vendredi 17 décembre 2010

Le mythe de la Géhenne

Cette manière de considérer que la situation politique, sociale, économique, aussi catastrophique soit-elle est inévitable, qu'on ne peut rien y faire, qu'il est inutile d'agir, ce cynisme et ce pessimisme s'expliquent par l'adhésion insidieuse et déniée à la fin de l'histoire. Le concept vise le triomphalisme hégémonique et unilatéral que le libéralisme lance depuis l'effondrement de son ennemi complice - le communisme.
Et cette appellation simpliste, impérialiste, implique tous les concernés par le libéralisme : autant les acteurs de haut niveau désignés par l'expert Fukuyama - que les victimes du libéralisme, les peuples (surtout les classes moyennes). Bien entendu, la fin de l'histoire concernerait au premier chef les bénéficiaires du système libéral, soit ceux qui dominent et ont gagné en niveau de vie avec l'avènement de cette fin de l'histoire inégalitariste et oligarchique (suivant les dogmes d'un Friedmann et l'inspiration de von Mises ou Hayek).
Ce sont ces catégories socio-professionnelles que l'on incrimine en premier lieu, jusqu'à les rendre totalement responsables de l'inégalitarisme, c'est-à-dire en scindant la responsabilité effective de tous les membres pour n'incriminer que les gagnants (une partie jouant le bouc émissaire pour le tout). C'est un peu comme si l'on affirmait que seuls les gagnants du loto ont joué au loto. Cette manière de procéder par une sélection intéressée et parcellaire, sorte de critère aberrant et haineux, ressortit de la déformation qui tend vers le bouc émissaire : on rend seulement responsables les gagnants dans une distorsion qui permet d'innocenter plus encore que de déresponsabiliser les participants.
Pourtant, tous les participants sont à incriminer. Les rares gagnants comme la plupart des perdants. Dans cette hypocrisie, les participants sont les premiers à sélectionner les gagnants (bénéficiaires) comme les seuls responsables, alors que c'est un moyen pour eux de se dédouaner d'une action qu'ils ont commise aussi, à laquelle ils ont participé et dont ils payent les pots cassés. Dans cette fin de l'histoire, tous les participants à la farce ont joué. Maintenant que la majorité insigne a perdu (le libéralisme a fait faillite), elle cherche un bouc émissaire pour se laver les mains. Se défouler.
Bien sûr, les bénéficiaires sont à incriminer, au premier rang desquels les salauds, ceux qui se félicitent de l'inégalitarisme, et l'exacerbent même; mais la responsabilité inclut en son sein les responsables passifs : ceux qui soutiennent contre leurs intérêts le principe de l'oligarchie. Tous les participants au grand jeu de la fin de l'histoire sont responsables du visage de la mondialisation, qui abouti à cette fin sinistre. Dévastation. La fin de l'histoire a certes toutes les bonnes raisons d'être approuvée par ceux qui bénéficient de ses applications. A y bien regarder, les autres ne s'opposent pas aux principes pourtant nuisibles de cette fin de l'histoire; au contraire, ils y participent, non pas activement et directement, encore moins consciemment, mais comme une victime s'aveugle sur sa propre défaite.
En l'occurrence, les masses participent à la fin de l'histoire en adhérant à des valeurs négatives et défaitistes comme la dépolitisation ou l'individualisme. Le premier défenseur du bouc émissaire sera le bouc émissaire lui-même. C'est la victime qui légitime sa propre défaite. Cette curieuse propension à défendre les raisons qui vous détruisent s'explique par la théorie ontologique que soutient la fin de l'histoire : si théorie de la fin de l'histoire il y a, c'est que l'état qui suit ladite histoire est le règne de la staticité conçu comme éternité.
Au passage, c'est le fantasme du nihilisme que de fonder cet état fixe et immuable qui implique un quelque chose contradictoire, avec cette précision que l'identité en question n'est pas la fin de l'histoire dans un quelque chose, mais la fin de l'histoire dans le néant pur. Autrement dit, la véritable identité de la fin de l'histoire, c'est la destruction. Ceux qui souscrivent à la dépolitisation et à l'individualisme sanctifient sans mesurer leur forfaiture des valeurs nihilistes, qui les mènent immanquablement vers la destruction.
