mercredi 19 octobre 2011

Le syndrome de Lorenzaccio

La fausse alternative.



Contrairement à ce que serine la propagande des grands médias occidentaux en Libye, le système clanique et népotique de KadhaFils ne constitue pas l'imposture tribale monstrueuse et sanguinaire qui légitimerait la campagne coloniale elle monstrueuse - l'opération militaire de l'OTAN relayée par son faux nez de plus en plus grotesque et discrédité du CNT. La révolution de la Jamahiryia a instauré une fédération intertribale non sans certains succès, qui a produit certaines réussites en matière de développement économique, éducatif, sanitaire ou politique (je pense à la mise en place d'une certaine démocratie participative, il est vrai limitée par des milices qui ne disent pas leur nom de censeurs totalitaires). Mais les limites de ce système doivent êtres rappelées, contre ceux qui confondent et amalgament la lutte légitime contre l'impérialisme (l'OTN en l'occurrence, dont on voit mal pourquoi il serait devenu démocratique) avec la défense, voire l'apologie du personnage Kadhafi, que ses admirateurs (souvent superficiels, confondant le cas Kadhafi avec la lute anti-impérialiste) identifient hâtivement, voire confusément, comme un dirigeant intègre et providentiel, alors qu'il a toujours mené (depuis plus de quarante ans) le grand double jeu, qu'il finança de nombreuses organisations terroristes aux ramifications néo-nazies travesties en panarabisme nationaliste et qu'il mena une politique de prospérité limitée (bornée?) pour son pays - dans la mesure où la redistribution de la manne énergétique (pas seulement pétrolière) n'implique pas le développement structurel (notamment industriel) du pays, mais une façon de vivre dispendieuse, miraculeuse et non pérenne.
Rappel historique : nous assistons à l'effondrement du système général d'impérialisme britannique. Il est normal que les alliés périphériques s'effondrent en premier, comme le paradis artificiel Dubaï; ou essayent d'endiguer l'effondrement par une politique de contre-révolution réactionnaire, comme l'Arabie saoudite (et les monarchies voisines, à l'image du pitoyable Qatar). Il est tout aussi normal que les potentats et satrapes de ce système soient éliminés en premier. Ce fut le cas pendard du pendu Saddam (un tyran qui ne méritai en rien sa mort infamante et cette parodie de jugement démocratique qui en dit long sur les méthodes de ceux qui se présentent en démocrates au nom de l'ingérence démocratique); c'est à présent le cas de Kadhafi, dont le sort a été réglé au début après 2001, et non pas en février 2011, comme l'expliquent pour des motifs vertueux et démocratiques les médias libéraux propagandistes. La méthode est inadmissible, parce que ce sont des peuples qui payent les pots cassés de la politique du chaos et qu'il s'agit d'impérialisme et de colonialisme (dont on voit mal en quoi ils deviendraient démocratiques parce qu'occidentaux). Mais condamner l'impérialisme et le colonialisme ne revient en aucun cas à légitimer la subversion de la lutte impérialiste par des satrapes en réalité impérialistes.
Kadhafi fait partie de cette classe de faux anti-impérialistes qui ont trahi leur idéal de jeunesse et qui se sont vautrés dans la fange du double jeu. Peut-être ont-ils cru jusqu'à un certain point qu'ils jouaient avant tout leur jeu trouble et rance dans l'intérêt de leur peuple et qu'ils étaient contraints pour protéger leur peuple de jouer ce double jeu. Kadhafi est-il un Lorenzaccio qui posséderaient deux côtés maléfiques complémentaires plus qu'antagonistes : l'un consistant à mener grand train pour sauver son peuple, l'autre à se corrompre pour mieux corrompre l'ennemi atlantiste? Kadhafi serait-il un gnostique descendant des Cyrénaïques et autres sectes philosophiques antiques de la région qui à son tour estimerait que c'est seulement et paradoxalement en faisant le mal que l'on parvient à accomplir le bien?
