Il est extraordinaire de constater que les deux grandes formes de l'immanentisme en apparence antithétiques et en profondeur complémentaires sont issues du même mouvement de pensée et que toutes les formes contemporaines de l'immanentisme se manifestent au même moment. Ce n'est pas un hasard. Il faut comprendre l'immanentisme comme un courant de pensée qui a toujours été présent dans la pensée, mais qui se développe de manière prépondérante à partir du moment où l'homme domine outrageusement son environnement et où il croit qu'il doit cette nouvelle place forte aux lumières de la Raison.
C'est bien entendu en partie vrai, puisque la science et la technique sont issues du rationalisme, mais ce n'est pas contre le rationalisme qu'il faut s'opposer, mais contre l'hyperrationalisme, soit contre la mutation de la raison en Raison. La Raison apparaît à partir du moment où l'homme croit que le rationalisme n'est pas seulement en mesure de lui conférer un supplément de maîtrise de connaissance, à défaut d'âme, mais en outre que par l'exercice de la raison, le monde peut être absolument connu et maîtrisé.
La Raison mute quand le mot de Descartes est pris au pied de la lettre : l'homme maître et possesseur de la Nature. Descartes arrive à un moment où l'homme est au début des progrès de la raison moderne et s'il sent quel rôle capital la raison peut jouer, il la subordonne encore au Dieu transcendantal du monothéisme catholique. Descartes est encore un classique qui cherche à ménager la chèvre et le chou et à trouver un équilibre entre le rationalisme à tout crin et la scolastique.
Ce n'est pas un hasard si Revel, le propagandiste atlantiste francophone, qui s'est discrédité en adoptant les points de vue et les méthodes du néolibéralisme avant que le néolibéralisme ne s'effondre, ce Revel d'ores et déjà discrédité, et dont plus personne ne lira une ligne dans un siècle, sauf les historiens spécialisés dans la période actuelle, notre Revel a commis un livre contre le cartésianisme lors de sa meilleure période, avant justement de devenir un agent atlantiste.
Revel est l'expression de la mutation paroxystique et tardive du libéralisme en ultralibéralisme : il reproche dès lors à Descartes, un esprit bien au-dessus de ses mineures facultés de pensée, d'être encore un scoliaste. Revel n'a pas tort, comme il n'a pas tort de noter que Pascal est peut-être un esprit plus moderne que Descartes, tant il est certain que le dix-septième siècle, singulièrement français, respire une modernité par certains égards indépassable.
De ce point de vue, l'opposition de Revel à l'encontre de Descartes n'est jamais que l'opposition de l'immanentisme tardif face à un métaphysicien encore largement transcendantal et classique. Bien entendu, Descartes est bien plus profond que Revel, et je m'excuse auprès des lecteurs de comparer ces deux penseurs, tant la disproportion qualitative est flagrante.
Ce qui est plus pertinent, c'est de constater que l'opposition résolue et cohérente de Revel l'immanentiste atlantiste et occidentaliste fin de règne à Descartes se redouble d'une certaine bienveillance à l'égard des Lumières. C'est tout à fait cohérent. Car si l'on peut à bon droit faire remonter les débuts modernes de la Raison mutante autour de la Renaissance, symboliquement 1492, c'est avec les Lumières que la Raison se fait triomphante et qu'elle affirme avoir triomphé de sa lutte avec le transcendantalisme. Quels sont les deux combats des Lumières?
1) la lutte contre l'Infâme, l'obscurantisme et le fanatisme;
1) la lutte contre le réel indépendant de la représentation et l'affirmation de la primauté presque autistique de la représentation.
Le premier combat est sans doute mené par le grand styliste Voltaire, quand le second découle de l'action du penseur Kant (fort méchant styliste et obsessionnel patenté). Dans les deux cas, la Raison est en combat explicite et déclaré avec le transcendantalisme et, sous prétexte de détruire le fanatisme, son but en fait est d'éradiquer Dieu/le réel. Les Lumières sont une appellation merveilleuse, parce qu'elles montrent à quel point rétrospectif l'hyperrationalisme a triomphé dans son œuvre de propagande en imposant son point de vue.
C'est ainsi que les Lumières désignent comme par enchantement la victoire de la Raison et les ténèbres renvoient à l'obscurantisme transcendantal. Bien entendu, les Lumières prétendent en fait détruire au nom de l'examen rationnel l'ensemble des billevesées religieuses, en particulier celles engendrées par le fanatisme et l'obscurantisme. Mais ce programme en apparence sensé cache en fait la volonté d'éradiquer le transcendantalisme. C'est bel et bien l'immanentisme que porte en son sein le grand projet religieux de la Raison.
