jeudi 2 juin 2011

Sale salut

La volonté générale est à l'image des membres qui la composent. Elle en est le reflet représentatif. Quand une société ou une culture vont mal, il ne sert à rien pour déculpabiliser d'opérer une distinction hallucinatoire entre les membres et la volonté générale. Si l'Occident est actuellement en crise, c'est que les membres de ces sociétés sont eux aussi en crise. L'affaire DSK nous pose une question concernant la mentalité des membres des sociétés dominantes occidentales.
Et cette question ne se borne pas seulement à l'Occident, car la fascination pour ce genre d'hommes politiques carnassiers et hypocrites s'étend à l'ensemble du monde. Comment les Français ont-il pu se montrer aussi fascinés par un type dont on savait non seulement les travers privés (on ne voulait pas les connaître); mais dont le véritable scandale tient à la corrélation entre la violence privée et la violence publique? DSK était (je parle au passé) un homme politique connu pour son engagement dans l'ultralibéralisme. Qu'est-ce que l'ultralibéralisme?
DSK incarnait une forme internationale de subversion du socialisme en socialisme ultralibéral. Il inspirait et cautionnait des politiques très destructrices et agressives à la tête du FMI, notamment à l'encontre des pays de la zone européenne en faillite, comme la Grèce. L'entourage idéologique de DSK exprimait la trahison du socialisme à la solde du libéralisme le plus agressif. La chute de DSK en tant que violeur est surtout une bonne nouvelle politique. Elle ne doit pas seulement contenter les peuples du monde promis à sa férule de petit marquis de la cour. Le socialisme est le grand gagnant idéologique de l'effondrement du personnage de DSK, car au-delà de DSK, le traître des Jaurès, Blum et Mendès-France, c'est l'ensemble des socialistes-libéraux qui se trouvent menacés de discrédit (peut-être pas aussi violent) après cette humiliation médiatique symbolique.
La fascination qu'a engendrée un DSK de par le monde, singulièrement en France, indique que les membres de nos sociétés mondialisées sont fascinés par le libéralisme. Si le libéralisme domine, c'est parce qu'il se trouve soutenu par les membres des sociétés dominantes d'Occident. Un DSK incarnait la domination la plus présentable et excusable pour un individu moyen : non pas l'apologie débridée et franche de la domination, mais la domination travestie en égalitarisme. De même que le libéralisme cautionne la loi du plus fort par son irrationaliste loi de l'équilibre entre l'offre et de la demande (la fameuse main invisible); de même la domination socialiste prétend expliquer que tout le monde peut dominer, dans une extension et une ouverture possibles pour tous.
DSK incarnait ce discours mensonger promettant que tout le monde domine à condition au préalable que l'on domine soi-même en premier - sachant que la domination ne peut être qu'inégalitariste et forcenée. Les Français symbolisent cet impérialisme qui profite à l'Occident dans son ensemble. L'impérialisme est d'autant plus injustifiable qu'il intervient en période d'effondrement - de manière encore plus virulente et agressive. D'où l'intérêt pour la manière douce de légitimer la domination par la promesse de son extension, voire de son universalisation.
L'ultralibéralisme de gauche est porté par la séduction politique. La possibilité qu'il existe une puissance et une domination générales accroît l'horizon du bien-être commun. Nous sommes à mi chemin entre le programme de Spinoza et celui de Nietzsche : Nietzsche dit plus explicitement que la domination ne peut être que l'apanage d'une minorité d'élus (les artistes aristocrates créateurs de leurs valeurs). Il s'y montre favorable en y distinguant le seul moyen de sauver le monde. La légitimation de la domination sincère se fait par l'argument selon lequel l'amélioration du monde passe par la domination minoritaire et cruelle.
Quant à Spinoza, il se montre plus elliptique. Selon lui, accroître sa liberté, c'est accroître sa puissance. N'est jamais expliqué comment l'accroissement de la puissance individuelle peut être collectif, étendu à l'ensemble des individus. Là est le moyen de légitimer la domination : on présente individuellement ce qui serait à envisager collectivement. Cette manière de rétrécir le sujet permet de le légitimer, puisqu'à partir de là, on peut légitimer l'inégalitarisme par l'angle d'attaque réduit.
C'est ainsi que procèdent les socialistes libéraux, dont DSK manifeste la gradation dans l'hypocrisie, lui qui est un farouche partisan du socialisme ultralibéral. On sait pertinemment que les termes socialisme et libéralisme sont des oxymores insurmontables. On ne peut pas être socialiste et libéral dans une acception rigoureuse des deux termes. Allais se présentait comme socialiste libéral, mais c'était pour amender fortement les deux idéologies de telle sorte qu'il présentait plutôt la forme d'un capitalisme pérenne et extensible au collectif (un capitalisme socialiste).
