samedi 12 juin 2010

Le narcisseur narcissé

Le réel ne se trouve pas dans l'apparence.



Commençons par visionner la vidéo (que j'ai précédemment affichée) dans laquelle Roland Dumas et Enthoven Jr. croisent le fer après que Dumas, tel un mousquetaire contemporain, ait mouché l'hystérique Élisabeth Lévy (encore une propagandiste du sionisme en France, comme son homonyme BHL). Le narcissisme est un problème typique du sionisme. Il suffit de considérer les porte-voix autant que portefaix médiatiques de France : tous narcissiques à un degré ou un autre (souvent de surcroît hystériques). Tous creux et faux.
Sans admirer le parcours de Dumas, qui par bien des égards sent l'opportuniste, parfois le malhonnête, le savoureux échange qui l'oppose à Enthoven mériterait d'être consigné. Enthoven Jr., que la suffisance n'étrangle guère, croit qu'il a le niveau pour toiser Dumas. Il entend lui signifier qu'il n'est pas admissible de comparer une juive sioniste comme Élisabeth Lévy avec les nazis. Pas de lazzis à propos des nazis. Des nases, oui. Parce que ses ancêtres auraient été déportés lors de la Shoah? Ce serait d'autant plus moraliste (pour un soi-disant antimoraliste pris la main dans le sac comme des pseudo-végétariens surpris à dévorer une pièce de viande chez Rosset) que ce serait historiquement fallacieux : les disciples de Jabotinsky ont prouvé qu'on pouvait être à la fois fasciste et sioniste.
Alors qu'Enthoven juge opportun de (tenter de) remettre Dumas à sa place, notre philosophe de salon gourmé montre qu'on peut à la fois jouer au censeur et abonder en politesse et obséquiosité. Du coup, nous assistons à un remake drolatique du balayeur balayé, quelque chose comme le censeur censuré. Dumas n'a pas été pour rien ministre des Affaires étrangères du président Mitterrand. C'est un renard, un rusé. Après de sérieux ennuis judiciaires et mondains, il a plus que de la bouteille. Il est arrivé à l'âge où l'on prend les événements avec un certain recul - où le jugement devient enfin posé. C'est ce qu'on appelle n'avoir plus rien à perdre. Enthoven Jr. a tout à perdre, car tout chez lui repose sur l'apparence.
Dès que l'on creuse, les fondements reposent sur du toc. Sa philosophie exprime l'esbroufe : notre normalien n'est qu'un historien de la philosophie de plus, qui n'a rien d'un philosophe, d'un penseur et d'un créateur. C'est un répétiteur, vaniteux et prétentieux, qui pense que l'on se paye de mots - que le savoir donne de la hauteur, voire de la supériorité. Justement, Dumas lui rappelle que nous sommes tous égaux. Il en a assez, Dumas, des formules alambiquées et snobinardes d'Enthoven Jr. le philosophe de cour germanopratine. Qu'il lui lâche la grappe avec sa politesse factice, car à force de se croire délicieux et habile, notre futile vire au vénéneux!
Mais peu importe le débat de fond, pourtant dramatique (l'agression israélienne contre la flottille de la paix sent le fauve à l'agonie). Ce qui est drôle, c'est le spectacle d'un vieil habile mouchant un jeune vaniteux pris par sa propre vanité. Certes, Enthoven Jr. tombe le masque : il défend une Élisabeth Lévy comme il est venu appuyer et entériner sur le plateau le point de vue sioniste sous un écran de fumée philosophico-rationnel. La manière dont s'exprime Enthoven Jr. n'engendre pas l'adhésion. Quand je le vois, tout de noir vêtu - peut-être pour inverser la tendance blanchâtre d'un BHL, je me dis que notre commentateur de philosophie qui se prend philosophe, comme un garçon de café qui jouerait à l'aristocrate, n'a pas compris que les valeurs qu'il défend ne sont même plus les valeurs du plus fort. Ce sont des valeurs coquettes et désuètes.
C'est fini, Jr., vous voilà arrivés - trop tard. Le sionisme est en bout de course. Votre noir sent le deuil, le tragique d'un farce qui a assez duré. On ne défend pas impunément le sionisme, car le sionisme est une idéologie qui comme toutes les idéologies est promis à la disparition - ou à la transformation. Enthoven Jr. est dans le déni typique : il se montre d'autant plus propagandiste et idéologique qu'il prétend se mouvoir dans la sphère de l'objectivité aidéologique. Hic! Comment dit-on - fin de règne? Enthoven Jr. évoque ces mondains tardifs qui se meuvent dans le Saint-Germain de Proust sans comprendre que le monde des Guermantes est révolu et qu'un nouveau monde commence.