Ce que les Lumières nomment lutte contre l'obscurantisme au nom du rationalisme ne vise pas à éradiquer l'extrémisme religieux pour favoriser la modération religieuse; pas davantage que le rationalisme ne vise à remplacer le sentiment religieux par le rationalisme. En premier lieu, il est évident que le rationalisme ne saurait remplacer le lieu du religieux. De nombreux penseurs l'ont analysé de manière perspicace et surtout l'examen du scientisme est éloquent : la religion positiviste à la Comte est un échec cinglant, qui n'est que le prolongement radicalisé du théisme d'un Voltaire, soit d'un dieu épuré d'un point de vue hyperrationnel.
En second lieu, l'échec de la Raison à remplacer Dieu ne saurait par conséquent éradiquer l'extrémisme religieux. Tout au contraire constate-t-on historiquement que l'immanentisme encourage l'extrémisme religieux. C'est parfaitement conséquent puisque l'extrémisme religieux est le plus compatible avec une pratique qui se veut en rupture radicale avec le transcendantalisme. L'extrémisme transcendantal est le plus proche de l'immanentisme, parce que le courant transcendantal est antagoniste par son dessein de l'immanentisme, alors que l'extrémisme transcendantal charrie déjà en son sein le programme de subvertir le transcendantalisme et d'insister sur la pratique fondamentale du rite ancré dans sa dimension et sa primauté sensibles.
Quand les Lumières prétendent combattre l'Infâme, il faut comprendre, non qu'elles s'en prennent aux extrémismes, mais au transcendantal en tant que tel. L'Infâme est le transcendantal du point de vue de la Raison d'obédience immanente. Est obscurantiste ce qui est transcendantal, en tout cas pour la Raison. Dans la mentalité immanentiste, le transcendant est nécessairement et conséquemment l'obscur tout désigné.
L'échec des Lumières se fait déjà sentir dans la pensée de Nieztsche qui tend à transformer l'homme en Surhomme. A vrai dire, Schopenhauer éducateur de Nietzsche était lui aussi enclin au pessimisme, notamment celui de la volonté aveugle. Nous sommes loin de l'optimisme soi-disant mesuré de l'immanentisme en chef, Spinoza, dont les contemporains avaient bien mesuré le caractère dangereux pour le transcendantalisme, mais aussi pour l'avenir de l'homme.
La transformation est le maître-mot de la Raison, mais la transformation des Lumières est encore un projet envisageable, quand par la suite le projet devient mutation malaisée et impossible. Le marxisme propose une amélioration radicale de la Raison jusqu'à l'égalité et même la psychanalyse signifie le moyen pour la Raison d'influencer sur l'inconscient et l'irrationnel.
Toujours est-il que le dix-neuvième siècle prend acte de l'échec patent de la Raison et que c'est à partir de son milieu agité que l'immanentisme montre son vrai visage : non celui d'une réussite, mais celui d'une alliance contre-nature entre le fondamentalisme extrême et la laïcité non moins extrême.
Quand apparaissent les fondamentalisme et le projet conciliateur et tolérant de la laïcité comme achèvement des Lumières? En même temps, les historiens consternés constatent sans l'expliquer (ce serait trop contraignant) que le siècle suivant, le vingtième, est celui de la destruction et de la mort. Pourtant, cette réalité indubitable est très aisée à déchiffrer : il suffit de comprendre que l'immanentisme est obligé de mettre en scène son vrai fonctionnement, qui est dominé par les fondamentalismes et que l'échec conduit aux pires atrocités mues par les monstres patentés, notamment ceux du nazisme.
A cet égard, le nazisme n'est jamais qu'une réponse désespérée à l'immanentisme par la destruction totale, comme si la violence en furie pouvait constituer une réponse et sauver le système en radicale décomposition. Ce n'est pas un hasard si tant d'esprits de valeur se sont réfugiés un temps au moins dans le nazisme comme solution, puis ont compris que le système ne s'en sortirait pas et que les temps obscurs attendaient l'homme. C'est notamment le cas de Heidegger et il faudrait interpréter son silence jusqu'à sa mort comme la compréhension que l'échec du nazisme ne signifiait le succès de la liberté que pour la propagande la plus superficielle et aveugle.
En réalité, l'opposition communisme/libéralisme était complémentaire, partagée entre Raison pragmatique et Raison progressiste, et cette opposition soi-disant antagoniste annonçait la dernière forme de fonctionnement systémique, le dernier avatar de composition avant son effondrement : le système unique que nous expérimentons et dont nous éprouvons l'aridité terrifiante. Que l'on se rassure : dès le départ des aventures de la Raison, à l'époque bénie où elle pouvait encore verser dans la propagande triomphaliste, la rengaine selon laquelle une nouvelle ère de bonheur et de prospérité se profilaient, les carottes étaient cuites. Las! depuis l'homme a vu ce que le Progrès promettait : sa disparition par assèchement et asphyxie.
