mardi 18 septembre 2012

Complot : la fin du mimétisme

On nous explique doctement que la communication en majorité ne fonctionne pas sur la partie consciente du comportement humain, exprimée par le langage. Les spécialistes brillants et pervers en étudient les techniques sophistiquées, pour faire consommer le cerveau à l'insu de son plein gré, si l'on reprend la formule de la marionnette d'un célèbre sportif français. Schopenhauer identifie comme faculté mouvant le réel et présente chez l'homme la volonté. Quelle sont les caractéristiques de la volonté?
D'être absurde et non consciente. Idem pour son grand cousin, le désir de Spinoza, qui est la faculté principale de la mentalité contemporaine. Si la pornographie se trouve tant regardée, notamment depuis Internet, sa principale caractéristique est de reposer sur l'expression la plus vulgaire du désir, en exhibant sur quel socle repose le désir : la domination finissant en autodestruction. Quelle est la nuance entre volonté et désir? La volonté sonnerait comme l'expression élitiste du désir, une entité plus intellectualiste, qui exprime mieux le désir pour l'élitisme, et qui formerait l'expression hautaine du bouddhisme.
Le complotisme survient en fin de cycle immanentiste, pour réfuter l'opinion selon laquelle les complots gouverneraient le monde. La définition conviendrait si elle se trouvait appliquée de manière honnête. Mais on amalgame le complotisme avec la dénonciation des complots, dont la fréquence augmente dans les périodes de crise. Le complotisme est utilisé par les cercles oligarchiques, qui intentent pour leur profit les complots, dans le but d'accréditer le sentiment selon lequel le comportement humain serait gouverné par l'inconscient, dont la conscience n'exprimerait que la part marginale.
Si les cercles oligarchiques manipulent la croyance dans la part prépondérante et naïve de la conscience, telle qu'elle est (mal) exprimée dans le complotisme, ceux qui financent les expériences psychologiques de manipulation des opinions et des masses (dont le neuromarketing ne serait qu'une forme commerciale), ils adhèrent au préjugé selon lequel la conscience n'est qu'une part fort rare du comportement humain, dont ils incarnent l'expression ultraprivilégiée, pour parodier Nietzsche : de même que l'inanimé prime sur l'animé, de même l'inconscient primerait sur le conscient. Voilà qui indique la teneur de la psychanalyse, qui propose pour l'élite des psychanalysés le moyen incertain et précaire de rendre conscient l'inconscient névrotique.
René Girard fait du désir le centre du comportement, mais il lui ajoute une caractéristique cardinale : d'être mimétique. De telle sorte que le conscient serait le moyen de décrypter le mimétisme. Girard touche plus juste pour définir le désir que l'inconscience, terme imprécis de négativité, ou la névrose, terme trop psychopathologique. Le mimétisme caractérise l'expression principale du comportement humain, qui sur ce point rejoint le comportement animal. Le mimétisme est un moyen performant d'action, que l'on nomme par commodité l'instinct chez les animaux, et qui se caractérise par une manière rituelle et stéréotypée d'agir, dont l'avantage tient à sa fiabilité.
La plupart des comportements sont fondés sur le mimétisme, mais la spécificité de l'homme est d'ajouter une strate supérieure, quantitativement minoritaire et qualitativement plus performante : la conscience. La conscience est plus que mimétique : elle est créatrice. Elle permet des actions très supérieures, qui théoriquement définissent le domaine de l'infini et qui concrètement se manifestent par la faculté de croître - le progrès, dont la racine est moins politique et idéologique que philosophique et religieuse.
Il convient de différencier l'intelligence mimétique de celle créatrice. Les deux ressortissent de la faculté de conscience, mais l'une utilise l'intelligence au profit du mimétisme, pour le bonifier, quand l'autre entend dépasser le mimétisme par la production d'intelligence (le recours au mimétisme est alors secondaire). L'intelligence créatrice est supérieure à la mimétique. L'intelligence mimétique privilégie l'érudition et abolit le processus créatif, comme c'est le cas dans la métaphysique depuis Aristote, puis dans son hérésie immanentiste, où la création est subvertie en apologie de l'oligarchie (comme chez Nietzsche).
Le processus du mimétisme pur, présent dans la plupart des comportements mimétiques, est dénué d'intelligence, mais l'intelligence mimétique existe, de manière rare, chez les bénéficiaires oligarques. C'est ce que Spinoza nomme l'accroissement de la puissance, dont il réserve les bénéfices pour quelques initiés, en l'ouvrant potentiellement à tous (soit : fort hypothétiquement). Le mimétisme intelligent est exceptionnel, le mimétisme inconscient le cas courant, jusqu'à provenir du règne animal, et sans doute au-delà. Raison pour laquelle les immanentistes dressent l'éloge des animaux, qui selon Rosset auraient le privilège d'être dépourvus de conscience. Schopenhauer s'est montré en avance sur la mentalité contemporaine, lui qui dans son excentricité maniaque avait décrété que son chien valait mieux que ses congénères, reprochant même à Spinoza son impéritie sur ce point.
