lundi 17 juin 2013

Lumière naturelle

On évoque pour caractériser la méthode de Descartes le rôle du doute, la fiction du malin génie, dont le recours rend problématique la démarche (comment établir la perfection à partir du manque?), on parle moins du rôle que Descrates accorde à la "lumière naturelle" pour justifier son entreprise. Quand Descartes rétablit le Cogito, puis Dieu, qu'il avance par degrés, suivant sa chaîne des raisons, il se demande quel support lui permet de lancer une opération aussi hardie. Car s’il conclut qu'il n'est pas la proie d'un malin génie qui usurpe jusqu'à sa croyance en lui-même, il pose une fois l’épineux problème, dans la Troisième méditation, de savoir si sa faculté à penser le vrai et le faux n’est pas altérée d’une manière si irrémédiable que son projet n’en devient pas applicable. Question courageuse, à laquelle il est obligé de ne pas répondre ou de rendre les armes. Il ne parvient pas à remettre en question la lumière naturelle, ni à la définir : 
"Car je ne saurais rien révoquer en doute de ce que la lumière naturelle me fait voir pour être vrai, ainsi que m’a tantôt fait voir que de ce que je doutais je pouvais conclure que j’étais, d’autant que je n’ai en moi aucune autre faculté ou puissance pour distinguer le vrai d’avec le faux, qui me puisse enseigner que ce que cette lumière me montre comme vrai ne l’est pas, et à qui je me puisse tant fier qu’à elle. »
Il s'agit du postulat sur lequel repose tout le raisonnement ardu qu’expose Descartes dans les Méditations. Descartes nous explique qu’il peut tout remettre en cause, puis tout reconstituer de manière certaine, en commençant par le Cogito et en suivant par Dieu, mais il admet qu’il ne peut expliquer la puissance d’affirmer le vrai ou le faux. Il s’agit donc d’un postulat.
Sans doute Descartes se réfère-t-il à l’expérience : « Je suis, j’existe", expérience que peut ressentir tout je à condition qu’il use de son intelligence (Descartes se montre élitiste). Néanmoins, cette expérience, pour peu rationaliste qu’elle soit, alors que Descartes jouit de la réputation du grand rationaliste moderne, se fonde sur une faculté que tout un chacun peut éprouver, l’expérience du cogito. La lumière naturelle établit une limite, au sens où si chacun l’éprouve, elle n’est pas descriptible. Ni positivement : qu’est-elle, sinon une puissance indémontrable et magique (l’intuition rationnelle)? Ni négativement : aucun doute ne peut aboutir à faire voir que cette lumière naturelle est. 
Mais qu’est-elle? La raison? Celle intuitive, alors, qui saisit d’un coup son objet. Cette raison est indémontrable, en ce qu’il faut bien sauvegarder un certain îlot d’arbitraire dans le flot de rationalisme (chaîne des raisons) que revendique Descartes, de son Cogito à Dieu : je peux certes douter que je suis, mais je ne peux douter des manières de penser de mon entendement. 
Nous touchons à un point aveugle dans le raisonnement démonstratif de Descartes : l’indémontrable est nécessaire pour que le rationalisme soit. Descartes ne peut justifier de ce qui est antérieur au doute et qui pourtant existe bel et bien. Mais quoi? Quelle réalité distingue cette lumière naturelle, qui résiste au doute et qui ne peut être remise en question, sans quoi l’édifice s’effondre? Cela montre que le doute ne saisit pas tout le réel. Le doute postérieur ne peut atteindre le raisonnement, dès lors que le raisonnement comporte une part d’arbitraire. 
La désignation de la lumière naturelle reconnaît que le raisonnement de Descartes est antérieur au doute, qu’il déploie à partir du moment où il connaît déjà et l’issue du doute - et la structure du réel. Le "jeu" auquel se livre Descartes n’est pas un test à côté duquel le pari de Pascal relèverait de la plaisanterie. C’est un jeu pipé, au sens où Descartes n’est pas un truqueur, mais un métaphysicien : il estime curieusement qu’il existe un réel qui en termes chronologiques préexiste (ou résiste) au réel analysable, que l'arbitraire préexiste à la pensée.