Sans doute les sionistes recrutent-ils des porte-paroles qui ne peuvent occuper cette fonction très particulière qu'en fonction d'une certaine mentalité, d'une certaine conception de l'existence. En tant que disciple déclaré de Spinoza, Nietzsche et Rosset, Enthoven Jr. est un sophiste mineur et vaniteux. Mais l'impression délétère qui se dégage de sa personne ne serait pas complète sans ces trois termes qui le rendent du coup symptomatique : face à Dumas, en quelques secondes, je sens qu'il minaude, qu'il se comporte en fat, qu'il verse dans le narcissisme.
Il fait du cinéma, Enthoven, au sens où le mauvais cinéma versait dans l'apparence exclusive. Quel est son postulat d'immanentiste terminal et mineur, de ces sous-disciples de Rosset au sens où celui-ci parle d'althussériens mineurs dans son opuscule de souvenirs En ce temps-là? En tant que nietzschéen fervent et rossétien déclaré, Enthoven Jr. souscrit au point d'en écrire des recueils au postulat immanentiste de l'apparence. Se montrer narcissique quand on est favorable à l'apparence ontologique n'est qu'un demi paradoxe : car l'examen rapide et sommaire du statut nietzschéen de l'apparence laisse pour le coup un grand vide.
Quand Nietzsche prétend remplacer l'ontologie platonicienne des arrières-mondes par l'apparence exclusive, il ne remplace par l'espace laissé vacant. Autant dire qu'il libère sans le dire l'espace du néant nihiliste en ne le remplaçant pas. Narcisse est ca garçon troublé qui amoureux de son propre reflet finit par mourir de se mirer et de s'admirer dans l'eau du lac. Le narcissisme renvoie au sommeil, qui désigne la cessation de l'activité conscience et un état d'inactivité, d'inertie et de diminution.
Le narcissique est quelqu'un qui non seulement se tue, mais encore se tue par diminution de son état. A noter que le sommeil peut désigner par analogie rapprochée la mort. La mort est bien la cessation d'activité de la vie. La mort désigne la diminution radicale qu'est la cessation d'activité (complète). Narcisse dort et meurt de n'être pas assez lui. C'est-à-dire qu'il se situe dans une position d'entre-deux où il n'est jamais lui-même.
Il n'est pas lui : il n'est pas identifié. Sa place est intenable. Tel est le péril mortel de l'ontologie de la seule apparence : elle ne donne aucune carte d'identité, aucune existence, aucun endroit. Narcisse se mire dans l'eau pour n'être pas assez. Son essence en diminution aboutit à l'inexistence. Narcisse n'est plus - lui. Il n'est plus : il n'est pas. Quand on meurt, c'est qu'on est moins et qu'on n'est plus. N'être plus n'est pas être plus. Quand on cherche son reflet pour éviter la mort, c'est qu'on quémande un complément à son incomplétude maximale, au fait que l'on n'existe pas.
Dans son jeu de dupes, Narcisse se situe dans l'incomplétude maximale, soit dans l'inexistence. Raison pour laquelle il cherche son reflet : afin d'être enfin lui-même. Afin de se trouver. Malheureusement, le reflet n'étant que la dégénérescence de l'original, l'original étant en inexistence, le reflet frise le rien et ne peut nullement compléter l'incomplet maximal. S'il va chercher son reflet de manière éperdue et introuvable, c'est que Narcisse est mal dans sa peau.
Mal dans ses pompes. Si Narcisse ne trouvera jamais le réel qu'il cherche, c'est tout simplement parce que le reflet est introuvable. Comme l'identité de Narcisse est introuvable. Ne pas exister, c'est perdre en lieu. Pas de lien quand pas de lieu. Narcisse n'a plus d'identité parce qu'il n'a plus de lieu. La diminution d'être de Narcisse engendre son absence d'avoir. On se demande souvent si Narcisse n'irait pas chercher vers l'extérieur (son reflet) la compensation à son manque flagrant d'intérieur. Ce constat serait réducteur, car il supposerait que Narcisse dispose encore d'intériorité. S'il se dépérit près du lac, à chercher vainement son reflet, c'est qu'il ne dispose ni d'extériorité, ni d'intériorité.
Telle est la solitude. A en croire Rosset, Schopenhauer parle de ces êtres incomplets qui vont quêter leur fondement à l'extérieur de leur personne. C'est exactement ce qui se produit avec Narcisse : s'il va chercher son reflet introuvable, c'est que son propre être est introuvable. Narcisse n'a pas plus de reflet qu'il n'a d'être. Narcisse a perdu son identité : raison pour laquelle il meurt après l'avoir cherchée? Pourquoi ne la retrouve-t-il pas? Parce que son reflet réduplique son propre être. On ne fait pas du plus avec rien. Narcisse se meut dans l'illusion. Pour retrouver de l'être, il lui faudrait quitter la sphère éthérée de l'apparence.
