samedi 18 décembre 2010

Au lit, gâchis!

Un peu de géopolitique, non pour faire un cours de facture sciences-po. dont le but est d'impressionner, mais pour utiliser des données politiques à des fins de compréhension stratégique. Trop souvent la géopolitique est utilisée comme moyen de briller à des fins pompeuses et pédantes; alors qu'il est si urgent d'apporter des éléments de compréhension des mécanismes politiques que les populations ignorent dans leur ensemble. Surtout en période de grand changement, comme c'est le cas actuellement, au point où certains événements (au sens d'événementiel) acquièrent une portée sémantique essentielle.
Quand j'entends la réputation scandaleuse qui est accordée à Thierry Meyssan, l'homme qui avant le 911 était un pugnace journaliste tenu pour progressiste; et qui depuis le 911 est vilipendé comme un extrémiste parce qu'il a osé remettre en question la VO du 911 (le premier, car la liste des suivants est longue et prestigieuse); je me dis que vraiment on le critique pour de bien mauvaises raisons, alors qu'il existe une critique fondamentale à lui accorder, qui ne porte pas sur la question du 911, mais qui touche à la rhétorique fondamentale de tous ces critiques de l'impérialisme. On pourrait en gros tracer un axe de l'anti-impérialisme officiel et fallacieux qui court de Chomsky à Meyssan, en passant par quelques autres intellectuels et politiques réputés (je pense à Chavez).
Tous ces brillants personnages entretiennent une réputation sulfureuse qui leur profite (dans le cas éminent de Chomsky, c'en est même un scandale). Mais surtout : tous ces brillants personnages ont pour point commun de dénoncer l'impérialisme de type américain (avec certaines inflexions, comme chez Meyssan, qui s'attache non sans raison partielle à dénoncer l'impérialisme américano-sioniste). Raison majeure : les Etats-Unis sont le premier Etat dans le monde et disposent des moyens les plus importants pour dominer les autres pays.
Cette rhétorique anti-impérialiste passe pour du courage et de la lucidité. Il faut du courage pour s'attaquer aux plus puissants (Meyssan l'a payé par son exil au Liban); il faut de la lucidité pour identifier et condamner un mécanisme de domination. Du coup, on présentera un Chomsky pour le grand intellectuel contemporain, alors qu'il se contente de manière négative et roborative d'énumérer les crimes impérialistes américains dans une litanie de faits qui n'accorde que peu de place au plus important : le jugement critique.
Le mérite de la géopolitique consiste à analyser les faits contemporains en regard de l'histoire, à l'aune de données géographiques. Nous avons avant le symbolique 1648 les guerres de religion qui embrasent l'Europe et qui détruisent les Etats. Ces Etats ne sont constitutivement pas en mesure d'empêcher ces guerres de religion, qui ont certes des causes théologiques importantes (l'effondrement naissant du christianisme); mais qui sont aussi largement encouragées par les influences oligarchiques, comme celles des Habsbourg, potentats tout-puissants et dégénérés. Nous avons aussi comme prolongement rival (quoique parfois parfaits complice) des Habsbourg l'éclosion de l'Empire britannique, qui ne sort pas de nulle part, mais qui provient directement des germes vénitiens.
Pour contrer les guerres de religion et les principes oligarchiques qui les soutiennent, les Etats balbutiants (comme l'Etats français) inventent l'Etat-nation moderne. Ce sont de brillantes éminences comme le cardinal Mazarin qui accouchent de la Paix de Westphalie. Mazarin exprime la quintessence des principes augustiniens relayés par le cardinal de Cues, soit l'idée la plus progressiste et universaliste (rationaliste) du christianisme. Il est encore plus important de saisir que l'Etat-nation est créé contre l'oligarchie que contre les guerres de religion.
Dès lors, tous les argumentaires qui foisonnent à propos de l'impérialisme prêté aux Etats-nations souffre d'une contradiction historique et logique : les Etats-nations ne peuvent se comporter de manière impérialiste, ce qui ne signifie pas qu'ils soient des modèles de sainteté, ni qu'on les tienne pour des images pieuses et béates. Les Etats-nations peuvent créer des conflits, des injustices, mais leur principe de développement les empêche de se montrer impérialistes.
Pour une raison : l'impérialisme ne peut émaner que de l'oligarchie, quand l'Etat-nation est créé pour contrer l'oligarchie et imposer le républicanisme. Ce constat suffit à démonter l'imposture de la dénonciation vertueuse de l'impérialisme antiaméricain, quand on se souvient que les Etats-Unis ont été créés comme le plus emblématique des Etats-nations, le plus tourné vers l'idée de république chère à Solon. Rangez Chomsky au rayon des intellectuels poussiéreux, voire manipulateurs! La critique qui pourrait être adressée aux Etats-nations, c'est qu'ils peuvent tout à fait se laisser parasiter par des factions oligarchiques, qui opèrent sur leur territoire et qui du coup instillent le soupçon de l'impérialisme. Cas actuel des factions financières qui spolient les Etats et les peuples.
Autrement dit, on assiste à un amalgame entre l'impérialisme oligarchique sur sol d'Etat-nation et l'impérialisme prêté (illusoirement) à l'Etat-nation. C'est ainsi que l'on confond trop souvent, de manière rapide et superficielle, pour ne pas dire simpliste et caricaturale, l'impérialisme des factions oligarchiques de Wall Street avec l'impérialisme prêté au pouvoir central américain, soit à l'Etat-nation américain. Quand on comprend cette distinction géopolitique majeure pour cerner notre époque et le problème contemporain de l'oligarchie, l'on ne peut plus incriminer les Etats-Unis au nom de leur impérialisme.