Le domaine arbitraire serait ce à quoi renvoie la lumière naturelle : l’inanalysable, ce qui résiste à l’analyse rationnelle et qui évoque un drôle de réel, inattendu, pour le métaphysicien : à côté du réel physique, rationnel, qui donne à Descartes sa réputation de philosophe lançant l’aube moderne du discours rationnel, et donnant à la philosophie les armes pour accompagner la révolution scientifique, il faudrait admettre que la lumière naturelle désigne de manière furtive, par Descartes, un réel qui n’est pas analysable et qui du coup expliquerait que le doute puisse jouer le rôle de vérification menant à la vérité dans l’analyse.
Car si le réel comporte une part d’inanalysable, le doute est connecté avec ce réel de la lumière naturelle, en tant que manque ou défaut. La lumière naturelle et le négatif sont liés par un lien qui reste à définir. Un pan capital et subreptice, se tapissant derrière le discours officiel du rationalisme assumé, dans le presque implicite, se dessine, dans lequel Descartes estime qu’il existe une part essentielle du réel qui est négative, qui permet par négativité de délimiter le positif. Sinon, comment comprendre que la lumière naturelle soit rétive à l’analyse rationnelle et que le doute soit le révélateur de la vérité? Il y a là une ambiguïté qui indique, non que Descartes est un nihiliste, mais un métaphysicien, qui revendique que le néant existe, en appoint, au point qu’il faille lui accorder un rôle aussi important que dénié. Il existe sur ce point une contradiction cardinale dans la pensée de Descartes : le néant ne se dit pas puisqu’il n’existe pas; mais en même temps, le néant est l’arbitre de l’être, notamment par le doute.
Du coup, la lumière naturelle est à la fois ce qui ramène du côté du rationnel (c’est la raison qui est intuitive) et ce qui est indicible à son tour, intuitif en ce sens qu’en embrassant le réel d’un seul coup, on lui découvre une part d’arbitraire, de non-dit, de non-être, qui est nécessaire pour équilibrer l’être insuffisant. L’ordre de Descartes, ordre physique prolongé par la perfection divine, n’est pas si cohérent que cela. Il posséderait même une part d’incohérence assumée, revendiquée. L’intuition rationnelle ne désigne pas seulement le négatif du réel - mais l’ensemble du réel, admettant que le rationnel ne délimite que le physique, de manière cohérente et insuffisante, et que le réel inclut le néant.
Dès lors, comment définir Dieu? C’est bien beau de le caractériser comme le Parfait, puis d’en produire la définition au nom de la causalité, qui se révèle contestable (la cause étant parfaite, l’effet lui est inférieur, ce qui rend miraculeuse la pérennisation du réel), mais ce Dieu ne résout pas son problème essentiel de définition : comment intègre-t-il en son sein le néant s’il est le parfait? Comment être parfait et insuffisant? Seule interprétation, pas explication, postulat asséné : Dieu existe à côté du néant. Comme le néant présente la particularité de ne pas exister, son existence si paradoxale (de ne pas exister) rend possible à ses côtés l’existence elle parfaite de Dieu. Mais il s’agit d’un tour de passe-passe conceptuel, dans lequel on légitime que l’insuffisant se trouve complété par le non existant.
La lumière naturelle permet d’embrasser cette vérité de la non-existence du néant et de la focalisation unilatérale de la raison sur l’être. Quelle est la faille du raisonnement qui accueille avec tant de complaisance le défaut ou le manque en son sein? Quelle est la faille de la métaphysique? Quelles sont les répercussions de cet accueil du néant pas inexistant, mais non-existant, dans le système de Descartes? L’être est fini, et ce que Descartes nomme le réel exclut tout ce qui relève du néant. Le néant est relégué vers des limbes paradocales. On accrédite le postulat selon lequel ce qui n’existe pas ne peut exister, alors que le véritable problème pose justement que ce qui n’existe pas doit bien exister (Platon affrontera seul ce problème, mais en lui donnant une explication qui ne définit pas l’Etre). On aboutit à l’être fini, tenu pour le réel, parce que l’école métaphysique considère que le fini est théorisable et que le raisonnement auquel parvient celui qui envisage rigoureusement la raison comme domaine de délimitation nécessairement finie débouche forcément sur une théorie de près ou de loin, directement ou indirectement, nihiliste (la métaphysique à ce titre est un compromis entre le nihilisme et l’ontologie).