C'est bien entendu en partie vrai, puisque la science et la technique sont issues du rationalisme, mais ce n'est pas contre le rationalisme qu'il faut s'opposer, mais contre l'hyperrationalisme, soit contre la mutation de la raison en Raison. La Raison apparaît à partir du moment où l'homme croit que le rationalisme n'est pas seulement en mesure de lui conférer un supplément de maîtrise de connaissance, à défaut d'âme, mais en outre que par l'exercice de la raison, le monde peut être absolument connu et maîtrisé.
La Raison mute quand le mot de Descartes est pris au pied de la lettre : l'homme maître et possesseur de la Nature. Descartes arrive à un moment où l'homme est au début des progrès de la raison moderne et s'il sent quel rôle capital la raison peut jouer, il la subordonne encore au Dieu transcendantal du monothéisme catholique. Descartes est encore un classique qui cherche à ménager la chèvre et le chou et à trouver un équilibre entre le rationalisme à tout crin et la scolastique.
Ce n'est pas un hasard si Revel, le propagandiste atlantiste francophone, qui s'est discrédité en adoptant les points de vue et les méthodes du néolibéralisme avant que le néolibéralisme ne s'effondre, ce Revel d'ores et déjà discrédité, et dont plus personne ne lira une ligne dans un siècle, sauf les historiens spécialisés dans la période actuelle, notre Revel a commis un livre contre le cartésianisme lors de sa meilleure période, avant justement de devenir un agent atlantiste.
Revel est l'expression de la mutation paroxystique et tardive du libéralisme en ultralibéralisme : il reproche dès lors à Descartes, un esprit bien au-dessus de ses mineures facultés de pensée, d'être encore un scoliaste. Revel n'a pas tort, comme il n'a pas tort de noter que Pascal est peut-être un esprit plus moderne que Descartes, tant il est certain que le dix-septième siècle, singulièrement français, respire une modernité par certains égards indépassable.
De ce point de vue, l'opposition de Revel à l'encontre de Descartes n'est jamais que l'opposition de l'immanentisme tardif face à un métaphysicien encore largement transcendantal et classique. Bien entendu, Descartes est bien plus profond que Revel, et je m'excuse auprès des lecteurs de comparer ces deux penseurs, tant la disproportion qualitative est flagrante.
Ce qui est plus pertinent, c'est de constater que l'opposition résolue et cohérente de Revel l'immanentiste atlantiste et occidentaliste fin de règne à Descartes se redouble d'une certaine bienveillance à l'égard des Lumières. C'est tout à fait cohérent. Car si l'on peut à bon droit faire remonter les débuts modernes de la Raison mutante autour de la Renaissance, symboliquement 1492, c'est avec les Lumières que la Raison se fait triomphante et qu'elle affirme avoir triomphé de sa lutte avec le transcendantalisme. Quels sont les deux combats des Lumières?
1) la lutte contre l'Infâme, l'obscurantisme et le fanatisme;
1) la lutte contre le réel indépendant de la représentation et l'affirmation de la primauté presque autistique de la représentation.
Le premier combat est sans doute mené par le grand styliste Voltaire, quand le second découle de l'action du penseur Kant (fort méchant styliste et obsessionnel patenté). Dans les deux cas, la Raison est en combat explicite et déclaré avec le transcendantalisme et, sous prétexte de détruire le fanatisme, son but en fait est d'éradiquer Dieu/le réel. Les Lumières sont une appellation merveilleuse, parce qu'elles montrent à quel point rétrospectif l'hyperrationalisme a triomphé dans son œuvre de propagande en imposant son point de vue.
C'est ainsi que les Lumières désignent comme par enchantement la victoire de la Raison et les ténèbres renvoient à l'obscurantisme transcendantal. Bien entendu, les Lumières prétendent en fait détruire au nom de l'examen rationnel l'ensemble des billevesées religieuses, en particulier celles engendrées par le fanatisme et l'obscurantisme. Mais ce programme en apparence sensé cache en fait la volonté d'éradiquer le transcendantalisme. C'est bel et bien l'immanentisme que porte en son sein le grand projet religieux de la Raison.
