe pas plus en Afghanistan qu'en Libye, mais désigne l'ennemi du libéralisme : lui-même. Le libéralisme qui s'effondre n'a d'autre ennemi que lui-même. Telle est la situation de Kadhafi et cette situation particulière exprime la situation générale de l'Empire britannique; cette situation particulière est métonymique en ce qu'elle exprime la situation du tout.
Selon le raisonnement de Kadhafi calqué sur le raisonnement occidental, il convient de choisir : soit la lutte contre le terrorisme légitime des actions militaires violentes ou meurtrières - auquel cas les actions de Kadhafi sont légitimes et doivent être réhabilitées; soit la lutte contre le terrorisme est monstrueuse et destructrice, auquel cas les actions des Occidentaux notamment en Irak méritent d'être encore plus condamnées par les médias et les intellectuels du monde. Voilà qui en dit long sur l'hypocrisie de nombreux discours à l'heure actuelle.
Voilà aussi qui offre au spectateur lucide des désordres du monde et du changement radical qui se produit une précieuse comparaison : car si Kadhafi est monstrueux, il l'est à l'image de ses protecteurs occidentaux, dont un Blair pourrait offrir un portrait fidèle (déclencheur de la guerre en Irak, promoteur de la paix au Proche-Orient, conseiller du fond souverain libyen). Et si Kadhafi est monstrueux, alors ses protecteurs occidentaux de l'Empire britannique (pas américain, hein) sont encore plus monstrueux que lui. C'est la leçon amère (ou hallucinogène) que les médias occidentaux veulent faire oublier en focalisant sur la folie-repoussoir du Colonel, alors que cette folie offre un précieux baromètre de l'état de folie dénié dans lequel gît notre Occident impérial et libéral.
A ce propos, Kadhafi réitère d'une manière drolatique que la jeunesse libyenne qui se révolte serait sous la coupe des fanatiques d'al Quaeda qui leur administrerait des pilules hallucinogènes et autres drogues. Kadhafi est un consommateur régulier de ce genre de drogues, qu'il prend peut-être pour alléger ses troubles psychiatriques, mais qui ne peuvent que les accroître à terme. Cette explication hilarante par les pilules hallucinogènes, aussi invraisemblable soit-elle, se révèle une image fidèle et terrible de l'hallucination dans laquelle se tient l'Occident à l'endroit de sa situation d'effondrement systémique et irrémédiable. Hallucination collective, puisque le prestige du roi nu repose sur l'hypocrisie et la lâcheté de ses sujets.
Kadhafi vit dans un monde halluciné dans lequel il est un Guide spirituel qui a composé un Livre vert définitif et qui fédérera l'Afrique sous l'égide de son Califat musulmano-socialiste (en gros). Les dirigeants occidentaux ont toléré les manifestations psychiatriques de ce dément notoire et cruel à condition qu'ils puissent se servir en pétrole en en gaz dans un pays riche et néo-colonisé. Mais nos dirigeants occidentaux ne se sont pas rendus compte pendant ce temps de luxure babylonienne qu'ils étaient tout aussi bien que le Colonel sous la coupe d'hallucinations - moins psychiatriques que perverses. Dans les contes et les mythes, on explique certains comportements déraisonnables par la prise de breuvages ensorcelants et de poisons divers.
C'est ce genre de discours (décalés) que tient Kadhafi, en plus des menaces diverses à propos du terrorisme ou de l'immigration : vous les Occidentaux vous êtes servis de moi pour susciter et soutenir un régime dictatorial et néo-colonial dans une partie du monde cruciale pour de multiples raisons; eh bien, je resterai au pouvoir jusqu'à ma mort. Nos destins sont liés : ma folie est votre folie. Vos pilules hallucinogènes sont mes pilules hallucinogènes. Et si je disparais, vous me suivrez dans la tombe. On ne sait pas quand, mais l'Empire britannique est aussi certain de disparaître en Occident qu'il s'effondre visiblement en Libye.

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