samedi 13 octobre 2012

Very Influent Person

La confession d'Alain Minc remonte à 2007, sur la chaîne KTO dans l'émission VIP. La date renvoie à avant la crise, juste avant, au moment où notre oligarque autoproclamé parade, c'est-à-dire profite de son prestige intellectuel chèrement acquis socialement, pour tirer un peu de vanité, malgré la médiocrité intellectuelle dont il a conscience et qu'il avoue assez franchement.

"Moi, ça m'a servi à me bâtir cette vie un peu complexe et plurielle. Je suis un prototype de l'élite, je l'assume totalement, j'appartiens à l'élite, à l'oligarchie et à tout ce qui déplaît aux populistes".
"La vie est suffisamment courte pour qu'on en ait plusieurs à la fois. (...) Je ne crois pas beaucoup aux vies au-delà, qui permettent de n'en avoir qu'une."
Nous tenons la clé interprétative de la multiplicité, que revendique Aristote pour conférer à la mentalité oligarchique une certaine cohérence (assez vite démasquée, suite à l'antagonisme qui n'explique pas le lien entre l'être et le non-être multiples). La multiplicité des vies était la revendication principale de l'aristocrate Keynes, présenté par Minc et la doxa libérale comme un économiste progressiste, alors qu'il était l'un des mentors de l'Empire britannique et qu'il travaillait pour la restauration de l'impérialisme dominant, suite à la Grande Crise, puis la Seconde guerre mondiale.

"Le pouvoir, vous décidez, vous êtes sûr que les choses se font. L'influence, ça suppose de convaincre ceux qui ont le pouvoir. Y'a pas mieux qu'un confesseur comme homme d'influence. Nous ne sommes que des prêtres laïcs."
La laïcité contre la religion : tel est le rêve idéologique que Minc se dépêche d'effectuer pour oublier qu'il relève de l'utopie. Malheureusement, la laïcité conçue comme religion n'est jamais que du nihilisme et dans son application politique de l'oligarchie. C'est ce que revendique Minc, alors que la laïcité initiale, non subvertie, tendait à empêchait les conflits de religion et à instaurer la neutralité religieuse dans l'espace public.

Minc aime chez Keynes "la complexité et la pluralité, c'est-à-dire la multiplicité des vies (...), et puis autre chose, qui (...) correspond à une de mes fascinations, qui est l'extrême intelligence et l'extrême sophistication de l'univers britannique. (...) Je suis profondément anglophile. Je trouve que c'est une société d'une intelligence prodigieuse. Je vais vous dire par exemple ce qui me fascine le plus chez les Anglais (...) : est-ce que vous savez avec combien de fonctionnaires civils, je ne parle pas des soldats, l'Angleterre a contrôlé les Indes, c'est-à-dire 430 millions d'habitants? (...) Avec 930 fonctionnaires civils (...) Nous, on devait en avoir deux mille au Tchad. Quand on aime l'influence, on découvre quand même que le paradis de l'influence, c'est la Grande-Bretagne, c'est-à-dire l'Angleterre sait manier les choses, les êtres, les structures, les élites, et de ce point de vue, c'est un pays qui me passionne. Avec, je connais ses défauts..., les Anglais sont insupportables quand tout va bien et admirables quand tout va mal. (...) C'est un pays qui me fascine. (...) Keynes, c'était une vois d'accès à l'Angleterre".
Nous touchons au point sensible de l'oligarchie française, que représente Minc, et qui explique sa longévité dans ce milieu, lui qui accumule les postes prestigieux et les erreurs stratégiques : la connivence idéologique avec les milieux britanniques. Sans soupçonner Minc d'être un agent britannique (ce dont il se défend), il se pourrait fort bien que, fasciné par le libéralisme impérialiste, il répercute une mentalité inconsciente, mimétique et de réseaux, qui imprègne Sciences po. et l'ENA, deux piliers de la haute fonction publique française. L'anglophilie des élites françaises, capitale pour comprendre ce qui se produit en France sans verser dans le complotisme conscient, révèle l'influence de l'Empire britannique (et non "l'Empire américain", son travestissement populiste) et le fonctionnement de l'oligarchie : la loi du plus fort fonctionne, non pas suite à l'achat des consciences (fait minoritaire), mais par mimétisme - inconscient, innocent et fasciné.

"Une année sabbatique? L'horreur, l'enfer... Le comble de l'ennui."
Bien que Minc soit venu dans une émission catholique et qu'il se réclame de Pascal comme d'un penseur catholique susceptible d'usage à des fins subversives, il s'oppose à la théorie de Pascal à propos du divertissement. Pascal explique que l'homme ne peut rester seul dans une chambre parce qu'il ne peut supporter l'ennui. La profondeur passerait par le test de la solitude : si l'on se montre capable de supporter la solitude, on échappe au divertissement et on suit d'autres buts, moins superficiels. Minc affirme tout l'inverse : pour échapper au divertissement, il travaille tout le temps. Le comble de l'horreur pour lui revient à la confrontation avec l'ennui. Minc est un homme du divertissement, qui s'abrutit dans le travail! Sa conception du travail porte la superficialité : travailler pour ne pas s'ennuyer implique d'échapper à l'ennui en produisant une activité superficielle. Travailler pour ne pas s'ennuyer revient à privilégier la superficie au détriment de la profondeur, à laquelle engage l'ennui. Le travail renvoie à un domaine nécessaire, qui est réduit à la finitude. Minc fuit l'ennui pour s'engoncer dans la finitude. Son divertissement est névrotique; son excellence, sociale.