Ce que les Lumières nomment lutte contre l'obscurantisme au nom du rationalisme ne vise pas à éradiquer l'extrémisme religieux pour favoriser la modération religieuse; pas davantage que le rationalisme ne vise à remplacer le sentiment religieux par le rationalisme. En premier lieu, il est évident que le rationalisme ne saurait remplacer le lieu du religieux. De nombreux penseurs l'ont analysé de manière perspicace et surtout l'examen du scientisme est éloquent : la religion positiviste à la Comte est un échec cinglant, qui n'est que le prolongement radicalisé du théisme d'un Voltaire, soit d'un dieu épuré d'un point de vue hyperrationnel.
En second lieu, l'échec de la Raison à remplacer Dieu ne saurait par conséquent éradiquer l'extrémisme religieux. Tout au contraire constate-t-on historiquement que l'immanentisme encourage l'extrémisme religieux. C'est parfaitement conséquent puisque l'extrémisme religieux est le plus compatible avec une pratique qui se veut en rupture radicale avec le transcendantalisme. L'extrémisme transcendantal est le plus proche de l'immanentisme, parce que le courant transcendantal est antagoniste par son dessein de l'immanentisme, alors que l'extrémisme transcendantal charrie déjà en son sein le programme de subvertir le transcendantalisme et d'insister sur la pratique fondamentale du rite ancré dans sa dimension et sa primauté sensibles.
Quand les Lumières prétendent combattre l'Infâme, il faut comprendre, non qu'elles s'en prennent aux extrémismes, mais au transcendantal en tant que tel. L'Infâme est le transcendantal du point de vue de la Raison d'obédience immanente. Est obscurantiste ce qui est transcendantal, en tout cas pour la Raison. Dans la mentalité immanentiste, le transcendant est nécessairement et conséquemment l'obscur tout désigné.
L'échec des Lumières se fait déjà sentir dans la pensée de Nieztsche qui tend à transformer l'homme en Surhomme. A vrai dire, Schopenhauer éducateur de Nietzsche était lui aussi enclin au pessimisme, notamment celui de la volonté aveugle. Nous sommes loin de l'optimisme soi-disant mesuré de l'immanentisme en chef, Spinoza, dont les contemporains avaient bien mesuré le caractère dangereux pour le transcendantalisme, mais aussi pour l'avenir de l'homme.
La transformation est le maître-mot de la Raison, mais la transformation des Lumières est encore un projet envisageable, quand par la suite le projet devient mutation malaisée et impossible. Le marxisme propose une amélioration radicale de la Raison jusqu'à l'égalité et même la psychanalyse signifie le moyen pour la Raison d'influencer sur l'inconscient et l'irrationnel.
Toujours est-il que le dix-neuvième siècle prend acte de l'échec patent de la Raison et que c'est à partir de son milieu agité que l'immanentisme montre son vrai visage : non celui d'une réussite, mais celui d'une alliance contre-nature entre le fondamentalisme extrême et la laïcité non moins extrême.
Quand apparaissent les fondamentalisme et le projet conciliateur et tolérant de la laïcité comme achèvement des Lumières? En même temps, les historiens consternés constatent sans l'expliquer (ce serait trop contraignant) que le siècle suivant, le vingtième, est celui de la destruction et de la mort. Pourtant, cette réalité indubitable est très aisée à déchiffrer : il suffit de comprendre que l'immanentisme est obligé de mettre en scène son vrai fonctionnement, qui est dominé par les fondamentalismes et que l'échec conduit aux pires atrocités mues par les monstres patentés, notamment ceux du nazisme.
A cet égard, le nazisme n'est jamais qu'une réponse désespérée à l'immanentisme par la destruction totale, comme si la violence en furie pouvait constituer une réponse et sauver le système en radicale décomposition. Ce n'est pas un hasard si tant d'esprits de valeur se sont réfugiés un temps au moins dans le nazisme comme solution, puis ont compris que le système ne s'en sortirait pas et que les temps obscurs attendaient l'homme. C'est notamment le cas de Heidegger et il faudrait interpréter son silence jusqu'à sa mort comme la compréhension que l'échec du nazisme ne signifiait le succès de la liberté que pour la propagande la plus superficielle et aveugle.
En réalité, l'opposition communisme/libéralisme était complémentaire, partagée entre Raison pragmatique et Raison progressiste, et cette opposition soi-disant antagoniste annonçait la dernière forme de fonctionnement systémique, le dernier avatar de composition avant son effondrement : le système unique que nous expérimentons et dont nous éprouvons l'aridité terrifiante. Que l'on se rassure : dès le départ des aventures de la Raison, à l'époque bénie où elle pouvait encore verser dans la propagande triomphaliste, la rengaine selon laquelle une nouvelle ère de bonheur et de prospérité se profilaient, les carottes étaient cuites. Las! depuis l'homme a vu ce que le Progrès promettait : sa disparition par assèchement et asphyxie.
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