mardi 1 avril 2014

Pour ne pas finir

La définition diffère de la description par le fait qu'elle embrasse l'ensemble, quand la description s'attache aux détails. De telle sorte que la définition est supérieure à la description. La description ne peut que suggérer le tout, tandis que la définition s'attaque à l'ensemble, et, si elle le manque, du moins permet-elle de dégager du réel, réel qui est faux, mais dont l'erreur demeure réelle.
La description supérieure est celle qui suscite l'élan vers le tout, qui est capable de dire partiellement pour que le lecteur tende vers l'universel. Raison pour laquelle la description suscite l'enthousiasme plus que la définition : elle donne l'impression, valorisante pour le lecteur, qu'il en sait plus que ce qu'on lui dit et qu'il est l'indispensable instrument de l'achèvement de la description. Sans le lecteur, pas moyen de donner à la description ses lettres de noblesse.
Alors que la définition est austère : comment réussir depuis le singulier de la finitude à énoncer l'universel de l'infini? Il existe un vertige assez démesuré dans l'inclination de la définition. La description est plus modeste et ne peut vraiment décevoir. Elle manque au maximum d'exprimer l'universel, quand la définition ne peut que décevoir : outre que la plupart de ses expressions s'avèrent ratées, et parmi les meilleures, la plupart mineures, peut-on vraiment dire l'universel depuis le singulier?
Dès lors, la supériorité de la définition sur la description souffre de son impossibilité putative : est-ce vraiment être supérieur que d'être 
malaisée, pour ne pas dire impossible? Cette supériorité conjuguée à l'impossible n'est plus de la supériorité, mais ressortit de l'imposture. Et il s'est trouvé de nombreuses voix pour remettre en question la validité de la démarche définitoire, qui serait définitive au sens où elle serait vouée à l'échec.
On pourrait d'ailleurs proposer comme définition de l'échec la seule voie qui permet l'illusion de l'achèvement. L'achèvement ne pourrait jamais se dessiner dans la manifestation de l'être quel qu'il soit. Il faut pour achever que la chose disparaisse, ce qui indique que l'achèvement n'existe pas et que seul ce qui n'existe pas est achevé.
L'art de la définition relève du genre philosophique. De ce point de vue, ceux qui rangent la philosophie dans le genre littéraire, comme un genre particulier au même titre que le roman, le théâtre ou la poésie, commettent une erreur manifeste : car la définition, si elle était rangée dans la description, y compris comme son expression la plus réussie ou aboutie, ne serait que de l'exercice singulier  ce qui contredit sa propre démarche.
Il existe une spécificité de la philosophie, n'en déplaise à de nombreux point de vue actuels, qui tendent à ranger la philosophie dans la littérature, et la définition dans la description, parce qu'ils considèrent que l'élément indépassable du réel est sa singularité (celui qui le revendique explicitement étant le philosophe Clément Rosset). 
Ce sont les immanentistes qui ont tendance à proposer cette entreprise de synthèse et de conciliation, qui a l'avantage de laisser croire qu'ils réussissent à expliquer ce qui auparavant faisait débat - et qui leur donne l'occasion de se pavaner en authentiques stylistes, surtout depuis les envolées lyriques de Nietzsche sur le thème.
Mais cette spécificité de la philosophie était la réclamation première des métaphysiciens, alors que l'on pourrait avoir tendance à tenir les immanentistes pour la radicalisation hérétique des métaphysiciens, surtout si l'on considère que Spinoza est le disciple hérétique de Descartes, dont il n'a fait que renverser l'irrationalisme (le centre n'est plus le cogito, mais le désir, autant dire que Dieu se trouve évincé du système).
Ce sont les disciples qui trahissent le plus leur maître. Aristote en sait quelque chose, lui qui fonda la métaphysique (terme posthume) contre l'héritage de son maître Platon. Spinoza pourrait aussi tenir cette place. Cette supériorité de la définition sur la description implique l’originalité de la philosophie sur la littérature - sans quoi c’est l’immanentisme qui finira par avoir raison, alors qu’il vient de l’entreprise métaphysique qui exige que la philosophie soit le mode d’expression privilégiée du discours humain, tandis que la religion relèverait des fariboles.
La définition selon la norme nihiliste serait que la définition se substitue à la révélation. La révélation n’est qu’une expression inférieure et superstitieuse de la définition humaine. Mais la définition humaine désigne dans le projet nihiliste la possibilité de connaître le réel qui est fini, quand la révélation apportait à l’homme démuni la lumière, définitive pour la clôture monothéiste, sur ce qu’était l’infini par rapport au fini.
La philosophie nihiliste est la possibilité de connaître l’ensemble du réel fini, quand la définition de la philosophie s’attache à comprendre ce qu’est l’infini, en posant que l’homme peut le comprendre et le définir. Le nihilisme se distingue de l’immanentisme, en ce que l’immanentisme ne cherche plus à définir l’ensemble du réel et abandonne la prétention de la métaphysique à instaurer un compromis entre transcendance et immanence à l’intérieur du fini.