"Ce n'est pas intéressant la Chine, la réussite capitaliste y est acquise. "Ce qui me fascine dans le Brésil, c'est cet extraordinaire melting pot. (...) C'est vraiment un pays de métissage. Ce sont au fond les États-Unis du début du vingtième siècle, mais métissés. Les États-Unis sans la ségrégation. Y'a une homogénéité, une volonté, un sentiment national, une ambition, une joie de vivre, c'est un pays extraordinaire. (...) La Russie est un pays affligeant. C'est un pays en voie d'incivilité...".
Avec Poutine, la Russie résiste de manière violente à l'impérialisme libéral, alors que la chute de l'URSS s'était traduite par l'envolée de l'ultralibéralisme et la destruction de l'égalitarisme, au point que naîtront les fameux "oligarques" russes. Quant à l'apologie du Brésil, le métissage, tant vanté par les élites libérales, sert de paravent à l'ultralibéralisme et à l'oligarchie : comparaison avec les États-Unis, dont on a vu le destin décroissant depuis l'assassinat de JFK; louanges du Brésil, un pays reconnu pour son inégalitarisme viscéral. Ce que Minc apprécie dans le Brésil, c'est qu'on loue un prétexte (le métissage) pour promouvoir l'inégalitarisme. Le mensonge repose sur le stéréotype : le métissage du Brésil cache mal la domination raciale, dans cette société où il ne suffit pas d'être Blanc pour dominer, mais où la plupart des dominateurs sont des Blancs.

"Les religions servent à donner de la consolation par rapport à la finitude des choses."
"Je pense que les religions sont des sciences de la consolation (...) La part de marché des religions, pour parler comme on parle dans les affaires, est proportionnelle à la quantité d'espérance qu'elles donnent. Et de ce point de vue, je trouve tout à fait normal que le catholicisme ait une part de marché écrasante. C'est une religion, en termes de science de la consolation, formidable. D'abord vous avez un au-delà; en plus rien n'est joué, à la différence du protestantisme. Vous pouvez vous rattraper à tout moment. On vous redonne, si vous avez demandé le pardon, des jetons pour jouer à nouveau. Vous êtes à la table de jeu où vous pouvez renouveler sans cesse votre stock de jetons dès lors que vous reconnaissez vos erreurs.  Mais c'est admirable. C'est une machine de ce point de vue à faire de l'espoir ou de la consolation extraordinaire. Le protestantisme est une religion très étrange, une religion où voter destin sur Terre est scellé quoi que vous fassiez. (...) Je crois que ce qui a sauvé le protestantisme, c'est la persécution, parce que la persécution a fait des protestants des libéraux. Sinon, c'est une religion totalitaire. Et d'ailleurs, ça n'est pas un hasard si en Allemagne les régions qui ont été le plus sensibles à l'influence totalitaire étaient les régions protestantes, et pas les régions catholiques. Je trouve que l'idée d'être religieusement sur Terre et que son destin est scellé, que si vous avez la grâce ou que vous ne l'avez pas, c'est une idée terrifiante! Le judaïsme, c'est différent. C'est pas une religion d'au-delà, c'est une espèce de religion de témoignage, où chacun se passe un relais, mais qui fabrique pas d'espérance. (...) Je ne parle pas de l'Islam, que je ne comprends pas, que je ne connais pas du tout".
La vision de Minc serait terrifiante si la provocation ne la radicalisait. Elle exprime le simplisme et le positivisme. Il rappelle ce qu'est la mentalité libérale : une idéologie qui réduit la culture au commerce. Le religieux devient un phénomène commercial aux yeux de Minc. Et c'est ce type qui a réussi si brillamment ses études? Le système français promeut des anglophiles férus de libéralisme et dont l'intelligence se focalise sur l'adoption mimétique de la mentalité libérale, au point que leur vision du réel est ratiocinée, rabougrie, médiocre et décevante. Minc brille en tant que conseiller des princes - de facture libérale. Dès qu'on sort de cet univers fascinant et gorgé de pouvoir, le discours oscille entre le rebattu et le simplisme, comme on le mesure avec le religieux. Bien qu'il s'en défende, des accusateurs ont insinué que Minc a eu recours à des nègres pour publier ses nombreux ouvrages, parce qu'il se donne l'illusion du penseur capable d'écrire en plus de ses tâches de conseiller pour puissants. Sa réussite scolaire sert un système prétendant tout réduire au commerce. Le religieux y devient la science de la consolation... Bigre! Derrière le scientisme provocateur, il reste le mépris de la consolation, l'arme du pauvre n'ayant pas eu accès aux honneurs de la richesse et de la puissance.

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