L'histoire désigne le changement. La fin de l'histoire (la fin du changement - mais aussi : la fin du réel) recèle une délicieuse polysémie, puisque si dans un sens expert et posthégélien, on désigne la fin de l'état inférieur menant au règne supérieur de la raison; dans un sens premier et plus lucide, la fin de l'histoire signifie rien moins que le terme du quelque chose avant le néant. A vrai dire, c'est une appréciation trop sévère, car il pourrait fort bien subsister d'autres formes d'existence que l'histoire donnée. La fin de l'histoire désigne moins la destruction généralisée que la destruction d'un certain ordre.
Si la fin de l'histoire désigne l'idée d'un accomplissement dans lequel l'histoire serait abolie parce que l'homme aurait trouvé une valeur supérieure qui signifierait le règne viable de l'individu triomphant et l'abolition de contraintes comme la politique ou le religieux; en réalité, cette attente est fausse, car la fin de l'histoire désigne un masque. Derrière la propagande triomphaliste, on trouve le néant. C'est comme si on vous disait que la mort est le vrai visage de ce qui se présente comme le bonheur de vivre.
Pourquoi les gens adhèrent-ils à des valeurs qui se détruisent et leur sont nuisibles? Pourquoi adhérer à la fin de l'histoire si cette fin sonne comme une tragédie - un suicide consternant? Parce que ces valeurs se donnent pour autres que ce qu'elles sont. Elles sont véritablement la destruction, le chaos et le néant, mais si elles se donnaient comme telles, personne n'y adhérerait. Enfin - presque personne. On trouvera toujours de grands seigneurs pervers qui vous affirmeront être favorables à cette situation d'inégalitarisme nihiliste du moment qu'ils en jouissent à court terme. Après moi, le déluge. Par temps de neige : la luge.
On trouve un exemple passablement désaxé et surchauffé de ce cas avec le blog de Roland Jaccard, qui se présente comme un nihiliste explicite alors que le propre du nihilisme est justement d'être masqué. Jaccard le grand éditeur de la place parisienne, un parangon de ce que donne la loi du plus fort quand on domine. Une catastrophe masquée en cynisme. Le système de notre Jaccard pathétique plus que patibulaire, presque Jacquouille réincarné, mène rapidement vers le bordel (sens propre comme figuré). On peut prendre la pose esthétique et décréter que c'est justement vers cet état qu'il faut tendre, il n'empêche qu'une telle attente est chimère - le nihilisme repose sur l'utopie quand il tend vers la cohérence.
Mais si ces valeurs se donnent pour autres que ce qu'elles sont, dans une différance dont une ordure philosophique comme Derrida incarne la démarche contemporaine, c'est parce que le seul moyen que l'homme a trouvé pour tendre vers l'éternité, du moins en tant qu'homme, dans la forme de réel qu'il connaît, c'est de détruire toute autre forme d'existence que la présence : que le présent. Le présent du nihilisme revient à la destruction. C'est le programme de Nietzsche (plus que de Hegel) que réalise la modernité ultralibérale avec le lapsus d'un Fukuyama : l'Eternel Retour de Nietzsche, subversion de l'appellation stoïcienne et antique, consistant dans une opération psychologique (émanation du désir spinoziste), propose deréaliser (de manière il est vrai fantasmatique) sa vie en la répétant l'infini.
Je passe sur cette proposition fort tarabiscotée, qui mène vers l'impossible, et qui montre que Nietzsche, contrairement à un Jaccard faux nihiliste et vrai hédoniste, est un nihiliste conséquent - donc inconséquent. L'Eternel Retour consiste bien à ne conserver du devenir que le présent et à le multiplier à l'infini, avec cette idée supplémentaire (et clairement folle) selon laquelle cette opération mentale est un test psychologique sans application pratique envisageable. Il manque une cohérence à cette théorie et pourtant, c'est la seule proposition d'éternité positive à laquelle aboutit le nihilisme.
La fin de l'histoire équivaut à la destruction du temps pour ne conserver que le présent. Opération impossible et criminelle, qui est ontologiquement l'équivalent social de l'ultralibéralisme inégalitaire, consistant à autoriser une oligarchie à profiter du gâteau aux détriments de l'insigne majorité. Les gens adhèrent à l'impossible parce qu'ils tiennent l'impossible pour possible.
