mercredi 2 juillet 2008

La mutation immanentiste

On pose souvent peu la question : pourquoi cette haine de l'Islam qui soudain s'empare de l'Occident? Pourquoi cette guerre contre le terrorisme dont on sait qu'elle tend, au moins en sous-main, à combattre les musulmans sous couvert d'intenter la guerre aux abominables islamistes terroristes?
Il faudrait commencer par remarquer que l'Occident regroupe comme par enchantement le concept bancal et hilarant de judéo-christianisme, ce qui ne veut rien dire et surtout ce qui montre assez le vrai masque de la civilisation. Mais l'ennemi n'est pas n'importe qui : c'est comme par hasard l'imposteur en chef, l'Islam comme troisième pilier du monothéisme. C'est dire que deux monothéismes se seraient mis d'accord pour décréter en commun que le troisième monothéisme n'est qu'une hérésie à prohiber du fait de son caractère dangereux.
Il est vrai que l'on pourrait à bon droit défendre l'idée un brin provocatrice que l'Islam est une hérésie judéo-chrétienne, puisqu'elle prétend être l'achèvement et l'accomplissement de la révélation monothéiste. Mais à ce compte, il est vrai aussi que le christianisme pourrait être taxé d'hérésie juive, et certains orthodoxes juifs ne se privent pas de déverser ce genre de commentaires acrimonieux.
S'il est certain que l'Islam actuel est en crise et que les débats de certains de ses théologiens ont de quoi vous filer de sévères hallucinations, il va de soi que le niveau théologique du christianisme ou du judaïsme n'est pas forcément plus évolué, en tout cas en moyenne, et qu'il est toujours facile de choisir les intervenants en fonction des attentes partisanes.
Quoi qu'il en soit, la guerre contre le terrorisme énonce clairement que l'ennemi de la civilisation se trouve dans les rangs musulmans et que la civilisation est occidentale. On rappellera que chaque civilisation chez Huntington recoupe peu ou prou une grande religion donnée. Pour caricaturer un brin, dans le giron monothéiste qui intéresse prioritairement l'Occident, l'ennemi c'est l'Islam et le Bien, c'est la réunion improbable du christianisme et du judaïsme.
Il faudrait se montrer un brin honnête : les Juifs et les chrétiens n'ayant jamais pu s'encadrer historiquement, qu'a-t-il pu se produire pour qu'on assiste à cette réconciliation contre-nature et si tardive? Il est tout à fait impossible que le christianisme et le judaïsme se soient réconciliés puisqu'ils sont encore en pourparlers et que les sujets de tension sont au moins aussi importants qu'avec l'Islam. La présentation de judéo-christianisme comme entente religieuse et harmonie monothéiste est une douce billevesée à laquelle on peut adhérer au nom des valeurs éthérées d'un monde gentil, beau et propre, mais cet idéalisme un brin mièvre ne fera pas oublier les guerre fratricides entre ces deux monothéismes incompatibles.
Il est évident que les différences entre le christianisme et l'Islam, qui tournent en gros autour de la question de la représentation et de la nature de Dieu, sont moindres que les différences entre le christianisme et le judaïsme. Pour une raison précise : tant l'Islam que le christianisme sont des monothéisme à vocation universelle, alors que le judaïsme est certes le berceau embryonnaire de ce mouvement, mais n'est certainement pas à tendance universaliste. On peut même se demander si le judaïsme est encore vraiment un monothéisme quand on s'avise qu'il est limité à certains élus au nom d'un critère tribaliste et qu'il nie l'universalisme de la conversion.
Dans tous les cas, le judaïsme est un monothéisme très particulier et qui demeure d'essence et de conception tribalistes. De ce fait, l'alliance entre le judaïsme et le christianisme est bien plus surprenante que l'alliance entre le christianisme et l'Islam (alliance pourtant impensable par les temps qui courent). Qu'a-t-il pu se produire pour que l'Islam se retrouve désigné comme l'ennemi à abattre, l'ennemi de la civilisation, soit l'ennemi de l'avenir humain? Il est certain que ce n'est pas au nom d'une communauté théologique que le judaïsme et le christianisme ont pu s'allier et désigner de concert comme ennemi théologique et civilisationnel le grand méchant Islam.