La métaphysique essaye de considérer qu’il est possible que la forme existe à l’intérieur du fini dans son intégralité, quand l’immanentisme réfute toute possibilité de transcendance. La transcendance dans le fini ne consiste pas à introduire l’infini dans le fini, mais à essayer de trouver une vision totale du fini, avec cet atout que si le réel est fini, il est totalisante, quand l’infini rend difficile d’appréhender le réel d’un point de vue qui le surplombe.
Mais ce point de connaissance totalisante du réel fini ne se laisse pas trouver, ce qui rend l’hypothèse de la métaphysique obscure : comment la connaissance du fini est-elle possible dans son ensemble, alors que l’on ne parvient pas à définir l’endroit où l’on pourrait situer cette possibilité de l’embrasser (d’une manière quasi intuitive)? La différence avec l’immanentisme, c’est que lui propose une possibilité de connaissance dans l’immanence, puisque l’objet de la connaissance se rétrécit jusqu’au désir humain, qui est qualifié de complet au sens où il remplace l’entreprise de totalisation métaphysique.
Dès lors, la question porte sur le fait de savoir si la définition est un exercice de type humain qui porte sur le fini ou l’infini. Si l’infini rompt avec la révélation, la philosophie comporte deux branches et deux inclinations : 
1) la branche nihiliste, dont l’immanentisme est l’expression la plus influente depuis la contemporanéité, qui considère que la définition porte sur le fini; 
2) et la philosophie ontologique, qui considère que la définition peut être infinie.

1) La position du nihilisme a évolué depuis l’Antiquité concernant l’infini. Auparavant, tenant que le fini est assez vaste pour que la connaissance soit ample, le nihilisme reconnaît l’existence du non-être, jusqu’à Aristote. La métaphysique, qui exprime l’alliance bizarre de l’ontologie et du nihilisme, prétend que l’infini devient la possibilité de tenir une position universelle depuis un point du fini sur l’ensemble du fini.
Avec la crise de la scolastique, la métaphysique devient contrainte de considérer que la définition du fini s’est étiolée. Pour conserver son ambition universaliste, et ne pas l’abandonner à la science, avec la révolution expérimentale, elle tend à affronter l’infini, mais toujours du point de vue du fini. C’est l’irrationalisme cartésien, dont le rationalisme ne concerne que ce qui touche au fini. Dès que le fini doit s’attacher à connaître l’infini, Descartes propose que l’on substitue à l’infini l’indéfini.
Ce faisant, il admet que l’infini ne peut être compris, mais qu’il permet d’élargir le champ de la connaissance, de telle sorte que le fini ne puisse jamais s’étioler et que la sclérose scolastique ne soit pas métaphysique, mais exprime plutôt la mauvaise compréhension de ce que représente la métaphysique. La métaphysique tend à rendre possible la connaissance universelle dans le fini, quand le nihilisme considère que seule la connaissance multiple et morcelée est possible.
L’infini à l’aune métaphysique est la garantie que le fini est pérenne, bien qu’on ne puisse l’expliquer. L’infini est ainsi ce qui explique le fini, sans pouvoir être expliqué par lui. Cette construction explique que la théorie cartésienne ne parvienne à définir le fini par l’infini sans l’adjonction du néant. Comme c’est un néant d’autant plus inexplicable qu’il n’est pas comblé par l’infini lui aussi inexplicable, comme on ne comprend pas pourquoi l’inexplicable crée de l’inexplicable, ni que l’infini réputé parfait crée du néant réputé le plus imparfait, alors on relègue le non-être dans la sphère du non-dit, ce qui relève de l’incohérence.
Comment expliquer que le non-être soit non-dit, sans relever du réel de quelque manière que ce soit? C’est parce que la métaphysique est la tentative étrange de concilier l’être et l’infini. Depuis l’échec de la métaphysique originelle et aristotélicienne, qui considère qu'il suffit d’indiquer l’universalisme fini, la réforme cartésienne considère que l’universalisme n’est pas suffisant à partir du seul fini. Il convient donc d’adosser le fini sur l’infini pour qu’il soit suffisant.
Problème : l’infini en question étant irrationnel, il se révèle insuffisant. Il s’agit d’un infini qui ne peut être expliqué, ce que Descartes explique très bien dans sa Quatrième méditation : je ne peux expliquer pourquoi Dieu m’a fait si imparfait. Je dois l’accepter comme tel. 
L'insuffisance de l'infini dans la métaphysique rénovée depuis Descartes explique le besoin de lui adjoindre le néant, alors que le néant tel que le définit la métaphysique réussit l'exploit d'être quelque chose que l'on dit, mais qui n'existe pas : autant dire, une contradiction dans les termes. L'intention du cartésianisme étant de rénover la métaphysique obsolète, il s'agit moins de découvrir un nouveau type de réel au-delà de l'être (ou à côté), que de créer une hiérarchisation du réel parmi l'être, en sélectionnant l'être qui est essentiel de l'être secondaire.
De ce point de vue, le cartésianisme parvient à ses objectifs, puisqu'il réussit à identifier le réel essentiel et à écarter le mauvais grain de l'ivraie. Il renforce le dispositif aristotélicien, qui est jugé insuffisant depuis son effondrement en scolastique dogmatique, l'avènement de la science et la Renaissance intellectuelle. La métaphysique 1 entendait séparer ce qui est de ce qui n'est pas. La métaphysique 2 va plus loin : elle sépare parmi ce qui est ce qui est essentiel de ce qui est secondaire. 