Cette confusion intervient parce que l'amalgame est entretenu au sujet de l'identité entre être et non-être. Les gens ignorant ce qu'est l'être, ils ne se rendent pas compte de la dangerosité de ce qu'ils appellent l'être et qui est le non-être. Pour eux, la fin de l'histoire est possible parce la différence entre l'être et le néant n'est pas cernée. Ce qui engendrait l'épouvante des Anciens est aujourd'hui balayé d'un haussement d'épaules sous le nom de superstition (voir le point de vue soi-disant rationaliste de Spinoza à ce sujet), parce les gens ont adopté une mentalité nihiliste moderne - sous les traits de l'immanentisme.
L'erreur d'appréciation n'est fondamentalement possible que parce que les gens estiment que ce qu'ils prennent pour le néant est une donnée positive. Le néant serait l'élément qui permettrait au présent en tant que manifestation unique et supérieure de l'être de signifier la fin de l'histoire. La destruction serait ainsi créatrice au sens du chaos créateur qui régirait la loi du réel. Cette conception ne repose pas sur du rationnel, mais sur le culte du contradictoire. Dans cette mentalité, l'être et le néant sont des entités antagonistes et secrètes. Le moyen pour l'être de se hisser vers le surréel (au sens où Nietzsche parle de Surhomme) consiste à détruire ses parties inutiles pour augmenter qualitativement. Le moyen de déterminer l'inutile n'est pas théorique, mais pragmatique : c'est ce qui sera détruit dans la pratique. La création destructrice, telle qu'elle fut théorisée par Nietzsche et reprise par ses successeurs contemporains, signifie rien moins que l'amélioration qualitative du réel.
Le créateur nietzschéen est celui qui améliore la qualité du réel en le détruisant. Théorie sans doute fumeuse, typiquement postromantique, mais théorie qui parcourt la contemporanéité, et qui a imprégné toutes ses modes : que ce soit la folie nazie à un extrême ou les postmodernes gauchistes; gauchistes antimarxistes de l'autre côté. Cette contamination se retrouve avec les ultralibéraux qui essayent de parvenir à l'unicité nécessaire du réel en détruisant ce qui peut être détruit, avec l'idée que ce qui restera demeurera viable.
Justement, si la majorité est promise à la destruction pour permettre l'amélioration qualitative du réel, elle ne s'en rend pas compte parce qu'elle estime que cette destruction est positive. Les victimes de la destruction adorent la destruction en tant qu'elle personnifierait la forme supérieure aux affres passés : au lieu de la politique - l'individualisme, la fête, l'insouciance... Ces valeurs consternantes (quand on prend du recul) provoquent actuellement la destruction prévisible du réel tenu pour inutile. Ceux qui sont promis à ce sacrifice nécessaire et inévitable ne se rendent pas compte du problème, comme les moutons de Panurge ne se rendent pas compte qu'en suivant leur prédécesseur immédiat, ils foncent dans l'eau et se vouent à la noyade. Le mimétisme bloque les facultés de critique et de jugement en limitant ce qui existe au présent.
Si seul le présent existe, alors le mouton bêlant fonce tête première dans l'eau puisque seul existe à l'indéfini le moment présent où il est encore sur le bateau. L'illusion engendrée par l'anesthésie critique provient de la confusion entre l'être et le néant - l'idée que suite à l'effondrement de l'Etre (le "Dieu est mort" de Hegel et Nietzsche), le néant pur peut coexister avec l'être, dans une théorie proche de l'atomisme de Démocrite d'Abdère. Pourquoi Platon a-t-il voué une telle haine à Démocrite?
Parce qu'il percevait que cette théorie inconséquente et irrationnelle était parée du masque de la séduction - à cause de son savoir et de son éloquence? Si les Anciens ont perdu providentiellement les écrits de Démocrite, c'est qu'ils avaient compris le danger suicidaire et destructeur de cette théorie. Cette théorie indique que l'antagonisme détruit pour mieux créer - la destruction menant, non au néant pur, mais à de nouvelles formes d'êtres. Raison pour laquelle Platon identifie le non-être pour l'englober dans l'Etre.
Si l'antagonisme détruit, c'est que les contraires n'existent que dans le fini, jamais dans l'infini. On ne trouve de finitude que dans un modèle fini. C'est la contradiction qui engendre la disparition de l'esprit critique. C'est parce que la contradiction fausse le réel qu'elle fausse le jugement. Sous le coup de l'esprit de contradiction (ainsi que la formule en atteste l'existence, typique de la phase adolescente), l'individu perd le jugement et bascule dans la fin de l'histoire. L'histoire consiste à surmonter les contradictions, dans une anti-entropie qui élimine l'option stabilisatrice (et nihiliste) d'un Hegel. Le processus historique est indéfini et infini.