Il faut alors déplacer le problème et se demander comment le judaïsme et le christianisme ont pu se réconcilier sur le dos de l'Islam. Je ne vois qu'une explication plausible et possible : que ce ne soient pas le christianisme et le judaïsme en tant que tels qui aient opéré cette réconciliation, mais des avatars des deux formes religieuses. Autrement dit, il faut une mutation à l'intérieur de ces formes pour créer les conditions d'un rapprochement.
Historiquement, cette mutation s'observe très clairement dans les cercles du protestantisme les plus fondamentalistes qui ne cessent d'employer un vocabulaire biblique fort connoté et d'opérer un rapprochement avec Israël (les États-Unis ou l'Afrique du Sud deviennent ainsi le nouvel Israël). Ces formes fondamentalistes de christianisme rejeté et tardif s'inventent une parenté frappante avec Israël rejeté dans le désert par les méchants Egyptiens. C'est sur ces termes que s'opère la réconciliation et selon un mode qui est l'expression même de l'immanentisme. D'où l'évidence sidérante : le rapprochement ne s'opère que dans les arcanes de l'immanentisme, ce qui implique que le judaïsme et le christianisme présentés ne soient que des formes abâtardies et mutantes de ces deux formes originelles et qu'en fait leur mue soit depuis un certain temps opérée et consommée.
C'est l'immanentisme qui encourage le rapprochement entre le judaïsme et le christianisme, si bien que l'on peut affirmer que l'expression pour le moins surprenante de judéo-christianisme résulte d'une création de l'immanentisme qui a intérêt à réconcilier le judaïsme et le christianisme au nom du fait que la mutation immanentiste s'est déroulée dans la sphère du rejet compris entre ces deux formes monothéistes.
Dès lors, l'islamophobie est un terme adéquat car il renvoie à la peur violente que suscite l'Islam en tant que forme de monothéisme inchangée envers les formes mutantes de l'immanentisme, qui feignent de se parer d'atours monothéistes pour mieux entretenir la tromperie sur leur vraie forme. Il faut pourtant préciser que les formes mutantes n'ont pas conscience de leur mutation et qu'il est un indice très simple de leur mutation : leur adhésion au programme immanentiste, en particulier à l'hyperrationalisme et au respect scrupuleux du sensible comme seul réel tendant à nier de ce fait le transcendantal.
Par contre, l'Islam demeure le monothéisme qui ne peut sans se nier sortir du transcendantalisme car il institue un transcendantalisme très strict et très épuré, bien moins ambigu que le christianisme par exemple. Interroger le transcendantalisme, c'est comprendre très vite que les hérésies protestantes et juives ont en fait muté et se sont tournées vers l'immanentisme. Il était tout à fait prévisible que l'immanentisme choisirait comme sphère d'action privilégiée ces fondamentalismes d'ores et déjà mutants en tant qu'hérésies douteuses et tout à fait illuminées.
La haine contre l'Islam, présente de manière rampante dans la guerre contre le terrorisme qui est une guerre déclarée contre le terrorisme islamiste, s'explique parce que l'Islam est beaucoup moins réductible et soluble à l'immanentisme que le judaïsme et le christianisme. Bien entendu, l'immanentisme a aussi intégré dans son giron défroqué des branches de l'Islam, mais de manière moins convaincante et moins totale. Je ne citerai à la barre que le fameux fondamentalisme musulman d'obédience wahhabite, les Saoudiens et princes consorts, mais on remarquera que l'on parle à juste titre à leur égard de duplicité, parce qu'ils ne servent les valeurs immanentiste qu'en apparence et que dans le fond ils sont habités en réalité par leur foi musulmane et transcendantale.
Un musulman immanentiste sera toujours musulman, alors que je ne suis pas persuadé que les juifs et autres chrétiens qui sont des fondamentalistes originairement soient encore des transcendantalistes à l'heure actuellme. Je pense qu'ils sont avant tout mutants et que leur foi monothéiste n'est que le vernis de leur immanentisme viscéral. Il suffit pour s'en persuader d'examiner en détail l'attitude rocambolesque et contradictoire d'un W. qui se déclare fondamentaliste protestant pieux et irréductible, alors que tous ses actes sont en fait mus de manière conséquente par l'immanentisme de fond.

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