vendredi 27 mai 2011

L'axe gratuit

On jauge de la moralité d'une culture à l'aune de son rapport à la justice et au meurtre.

Puisqu'on en est avec les nouvelles invraisemblables qui émaillent l'effondrement d'un système politique comme c'est le cas actuellement (ceux qui ne comprennent pas l'ampleur de l'effondrement sont les mêmes que ceux sur le Titanic qui énonçaient que leur beau navire ne pouvait couler et qu'il convenait de faire la fête toutes affaires cessantes), il y a bien pire que l'affaire consternante de DSK le coureur de jupons plus ou moins violeur. Chacun sait très bien que DSK traîne les casseroles sexuelles depuis trente ans et que cette dernière affaire n'est que l'instrumentalisation d'un vice profond (la baise de force) entretenu par un aventurier politique encarté socialiste ultralibéral (ce qui en dit long sur la corruption de nos dirigeants en Occident).
On remarque quand même dans l'affaire DSK qu'il est de mauvais goût de s'en prendre à la pauvre femme de ménage tout en ménageant le puissant dirigeants désaxé, mais influent. Alors que dans une affaire tout aussi invraisemblable, l'assassinat d'Oussama, on ne prend même plus de gants pour justifier de l'injustifiable. La presse occidentale nous présente cet assassinat inacceptable (et faux) comme juste et justifié. Telle est la justice qui caractérise l'impérialisme : l'arbitraire du mensonge. On aurait pu capturer Oussama, le déférer devant un tribunal démocratique et le juger pour ses crimes. On ne le peut pas parce que le crime du 911 repose dès ses prémisses sur un mensonge : la culpabilité d'Oussama n'a jamais été apportée par qui que ce soit et le pauvre Oussama n'a jamais été inculpé parle FBI (ni aucun organisme américain compétent).
D'où la profonde leçon qui ressortit du traitement médiatique infligé à Oussama : quand on ment sur la vie en général, c'est qu'on va soi-même disparaître. Cas des dirigeants actuels du libéralisme moribond et exsangue. Peut-être apprendra-t-on un jour qu'Oussama est mort des suites de maladie aux alentours de 2001, innocent de la plupart des crimes qu'on lui impute généreusement en Occident, fortement manipulé par les services secrets saoudiens et occidentaux pour le compte desquels il travaillait depuis vingt ans et qui lui apportaient une aide logistique sans laquelle il serait mort depuis belle lurette. Là n'est pas l'important.
L'important tient dans une question évidente et jamais posée, ce qui en dit long sur la mentalité infecte et violente qui imprègne les populations du monde : qui sont ces cinq prétendus individus qui ont été assassinés dans une résidence du Pakistan par des forces spéciales américaines? On nous dit qu'il y avait Oussama et quatre autres acolytes dont on notera qu'ils demeurent anonymes (un fils, une femme, deux gardes du corps). Donc cinq personnes ont été assassinées dans cette opération floue et saugrenue, dont quatre n'était pas le faux Oussama. Et ces assassinats sommaires d'anonymes reconnus désarmés et innocents ne dérangent personne? Ils apportent pourtant la preuve que l'on vit dans un climat de sauvagerie généralisée, où l'on peut tuer cinq personnes sans aucune raison juridique à partir du moment où ils n'appartiennent pas à des démocraties occidentales et libérales.
Les Etats-Unis auraient le droit d'assassiner cinq personnes sans autre forme de procès? Bien entendu, on pourra suspecter la mise en scène totale, l'idée selon laquelle il n'y a jamais eu de morts dans cette villa, pas davantage d'autres innocents qu'Oussama le fantôme d'Abbotabad. Mais on peut aussi émettre une hypothèse qui fait froid dans le dos : maintenant qu'en se renseignant raisonnablement, il est certain qu'Oussama n'a pas été assassiné le 29 avril 2011 et probable qu'il était mort auparavant, depuis dix ans peut-être, ces cinq personnes anonymes, étrangères à l'Occident et musulmanes auraient été assassinées gratuitement, peut-être des islamistes appartenant à des organisations extrémistes infiltrées par les services secrets pakistanais et occidentaux, peut-être des talibans dont on s'est débarrassé à cette occasion.