C'est dans une mentalité nihiliste que l'on tient le réel comme fini et stable, ce qui implique la révolution ontologique de type entropique : faire muter l'homme dans le même environnement (le même réel). Théorie passablement désespérée et plus que branlante : bancale et ivre. La fin de l'histoire en est le terme au sens où cette manière de procéder en abolissant les contradictions mène vers la destruction. Contradiction = destruction. L'équation est limpide. Que les populations moutonnières en acceptent le prix à payer vient de l'anesthésie de leur jugement. De la destruction de leur esprit critique en esprit moutonnier?
Adhérer à la contradiction = détruire son jugement. Cette autre équation explique pourquoi il s'avère aussi difficile de passer d'un modèle de contradiction à un modèle de création : justement du fait du changement étranger que la destruction implique. Qui se détruit entraînedéjà le changement de sa propre forme vers d'autres formes. L'individu qui se détruit détruit son individualité en entraînant la production d'autres formes. Le nihilisme déboucherait sur la destruction de l'homme - pas du réel ou de ce qui existe. Au final, on rompt le lien avec la perpétuation des formes identiques et l'on encourage la production de nouvelles formes.
L'erreur du nihilisme consiste à prendre ce qui est pour ce qui n'est pas, soit la quête de l'éternité en lieu et place de la destruction (la fin de l'histoire). On adhère au contraire parce qu'on mélange les contraires en adhérant à la contradiction. Le négatif devient le positif au nom du principe de contradiction présenté comme supérieur au principe de non contradiction. Cette confusion est perte en ce que l'être perd le reflet et détruit son rapport à l'infini pour accéder au fini pur. Le nihilisme détruit l'être en identifiant mal la forme du néant.
C'est une conception qui nie l'infini et qui identifie l'être fini. Du coup, il passe à côté du reflet et perd sa dimension réelle. La destruction signale la menace vis-à-vis du réel. Le nihilisme est la doctrine qui menace le réel. La différence entre l'homme et l'animal tient au fait que l'animal n'a pas accès à l'infini (d'où son apologie par les immanentistes). Sa stabilité se fait au détriment de sa longévité, tant individuelle qu'au niveau de son espèce. Si l'homme veut contrefaire l'animal, il dégénère, car l'animal n'a pas accès à l'infini et perd en stabilité, pérennité et adaptation. L'accès à l'infini est un plan qualitatif. Rien n'indique qu'il n'existe pas d'autre accès qualitativement supérieur.
Quand l'homme est privé d'infini, il détruit, du fait que dans le fini, il convoque le processus du reflet à l'oeuvre dans l'infini : il n'apprivoise plus l'infini, mais le restitue de manière étrangère et non transformée (inchangée). L'animal n'aura jamais accès à cette faculté de réflexion (réfléchir dans tous les sens du terme), qui est création. Il est dans le mimétisme (l'instinct) et ce qui lui procure un gain immédiat le prive d'un avantage considérable sur le terme. Il se trouve gagnant immédiatement, perdant qualitativement.
L'animal possède un faculté en moins, qui est une connaissance du réel en moins. L'attrait que lui trouve le nihiliste indique l'erreur du nihilisme : le fait de produire une représentation du réel inférieure qualitativement sous prétexte de réussir à identifier la vérité, soit le réel. Qu'est-ce que le réel selon le nihilisme? C'est l'identification de l'être et du néant. Soit l'identification des deux finis au nom de l'identité du fini.
Le nihilisme se trompe lourdement sur l'identité du néant après avoir déterré l'existence du néant : il soulève le lièvre le plus intéressant contre le transcendantalisme, et, en même temps, il propose une réponse grotesque et saugrenue. La passion qui meut le transcendantalisme, c'est la connaissance. Il se fourvoie radicalement, parce qu'il est scandalisé de ne pas connaître. La Genèse reprend des thèses riches sur ce thème venant de cercles mésopotamiens particulièrement inféodés au nihilisme et à l'impérialisme - donc experts en la matière.
L'arbre de la connaissance qui engendre la chute originelle est le fondement cardinal autour duquel s'opère la scission atavique entre nihilisme et transcendantalisme. La chute vient moins du désir de connaître que du refus de ne pas connaître. Autrement dit : l'erreur nihiliste consiste moins à vouloir savoir qu'à décréter, à la manière d'un élève caractériel, que l'on sait tout.
Tout connaître, c'est l'idée que l'existence est enfin supportable, alors que la récrimination principale du nihilisme, c'est que l'ignorance la rend insupportable. Le nihilisme préfère se tromper du tout au tout que de ne pas savoir. Il confond connaissance et savoir et modèle le réel à son image en refusant justement que le réel excède l'homme ou que l'homme en soit qu'une partie du réel. La récrimination du nihilisme selon laquelle on ne peut verser dans le ressentiment quand on accrédite les thèses de l'affirmation de l'immédiat et de l'apparence (pour s'exprimer comme Nietzsche) est aussi projection que le reproche adressé au platonisme d'incarner le dualisme métaphysique faux.
Cette confusion multiple doit être replacée dans son contexte quand on comprend que l'amour de l'immédiat est amalgamé à l'amour du réel, notable différence; et que cet amour de l'immédiat qui est haine du réel se travestit ensuite en amour reprochant à son adversaire la haine. Pourtant, le transcendantalisme n'est pas haineux en constant que la connaissance du réel ne peut jamais être totale, définitive, figée et complète du fait de la structure dynamique du réel qui implique que le réel sera à jamais incomplet et en voie de construction.
Du coup, la connaissance complète est un leurre dangereux, car elle mène à la destruction de l'homme sous prétexte de tout savoir. La supercherie consiste pour tout savoir à réduire le réel aux bornes du savoir possible pour l'homme. Le savoir nihiliste est une fraude, comme le mythe de la complétude immanentiste dont on peut constater qu'il n'existe pas et qu'il n'a rien trouvé. Fondamentalement, Spinoza est un saint imposteur, comme Nietzsche et comme la ribambelle dégradée et consternante des postmodernes qui se réclament de... Nietzsche et de Spinoza pour démolir la vérité et imposer leur savoir sophistique.
C'est dire que l'adhésion irrationnelle des moutons pour la voie qui les détruit remonte à une tendance originelle de l'homme : celle qui consiste à décréter que si la connaissance du réel n'est pas possible à partir du réel, on peut opérer un décentrement narcissique et décréter que le réel se limite à l'homme. C'est typiquement ce que fait Aristote quand il décrète qu'il possèdepresque (noter l'ironie délicieuse) l'intégralité du savoir humain et c'est avec un pas supplémentaire que l'immanentisme identifiera le savoir avec le désir : le désir est l'expression radicale mais fidèle de ce qui est humain et peut être connu.
Pourquoi les hommes adhèrent-ils à des projets qui les détruisent de manière prévisible et annoncée? Mais parce qu'ils veulent savoir et qu'ils sont prêts à tout pour un peu de certitude. C'est ce qu'expliquait Rosset pour commencer son Principe de cruauté, sauf qu'après avoir identifié cette passion pathologique (au sens balzacien), il propose comme remède le nihilisme le plus destructeur, avec apologie de l'homme-animal et autres balivernes consternantes. Raison (principale) de la mésinterprétation du mythe de la connaissance dans La Genèse, telle que s'empresse (toujours) de le faire Rosset pour mieux démonter le religieux et proposer son immanentisme avarié et destructeur.
La connaissance n'est pas mauvaise en soi, comme l'interprète Rosset avec son savoir humain en trop; elle devient mauvaise quand elle se mue en savoir figé et morbide. Le savoir n'est pas mauvais en soi, mais devient nuisible quand il remplace la connaissance dynamique. La dynamique s'oppose au figé : l'idée que le réel n'est jamais complet, jamais stable. L'erreur du nihilisme est de nier le réel tel qu'il est pour forger un réel qu'il serait - réel désiré. On passe de la raison au désir, parce que ce que le nihilisme appelle réel est une réduction du réel au désir humain et une incompréhension de la dynamique.
Le nihilisme croit en la certitude alors que la certitude est un mythe. La connaissance dynamique implique que la certitude soit un mythe, que le réel ne soit jamais définissable car jamais défini - fini. Si l'homme de savoir impressionne jusqu'au pédantisme, c'est parce qu'on adhère à la certitude (comme définition du réel). On est fasciné par celui qui sait avec certitude. Pour autant, la certitude n'existe pas. La dynamique implique l'incertitude. L'homme de savoir, aussi impressionnant soit-il, se trompe et trompe quand il sait avec certitude. Cas d'un Aristote comme couronnement du savoir sophiste dans l'Antiquité.

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