dimanche 27 février 2011

L'impératif contradictoire

Principe de contradiction : comment expliquer la présence de la contradiction ou la présence de ce qui est mal? Qu'es-ce que le bien? Le bien désigne ce qui perpétue le réel. Et le mal définit ce qui détruit le réel. Mais le mal n'est pas viable en ce que la destruction n'est jamais une possibilité réelle. Je veux dire : à force de détruire des parties du réel, on finit par détruire le réel dans son ensemble et son intégralité. La destruction est obligée de disparaître de perdre face à la construction et la pérennité du réel.
Dans ce cas, la prophétique victoire du bien sur le mal, rengaine religieuse notamment relayée dans la Bible, n'implique pas que le mal disparaisse (et que la contradiction n'existe plus). C'est un voeu de paranoïaque que de souhaiter l'unilatéralisme des choses. C'est aussi la vision qu'eurent les ultralibéraux au moment de l'effondrement des communismes, avant la crise libérale terminale actuelle - quand ces naïfs et cruels délirants estimaient que la fin de l'histoire avait sonné. Oyez, oyez...
La contradiction est l'opposition entre deux contraires. A terme, on peut parler de l'opposition entre deux principes contraires, soit le bien et le mal en termes religieux transcendantalistes. Quand on pose comme principe de réalité le principe de non-contradiction, tout dépend quelle vision on pose du réel. Dans un principe statique de non-contradiction, la non-contradiction implique l'élimination de nature entropique de tout ce qui est contraire. Le critère retenu pour décider de la contradiction est alors la classique loi du plus fort telle qu'elle fut dénoncée avec brio par Platon.
Tout autre est le principe de non-contradiction dans un réel changeant et dynamique. Car la non-contradiction implique la production de nouveau pour dépasser l'état antérieur de contradiction et cette innovation ontologique suppose que le mal soit aussi nécessaire que le bien pour permettre le continuel dépassement cher à Hegel (dans une intention dévoyée et nettement fixiste). Ceux qui entendent faire progresser le réel en faisant disparaître le mal au profit du bien ne se rendent pas compte que le fonctionnement du réel implique l'existence antagoniste et conjointe du bien et du mal.
Dans une conception anti-entropique, le mal est la donnée qui permet de susciter le changement par le dépassement (la croissance). Sans mal le bien serait perdu. L'hégémonisme unilatéraliste cher à la fin de l'histoire (et autres sornettes du même acabit) entend façonner un monde où seul le bien serait conservé, alors que le mal serait à jamais épuré. Cette sélection qui se fait au nom (mensonger et partial) de la nécessité mérite d'être démasquée par le principal mérite que s'attribue le nihilisme : exprimer la totalité du réel et non pas une partie.
Et pourtant, l'examen des différentes doctrines nihilistes indique à chaque fois que la totalité est partielle : que l'être énoncé comme enfin total côtoie de manière irrationnelle le non-être. Cas d'un Démocrite, qui ne craint pas d'opposer l'infini de l'être à l'infini du non-être. Le seul moyen d'expurger le réel du mal est d'adhérer au nihilisme, soit à l'idée fausse selon laquelle le réel peut se résumer à une seule voie. Encore que : cette unicité nécessaire (unicité et nécessité sont synonymes) n'est que l'unicité nécessaire de l'être qui évite le plus souvent et soigneusement de rappeler qu'il est unique dans la sphère exclusive de l'être, mais qu'il coexiste aussi avec le non-être.
Quant à ceux qui se placent de manière fanatique dans la sphère opposée au nihilisme, dans la continuité du transcendantalisme, ils ont tendance à estimer qu'il est souhaitable pour le réel que le mal disparaisse, avec cette constatation que l'homme progresse par des découvertes continuelles ou par son niveau de vie. Pour eux, le bien doit triompher du mal au point que leur combat et leur cause contribueront quoi qu'il arrive à la régression puis la disparition du mal.
Il est hautement souhaitable que le mal ne s'estompe pas, sans quoi le réel entrerait dans une configuration au départ timidement statique, puis rapidement destructrice et suicidaire. Ceux qui estiment qu'il entre dans l'intérêt dynamique du réel d'imposer la disparition du mal et le triomphe de leur bien sombrent dans l'unilatéralisme aveugle et illusoire sans se rendre compte que le fanatisme contredit les positions antinihilistes dont il se prévaut ordinairement. Mais un fanatique est toujours nihiliste, ce dont attestent tant les destins des fanatiques de bord nihiliste que ceux, plus inattendus et plus nombreux, de fanatiques de bord transcendantaliste.
L'existence du mal est tout à fait nécessaire pour la poursuite du cours du réel. Dans l'explication transcendantaliste (de nature hypothétique), le mal permet le changement en tant qu'il est l'imperfection contenue dans la perfection de la complétude. Mais l'on ne parvient pas à expliquer cette complétude qui renvoie au bien. Pourquoi le bien contient-il le mal - pourquoi l'incomplet est-il contenu dans le complet?
La dialectique ouvre sur l'incomplet ou se trouve tournée vers le statique et le figé. Soit le dialectique platonicienne, de type classique où le dialogue engendre le changement; soit la dialectique hégélienne qui prétend achever et parfaire la dialectique classique et qui engendre surtout la fin du changement et les prémisses du nihilisme. L'incomplétude se trouve inexpliquée et inexplicable dans l'hypothèse transcendantaliste - et c'est sans doute le principal contre-argumnet à opposer au transcendantalisme.
Dans un modèle de type néanthéiste, qui tient compte de la vague de changement actuelle, l'incomplétude se trouve restaurée. La contradiction est le moment qui engendre l'anti-entropie ou le changement par l'ouverture incomplète du modèle. La contradiction est restaurée par la bipolarité du reflet. Loin de réfuter la contradiction au profit d'un modèle d'exclusivité à partir du seul principe du bien, le néanthéisme défend l'idée que la pérennité du réel provient de la valorisation conjointe et connexe de la contradiction. Il est impératif, de manière catégorique, que la contradiction soit encouragée et que ce que l'on nomme mal soit conservé. Et ce pour au moins une raison : on ne sait jamais à l'avance si ce qui es considéré comme mal dans un certain système ne sera pas appelé avec le changement à être considéré par la suite comme bien (ou normatif).

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