Dans ce dispositif, le néant ne peut exister parce qu’il est dérisoire. Le secondaire est occupé par l’être (physique), tandis que le primordial relève de l’être (métaphysique). Descartes réussit à introduire un transcendantalisme interne à l’être entre le sensible et le cogito, l’infini qui relève de Dieu débouchant quant à lui sur un transcendantalisme irrationaliste.
La métaphysique cartésienne n’est ni un transcendantalisme, ni un immanentisme, mais passe injustement pour un idéalisme qui s’opposerait au spinozisme hérétique ou à l’immanentisme qui en découle, en penchant du côté du camp métaphysique auquel on a coutume d’associer à l’ontologie. Rien n’est plus étranger à l’ontologie que la métaphysique. Du coup, le cartésianisme qui n’est rien d’autre que la rénovation de la métaphysique est opposé à l’ontologie et se trouverait paradoxalement plus proche de l’immanentisme, qui va encore plus loin que le projet cartésien.
Chez Spinoza, l’aspiration à trouver le bon réel est résolu par l’identification du réel au désir. A la limite, le reste importe peu. C’est ainsi que la question de l’infini, cardinale chez Descartes, bien que de tendance irrationaliste, est évacuée chez Spinoza comme dérisoire, au moyen de la chiquenaude de l’incréé. Chez Descartes, l’infini ne pouvait être conçu par l’entendement fini que comme de l’indéfini. Chez Spinoza, l’infini n’existe pas, tout comme le non-être. Seul existe le désir. Le reste n’a pas d’importance, entendre : pour l’homme. Tout ce qui ne concerne pas l’homme n’a pas d’importance.
Et comme seul ce qui est immanent concerne l’homme, les questions de l’infini, de la transcendance, de Dieu, de l’Etre, et du non-être sont dépourvue d’intérêt. Tel est l’immanentisme. Ce n’est plus : « La vérité vous rendra libre » (Saint Jean), mais : « Mon mensonge te rendra libre ». La disparition de l’universalisme (la) entraîne son remplacement par la singularité de la subjectivité (mon). C’est le programme que préconise Nietzsche derrière l’expression de renversement de toutes les valeurs, la vérité étant ressentiment, et le mensonge affirmation du fort l’artiste créateur).
Dans cette position, la définition importe moins que la description, au sens où la définition est définition du singulier. Comment mieux rendre la définition singulière que par la description? La définition singulière est négation de l’universel, autant dire : le singulier est négation de la définition et réhabilitation de la description. 
Dans ce schéma, la définition se trouve niée, tandis que dans le schéma métaphysique, elle oscille entre négation (l’irrationalisme ne peut se dire) et affirmation unique : on identifie ce qui est essentiel comme l’unique issu de l’être fini, tandis que ce qui est second est multiple, donc relève de la définition scientifique.

2) Qu’est-ce que la définition infinie? Alors que la définition pourrait sembler se limiter au fini, il appert qu’elle sert dès le départ à dépasser la singularité de tout objet, ce qui contredit la thèse de Rosset, qu’il reprend des nominalistes (d’une manière générale, Rosset, qui devient à la mode ulmienne de nos jours, ne crée pas de nouvelles idées, mais se contente, du fait de sa formation solide d’historien de la philosophie, spécialiste de Schopenhauer, et connaissant en profondeur Descartes, Pascal et Nietzsche, de reprendre la tradition immanentisme dont il se réclame  entre Spinoza et Nietzsche tout en la mâtinant de Schopenhauer. Telle est son originalité réelle).
La définition, déjà dans le giron fini sert à dépasser la singularité, quoi est l’unité de base du fini. Dès lors, si la définition dans le fini commence à chercher des absolus, c’est que soit elle trouve leurs fondements dans le fini, soit elle les trouve ailleurs, ce qui ne peut se situer que dans l’infini. La définition est donc un élément d’infini qui intervient dans le fini. Elle ne peut opérer que si elle recourt à l’infini pour chercher des éléments d’absolus dans le fini. 
Ces éléments sont soumis à une double impossibilité logique : 
1) ils ne peuvent être finis, ce qui les rapporteraient au singulier;
2) ils sont infinis, bien qu’ils ne peuvent être définis comme tels dans le schéma qui cherchent à les définir à partir du raisonnement transcendantaliste. Malgré toute sa perspicacité, Descartes ne réussit qu’à proposer que l’on substitue à l’infini indéfinissable et incompréhensible pour l’entendement fini l’indéfini, qui sans être positivement définissable accorde une base finie à l’infini, d’ordre négatif. 
L’infini est pourtant un terme négatif qui reconnaît qu’existe quelque chose qui n’est pas fini, et qui pour autant est quelque chose. C’est ici que le raisonnement transcendantaliste, dont l’ontologie est la meilleure expression depuis le monothéisme (depuis l’Antiquité), propose que l’infini relève aussi bien de l’être que le fini, et qu’il soit positivement l’Etre tout comme ce qui est fini est de l’être. 