Au contraire, on opposera le principe constitutionnel des Etats-Unis, qui est républicain, avec le parasitage des institutions américaines par des factions oligarchiques destructrices et prévaricatrices, comme celles opérant autour du symbolique Wall Street. On mesurera toute la richesse (le véritable courage se mesure l'aune de la calomnie médiatique orchestrée par ces oligarchies) de l'homme politique LaRouche, qui a été emprisonné sans soute parce qu'il oppose les Etats-Unis en tant qu'Etat-nation fédéral dominant aux factions oligarchiques qui opèrent sur le sol américain.
Ces factions sont-elles indépendantes et dominantes? C'est avec la réponse à cette question que l'on mesure l'imposture factualiste (les faits apporteraient le substrat théorique) caractérisée de Chomsky ou le manque de courage de Meyssan. Meyssan qui a osé remettre en question la VO du 911 se contente d'incriminer au final la domination des financiers anglo-saxons. Son fameux site le Réseau Voltaire se montre souvent sous d'autres plumes beaucoup plus antiaméricain primaire - beaucoup moins modéré. Qui ose, à part LaRouche et ses soutiens, incriminer la domination financière de la City de Londres et de l'Empire britannique, dont Wall Street n'est que l'émanation américaine (certes influente, mais inféodée à un pouvoir dominant dans cette toile d'araignée oligarchique)?
La preuve que les larouchistes sont les plus pertinents à l'heure actuelle sur la scène politique ne tient pas à leur audience minoritaire, voire faible, qu'à la vérité de leurs propos. Si l'on doute de l'existence de l'Empire britannique à l'heure actuelle (pas dans le passé, même proche), sous la forme néocoloniale financière, comme opérait la Françafrique (à une échelle cependant inférieure, et désormais subordonnée), que l'on se reporte notamment à l'existence de l'Inter-Alpha Group, un conglomérat bancaire qui depuis sa création en 1971 sous l'égide de Lord Jacob Rothschild n'a cessé de gagner en puissance, au point qu'il réglemente de nos jours une grande part des échanges bancaires au niveau mondial.
La double richesse connexe des larouchistes (révéler l'existence de l'Empire britannique dominant; dénoncer l'impérialisme oligarchique sans verser dans le contresens de l'antiaméricanisme primaire et contradictoire) démasque le rôle pervers et involontaire auquel parviennent les commentateurs brillants qui dénoncent l'impérialisme américain. A une époque qui milite de manière dominante pour le démantèlement des Etats-nations, la dénonciation de l'impérialisme américain (donc de l'Etat-nation des Etats-Unis) contribue encore à affaiblir les Etats-nations dans leur structure. Pour les remplacer par quoi? Une structure supérieure - ou le retour au fédéralisme oligarchique travesti en innovation postmoderne creuse?
C'est dire que les dénonciateurs de l'impérialisme sont en pratique (contre leurs propos apparents) les plus fervents soutiens de l'impérialisme. Position intenable, paradoxale et pourtant irréfutable. Où l'on voit que la propagande n'est pas seulement l'apanage des plus forts dénoncés, mais aussi de ceux qui les dénoncent. Où la propagande impérialiste rejoint la propagande anti-impérialiste. En particulier, ceux qui louent la liberté de ton d'Internet, au demeurant plus importante que dans les médias Gutenberg, ne se rendent pas compte de l'intoxication simpliste que peut apporter l'innovation Internet : sous couvert d'une riche initiative, dénoncer l'impérialisme, on brouille l'identification.
Au demeurant, la démarche utilisée par les dénonciateurs de l'impérialisme étatique dominant (américain pour l'heure) use d'un positivisme qui les pousse à se réfugier dans le factuel pour évacuer l'interprétation (technique classique du positivisme). Qui aborde les thèmes de l'oligarchie, de l'Etat-nation et des théories de destruction des Etats-nations (au nom de l'impérialisme postmoderne) parmi les plus écoutés et remarquables intellectuels dissidents et contestataires (comme Chomsky)? C'est le signe que l'on cherche à dissoudre la contestation anti-impérialiste dans le simplisme et dans l'erreur.
Tel est l'enseignement le plus important de la géopolitique actuel : non seulement l'impérialisme américain est une ineptie; mais le sujet fondamental réside dans l'opposition entre les Etats-nations et les factions. Soit que la querelle est atavique. On en retrouve un avatar fondamental dans l'Antiquité avec l'opposition de l'aristotélisme au platonisme, soit de l'oligarchie au républicanisme. Au passage, en référence à un célèbre tableau, Aristote ne montre pas seulement la terre concrète quand Platon indiquerait le ciel idéal.

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A la lumière des résultats calamiteux de l'oligarchie, j'insinuerais que Platon montre le chemin de la croissance (l'espace), alors qu'Aristote indique l'enfer pavé de bonnes intentions (la terre fixe et sclérosée). C'est aussi le résultat très aristotélicien (et positiviste) de nos actuels spécialistes et experts en anti-impérialisme américain qui, sous prétexte de dénoncer l'impérialisme effectivement indéfendable, en arrivent à réhabiliter le véritable impérialisme qui est factionnel, oligarchique, antiinstitutionnel et contre les Etats-nations. Ce n'est pas le moindre mérite des factions que d'instaurer la fiction comme un efficace écran de fumée qui leur permet de dévier la contestation sur des formes mal identifiées, voire carrément hallucinatoires.

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