Si l'on veut dresser les qualités politiques de Kadhafi, ce n'est pas très compliqué : intelligent (bien plus que fou), combattant exceptionnel, résistant de première classe. Il l'a prouvé en renversant le roi corrompu Idriss en 1969 et il le prouve de manière impressionnante en ce moment en continuant à résister à l'envahisseur de l'OTAN, qui est plus puissant que lui mais qui sur le modèle du Vietnam finira par perdre face à l'indomptable peuple libyen. Par contre, Kadhafi correspond plus à la fiche du résistant qu'à celle du dirigeant. En tant que dirigeant, il a su fédéré les innommables tribus en une fédération intertribale et à mener une politique de développement économique effective; mais il est resté un dictateur politique de plus en plus archaïque et n'a pas su sortir la Libye d'un développement fondé sur la manne énergétique.
Surtout Kadhafi sous prétexte d'anti-impérialisme a mené un complexe et détestable double jeu (multiple jeu) en concert avec les services secrets français, israéliens et britanniques. Au final, cette tactique labyrinthique et tortueuse, loin de protéger les intérêts libyens, les aura plutôt perdus : Kadhafi et son clan familial ont précipité involontairement la Libye dans la guerre civile et se sont avérés incapables de prendre des mesures de bon sens pour prévenir et limiter les dégâts de la guerre. S'ils n'avaient pas autant trempé dans des intrigues contradictoires, ils n'auraient pas tant tardé à prendre des mesures pour sauver les dizaines de milliers de vie libyennes qui à cette heure et en quelques mois ont été fauchées par les bombardements démocratiques de l'OTAN.
Inutile de revenir sur les erreurs invraisemblables de Saif el Islam nommant dans le gouvernement libyen les dirigeants atlantistes qui l'ont trahi ou partant festoyer en Europe avec les huiles de l'Empire britannique sous couvert d'amorcer le changement démocratique-libéral en Libye. Kadhafi est peut-être un résistant remarquable (bien qu'à l'heure actuelle la valeureuse et héroïque résistance libyenne émane davantage de réactions de défense spontanées du peuple libyen que de l'impulsion seule de Kadhafi), mais c'est aussi un dirigeant dont le bilan politique en quasiment un demi siècle d'exercice du pouvoir est des plus critiquables. Dictateur, assassin de centaines de Libyens (indépendamment de la propagande féroce qui sévit contre lui en Occident depuis février 2011 et qui consiste surtout à raconter n'importe quoi), tribaliste népotique impénitent, il était temps que Kadhafi passe la main - et l'on ne peut que lui souhaiter, pour sa propre postérité, qu'il la passe dans les conditions actuelles, au moment où il fait montre de son héroïsme de résistant, pas de sa corruption de dirigeant passé accroché à son pouvoir dictatorial.
Kadhafi n'est pas fait pour l'exercice positif du pouvoir, en tout cas pas de manière prolongée. Mais qui le serait de toute manière si longtemps? S'il avait tenté de forger un Etat-nation au-dessus du tribalisme fédéral, il serait moins critiquable et surtout son pays aurait été plus à même de lutter contre l'invasion coloniale menée par l'OTAN. Ce qui est remarquable dans le cas Kadhafi, c'est la fascination subite qu'il suscite dans des milieux occidentaux qui, se rendant compte de la faillite du modèle occidental libéral, estiment que toute opposition à ce modèle est forcément vertueuse et positive. Il n'en est rien. Le modèle Kadhafi est de toute façon vicieux et négatif. Il y a pire : ce serait du dépit que de se rabattre sur le modèle Kadhafi comme une alternative au système libéral en décrépitude inexorable.
Le modèle Kadhafi est un modèle dont les possibilités se révèlent très inférieures aux possibilités de l'Etat-nation. Remplacer l'Etat-nation par l'Etat intertribal relève de la supercherie grotesque et de l'égarement. Les populations désabusées par les miasmes du libéralisme terminal se réfugient éperdues vers tout type de modèle qui se trouve martyrisé par l'impérialisme inexcusable et pas assez discerné. Le dépit se caractérise pat sa dangerosité. Que dirait-on d'une femme qui divorcerait de son mari alcoolique pour se remarier avec un homme violent? Que son nouveau choix se révèle pire que l'ancien?