La différence entre l’être et l’Etre reste cependant à définir (justement), car si l’on réussit selon ce raisonnement à définir l’être, on peine et on patine à définir l’Etre. L’infini est conçu comme une positivité qui n’est pas fini, quoiqu’elle soit quelque chose de supérieur au fini. La différence entre l’infini et l’indéfini est que l’infini recoupe une réalité qui n’est pas nommable et appréhendable par l’entendement, tandis que l’indéfini est une négativité pure qui n’étant pas appréhendable mérite seulement le désintérêt. 
L’infini selon Platon et l’ontologie relève de la différence la plus essentielle, quoique la moins définissable. Quelle est la différence entre l’infini et l’indéfini? L’indéfini serait plus la reconnaissance de la pure négativité de l’infini, au sens où ce qui existe comme tel n’existe pas comme fini. Descartes et ses successeurs en métaphysique n'iront pas plus loin. L’infini représente l’ultime tentative pour l’entendement de trouver une positivité dont on reconnaît qu’elle ne peut s’appréhender que comme négativité. La négation exprime ainsi l’existence autre de quelque chose qui n’est pas de l’être.
A cette question, Platon répond qu’il s’agit d’Etre et qu’on ne peut qu’en inférer la présence en constatant par la raison la présence d’un type de réel qui est autre que celui des sens et dont on sent l’infinité dans ce qui est plus petit que nous (par la division des problèmes). Mais Platon se montre trop influencé par un mode de raisonnement qui se retrouve chez les présocratiques, comme Parménide, et qui devait exister de manière atavique chez les polythéistes, qui estiment que le réel multiple doit aussi, du fait de la faculté à absolutiser qui existe dans l'entendement, relever de l’unique.
Descartes se montre de ce point de vue des plus modernes, lui qui lance la métaphysique 2, et un raisonnement qu’aucun philosophe de l’époque moderne ne parviendra à supplanter en termes de rigueur. L’existentialisme s’est réclamé de la démarche de Descartes, qui fonde son raisonnement métaphysique sur l’expérience. Mais Descartes lance-t-il peut-être, de manière précise avec son indéfini, la critique de ce qui est négatif et qui ne se trouve pas démontré par l’ontologie. 
Que définit-il par le négatif? Comme ce qui n’existe pas? Mais alors, comment concilier le Dieu, qui est perfection, avec le néant, qui n’existerait pas, mais relèverait du simple langage? Ce qui ne serait pas pourrait être dit tout en n’étant pas? Cette hypothèse est-elle seulement plausible? L’autorité que Descartes a acquise dans le monde de la philosophie ne doit pas faire oublier que l’éventualité repose sur une contradiction qui impliquerait que le dit ne soit pas de l’existant - que l’on puisse dire sans existence.
Comme cette possibilité est justement impossible, soit Descartes se montre faible dans son raisonnement, ce qui est impossible au vu de son oeuvre, soit il considère une fois de plus que le raisonnement humain n’est pas capable de comprendre comment la perfection côtoie l’imperfection. Il le dit à plusieurs reprises dans les Méditations. On pourrait aussi considérer la définition qu’il propose de la liberté ou de l’indéfini.
L’irrationalisme que l’on peut reprocher à Descartes, irrationalisme sur lequel s’adosse son rationalisme, n’est pas une faiblesse de sa pensée ou une marque de superstition simpliste, si l’on s’avise que Descartes considère que Dieu est ce qui peut surmonter le contradictoire, contrairement à l’homme engoncé dans le fini. Du coup, l’incompréhensible est une catégorie qui doit être réfutée quand on envisage le fini, d’ordre physique, mais qui est la norme en vigueur quand on envisage l’infini. 
Selon cette manière de penser déroutante, la perfection peut côtoyer l’imperfection, tout comme la liberté la nécessité, ou l’infini le fini. Rien ne sert d’expliquer pourquoi le contradictoire, qui est inopérant, dans le domaine du fini, devient le critère de l’infini, non que l’infini soit expression assumée de la contradiction, mais que l’infini soit résolution de la contradiction par un principe qui ne peut être compris de l’entendement fini et qui ne découle pas du principe de non-contradiction (tel qu’Aristote, de manière métaphysique 1, l’a défini en particulier).
Cette manière de pensée est à la fois insuffisante (elle n’explique rien) et insatisfaisante (elle contrevient à la logique), mais elle met le doigt sur le problème qui agite la philosophie depuis Platon, et la pensée depuis que l’homme existe : comment se fait-il que la pensée ne parvienne à théoriser le réel sans se débarrasser de la norme néant (ou non-être), sachant que sa première attention est de considérer que le néant est une aberration mentale et que seul ce qui existe peut exister, que le néant ne peut exister de manière paradoxale?
Platon l’ontologie opère une révolution importante en définissant le non-être comme l’autre et en reconnaissant que le non-être a une existence, mais qu’elle est mal comprise. Sauf que Platon réitère l’erreur en ne définissant pas l’Etre qui est sa valeur cardinale. Si l’Etre est indéfini, ou, pire, indéfinissable, le non-être se trouve restauré. L’ontologie ne parvient pas à se défiera des rets du néant, ce qui signifie qu’elle ne parvient pas à définir l’infini. Si elle y parvenait, le néant se trouverait balayé.
