lundi 20 décembre 2010

Contre-littérature


"La mise en valeur de ce qui était plutôt sous-culturel dans les années quatre-vingts, c'est là au moment où je suis apparu si vous voulez..."
Nabe, Arrêt sur image, D@ns le texte.

Dans l'émission tout à fait bobo D@ns le texte de la chaîne câblée Arrêt sur images fondée par le faux critique Schneidermann, l'écrivain pour adolescents postmodernes Nabe empile les perles. Il est toujours irritant de supporter le discours d'un type congestionné par son égo surdimensionné, qui se compare sans rougir avec Dostoïevski ou Gogol, alors qu'il est au mieux un symptôme de son temps. La journaliste en face, Judith Bernard, l'a mouché en lui expliquant qu'on n'a pas besoin d'être écrivain pour avoir un peu d'esprit critique. Elle lui a rappelé que le roman L'Homme qui arrêta d'écrire est plus vain que mauvais.
Ca fait du bien, un peu de vérité parcellaire et épisodique dans les médias, même si Nabe, après avoir été boycotté, continue à être subitement cité comme référence (ambiguë) d'une époque troublée et décadente - en grande partie parce que Nabe participe aux rengaines déversant les sornettes sur les conspirationnistes d'Internet. Nabe surgit au moment où l'Occident bascule dans un processus d'extrémisation politique, qui a commencé avec les néoconservateurs et qui se poursuit avec les libertariens. Au passage, répétons qu'un écrivain qui prétend décrire son époque et qui ne comprend rien à l'événement catalyseur de son époque passe à côté d'elle. Il énonce un contresens vertigineux qui en dit long sur son identité. En se plantant du tout au tout sur le 911, Nabe n'a pas commis un petit faux sens anodin; il a signé un magnifique roman de contre-culture, anti-édité et promu par les pires figures du système qu'il entend combattre.
Cherchez l'erreur. La journaliste remarque avec pertinence que Nabe passe un temps fou à démystifier ce qui n'est qu'un mythe peu représentatif de son temps, ces milieux branchés de Paris entre show-business et boboïtude. Cette erreur de Nabe vient de ce qu'il croit que lespeople représentent le peuple (et qu'il appartient à la catégorie enfants terribles des people). Nabe est plus proche d'Angot qu'il ne le croit. Il illustre la dérive oligarchique consistant à considérer que la représentation démocratique passe par l'immobilisme social : en gros, lespeople sont appelés une fois pour toutes à représenter des tendances populaires. Raison pour laquelle Nabe est un écrivain si immobile? En tout cas, c'est un écrivain oligarchique, dont l'anarchisme est oligarchique et la métaphysique irrationnelle.
Nabe ne comprend pas parce qu'il n'a pas réussi à sortir de ce milieu qui est le sien et qu'il hait sans distanciation. A la différence de Proust qui indique la décomposition des élites germanopratines (et oligarchiques), Nabe est ce chroniqueur mondain qui déteste le monde qu'il côtoie tout en en étant un représentant farouche. Sinon, comment expliquer cet ultraindividualisme exacerbé, franchement puéril, qui recoupe le romantisme adolescent de l'écriture, et qui connaît une médiatisation tardive et inespérée au moment où le système libéral s'effondre et accouche en guise de prolongement terminal du moment libertarien infect et franchement fasciste?
Puis cette même journaliste Bernard durcit le ton et demande à Nabe si à force de décrire un Paris crépusculaire et mortifère, ce ne serait pas lui le zombie, le mort et le détruit. Hypothèse psychologique sans doute fine, mais qui indique quel est le symptôme de Nabe, pourquoi cette débauche surannée, finalement touchante, d'arrogance et d'égotisme : par sa contre-littérature adolescente et boursouflée de narcissisme puéril, Nabe incarne l'effondrement du système. En tant qu'écrivain, il joue le rôle du Grand Ecrivain bourgeois rebelle qui n'a pas compris que la catégorie assez récente du Grand Ecrivain a disparu et que seuls des zombies subsistent dans ce pari crépusculaire : ce que Nabe décrit, ce n'est pas Paris ou le peuple, c'est le milieu oligarchique qu'il côtoie.
Ne nous y trompons pas, Nabe est des zombies; un zombie surexcité et vindicatif, mais un zombie. Si Nabe ne parvient à recevoir cette critique, s'il recourt à la figure déculpabilisatricede la projection pour projeter sur ses semblables ce qu'il est lui surtout, un mondain arrogant et un médiocre écrivain, c'est le signe fort qu'il n'a pas su opérer de distanciation littéraire et qu'il incarne une sorte d'antiproustisme exemplaire - au sens où Proust est devenu un grand écrivain en se démarquant des snobs qu'il fréquentait, alors que Nabe au contraire est un snob qui se moque des snobs, comme un Daudet, et sans parvenir à sortir du cercle vicieux de la projection.
Signe que Nabe se plante sur l'essentiel : en tant qu'écrivain, Nabe aurait dû saisir l'originalité d'Internet, surtout lui qui se vit comme paria de la République des Lettres. Mais ni lui, ni ses fanatiques typiques de la contre-culture n'ont réussi à capter le suc d'Internet, l'innovation Internet, parce que Nabe est resté proche de ceux qu'il déteste comme ses frères et qu'il voudrait tenir éloignés comme des ennemis. Il serait temps de rappeler que Nabe est demeuré proche de Sollers, son mentor d'un temps, et surtout qu'il a recopié en moins bien Matzneff, dont il ne parle (presque) jamais, alors que Matzneff n'est pas un grand écrivain, mais un écrivain si supérieur - à Nabe.
Ne rien comprendre au 911, rien à Internet, rien à l'écriture : Nabe exprime de manière paroxystique un condensé des préjugés et des stéréotypes contemporains sur la littérature et sur l'écrivain. Non, l'écrivain n'est pas confiné à la pose de l'écrivain bourgeois souffrant de son incompréhensions; non, le monde ne tourne pas autour du nombril de l'écrivain. Le genre de l'autofiction, auquel Nabe sacrifie sans avouer ses modèles, indique en tant que sous-genre mineur et passablement irritant (le nombril se commuant en sexe appel) cette dégénérescence de la littérature bourgeoise depuis les grands modèles auxquels Nabe se réfère jusqu'aux prolongement nauséabonds et souffreteux, dont Nabe est un cas d'école (à colle).
De la même manière que les libertariens sont les zombies harassés et éreintés du libéralisme croissant; de même Nabe est par l'autofiction un cas d'agonie de la figure de l'écrivain bourgeois dégénérant. Si on reconnaît un arbre à ses fruits, les productions de l'autofiction sont le signe que la littérature bourgeoise est arrivée à extinction et que les fruits qu'elle produit sont pourris sur la branche.
Réveillez-vous, le monde de la bourgeoisie et du libéralisme est mort. La littérature se trouve désormais sur Internet, plus dans les formats Gutenberg, qui bien qu'encore vivaces (le soubresaut de l'agonie) sont appelés à disparaître. L'antiédition est de la contre-culture. L'usage intéressé et profiteur que Nabe fait d'Internet indique à quel point il ne comprend rien aux productions de son temps, combien il reste prisonnier de ses mythes dépassés et caducs. Non, Internet n'est pas au service de l'égo de Monsieur Nabe, non le but d'Internet n'est pas de tisser des louanges au roman antiédité de Nabe. Le détournement d'Internet par Nabe est typiquement réactionnaire, puisque Nabe entend utiliser le futur pour le passé, comme si le passé étai éternel et le futur au service du passé.
Si Nabe n'a rien compris à l'art ou à Internet, c'st tout simplement parce que la littérature qu'il pond est de la contre-culture. Le propre de la contre-culture étant de figer, les innombrables chapelles de contre-culture ont pour caractéristique d'être figées dans un type donné et immuable. En l'occurrence, la contre-culture d'un Nabe, c'est l'autofiction. Nabe n'est pas anarchiste, écrivain ou musicien féru de jazz; tous ces prétextes lui servent à sculpter son moi et s'il parle autant, s'il coupe sans fin ses interlocuteurs, ce n'est pas parce qu'il a tort (seulement), c'est surtout parce qu'il pépie : "Moi, moi, moi".
Le cas Nabe est un cas de contre-littérature au sens où la cohorte plus ou moins stable desaficionados de Nabe estime que c'est en adhérant à l'univers de Nabe et aux valeurs de Nabe qu'elle découvrira la vérité sur la littérature et l'art. Tels des adolescents éternels, figure pathologique (vite psychiatrique) que crée la contre-culture, nos nabiens rarissimes et sourcilleux de leur avant-gardisme underground et éthéré estiment que leur culte du jazz ou de telle mode artistique leur ouvrent les portes subliminales de l'art, de la vérité - ou que sais-je.
L'imposture Nabe, que ce soit dans ses positions religieuses (un orthodoxe nihiliste et irrationaliste), dans ses engagements politiques (un anarchiste au fond proche du libertarisme) ou dans son écriture qu'il autoproclame divine (un styliste sans fond, très postmoderne), ressortit bien entendu de la catégorie de la contre-culture, spécifiquement de la contre-littérature. N'en déplaise aux fans transis et aveuglés, qui essaient de croire que l'affrontement est signe de l'excellence, le dialogue avec Judith Bernard indique que Nabe n'a pas le niveau. Ecrivain people, il est fait pour briller sous le feu des émissions à paillettes, où l'on se satisfait de l'étalage de la culture et de la prétention. Pour assurer ces valeurs, aucun souci, Nabe sait y faire. Mais dès qu'il s'agit de montrer en quoi il fait de la littérature, Nabe explose en vol et montre sa médiocrité : la contre-littérature n'est pas capable d'affronter le questionnement rationnel, même conformiste, comme celui de Judith Bernard.
Le truc de Nabe pour embobiner son monde, c'est de hurler comme un hystérique en promouvant sa technique rhétorique (de sophiste) comme l'expression du génie; à la considération, Nabe coupe et présente dans son langage violent des traces de sa mentalité néofasciste travestie en anarchisme vague et fumeux. Quand on subit le discours si significatif de Nabe, on comprend ce qu'est un éternel adolescent : un avorton d'homme, ce à quoi renvoiein fine le pseudonyme de Nabe, qui n'ayant pas réussi à tuer le père magnifié hurle sa haine.
Quand je pense que Nabe a le toupet d'oser créer une fausse polémique contre Houellebecq! On peut reprocher beaucoup à Houellebecq, certainement pas d'être un écrivain supérieur à Nabe. Houellebecq est un schopenhauerien qui restera peut-être comme un écrivain mineur et inégal, qui a sacrifié à la reconnaissance de son temps, mais c'est un écrivain qui a su capter le profond parfum de nihilisme qui hante l'époque et qui la rendra fameuse dans les temps futurs comme une ère de changement et d'instabilité.
Les pessimistes sont des consciences sélectives qui captent une part du réel qu'ils isolent, qu'ils déforment et dont ils prétendent faire la réalité. Ils ne voient dans le changement que l'aspect de destruction et ils en concluent que selon l'étymologie du pessimisme, le monde va de pire en pire (dans la doctrine exacte de Schopenhauer, c'est moins le pessimiste qui est promu que l'absurde). Le pessimisme est le voile élégant de l'absurde au sens où l'absurde exprime l'idée d'immuabilité nihiliste, quand le pessimisme induit que l'état ontologique empire sans cesse, sans que cette dégradation constante n'engendre le chaos. Le pessimisme étymologique n'est pas cohérent, puisqu'il implique une contradiction dans les termes : il faut bien une stabilisation de l'état naturel. Or le pessimiste fait mine de réfuter cet état stable.
Nabe croit dans cette stabilité ontologique, avec la naïveté du contre-écrivain. Il faut être un éternel ado comme Nabe pour estimer que les people peuvent représenter le peuple - ou que l'anarchisme qui plus est terriblement cabotin qu'il revendique peut être une posture philosophique. C'est la particularité des bobos que d'avoir engendré socialement l'art de la contre-culture, au sens où l'artiste est celui qui sait mettre en lumière ses petites émanations individualistes et égostistes. Pas étonnant après que dans ce monde faux, Nabe voit flou : prisonnier de ses hallucinations sociales et philosophiques, il croit vraiment que le monde est le monde et que le peuple est le people. Il serait temps de se réveiller, de mesurer le décalage entre le monde qui s'effondre (celui de l'Hyperréel) et le réel. Même si c'est pour se rendre compte qu'après une nuit de débauche et d'ivresse on a claqué son fric en boissons et vanités - et que le monde tel qu'il est ne correspond pas au monde tel qu'on le désire.

3 commentaires:

iytdik a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
iytdik a dit…

Et à part ça, tu arrives à en vivre de ton écriture sur Internet ? Ou alors peut-être disposes d'un autre job bien payé et pas trop chiant ? Combien de lectures enregistres-tu pour chacun de tes articles ?
Quel est ton secret par rapport à l'avenir ? Dis-moi tout.

iytdik a dit…

Pourquoi ne me réponds-tu pas ? Aurais-tu des sujets tabous ? A quoi bon l'interactivité d'Internet dans ce cas ?