Deux remarques qui découlent du raisonnement métaphysique et que Descartes ne fera que rénover, soit reprendre avec un aggiornamento moderne à la tradition scolastique, d'obédience aristotélicienne (Descartes ajoute la médiation du cogito pour corriger l’erreur de la métaphysique, qui se manifestant dans le domaine physique par la révolution expérimentale) :
1) Dieu est irrationnel, ce qui est le premier résultat de cet accueil : le Dieu de Descartes, réputé rationnel, se révèle fort peu rationaliste, Dieu plus hérité de la scolastique que de sa rénovation.
2) Le fait que la pensée soit orientée vers le rationnel selon la lumière naturelle implique, non que le réel soit le rationnel, mais que la pensée s'occupe juste du rationnel et se détourne de ce qui ne peut ni se penser, ni se dire : le non-être. La position de Descartes sur le non-être est méthodologique : on ne peut penser le non-être revient à se focaliser exclusivement sur l’être et à considérer de ce fait que la pensée qui ne retient que l’être est rationaliste, alors qu’il faudrait distinguer entre la pensée qui inféode le non-être à l’être (comme Platon) et la pensée qui ne retient que l’être et qui reconnaît le non-être paradoxalement, en l’excluant. La lumière naturelle enseigne ainsi que ce qui n’est pas ne se dit et ne doit pas s’interroger, puisqu’elle est d’essence intuitive, reconnaissant que la raison comporte une part intuitive fondamentale et que cette part débouche sur la reconnaissance paradoxale du néant.
La faille de Descartes (écarter le non-être au motif qu’il n’y a rien à en dire) engendre un système paradoxal d’irrationalisme au nom du rationalisme, dont le propre est de renforcer l’irrationalisme constitutif à la métaphysique (depuis Aristote qui sépare le néant de l’être). Ce qui passe pour du rationalisme est plus lucidement du rationalisme particulier, qui admet que son déploiement va de pair avec la coexistence du non-être, à condition que le néant ne soit jamais reconnu du rationalisme, soit l’expression clivée de l’être, et pas l’expression totale du réel. Quand Descartes parle du réel, il entend : le rationnel. Le restant lui importe peu. C’est justement ce qui nous importe, tant, méthodologiquement, pour proposer une histoire des idées, il convient d’interroger ce qui est tenu pour l’évident, le tellement certain qu’il n’a pas besoin d’être interrogé.
Descartes manifeste un tel souci de la vérification méthodologique qu’il justifie chacune de ses idées, pour montrer qu’il est rationaliste et qu’il permet de trouver la vérité et de rompre avec les erreurs de la métaphysique passée. Mais Descartes ne remet pas en question le raisonnement métaphysique, qui l’a formé et sur lequel il parvient logiquement à partir du moment où il souscrit à la définition métaphysique de la raison finie : le réel fini (en langage critique, l’être est fini, ce qui n’est pas la même chose). Il montre quand il pêche par manque de vérification : le point faible de son raisonnement intervient avant la raison, dans l’interstice de la lumière naturelle, dans le passage (le moment en termes chronologiques) qui laisse transparaître le manque de conciliation entre Dieu et le néant. Quel est le lien entre Dieu et le néant? Cette question n’est nullement oiseuse. Si Dieu est le Parfait, comment se fait-il qu’il tolère le défaut ou le manque, ce qui implique, contradiction dans les termes, que le parfait soit insuffisant? Et comment fait-il pour concilier cette perfection avec le défaut ou le manque? Dans le physique, la cause de l’être provient de l’être, ce qui implique que le néant n’existe pas dans le domaine physique, celui de la science.