Ce qui signifie que le néant vient combler le manque de la pensée quand elle pense l’infini. Et il vient logiquement : car le néant désigne la négativité pure, quoique incompréhensible, qui caractérise déjà l’entreprise de désignation de l’infini. Tant qu’on en reste à une définition négative de l’infini, on admet qu’il est de la négativité dans le réel, bien qu’il soit scandaleux que le réel puisse comporter du négatif pur. 
C’est contre cette idée que s’oppose Platon, qui pense que du négatif peut exister, mais relativement à de l’être. Le négatif est alors la mauvaise définition de l’autre. Mais Platon a subrepticement rétabli le néant au lieu de l’anéantir (c’est le cas de le dire), ce qui implique que plus on essaye d’anéantir le néant, plus  on le renforce de manière souterraine et cachée. La réalité inadmissible quoique inévitable du néant ne peut subsister que si on ne parvient à définir le réel de telle manière que cette définition rende obsolète le néant.
Évidemment, l’ontologie ne définit pas le réel en ne définissant pas l’Etre; c’est une définition lacunaire et insuffisante qui renforce de ce fait le néant en le déniant. Face à cette réalité, l’élève Aristote fonde la métaphysique en ayant conscience que le problème aigu de la pensée concerne le non-être. Aristote se rend compte que pour son maître Platon, le problème cardinal à la fin de son existence, tel qu’il le consigne dans le Sophiste, c’est : le non-être.
Et il constate aussi que personne n’a réussi à résoudre ce problème, parce que la définition du réel telle que les religions l’enseignent ou les doctrines philosophiques ne parvient jamais à définir le réel de telle manière qu’il concilie les caractéristiques de l’être fini avec l’infini. Aristote opte alors pour une solution radicalement pragmatique : concilier les réussites de l'être avec le non-être.
1) Il n'existe de réalité que de l'être
2) Il ne peut exister d'être que fini.
Cette option prend en compte la  seule définition de l'être à laquelle la pensée arrive. La tentative de définir l'être comme infini parvient certes à résoudre la question du néant (l'abolir), mais de manière ambiguë, avec l'exemple de Platon, c'est-à-dire en renforçant la dimension souterraine du néant.
3) Il ne peut exister d'être fini qu'avec la coexistence du non-être.
Ce constat impliquerait presque que le non-être remplace l'infini, à ceci près que la définition de l'infini est modelée sur l'être (abolutisation de l'être), quand la définition du néant est la négation de l'être, l'idée selon laquelle tout ce qui a trait à l'être ne peut être utilisé pour tenter de définir le néant. Du coup, le néant sert de repoussoir tout indiqué à l'être : si l'on ne parvient à définir le néant, du moins autorise-t-il la définition de l'être à condition qu'il soit fini.
C'est à ce constat que parvient Aristote : il reconnaît explicitement que l'être étant fini, il est borné (entouré) de néant. Sa définition du néant implique la reconnaissance de celui-ci sur le plan réel. Le réel n’a pas encore comme chez Descartes ce statut alambiqué d’un discours qui n’existe pas, ce qui implique que le dire n’existe pas tant qu’il n’est pas connecté à quelque chose qui est.
Chez Aristote, ce qui n’est pas existe au même titre que ce qui est. Justement, ce qui est existant, ce qui n’est pas n’existe pas. Cette équivalence permet de rendre l’être exclusivement intéressant et de disposer d’un objet d’étude clairement défini. Mieux, Aristote, en reliant la multiplicité de l’être à la multiplicité du non-être, rend les deux domaines antagonistes de réel complémentaires et connectés entre eux, ce qui implique que l’être ne puisse exister sans le non-être et qu’on ne s’embarrasse plus jamais du non-être. A part de constater qu’il borne l’être, il n’y a rien à en dire. Aristote crée un domaine de réel dont il n’y a rien à dire et qui permet la définition de l’être.
Une fois cette équivalence posée, il lui reste à expliquer que la multiplicité peut être rassemblée en une seule forme et que la connaissance est possible. Connaissance qui ne peut concerner que l’être et qui ne peut être qu’achevée rapidement, puisque l’être est fini. Sauf que mille ans plus tard, la métaphysique est en faillite à peu près complète, et sur le point de la connaissance physique (et scientifique). Voilà qui implique que la méthode aristotélicienne soit fausse et que le remplacement de l’infini par le non-être ne permette pas la connaissance du réel.
Descartes surgit pour corriger les erreurs de la métaphysique tout en restant métaphysicien. Ses attaques contre la scolastique ne sont destinées qu’à réformer la métaphysique, pas à la remplacer par l’ontologie ou une nouvelle forme philosophique. Descartes prend acte du fiât que l’on ne peut reconnaître le non-être (qu’il nomme néant) comme parie du réel. Si Dieu est parfait et si le néant est imperfection, alors l’imperfection ne peut être réelle. Pour autant, on ne peut se passer de l’imperfection dans le système métaphysique. Pourquoi? Le propre de la métaphysique, que Descartes valide et reprend, c’est de considérer que le discours philosophique ne peut fonctionner que s’il commence par définir un domaine d’analyse fini.