Dans tous les cas, l'absence de questionnement et de protestation suite à l'assassinat injustifiable de quatre comparses innocents et anonymes rappelle la sauvagerie du crime gratuit, notamment décrit par un Gide. On atteint le maximum de l'abjection à l'occasion de la légitimation de l'acte gratuit. C'est la méthode qui se trouve utilisée dans l'assassinat médiatique d'Oussama et qui en dit long sur la période de crise morale et culturelle que nous traversons. Que l'on ne s'étonne plus de ce qui constitue le plus étonnant et le plus répugnant indique à quelle dégénérescence intellectuelle et morale notre mentalité libérale-occidentale est parvenue : elle nous a contaminés au point qu'il est devenu acceptable pour beaucoup de gens dans le monde (qui ne réfléchissant pas utilisent leur cerveau pour des tâches impérieuses et utilitaires) que l'on assassine sans aucune raison rationnelle cinq individus au Pakistan, qui plus est sous un faux prétexte. Preuve que dans une grille de lecture impérialiste occidentaliste, la vie de non Occidentaux compte pour du beurre, quand la vie des Occidentaux se trouveraient soumises à des lois démocratiques.
On vit sous l'ordre universel de l'oligarchie, tel qu'il se trouve théorisé par l'expert britanique Cooper et son libéral-impéralisme européen postmoderne. L'oligarchie conçoit le réel comme profondément multiple et fragmentaire et trouve légitime que la justice s'applique différemment suivant les différences sociales découlant de la multiplicité métaphysique originelle. L'acte gratuit signifie au fond que la gratuité n'est pas l'expression de la générosité désintéressée maximale, mais de la gratuité de tout principe universel. L'acte gratuit rétablit la loi du plus fort et son adage : "Tout est permis".
Ce qui est gratuit ne signifie pas que ce qui a le plus de valeur est gratuit; mais que rien n'a de valeur, y compris ce qui d'ordinaire passe pour ce qui possède le plus de valeur. Dans cette conception qui se veut amorale au sens que lui donnent un Nietzsche ou un Gide, l'acte gratuit peut se comprendre. Si rien n'a de valeur, il est normal que dans les Caves du Vatican, Lafcadio assassine un pauvre innocent en le défenestrant d'un train, sans autre raison apparente que la logique de l'acte gratuit (en réalité, le profil de l'assassiné n'est pas gratuit, ce qui indique que l'acte gratuit repose sur la fumisterie). Ce crime n'est sordide et immoral qu'aux yeux de principes universels rendant sacrés la vie humaine; mais dans une conception où la hiérarchie tient dans les différences insurmontables entre les couches sociales, c'est un divertissement qui n'apporte certes rien de bien réjouissant, mais qui n'a pas non plus de répercussions vraiment négatives.
La gratuité signifie le nihilisme : ce qui est gratuit est ce qui est sans valeur. Les plus hautes valeurs se trouvent frappées de destruction, par leur manque de valeur. Au fond, il y a deux sortes de hiérarchie : l'une découlant d'une unicité universaliste, qui établit par la suite des hiérarchies internes comme les hiérarchies morales et légales; l'autre découlant d'une hiérarchisation fondamentale du réel, qui du coup transfert la hiérarchie à l'extérieur du monde de l'homme et qui rend l'intériorité du monde de l'homme profondément dénuée de hiérarchie : plus de morale comme de loi (autre que celle du plus fort).
Maintenant, vous savez que les dirigeants du monde et de l'Occident se comportent de manièregratuite, au sens où ils suivent la logique désaxées et suicidaire de l'acte gratuit. C'est ce qui se produit avec DSK, dont on se rend compte qu'il se prenait pour un seigneur tout-puissant et au-dessus des lois. Un adepte de l'acte gratuit ou de l'amoralisme. Le seul point positif dans ce diagnostic inquiétant apporté à l'état de l'humanité actuelle, c'est que de la même manière que la logique de l'acte gratuit repose sur l'incohérence, de même les personnages sinistres qui gravitent actuellement à la tête de nos Etats et de nos institutions sont promis à la disparition proche. L'acte gratuit ne pardonne pas.

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