vendredi 30 mai 2014

De l'immortalité de l'âne

Le sujet de l'immortalité de l'âme est à la mode, sur le tapis des préoccupations, parce que les représentations religieuses connues sont devenues obsolètes depuis deux siècles. Tant que le religieux pouvait servir de socle à la connaissance, ce sujet n'existait pas vraiment.
Non seulement l'âme était immortelle (ce qui relève d'un certain pléonasme), mais cette immortalité se trouvait expliquée avec précision et détail, autour de la résurrection : quand le Jugement dernier interviendra, l'âme sera admise auprès de Dieu, qu'elle connaisse les châtiments de l'enfer ou qu'elle accède au paradis.
Sans poser la question indécise du sort de l'âme pendant ce laps de temps, qui de toute façon compte peu au regard de l'éternité,  il n'est pas assez remarqué, du fait du chamboulement de toutes les valeurs, que les découverts scientifique ne remettent pas en question l'immortalité de l'âme.
Elles attaquent la conception que l'on se fait de l'âme. L'effondrement du transcendantalisme a été provoqué par la science moderne comme la outre d'eau fait déborder le vase et l'allumette révoque l'incendie. Ce n'était pas cette découverte qui avait provoqué le phénomène; c'était le symptôme déclencheur.
La science moderne ne propose que des progrès incertains et transitoires. Ils ne proposent rien de positif, seulement du négatif. Le principal étant moins ce qu'ils apportent de scientifique, ce qui constitue pourtant leur propos et leur fin - que leur impact négatif (ils sont ce qui finit de détruire le transcendantalisme, et peuvent de ce fait passer pour la cause, quand ils n'en sont qu'une cause secondaire et peut-être même un effet tardif, si l'on se souvient que cette révolution est plus inspirée de ce qu'elle détruit qu'elle n'en est la cause).
Demeure la question de fond : l'immortalité de l'âme. La thèse générale de ceux qui se déclarent, au sens large des variantes, matérialistes, ne s'avère guère solide : on ne voit pas comment le vide pourrait exister de manière positive.
Le nihilisme ne vaut donc pas de manière conséquente. Cela a pour incidence majeure de ne pouvoir détruire l'existence de ce qui a été. Par conséquent, l'immortalité de l'âme vaut dans la mesure où toutes choses sont immortelles. Qu'est alors l'immortalité spécifique de l'âme une fois qu'on aura défini l'immortalité?
C'est que ce qui est ne peut avoir été et que ce qui a été est. A la fin du déroulement temporel, cette conséquence logique a pour incidence majeure que tous les instants sont comme si ce qu'on nomme présent acquérait une valeur d'éternité. De ce point de vue ceux qui louent le présent comme seul présence ont déformé l'idée selon laquelle ce qui est ne peut exister que comme éternité.
Mais alors l'immortalité qui correspondrait à la réunification et la correspondance de tous les instants est une évidence - et toutes les théories qui estiment que seul existe le présent, comme l'affirmation que le non-être existe, sont des déformations et des faussetés, au sens où ce qui est faux est ce qui se révèle déformé.
L'immortalité de l'âme ne peut disparaître des conceptions humaines et la défaite programmatique et inexorable des théories nihilistes vient du fait que les périodes de crise ne semblent qu'en apparence soutenir les inclinations nihilistes.
C'est ce qui peut sembler être le cas avec les postmodernes et autres immanentistes terminaux , comme un Deleuze, qui rêve de se mouvoir dans l'immanence ou un Rosset qui rêve d'accéder à la plénitude du présent. L'inverse se produit : la crise fait ressortir la déraison et l'inconséquence de tout ce qui peut relever des possibles nihilistes.
La crise loin d'installer le nihilisme fait apparaître de nouvelles formes de religieux classique (qui lient le réel). Ces nouvelles formes surgissent parce que le réel s'est agrandi dans un sens physique et que la conception du réel a besoin de s'ajuster aux nouvelles bornes du réel.

L'immortalité de l'âme n'a pas changé. Ce qui change, c'est l'explication qu'on en donne. Que ce qui est reste est une chose; mais que sa représentation change à l'occasion du réajustement implique que l'ancienne explication, monothéiste, ne parle plus aux oreilles des contemporains. Le monothéisme expliquait que l'âme après la mort de son enveloppe corporelle ne fait que rejoindre son lieu.
L'identité est homogène ente l'âme et Dieu. L'éternité est la réconciliation de l'homogénéité. La nouvelle hypothèse introduit la différence entre l'être et l'autre élément de réel que je nomme malléable et que le nihilisme déforme en néant ou non-être. L'immortalité n'est plus tant le fait de retrouver son identité que le fait de réconcilier ce qui durant le temps de l'existence se trouve en disjonction.
L'étant comme dirait Heidegger se trouve plongé unilatéralement dans l'être. Certes, l'être se trouve imprégné de malléable différent, mais il n'a pas accès à l'explication de cette différence du point de vue de l'être. Ce qui est différent du point de vue de l'être se trouve uni du point de vue de l'immortel. L'immortel consiste moins à retrouver un état de plénitude qu'à créer un état dont le propre est de lier. Etre immortel, c'est donc lier les différents.

Aucun commentaire: