mercredi 27 avril 2016

L'unité et son double

Peut-on dépasser le double quand on pense en homme et qu'on aspire à l'unité? Même l'aspiration à l'unité révèle que ce à quoi la pensée tend n'est pas tant l'unicité que l'unité. L'on peut rester dans l'unité tout en pensant doublement. Quand nous constatons que le malléable coexiste avec l'être, ce ne serait pas manque d'unité, mais manque d'unicité dont il faudrait parler. 
L'on voit que l'unicité correspond à un raisonnement fini et que la prise en compte de l'infini ne nous permet pas d'aller au-delà du deux dans le cadre du raisonnement fini. Il est même bon signe de ne pas chercher à aller au-delà du double, car cela signifie que nous nous prenons en compte l'infini, au sens de : "tout le réel", que nous n'en restons pas au fini sous prétexte qu'il serait le seul domaine pensable (du moins connu).
Cela demande un courage certain, que les penseurs jusqu'à présent n'ont pas eu le besoin de ressentir, certains estimant même plus pertinents d’évacuer le problème en quelques lignes liminaires, comme Aristote, ou en le cantonnant au langage, comme Descartes. Le fait que l'on ne puisse énoncer l'un sans trahir le réel a tellement troublé les penseurs qu'ils ont préféré accepter la représentation du réel la plus caricaturale pourvu qu'elle s'avère une (ce fut le rejet de tout ce qui n'est pas être et l'élection unilatérale et simpliste de l'être comme seule définition du réel).
Le deux signifiait en effet qu'il y avait autre chose que ce que la logique estimait. Or la logique s'en tient à l'être. Donc il devenait intolérable pour l'entendement de concevoir l'être en termes d'un, tandis que l'évidence tend vers le deux. Prêt à tout, l'on rejeta la pensée de l'infini en la prenant littéralement pour ce qui n'est pas fini et qui n'étant pas être s'appelle donc non-être (ou néant, rien, etc.), au lieu de cherche à définir de manière positive ce qu'est l'infini, quitte à admettre qu'on en reste à deux.
Raison pour laquelle la chasse au double chère à Rosset a de beaux jours devant elle. Car Rosset n'a fait que mettre au goût du jour le programme de Nietzsche, qui lui-même reprend explicitement le programme de tous les nihilistes philosophes, comme Gorgias, ou de l'immanentiste en chef Spinoza -, sans oublier que les métaphysiciens affirmés depuis Aristote proposent eux aussi ce schéma, de manière déniée et implicite. 
Dans le fond, tant qu'on en reste au format transcendantaliste, qui implique que le réel soit un, tous les apprentis rebelles de la philosophie feront cette chasse, sans s’aviser qu'ils se révèlent en fait de redoutables réactionnaires philosophiques.
Accepter que le réel soit deux ne signifie pas que les limites de l'entendement empêchent qu'on conçoive le un autrement que de manière duelle et déformée. Cela signifie en fait que le un correspond à notre expérience de vivant individuée, où le deux devient un et où le un s'avère originaire (par la naissance, en particulier). Mais non que le un soit la règle qui gouverne le réel. 
Il conviendrait plutôt de s'interroger sur le fait que notre entendement en vient au deux comme loi du réel, ce qui a l’inconvénient (fort relatif) de poser problème à notre intelligence, mais qui a l'avantage d'expliquer l'infini tout en montrant que la question de l'origine, qui débouche en régression à l'infini dans le cadre de la conception unique, est un faux problème (d'où le fait qu'il n'ait jamais été résolu).

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