jeudi 17 juin 2010

Vivre et penser comme des sports

En cette période de Coupe du monde de football, on aborde peu les vraies questions à propos des sports dont le processus sort renforcé en cas de médiatisation : dopage et trucage. La Coupe du monde de football, événement populaire par excellence, ne menace pas seulement de détruire fortement l'équilibre sud-africain déjà fort fragile; elle constitue la diversion par excellence qui permet de se focaliser sur le dérisoire et l'accidentel au moment où l'essentiel s'effondre. L'essentiel : le système économique et culturel qui mondialisé menace de virer mondialiste.
Le secondaire : ironiquement, le sport médiatique par excellence que représente le football prétend d'autant plus divertir (dans tous les sens du terme) qu'il représente de manière emblématique et symptomatique ce qu'est l'immanentisme. La dernière couverture idéologique de l'immanentisme, le libéralisme, prétend être régulée et équilibrée par la main invisible, un deux ex machina providentiel et des plus frustres. En réalité, c'est la loi du plus fort qui le réglemente.
L'irrationnel et l'inconséquence sont les lois (désordonnées et chaotiques) qui régentent de manière désinvolte et arrogante le libéralisme. On s'en rend compte particulièrement au moment où le libéralisme s'effondre, après nous avoir seriné que les diamants étaient éternels. La Couronne britannique - aussi? Le sport prétend quant à lui être régenté par deux facteurs : le sort et le mérite. Le hasard et le désir (complet).
Le sport se trouve tellement porté au pinacle de la mode immanentiste qu'il représente ce qu'il prétend repousser. Le sport s'affirme comme le parangon de la vertu (dans tous les sens) alors qu'il est gouverné par les deux maîtres-mots de l'immanentisme. Raison pour laquelle le sport se trouve si bien en cour : il est le représentant le plus représentatif de l'immanentisme. Le jeu était déjà du temps de Venise l'outil pour asservir la populace - exporté par l'inénarrable Casanova.
On connaît la terrible devise des Romains : panem et circenses. Il serait bon de la sortir de nouveau au moment où la Coupe du monde nous bassine les oreilles avec sa déréliction travestie en expertise de la plus haute importance. On croit bon de légitimer les deux mamelles du sport au nom de son intérêt médiatique : dopage et trucage. Dès qu'on prononce ces deux sésames, les regards deviennent fuyants au point que l'on change de discussion. Il n'est pas souhaitable de rappeler que le sport médiatique est un spectacle, ce que le chansonnier Béart savait déjà.
D'aucuns se croient plus progressistes en acceptant les règles du système comme si la légalisation (soit la visibilité) de l'interdiction la rendait enfin pérenne et positive. En légalisant le dopage, l'on mettrait enfin fin à la terrible hypocrisie qui ravage le sport et l'on pourrait qui plus est contrôler les menées de la recherche la plus spectaculaire qui soit (la recherche sur le dopage est si vivace qu'elle aide à l'avancement des connaissances médicales par un biais des plus tortueux).
Le dopage illustre dans un sens très réducteur et particulier l'apologie du surhomme. Certes, le surhomme dopé n'est pas le surhomme artiste et créateur qu'entrevoyait Nietzsche avant de sombrer dans la folie (après absorption de drogues, pas de dopants). Mais le dopé dépasse quantitativement et physiquement (dans ce monde sensible) les limités imparties au commun des mortels; quand le surhomme nietzschéen exprime un idéalisme qui implique un changement qualitatif à l'intérieur de ce monde.
Le dopage de ce point de vue exprime par le fait de repousser ses limites physiques un dépassement qui contient déjà en lui sa contradiction : alors que le sport est censé charrier la morale de la complétude, du plus pur immanentisme, il se révèle incomplet en ce qu'il contient une certaine intervention extérieure : au moins celle des dopeurs, que ce soient les chercheurs mais surtout les commanditaires (les financiers du sport). De ce fait, si le dopage peut encore être inadéquatement légitimé au nom du pragmatisme de l'immoralisme, le trucage est inexcusable.
Il revient à détruire les règles du jeu, soit à établir une loi du plus fort absolue, dans laquelle les dés sont pipés - le plus fort l'emporte toujours. Le trucage explicité ou banalisé reviendrait à rendre possible l'impossible ou à mettre en évidence une règle qui dans le sport doit toujours demeurer tacite et occultée : la loi du plus fort. Officiellement, cette loi du plus fort est recouverte par le masque vierge de l'imprévisible hasardeux, de certaines compensation de technique ou de volonté, mais dès l'examen fondamental de ce hasard, on se rend compte qu'il bat en brèche le mythe de la complétude du désir qui reviendrait à accorder aux participants une influence toute-puissante et divine.
Le sport incarne cette faillite de la complétude du désir qui est le cœur de l'immanentisme. Il la révèle au moment où il en divertit le plus la manifestation. Plus encore que le dopage, le trucage révèle le caractère incomplet de toute production sportive : pour truquer, il faut que les truqueurs soient extérieurs au spectacle sportif (même si parmi les complices figureront quelques sportifs). Trucage et dopage sont les deux mamelles sportives de la loi du lus fort qui est irrationnelle et inconséquente. Appliquée au sport, elle signale que le propre de la loi du lus fort tient dans le mythe de l'incomplétude, soit dans le fait de laisser entendre que le désir est complet alors qu'il est déniée en tant qu'incomplet.
D'où les catastrophes qui s'en suivent inévitablement (déceptions, notamment dans le sport). La duplication fantomatique typique du raisonnement humai (et mise en valeur par le meilleur Rosset) consiste à laisser entendre que la morale sportive serait par essence étrangère au dopage et au trucage. Le sport serait vertueux, pur de tout vice. Les vicissitudes seraient un effet surajouté, dû la médiatisation ou à la rage de vaincre (entend-on de manière hypocrite chez ceux qui couvrent pour mieux profiter de l'argent faramineux généré par le sport).
En réalité, c'est le cas de le souligner, le sport contient dans son processus le dopage et le trucage comme deux éléments de légitimation de la loi du plus fort et du déni de l'incomplétude du désir.
On ne peut pas pratiquer le sport de manière finaliste et professionnelle sans recourir au dopage et sans encourager le phénomène révélateur et contradictoire du trucage. C'est dire que le sport est mû par la loi du plus fort en lieu et place de la fameuse et sacrosainte morale sportive chère à Coubertin. Coubertin d'ailleurs se trouvait proche de l'idéal fasciste du culte du corps. Les nazis grands apôtres de la loi du plus fort avant de sombrer suite à leur principe inconséquent et autodestructeur détournèrent abondamment le sport (les Jeux Olympiques de Munich en 1936).
La destruction de l'immanentisme est inscrite dans son révélateur le sport. Quant à la duplication fantomatique, elle se manifeste quand on produit un fondement faux. Les effets se trouvent dès lors hâtivement coupés de leurs causes et l'on tend à substituer aux causes effectives des causes imaginaires. Dès qu'on rétablit le fondement effectif, la duplication disparaît comme un mauvais songe. Cas pour le dopage et le trucage dans le sport qui se trouve coupés de la cause de la morale sportive. Une fois que l'on consent à rétablir le fondement du sport (la loi du plus fort), la pratique généralisée et croissante du dopage et du trucage dans le sport s'en trouve grandement éclaircie.

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