Mais cette démarche implique le néant. Descartes va donc utiliser une ruse, que je tiens pour une argutie : la philosophie définit un objet d’étude fini, mais le propre de la toute-puissance divine consiste à être à la fois infini tout en acceptant hors de lui le néant, ce qui relève de la contradiction hallucinatoire. Sauf que la toute-puissance de Dieu surmonte le principe de contradiction, ici mis en branle. Du coup, la non-existence dicible (ou exprimable) du néant nous apparaît, à nous observateurs finis et rationnels, comme incompréhensible. L’argument de Descartes pour rendre le réel cohérent est de le définir comme incompréhensible pour l’entendement humain.
La réforme cartésienne consiste à rendre compatible l’infini et le néant. Chez Descartes, les deux sont compatibles du point de vue de Dieu, de la perfection, bien qu’il soit incompréhensible pour nous. Voilà qui implique que le Dieu cartésien, de même qu’il est capable de changer les lois physiques pour empêcher l’entropie du physique, est une perfection qui supporte l’imperfection en la rendant extérieure à sa manifestation. Comment est-ce possible? Si Dieu est parfait, tout ce qui est d’une manière ou d’une autre doit relever de son giron, quand bien même le néant ne relève pas à proprement parler (c’est le cas de le dire) de l’être, mais du dire. Il faudrait donc préciser : non ce qui est, mais le dire, mais il faut bien constater que l’on dit : ce qui est dit, ce qui implique que le dire soit aussi de l’être, un être différent de l’être physique. 
Comment l’imperfection peut-être être située hors de Dieu, bien qu’elle n’existe pas autrement que sous forme du dire? C’est le signe que Descartes estime de lui-même que l’entendement opère la distorsion du réel, puisqu’on voit mal comment le néant pourrait côtoyer l’infini, autrement que parce que l’entendement déforme le réel au point d’en dresser une représentation inexacte et incohérente. De ce fait, al seul possibilité d'accepter de manière incompréhensible Dieu consiste à en faire une perfection qui serait finie. Que l’homme soit une forme finie, et que dans l’ordre fini toute forme soit finie est compréhensible, du fait que le fini est situé entre le parfait et l’imparfait. Mais que Dieu soit perfection et finitude, si cette approche permet de rendre définissable Dieu, même de manière assez elliptique et incohérente, rend tout à fait saugrenu la définition de al perfection (la perfection serait finie), tout comme son lien avec le néant (l’imperfection pourrait être extérieure à l’infini parfait).
Ce faisant, soit Descartes est finalement un esprit assez inconséquent, dont les mérites initiaux se révèlent vite plus limités qu’ils n’ont l’air, soit il a choisi cette voie pour essayer de résoudre la crise métaphysique et rendre conciliables la métaphysique et l’infini. 
- La définition de la métaphysique porte justement sur la définition. La métaphysique énonce que jamais la philosophie ne peut être rigoureuse et cohérente si elle ne définit pas son objet d’étude. Mais elle ne peut définir que si elle s’attache à définir ce qui est fini. L’infini ne peut être défini. De ce fait, la métaphysique considère que l’infini n’est pas objet d’étude et qu’il n’existe pas. C’est le point de rupture entre Aristote et Platon : Platon tient que l’on peut remonter depuis le fini vers l’infini, ce qui implique que l’infini soit définissable; tandis qu’Aristote pense que l’on ne peut définir l’infini et que c’est la preuve que l’infini n’existe pas. 
Aristote parle-t-il d’infini? Non, il s’attache à rendre possible la connaissance générale du fini. Le particulier pour lui est le singulier; le général n’est pas la réunion de l’être et du non-être, mais seulement l’ensemble de l’être fini.
L’intervention de Descartes pourrait sembler postmétaphysique, en ce qu’il reconnaît, lui, l’existence de l’infini et de Dieu. Mais sa tentative de concilier le contradictoire et le non-contradictoire montre qu’il reste dans le sillage métaphysique : définir, ce qui implique s’attacher au fini. Et pour ce faire, rendre l’infini ... fini. Descartes, aussi incroyable que puisse paraître ce postulat, avait déjà commencé dans ce projet étrange en précisant que l’infini du point de vue de l'entendement doit être défini comme l’indéfini. L’indéfini désigne précisément ce qui ne peut être défini. Descartes aura défini négativement l’infini pour l’entendement, tandis qu’il reconnaît à cet infini la propriété de surmonter le principe de contradiction. Dieu est bien tout-puissant : il est surnaturel. 
De même, la perfection est finitudisée, si l’on peut dire, au sens où elle ne peut accueillir le manque (défaut) à ses côtés, et non en son sein, que si elle l’expurge d’elle-même; ce qui donne pour résultat que la perfection serait à la fois infinie et finie. Alors, pourquoi cette démarche si étrange et tarabiscotée chez Descartes, qui consiste à nier le principe de contradiction du point de vue de Dieu et à associer en son sein le fini et l’infini, de telle sorte que notre point de vue fini soit relié à l’infini, qui le surmonte tout en restant (à jamais) inexplicable?
Descartes prend acte de la faillite de la métaphysique d’origine aristotélicienne, ce qui signifie que le projet de s’arrêter au fini tout en le bornant de non-être ne tient pas. Cela implique que l’infini ne puisse être évité ou rejeté comme caduc. Descartes va donc essayer de réconcilier si l’on peut fier les deux, non en produisant une nouvelle définition qui puisse les rassembler, ce qu’il juge impossible, mais en décrétant que cette réconciliation, qui est incompréhensible du point de vue fini, s’effectue du point de vue infini. Dieu réconcilie les contradictions.