Le complotisme instille la mauvaise compréhension de l'intelligence mimétique (confinant au passage l'intelligence au mimétisme). Les complots se noueraient de manière programmée, délibérée, exprimée. Si le recours au complot est mimétique, l'intelligence employée est dégradée, puisque les projets planifiés des comploteurs échouent. Les savants oligarchiques (comme en France Taguieff) se moquent du complotisme, parce que leur intelligence labellisée académique (et reconnue socialement) leur sert à éviter la contradiction, dans la lignée d'Aristote, alors que les complotistes y plongent à plein nez.
Les complotistes avancent que tout mimétisme est intelligent : autant avancer que l'inconscient est conscient. Ils reconnaissent que le complot omniprésent et tout-explicatif verserait dans le maléfisme associé au caché : c'est la reconnaissance que le complot ne fonctionne pas, qu'il ne crée pas, qu'il ne conserve pas, et qu'il débouche sur le cercle vicieux de la destruction, finissant en autodestruction. Le complotiste reconnaît que le fonctionnement par les complots est vicieux et que l'explication par les complots est carencée.
Mais l'amalgame complotisme/complot fait oublier que les complots existent. Ils reposent sur le refus de changer - de passer la main. Ils sont fomentés par des références oligarchiques, recourant à l'intelligence mimétique, ce qui rappelle l'infériorité du mimétisme sur le créatif - du savoir sur la connaissance. Le recours propagandiste au complotisme cherche à faire oublier que le mimétisme, aussi intelligent soit-il, est inférieur au créatif. Le label complotisme émane de cercles intellectuels, qui refusent que leur intelligence soit inférieure - que la créativité leur soit supérieure. Il s'agit de rage de la part d'érudits, qui versent dans le pédantisme et ne peuvent que mépriser des simplificateurs jugés falsificateurs, finissant par amalgamer dans leur commisération les complotistes avec les historiens qui dénoncent les complots (de Jules César au 911 pour choisir une trame chronologique).
Comment fonctionne le complot? Si l'on dénonce le complotisme, c'est parce qu'on juge impossible que des complots puissent survenir de manière délibérée selon une hiérarchie cachée, mais stricte. Avec le mimétisme, l'on explique la possibilité des complots de manière non-consciente, mais on pose leur limite : les complots ne peuvent se fomenter de manière consciente et créatrice. Ils sont marqués du sceau de l'infériorité mimétique. Même intelligents, ils sont mimétiques. Du coup, ils ne peuvent réussir. Mais ils existent tout de même, alors que l'appellation infamante de complotisme (utilisée par des savants) tendrait à les nier.
Les élites mimétiques ne peuvent accepter le ver dans le fruit et ont intérêt à en faire une hallucination paranoïaque, valable dans les cas de complotisme, mais amalgamantes dans les cas de complots avérés. Accepter les complots sans complotisme reviendrait à reconnaître que le fonctionnement du mimétisme est lacunaire - que le mimétisme est inférieur à la création. Le complotisme institue la possibilité que le mimétisme fonctionne par le caché, ce qui est impossible. Le caché exprime la contradiction. Les oligarques ne s'irritent guère du complotisme effectif, parce qu'il est stupide. Elles s'irritent au contraire des complots, qu'elles rejettent sous l'appellation de complotisme, parce qu'ils leur rappellent leur propre carence.
L'existence des complots met l'accent sur ce qui dysfonctionne dans le mimétisme, sans en souligner la dimension inconsciente. L'on se montre même fasciné par le fonctionnement mimétique, non-parlé, non-conscientisé, non-créatif, comme s'il était supérieur au conscient de ne pas réfléchir, pas comprendre, pas formuler. C'est le même travers qu'avec la fascination animale, comme si le fait de fonctionner à l'instinct traduisait la supériorité (contradictoire, non-théorisable) par rapport à la conscience, au langage. Les complotistes prêtent aux comploteurs des facultés créatrices incomprises, qu'ils rabaissent à du mimétisme, et qui fonctionneraient par magie, irrationalisme, rendant possible l'impossible (selon le raisonnement de Nietzsche qui le mena jusqu'à la folie).
Créer, ce serait comploter selon les complotistes. Encore faut-il préciser que la création désigne ici l'ersatz incompris et dégénéré de création, de la création mimétique et fixiste, comme chez Nietzsche. Pour les comploteurs potentiels, si le complot n'existe pas, ce n'est pas que de la mauvaise foi, en particulier chez les théoriciens : reconnaître le complot reviendrait à avouer que le système mimétique qu'ils dirigent ne fonctionne pas, s'effondre et que le principal signe en est, justement, le complot. Mais la réfutation du complot relève du déni. Le complot est un fait historique. Il survient comme le symptôme d'une crise. Le complot est assis sur un mode de fonctionnement qui n'est pas viable : le mimétisme.

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