Et dans la métaphysique? Le propre de Descartes est de lancer la modernité, en instaurant la médiation entre la représentation et le réel, qui soit le moyen de vérifier que la connaissance est valable (dont le résultat tangible sera la réconciliation entre le cogito et le réel, via Dieu). Tout comme ses prédécesseurs en métaphysique, Descartes réussit à chasser de son domaine d’étude le néant. Ce faisant, il crée un fourbi logique entre Dieu parfait et sa cohabitation impossible avec le néant. Dieu créant les créatures à partir du néant, Dieu a besoin du néant pour créer. Mais comment faire concilier le Créateur, la création - et le néant? Que les créatures soient sujettes au manque (au défaut) s'explique par le fait qu’elles proviennent du néant et qu’elles y participent de quelque façon. Mais comment expliquer ce néant si Dieu est parfait? Pourquoi Dieu a-t-il besoin de créer des créatures outre sa perfection? S’il crée, pourquoi le fait-il à partir du néant et non à partir de sa perfection? Peut-on penser que Descartes se contredit et profère une contradiction pour que son système conserve une certaine viabilité rationaliste? Toujours se souvenir que l’on ne peut édicter du fini sans poser à côté le néant et que l’entreprise de médiation et de vérification de Descartes conduit non pas à résoudre ce problème du néant, mais à l’enterrer plus profond, à le dénier.
Le défaut du raisonnement est que le réel ne peut être fini, sinon le néant est postulé au moins implicitement, pour que l’observateur puisse travailler sur l’être. On ne peut même pas dire que Descartes se montre implicite par rapport au néant. Il en parle souvent et il va de soi pour lui que l’irrationalisme primant, la perfection divine étant incompréhensible, le constat du manque ou du défaut n’est pas une contradiction, qui indique seulement que le physique relié à la perfection présente un à côté négatif et inévitable. Descartes constate juste, il ne cherche pas à expliquer, parce qu’il estime que l’important est de réussir à édicter un domaine de théorisation possible. Au final, les relations entre Dieu et le néant ne sont pas clarifiées. Le néant existe à côté de Dieu, sans question supplémentaire, comme l’informel serait le reliquat, à ne pas trop interroger, de la perfection, et permettrait de bien délimiter le domaine du formel (distinction qui recoupe chez Descartes le réel formel). Excepté si l’on accepte la validité de cette "lumière naturelle" aussi intuitive qu’indémontrable et arbitraire, la perfection n’est donc pas parfaite. Le rationalisme cartésien est un rationalisme qui fait la part belle à l’irrationalisme et qui en a besoin pour s’exprimer. 
La lumière naturelle est le dispositif qui permet à Descartes au nom de l’inexpliqué (l’intuitif) de légitimer la coexistence irrationaliste de l’être et du néant. Puis, cette lumière naturelle signifie la nécessité d’accepter que les choses soient ainsi que l’y engage la raison dans le physique. On ne peut comprendre en définitive le réel que si l’on adoube l’irrationalisme intuitif. Paradoxe, la raison a besoin de l’intuition irrationaliste pour trouver sa place et prétendre au rationalisme. La métaphysique ne parvient au rationalisme qu’en validant l’intuition irrationaliste. C’est bien la mauvaise identification de la raison comme l’instrument de la pensée et de la philosophie qui amène la métaphysique à commettre l’erreur de l’irrationalisme équilibrant le rationalisme. 
Maintenant, j’aimerais en venir au refus de l’interprétation complotiste, consistant à penser confusément que l’auteur avait conscience d’agir comme il l’a fait, et qu’il a agi délibérément, avec préméditation. Descartes aurait-il eu conscience de commettre une erreur philosophique majeure en accueillant le néant dans son système rationaliste? Le dire, c’est déjà répondre : Descartes a penché pour la solution du rationalisme fini, qui est celle de sa formation à la Flèche (scolastique) et qui le pousse à valider l’erreur du néant au nom du rationalisme. Autrement dit, l’erreur ne provient pas tant de la claire conscience délibérée que de l’adhésion à un but qui n’est pas faux de part en part, mais partiellement erroné. Le rationalisme fini est partiellement erroné, mais c’est al méthode qui es majoritaire dans la philosophie et la théologie chrétiennes, depuis que la métaphysique est devenu l’outil de pensée privilégié du christianisme. L’erreur ne provient pas de l’intentionnalité (la mauvaise foi), mais de la réduction (erreur finaliste partielle). Descartes vise la moitié du problème : ayant pour fin le rationalisme fini, il en vient à adouber la possibilité que la créature soité créée par Dieu parfait du néant et qu’il existe du néant dans le défaut, le manque, d’une manière si paradoxale qu’elle relève du non-dit. Du coup, n’est-ce pas perdre son temps que d’envisager le non-être sachant qu’il ne se dit pas et qu’il n’existe pas? Descartes une nouvelle fois fonde la position de la métaphysique moderne : le néant en se dit pas (Bergson en fin de chaîne métaphysique ne disait pas autre chose). Il fait oeuvre de pionnier et n’a pas le sentiment de se tromper. au contraire il a choisi la seule voie qui vaille, celle de la vérité.