Si le mythe de Narcisse est aussi fameux, c'est qu'il contient un sens d'importance : le réel ne se trouvera jamais dans l'apparence. Cette approche ontologique du réel (le réel = l'apparence) n'est pas seulement fausse; elle est aussi particulièrement dangereuse puisqu'elle conduit vers la mort ridicule. La mort : la cessation d'activité. La faillite. La mise en garde que les Anciens adressent sous forme de mythe porte sur le contenu du nihilisme : attention, danger. Le nihilisme mène vers la mort. Le nihilisme mène vers le vide.
C'est cette option destructrice que porte en son sein avarié le postulat de l'apparence totalisante et totalitaire : si l'on s'en tient à ce réel apparent, on se montre si incomplet, si inexistant, si identifié qu'on finit par mourir. Pour commencer, on est vide de sens. On manifeste son évanescence. Puis on promeut les valeurs de la destruction et du suicide. C'est ce qui se produit avec notre narcissique Enthoven Jr. : défendre la cause sioniste comme il le fait revient à défendre l'apparence contre le réel.
En apparence, le sionisme mériterait d'être défendu au nom de la loi du plus fort. Sauf que le sionisme s'effondre et que le sionisme est bancal. Pourquoi Enthoven Jr. spécifiquement ne le remarque-t-il pas? Parce qu'il souscrit à l'ontologie nietzschéenne et sophiste de l'apparence. Parce que l'idéologie sioniste est un aveuglement en premier lieu auprès de ses thuriféraires et de ses zélateurs, a fortiori quand ils se livrent, au moins indirectement, à un exercice de propagande. Il faut être aveuglé pour défendre une cause aveugle. Il faut se tromper pour défendre une cause aussi fausse.
Raison pour laquelle on trouve tant de Narcisses pour soutenir la cause sioniste. Si le narcissisme découle de l'erreur, la cause sioniste découle du même type d'erreur : le mythe de l'apparence. Israël est privé d'identité au sens où son identité frelatée tend de plus en plus vers le vide, l'illusion. On ne peut soutenir l'illusion qu'en souscrivant à cette illusion. Il me souvient qu'Enthoven Jr. (comme ces collègues sionistes Bruckner ou BHL) se prétendent d'autant plus libéré de l'idéologisme qu'il défend de manière patente et déniée une idéologie.
Cette mauvaise foi ou cette perversion (dire d'une chose qu'elle n'est pas alors qu'elle est) n'est possible que dans un schéma où ce qui est n'existe pas. Ontologie de l'apparence : ontologie du mensonge. On ment non pas sciemment mais parce que l'être n'existe pas. On ment en cherchant son être. Narcisse est un menteur. Le menteur ne ment pas tout en disposant d'une dose d'être à ses côtés. Le Narcisse ment parce qu'il n'a pas d'être. Le Narcisse a un trou rouge au côté droit. Il ne dispose pas de cette dose d'infini qui le prémunit du mensonge (du moins quand il ment). Plus l'on ment, moins l'on existe. L'on ment quand on est dépourvu d'être. Non, le Narcisse est seul, enferré dans son mensonge et dans son erreur.
Quand on souscrit au postulat de l'apparence pure, on nie la question de l'être (de l'infini) et on sombre dans le mensonge inévitable. Bien entendu, la question du sionisme est spécifique et sera une question tout à fait dépassée d'ici quelques décennies. Croire que le sionisme est éternel est aussi naïf que de croire qu'une idéologie est infinie. Le sionisme connaît le destin de tout ce qui nie l'infini (l'être). L'idéologie nie l'infini. L'idéologie est finie dans tous les sens du terme.
Le destin du sionisme est prévu dans le destin de Narcisse : Narcisse meurt de se contempler. Le sionisme mourra de sa propre force. Enthoven Jr. en tant que philosophe de cour narcissique meurt non pas d'une mort physique (le lot commun), mais d'une mort ontologique. C'est le pire châtiment pour un philosophe : être déjà mort avant de mourir. Être mort-vivant. On a souvent peur des vampires (autre mythe fameux). Le vampire est surtout victime de soi-même avant d'être bourreau d'autres victimes. Idem pour le sioniste : avant de défendre le bourreau Israël contre sa victime palestinienne, Israël est victime de lui-même : rien n'est pire que de se mouvoir dans l'apparence. Rien n'est pire que de ne pas exister.

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