mercredi 15 août 2018

La différence et la représentation

Toute l'histoire de la philosophie tient dans un effort, qui constitue l'effort emblématique de la rationalité : trouver un point extérieur à partir duquel seulement il peut juger du réel. La plupart des rationalistes ont jugé que cette opération était possible, tandis qu'un petit nombre jugeait qu'il était possible de juger sans point de vue extérieur. Ces gens pensaient que la représentation humaine correspondait naturellement et parfaitement avec l'agencement du réel. Les autres pensèrent que les choses étaient un peu plus compliquées et que s'il fallait trouver un point de vue extérieur, c'est parce que, en gros, la représentation ne pouvait concorder d'elle-même avec le réel. Par contre, il était possible qu'elle concorde, à condition qu’elle n'en reste pas à son point de vue initial, qui est le point de vue interne. Il fallait donc qu'elle trouve un point pour sortir de son point de vue initial, un point qui soit extérieur. Ce point, elle estime l'avoir trouvé avec l’Être. En jugeant à partir de l’Être, elle pense pouvoir évaluer et critiquer l'être, c'est-à-dire le réel ou ce que Heidegger nomme le domaine des étants. 
Le problème est qu'on peut se demander si cette démarche, qui est la démarche ultra majoritaire de la philosophie et de la pensée en général, incluant la théologie, est valable. On peut se le demander en constatant qu'elle n'a jamais proposé de réponse qui soit seulement recevable. Beaucoup d'érudition et de brillant conceptuel; mais pas de réponse. La critique qu'on pourrait adresser à cette démarche, dont la légitimité fonctionne sur la popularité, est qu'il est loin d'être évident qu'elle ait vraiment isolé un point de vue extérieur. En d'autres termes, en promulguant l’Être comme le point de vue extérieur de l'être, la philosophie a sans doute fait fausse route. Car elle n'a fait qu’hypostasier l'être, c'est-à-dire en rester au même. Il faudrait préciser que la leçon de cette démarche, c'est que, pour trouver un point de vue qui soit vraiment extérieur, on ne peut en rester au même. Il faut trouver un point qui soit différent. Ainsi, l’Être ne peut correspond au point extérieur de l'être. 
Il faut trouver un point véritablement extérieur. La philosophie ne l'a jamais fait, car en s'en tenant à l’Être ou à l'un de ses synonymes, elle en restait à sa zone de confort, une zone parfaitement maîtrisée par la raison, sans se demander si tous les efforts conceptuels pour trouver ce qu'est l’Être n'ont pas abouti à créer des illusions. Dans ce cas, cela signifie que nous nous mouvons dans un univers où l'on peut avoir le sentiment qu'on a trouvé quelque chose, alors que ce qu'on a trouvé est bien quelque chose, mais aussi quelque chose de faux. Cas avec la découverte de l’Être, qui correspond bien à quelque chose, à un besoin, au besoin d’extériorité, mais qui constitue une mauvaise formulation de ce besoin bien réel. L'erreur ne signifie donc pas ce qui n’existe pas, mais ce qui existe et qui est mal formulé. L'hypothèse de l’Être signifierait ainsi qu’à partir d'un besoin réel, d’extériorité, on en est venu à une mauvaise formulation, l’Être.
Il faudrait ainsi revoir la formulation, sans jamais basculer dans la tentation selon laquelle représentation = réel. C'est pour cette raison que j'ai proposé que l'on remplace l’Être par la malléabilité - mais c'est une autre affaire. On basculerait ainsi dans une autre manière de considérer la réalité qui nous entoure. Le principal changement serait que nous ne serions plus obligés de recourir à des raisons douteuses et contestables pour expliquer que ce qui est l’Être a besoin de l'être; nous pourrions expliquer de manière satisfaisante que la malléabilité coexiste avec l'être, alors que Platon, quand il affirmait que l’Être englobe l'être, exactement l’essence des formes et le sensible, devait imposer cette coexistence qu'il ne pouvait expliquer. On notera en particulier que la coexistence que propose Platon est une forme forte de coexistence, de l'englobement, ce qui signifie que l’être est une partie de l’Être.

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