Ce que Descartes perçoit, plus encore que le rôle capital de l’expérience dans la philosophie, c’est le fait que cette expérience s’ancre dans le fini; tandis que cette expérience nous amène à considérer que l’infini seul ne peut tout résoudre. Pour Descartes, le problème est que nous ne pouvons aborder l’infini, irréfutable, que d’une manière négative, comme ce que dit de Dieu la théologie négative. L’infini existe d’autant plus qu’il nous est incompréhensible. Pour autant, Descartes découvre que si le fini ne peut comprendre l’infini, c’est la preuve que ce que nous appelons infini n’est pas du même ordre tout à fait que le fini. 
Descartes va plus loin que Platon, qui estime plutôt que l’infini est la continuation du fini et que la raison pour découvrir l’infini par l’opération d’analyse du fini (opérations de division de ses parties). Descartes, lui, estime qu’il existe une différence entre l’infini et le fini, qui implique que l’autre ne soit pas interne à l’Etre (ou ses synonymes), mais que l’autre soit supérieur à l’être. Pour autant, Descartes s’oppose aussi à Aristote, qui crée un antagonisme ambivalent entre l’être et le non-être, bien qu’en même temps, il crée via le multiple une passerelle fondamentale entre les deux domaines antagonistes.
On peut donc dire que la position de Descartes constitue une réforme de la position aristotélicienne, qui est elle-même des plus nuancées, puisqu’elle ne repousse pas de manière claire l’être et le non-être, comme c’est le cas chez Parménide (par exemple), tandis qu’Aristote essaye de relier les deux éléments, bien qu’il leur accorde une valeur antagoniste. Descartes va plus loin encore sur le chemin de cette complémentarité antagoniste, qui sonne oxymorique et viole déjà la principe de non-contradiction qu’Aristote a défini comme la définition du fini (seul).
Descartes, lui, considère, dans la continuation de l’héritage chrétien, que Dieu existe, ce qui implique qu’à la différence du Premier Moteur, Dieu soit un principe non pas originel seulement, mais Aristote dirait finaliste, et ce terme n’est pas suffisant, au sens où Dieu est le principe de la création continuée (comme le dit Descartes dans la continuité de certains scoliastes), ce qui implique que Dieu soit le principe qui accompagne constamment la création du réel, comme si la création n’est pas la création originelle, mais comprend bien davantage, tout ce qui accompagne la création. 
En outre, Dieu est celui qui, aux yeux de Descartes, permet d’expliquer le fini et le réel tout en étant lui inexplicable. L’invocation de Dieu permet de ne pas expliquer. Dieu explique l’explicable (le physique), au sens où il n’est pas besoin d’expliquer Dieu. Dieu de ce point de vue est irrationnel à la différence du Premier Moteur.
Descartes propose que Dieu est celui qui surmonte l’oxymore, l’impossible, la contradiction. L’unité divine, implacable évidence dans le monothéisme, est ce qui surmonte la multiplicité des contradictions. Cette position originale de Descartes induit que Descartes se situe au-dessus dans la modernité de ses successeurs, qui ne peuvent se passer de sa référence et qui jamais n’affronteront ce point : si Descartes propose que le principe métaphysique, Dieu, soit ce qui surmonte le contradictoire, c’est qu’il se rend compte, à la différence d’Aristote, que ce qui se tient derrière (ou au-delà?) le contradictoire, c’est une réalité qui comme son nom l’indique relève bien du réel, mais ne relève pas de l’être.
Descartes n’approfondit pas cette intuition, bien qu’elle date au moins de l’époque des Méditations, peut-être parce qu’elle est trop dangereuse à aborder à l'heure de la censure sorbonnarde, où l’on tolère que l’on rénove la métaphysique, projet dans lequel Descartes se trouve encouragé par certaines autorités religieuses, comme les jésuites; mais où l'on peut se retrouver en mauvaise posture en cas d'hérésie (le religion étant le prétexte pour empêcher la contestation politique).
Descartes est passé à côté de l'essentiel d'une innovation qui lui aurait permis de rompre avec la métaphysique, au lieu de la rénover, et de renouveler plus précisément l'ontologie : la découverte selon laquelle il existe dans le réel une réalité qui ne relève pas de l'être. Les nihilistes depuis toujours ont pressenti cette intuition, mais ils s'arrêtent, non sans paresse, à ses portes, en refusant que le sens prenne possession de cet autre aspect.
Ils appellent cette autre réalité ce qui n'est pas de l'être. La négation permet la distinction, mais ne lui confère pas de positivité. Descartes va lui conférer une positivité qui concorde avec la monothéisme chrétien, Dieu, mais il ne va pas définir Dieu, Dieu est un positif empli de négation. Le fait que Descartes ait cherché à nommer le négatif autrement que de manière négative indique qu'il s'est arrêté aux portes, voire qu'il a fait marche arrière.