Si Descartes se trompe, c’est en pensant de bonne foi suivre la vérité. On se tient à mille lieues de la mauvaise foi et de l’erreur délibérée et intentionnelle. On présente le pionnier Descartes et les métaphysiciens modernes comme les fers de lance du mouvement rationaliste, qui conduit l’homme à refuser la représentation directe et naïve de l’Antiquité (rapport franc et facile entre la représentation et l’extérieur réel) pour privilégier la médiation du Cogito entre les deux parties. Le cogito est l’élément de vérification et de véracité qui délivre l’accès à la vérité et qui corrige les erreurs provenant de la méthode antique directe - que la révolution scientifique a mises en évidence, au point de créer un tremblement de terre dans la conception classique de la philosophie science des sciences. Descartes essaye de proposer une science des sciences qui tienne la route et qui permette aux sciences de poursuivre leur développement. Il propose l’ajustement de la métaphysique à la physique. Le dessein de Descartes n’était pas de passer beaucoup de temps autour de la question métaphysique, mais de fixer cette dernière en quelque temps, puis de passer à la recherche scientifique et à ses résultats gratifiants.
Pour en revenir à l’erreur (le nihilisme, notamment en métaphysique), et aux conditions de son avènement, les philosophes n’agissent pas avec la conscience d’être des nihilistes, ni de promouvoir de manière contradictoire le néant. Pour eux, leur position, consistant à adouber, souvent de manière implicite et déniée, le nihilisme, est la conséquence inévitable de leur manière de raisonner, qu’ils estiment être la bonne. Pour simplifier et prendre le cas du nihiliste conscient, comme Gorgias, il ne choisit pas le nihilisme en ayant conscience d’embrasser une position contradictoire, qu’il défendra avec mauvaise foi pour suivre des intérêts de gloire et/ou d’argent; mais il a choisi le nihilisme, car il pense vraiment que le réel est façonné de non-étants et que l’étant est une fiction (a fortiori l’être). Le nihiliste est sincèrement nihiliste, du fait d’une option erronée (réduction du réel à la reconnaissance du néant). De ce point de vue, l’erreur métaphysique est plus profonde, car elle résulte du compromis. Elle est mélangée et risque d’être inextricable. Elle valide le non-être, mais tient que l’être est possible et même théorisable. Du coup, le statut du non-être bascule dès Aristote dans le non-dit. Aristote expédie le non-être en quelques lignes, puisqu’il n’y a rien à en dire et qu’il y a tant à dire de l’être fini (au point qu’Aristote ambitionne de clore la philosophie et d’engendrer une connaissance finie, achevée et harmonieuse). 
Le renouvellement de la métaphysique avec Descartes ne fait qu’accentuer le caractère implicite et déniée du non-être, au point que Descartes l’affirme explicitement. Descartes ne s’intéresse pas au néant. Pour lui seul compte le réel formel et rationnel, qui découle de Dieu et qui ne peut pas venir de quelque mani!re que ce soit du néant. L’erreur de Descartes consiste à séparer l’être et le non-être et à rejeter le non-être au motif qu’il n’y a rien à en dire. L’erreur de réduction se confirme par l’antagonisme. En réduisant on oppose aussi. En réduisant l’être, on oppose l’être et le non-être. C’est au nom de cette erreur que Descartes privilégie la méthode rationaliste, en estimant que :
1) la toute-puissance divine étant inaccessible aux faibles lumières humaines, elle explique tout de manière incompréhensible;
2) surtout, elle est la meilleure option pour mettre en place le rationalisme fini, et partant les applications scientifiques, puis techniques.
