samedi 14 mars 2015

Compris?

Le problème de la nouveauté n'est pas qu'elle n'est pas comprise, mais qu’elle apparaît anodine. Si l’observateur rejetait une production qu’il avait remarquée, on pourrait se demander pourquoi ce qui a été décelé n'a pas été compris; mais en l'occurrence, le fait n'a pas été décelé, donc il ne peut être compris.
Quand on se demande pourquoi il faut attendre pour que l'importance de ce qui est nouveau soit compris comme tel, et départagé de ce qui répond aux critères fugaces de la mode, mais qui est appelé à l'oubli, voire au discrédit, la réponse est simple autant que cruelle : parce qu'elle n'est pas décelée. Dès lors, son incompréhension est logique.
Mais pourquoi ne remarque-t-on pas l’existence du nouveau? Parce qu'il n'est pas tenu pour du réel connu, voire qu'il est pris pour de l'existant si médiocre qu'il ne mérite presque pas d'exister. Du coup, pourquoi durerait-il? Qu'est-ce qui distingue le nouveau du toc? Le propre du nouveau est de n'avoir pas les traits fixés d’avance.
Du coup, il peine à proposer une identité qui soit délimitable. C'est ici que le bât blesse : pour qu'une identité soit reconnue, il faut qu'elle commence par s'avérer arrêtée. Le propre de la nouveauté est de sortir en extensibilité et, du coup, ne pouvant être définie, d’être ignorée, voire méprisée. Mais quand elle se trouve reconnue, c'est qu'elle est figée, désormais promise à être remplacée - ce qui n'implique pas sa disparition.
L'intérêt de la vérité réside avant tout quand elle est en construction, en expansion, méconnue et indécelée. Quand sa dimension est atteinte, quand son expansion est achevée, elle a atteint le sens qu'elle recelait et dont elle n'avait souvent pas tout à fait conscience. On reconnaît ce stade paradoxal à la reconnaissance dont elle bénéficie, qui signifie son apogée (souvent posthume), en même temps qu'elle ne changera plus et que son succès signe la fin de sa croissance - presque sa mort.
Autant dire que la vérité n'est jamais comprise, puisque quand elle sort, elle est incomprise, et quand sa compréhension intervient, elle est dépassée par son évolution et qu'elle ne relève déjà plus de la vérité. Il y a une ironie latente dans cette insaisissabilité trompeuse, qui laisse croire que la vérité est enfin découverte alors qu'elle est dépassée, donc qu'elle n'est plus la vérité.
Leçon épistémologique qui n'est pas que circonscrite à l'histoire de la science, mais qui devrait être considérée comme philosophique, au sens où la vérité scientifique obéit aux mêmes caractéristiques que la vérité en général : la vérité se trouve en constante évolution et n'existe jamais en tant que telle. Ceux qui espèrent la découvrir, comme les positivistes en seront toujours pour leurs frais, du fait qu'ils mésestiment la raison de ce changement constant.
Il ne s'agit pas d'expliquer ce changement, inexplicable jusqu'à présent, en l'installant dans l'être. Pourquoi l'être serait-il changement, surtout s'il n'est mû par rien d'autre que lui-même? L’incompréhension du changement s’explique par le fait qu'il se définit par l’intégration du malléable à l'être, soit le fait que du différent fasse croître le même.
De ce fait, le nouveau n'est pas compris, voire déclenche l'hostilité, parce qu'il est pris pour un élément remettant en cause ce qui est identifié et donc existe - et peut décliner son identité. Reste à préciser que le malléable ne constitue pas l'adjonction du complément extérieur, mais qu'il fait partie de ce qu'on nomme le réel, se définissant comme son principe interne d'extensibilité. Le changement est extensibilité. La vérité implique son incompréhension.

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