Peut-être n'est pas par peur de la censure, mais parce qu'il s'en est remis, en bon chrétien, à la ébriété révélée, sans chercher à comprendre quelque chose qui l'effrayait, et avait de quoi l'effrayer : que al philosophie depuis toujours a cherché à contourner le problème qui est derrière le non-être. Que toutes les positions n'ont jamais cherché à approfondir le problème. Le nihilisme décrète qu'il est une partie du réel qui est rien. C'est ce que répète Lucrèce à la suite de son mitre Epicure, et il est intéressant que l'épicurisme resurgisse dans l'Antiquité comme la reprise de la doctrine abdéritaine du matérialisme ou de l'atomisme.
Lucrèce s'inscrit dans une tradition qui est plus vaste que le nihilisme abdéritain. Descartes a évité cette issue, en choisissant de rénover la métaphysique. Il aurait pu rompre avec l'attitude de compromis de la métaphysique entre le nihilisme et l'ontologie. Il choisit, au nom de la prudence aristotélicienne, modernisée en apologie du masque, de s'arrêter au milieu du gué, soit de renouer avec la stratégie du compromis qu'avait initiée Aristote.
Après tout, Descartes est un philosophe majeur, de l'ampleur d'Aristote. Mais il préfère choisir l'évitement plutôt que la vérité, car la vérité est dérangeante. Aristote se rend bien compte que le nihilisme diffère le problème de l'être. Comme il a été l'élève de Platon, il se rend tout aussi compte que l'Etre s'impose comme la continuité de l'être et ne résout pas le problème de la différence au sein du réel entre l'être et un autre type de réalité.
Aristote choisit de couper la poire en deux et de dire que l'être est fini et côtoie le non-être. Comme le non-être est la part inconnaissable du réel, il reste à s'occuper de la connaissance de l'être. Et comme l'être est fini, sa connaissance peut être achevée en une vie.
Descartes n'ignore pas que cette méthode a échoué, et de manière consternant, avec l'érudition spécieuse de la scolastique. Il a le choix entre poursuivre cette tradition, qui part d'autant plus en lambeaux qu'elle se croit puissante et inamovible; ou rompre avec elle. Il est enthousiasmant qu'il choisisse de rompre, et des plus décevants qu'il décide pour rompre de rénover. La rupture n'est que de façade et reprendra, non seulement des éléments d'erreur de la métaphysique initiale, mais l'élément le plus décisif et profond, qui peut se résumer comme suit : il est une part d'inconnaissable dans le réel.
Cette part correspond exactement à la part qui ne correspond pas à l'être fini et que les philosophes n'ont pas réussi à nommer adéquatement, qu'ils versent dans l'homogénéisation (l'Etre) ou l'antagonisme (le non-être). Les deux options sont fausses, quoique la seconde est intenable et plus néfaste que la première. 
Descartes choisit de rendre en apparence le non-être positif, en l'intégrant à Dieu. De ce fait, Descartes ensevelit le problème de la différence essentielle posée par le non-être sous la reconnaissance de l'infini. Aristote ne reconnaissait pas l'infini. Descartes estime sans doute qu'en se conférant au dogme chrétien, le Dieu trinitaire, il conciliera (enfin) l'être avec l'infini. Pour lui, le problème de la métaphysique, qui a abouti à sa sclérose, tient à l'infini.
Problème : l'infini pour résoudre le problème du manque de définition de l'être, revendiqué avec le non-être, devrait se trouver défini. Le fait que Descartes recoure à un Dieu d'apparence monothéiste, de doit pas faire bolier qu'en ne le définissant pas, son Dieu est irrationaliste; Dieu existe d'usant plus qu'il n'est pas définissable rationnellement. C'est le signe que ce doue n'est pas rationnel, qu'il y a une coupure entre la raison et Dieu.
Ce Dieu qui semble, lui, relever du divin, en tout cas davantage que le Premier Moteur (simple mécanisme rationnel ancré dans la finitude), ne valide l'infini que pour le rendre indéfinissable. Descartes a intégré l'inconnaissable à Dieu, bien qu'il soit toujours contraint de reconnaître l'existence du néant dans le langage. 
Toutes ces prouesses (de surmonter l'irrationalité par une faculté supérieure à la raison humaine, trop humaine) valident le raisonnement selon lequel il existe de l'inconnaissable dans le réel - et même, que c'est le plus sûr moyen de connaître la partie connaissable que de la délimiter et d'estimer ce qui est connaissable de ce qui ne l'est pas - de départager le connaissable et l'inconnaissable.
Mais Descartes a choisi de ne pas choisir. Il a décidé qu'il y avait de l'indécidable. L'expression "il y a" signifie que l'on constate sans expliquer, soit que l'on ne veuille pas explique, soit que ce soit inexplicable. Descartes a choisi que c'était inexplicable. Il a corrigé Aristote : il existe de l'infini, certes, mais c'est de l'infini inexplicable. 
Il aurait pu poser la question : qu'est-ce qui n'est pas de l'être? Il aurait pu opérer la distinction fondamentale dans l'être, suivant la question que Leibniz posera à la suite de Descartes : pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien? Mais Descartes s'est arrêté aux bornes de la remis eme question. Sans doute est-il prêt à réformer la métaphysique, pas à remettre en question la philosophie et le monothéisme. La philosophie a vocation à rétablir certaines évidences passées après le doute, pas à proposer du nouveau qui conteste l'ancien.

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