De ce fait, l’erreur n’est pas volontaire, mais procède de la mauvaise définition du réel, qui a pour caractéristique d’être fini; Descartes n'a fait que suivre la pente naturelle de ses pensées pour parvenir là où il est parvenu : c'est l'explication qui revient quand on accuse des auteurs d'avoir commis telle ou telle erreur. A côté de ceux, minoritaires, qui ont agi de manière criminelle et délibérée, avec préméditation, la plupart ont suivi leur "lumière naturelle". La nature renvoie à la nécessité, avec la précision de son infériorité. La lumière naturelle désigne le phénomène déresponsabilisant que l’idée survient à la pensée de l'extérieur, de manière impersonnelle, et que le penseur n'a d'autre choix que d'assumer cette nécessité. Ce raisonnement est vrai à condition de préciser qu'il ne survient que lorsqu'on détruit les potentialités de liberté au profit de la réduction.
Descartes ne croit au non-être que parce qu’il trempe dans la mentalité métaphysique. Ce que Descartes prend noblement pour la lumière naturelle relève de la mauvaise compréhension du réel autour du rationalisme. C’est le positif qui est visé comme la fin; et le négatif n’en est que la conséquence et est perçu comme moindre mal. Le non-être n’est que le moindre mal, bien mineur, du rationalisme, qui est la méthode la plus accomplie pour comprendre le réel. Descartes est le chef de file de l’école rationaliste qui lance la modernité et permet à la métaphysique de s’aligner sur la révolution expérimentale, de faire en sorte que la philosophie conserve sa prééminence universelle sur les sciences particulières. L’extériorité semble évoquer pour le métaphysicien, pas seulement Descartes, le gage de sa qualité : ce qui vient de l’extérieur est forcément authentique. L’illusion tient au mythe que l’on accorde au réel selon ce prisme : certains croient que s’ils ont découvert du réel, ils ont trouvé de l’or (voire la pierre philosophale). Ils oublient l’expérience que fait Descartes : il trouve le cogito et bâtit à partir du cogito le pont qui relie la subjectivité au réel extériuer. C’est se tromper lourdement que de croire que l’on a trouvé du reél. On ne peut que trouver du réel. Le problème est que l’erreur est réelle et que l’illusion de fond consiste à penser que l’erreur n’est pas. Ce qui vient de l’extérieur est pris pour du réel et du réel d’importance, le gage de notre bon entendement, l’intuition indémontrable selon laquelle notre discernement fonctionne est réel. Or la réduction est réelle. Le réel est enveloppant au sens où il enveloppe toutes nos productions, toutes nos idées, formelles ou objectives certifierait Descartes, et que la métaphysique, en réduisant le réel au fini, accomplit un geste théorique réel et important, mais non pas le geste le plus ample possible. C’est en pensant que tout ce qui est réel est décisif que Descartes en vient à cautionner sa lumière naturelle. En opposant l’erreur au réel, Descartes pense que :
1) tout ce qui est réel est vrai; et que le rationnel est le réel (avant que Hegel radicalise cette position en affirmant que le réel est le rationnel);
2) la lumière naturelle instaure, de manière trompeuse, le couronnement du rationnel, en assurant qu'il permet de connaître au mieux le réel et que ce qui n’est pas rationnel échappe au dire (au point que l’intuition comporte malgré son inflexion rationaliste une tendance à l’indicible).

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Mais qu'est-ce que la lumière ?
J'ai démontré en physique que les sons ne sont pas des fréquences, mais nnos interventions sur un souffle déja existant. http://letime.net/vocale
Aussi je pense qu'on peut se poser la question, qu'est-ce que la lumière ?
Cordialement

Koffi Cadjehoun a dit…

Je vais voir votre réponse. Merci et bien à vous!