C'est ce qui est en train de se produire à l'heure actuelle pour les contestataires de l'ordre libéral en chaos, qui sous prétexte de nouveau choix font un choix catastrophique et déboussolé (désaxé). Les déçus du libéralisme occidental (britannique) se rabattent sur un choix plus néfaste encore, sorte de totalitarisme baassiste et mixture entre le nationalisme néo-nacérien et l'Islam panarabe. Le choix de Kadhafi, qui se veut le choix anti-impérialiste et noble, contre l'injustice et contre la folie, est un choix par défaut, d'un modèle de faux anti-impérialisme et de fausse opposition. Ceux qui défendent Kadhafi reproduisent le coup de la correction plus pernicieuse que l'erreur initiale. Dans notre monde où les repères s'effondrent et où les boussoles vacillent, il est urgent de se défier des impostures et des fausses alternatives.
La déception aboutit à des choix pires que la trahison de la cause initiale. L'alternative d'un Kadhafi ne peut en rien remédier à la faillite du libéralisme. Kadhafi est un sous-traitant du système libéral mondialisé. Le fait qu'il s'oppose aux Etats-Unis et non aux factions financières autour de la City l'indique. La fausse alternative Kadhafi concourt à encourager et accroître le chaos en lieu et place de l'ordre libéral, soit à prolonger et appuyer involontairement la stratégie lancée par les dirigeants financiers du libéralisme en phase terminale. N'en déplaise aux récents et superficiels kadhafistes (surfant sur la mode publicitaire de l'engouement Che Guevara), qui ont oublié le passé de Kadhafi, notamment ses liens avec certains cercles terroristes subventionnés par les cercles néo-nazis autour du milliardaire suisse Genoud, le système de la Jamahiryia ne peut en rien remplacer l'ordre désormais caduc du libéralisme. En aucun cas, Kadhafi ne peut représenter une alternative viable et fiable. Il incarne la fausse opposition, le type qui s'en prend à l'impérialisme américain (mal identifié) tandis qu'il signe des contrats avec l'impérialisme britannique (dénié).
Loin de toute indépendance et de toute opposition constructive, le système Kadhafi représente une satrapie de l'Empire britannique, soit une fausse opposition et une sous-traitance caractérisées, sur le modèle de l'opposition creuse et virulente du système libéral, à tel point que le fils emblématique de Kadhafi, le fameux Seif-al-Islam, loin de représenter l'avenir pérenne du libéralisme occidental en Libye ou l'avant-garde du panafricanisme, avait pour spécificité de fricoter avec les milieux les plus archétypaux du libéralisme ultra, de se corrompre en artifice intellectuel (la LSE) et en fêtes somptueuses (sur des yachts au Monténégro). Le danger serait de confondre l'abjection de la boucherie libyenne avec l'idéalisation de la viabilité du modèle libyen, la Jamahiryia et la promesse d'une démocratie directe et idéalisée sous le patronage éclairé te parfait d'un Guide tutélaire, désincarné et désintéressé.
Le plus urgent pour tous les révoltés légitimes de l'impérialisme libéral et de la propagande abjecte et obvie des médias occidentaux ou affiliés (comme la chaîne de télévision quatarie al-Jazirah) n'est pas tant de critiquer légitimement le régime Kadhafi et de dénoncer son imposture plutôt que son originalité vertueuse; que de comprendre ce qu'implique le syndrome de Lorenzaccio : prendre pour une alternative viable et pérenne au libéralisme ce qui n'en est qu'un prolongement inférieur et nauséabond. On ne peut forger une poursuite supérieure au système libéral moribond et exsangue en légitimant le double jeu, le tribalisme, le totalitarisme, les assassinats idéologiques - la politique de la manipulation travestie en pseudo-stratégie géniale du panafricanisme. L'heure n'est pas au panafricanisme, qui plus est douteux et opportun; l'heure est au spatialisme supérieur et à la sortie du giron terrestre, fût-il réconfortant. Nous ne voulons pas de nouveaux Kadhafi, plutôt des avatars spatialistes de Luther King ou de Gandhi.

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