Le libéralisme devient plus acceptable s'il est socialiste, mais il n'en demeure pas moins du libéralisme. DSK était un farouche représentant d'une forme de libéralisme hybride entre Keynes et Hayek, avec comme référence le comportementalisme terrifiant de son mentor Olivier Blanchard (et de la clique des comportementalistes). Mais si les Français ont pu se montrer séduits par DSK le social-ultalibéral, c'est qu'ils sont eux-mêmes des ultralibéraux espérant vaguement que l'on pourrait s'en remettre à la possibilité d'une universalisation de la domination (ce qui dédouane leur appétit d'impérialisme).
Ce progressisme-là est le plus pervers et le moins progressiste des progressismes. C'est un commode moyen de légitimer sa domination en laissant entendre qu'elle peut être étendue au restant des hommes. Sous-entendu : je peux dominer tranquillement, vous dominerez de même sous peu. Avec une variante : oubliez la question de l'égalitarisme de la domination; laissez-vous tentez par la domination, un moyen efficace de vous amener à rejeter comme incapables ceux qui ne parviennent pas à dominer. Derrière l'attrait malsain, mais tout à fait compréhensible de l'Occident pour la domination hypocrite, la domination progressiste, c'est l'attrait pour la domination chez l'homme qu'il convient de décrypter.
Dans un réel unique, la domination est dérisoire, puisqu'elle mène à la destruction. Dans un réel multiple, la domination est la fin du plaisir, puisque le réel est inégalitaire dans son fondement même. L'égal, c'est l'identique. L'inégal, c'est la différence provoquée par le non-être. La fascination pour la domination provient d'un moyen de se sauver de la destruction provisoire. La justification à l'apologie de la domination, c'est qu'il n'est pas d'échappatoire pour éviter l'emprise de la domination dans une configuration où le néant est l'issue inéluctable.
Du coup, on se montre fasciné par la domination d'autant plus que le salut envisagé est provisoire. La domination est la seule issue dans l'existence finie. Après la période d'être, on retourne au néant. La question de fond serait : comment expliquer l'être dans un système où le non-être coexiste de manière paradoxale, voire prédomine? C'est là que le bas blesse, puisqu'aucun nihiliste n'est jamais parvenu à expliquer le non-être, son lien avec l'être. Aristote est jusqu'à présent le plus grand des nihilistes, réputé comme un métaphysicien éminent relevant de la philosophie.
Il n'a jamais expliqué la multiplicité de l'être due à la multiplicité du non-être. Par contre, il a instauré cette manière de ne pas parler du non-être, parce qu'il n'en avait rien à dire. Les immanentistes dans le modernité s'en sont souvenus, notamment ce Spinoza qui passe pour un profond philosophe classique, alors qu'il a perfectionné ce système de déni et de non-dit avec son incréation, qui étant indéfinissable rétablit implicitement le non-être.
Contre la fascination pour la domination, née de l'adhésion implicite et inconsciente au système antique du nihilisme, il est une tradition qui permet d'enrayer la destruction et d'éradiquer l'appétit fasciné pour la domination : l'ontologie s'oppose historiquement au nihilisme (avec Parménide contre Gorgias par exemple) et propose une définition du réel qui aussi imparfaite soit-elle n'admet pas en son sein le vide et lui substitue le plein. L'ontologie refuse le programme du nihilisme qui prône la domination et mène vers la destruction.
La volonté générale est politiquement l'arme que propose cette tradition avec Solon comme référence antique. La création des classes moyennes par Solon permet d'enrayer l'oligarchisation de la société et un fonctionnement qui mène vers le néant. Le meilleur moyen d'éviter que les membres d'une société soient à l'image de l'état déplorable de son Etat revient à défendre la conception de la volonté générale représentative de ses membres. Dans l'oligarchie, la multiplicité sociale rend les relations entre les différentes couches inexistantes ou seulement fondées sur le rapport de force (la domination).
Droit ou adroit - il faut choisir. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Roland Dumas, ancien ministre des Affaires étrangères et ancien président du Conseil constitutionnel, grand baron d'honneur de la Miterrandie, ce qui signifie la perversion du socialisme par le libéralisme le plus nauséabond, avec de forts relents de synarchie crypto-facsiste. Pour éviter que les membres d'une société valide al domination et se montrent fascinés par l'impérialisme progressiste, il convient de leur montrer la supériorité du modèle républicain sur le modèle oligarchique. Encore est-il urgent de réformer la forme du modèle ontologique, qui d'évidence en convient plus à notre connaissance contemporaine du réel (sans quoi les propositions immanentistes aberrantes comme celle de Nietzsche ne trouveraient pas un écho aussi dithyrambique et appuyé chez ses contemporains aveuglés et ébaubis).

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