Paradoxe nihiliste : le nihiliste dénonce le double comme expression du dualisme alors que le double est plutôt l'expression du nihilisme. Le double nihiliste est le suivant : faire croire que le problème est résolu alors que le problème est évacué. Laisser entendre que l'unité est réalisée alors que le dualisme est maintenu et aggravé (réel/chaos).
Le dualisme nihiliste exprime l'aggravation du chaos. Le dualisme classique consiste à faire de un deux; le dualisme nihiliste à faire de deux un. Unifier le deux équivaut à dédoubler le un. Le nihilisme ne résout pas le problème qu'il perçoit et dénonce dans le classicisme : l'incapacité à définir le réel, soit l'incapacité à distinguer ce qui est certain de ce qui est incertain. Autrement dit, la duplication que reproche le nihilisme au transcendantalisme, il ne la résout pas. Au contraire, il la renforce.
Car faire de l'un le deux signifie que l'on ne sait pas bien au fond ce qui est et ce qui n'est pas. On sait que ce qui est est; mais l'on ne sait pas ce qui n'est pas. On ne sait guère ce qui est. Le transcendantalisme est contraint de postuler que le deux explique le un. Du coup, il mélange le réel et l'irréel au sein de cet autre, qui forme l'Un et qui parfois se trompe lourdement. On pourrait dire que pour expliquer l'un, il faut l'Un et que trop souvent l'Un se fourvoie en deux parce que l'Un est hautement incertain.
Telle est la limite du transcendantalisme et cette limite, le nihilisme ne la connaît que trop. Le diable est très fort pour déceler les limites. Mais que propose-t-il en lieu et place? Pire. Le pire. Le néant comme certitude à la place du réel comme incertitude. C'est-à-dire que le nihilisme dénonce le double pour lui substituer le double!
Le nihilisme dénonce le double du réel fantasmatique pour lui substituer le double du néant fantasmatique. Simplifier abusivement le réel exprime la même opération que doubler abusivement le réel. Mais cette opération est plus grave et destructrice dans le cas du nihilisme. L'erreur transcendantaliste consiste à exagérer le reél : le transcendantalisme voit plus de réel qu'il n'y en a. Voir plus de réel ne signifie pas qu'en lieu et place du trop-plein de réel il n'y ait rien, mais que le surplus en réel, cet Être au sens ontologique, signale l'existence d'une réalité qui n'est pas du fini et qui n'est pas de l'Etre.
Corrigeons : voir trop de réel, c'est voir trop de projection. On projette sur ce qui n'est pas du fini, on essentialise le fini et on en fait du Fini - ou de l'Infini. L'Etre est ainsi une projection du sensible - toujours en termes ontologiques. Voir trop de réel ne signifie pas qu'en lieu et place de ce quelque chose en trop, il n'y ait rien. L'erreur du nihilisme consiste à commencer par percevoir que l'Etre est une projection fantasmatique de l'être, puis par remplacer l'Etre par le néant.
Pour comprendre l'erreur du nihilisme, il faut comprendre que le réel qui n'est pas fini n'est pas forcément une projection du fini. Mais il est encore moins du néant. Entendons par néant au sens nihiliste le néant en tant que néant, soit la croyance dans l'existence positive du néant. Si l'on reprend les termes de la dialectique nihiliste opposée à la dialectique transcendantaliste, on comprend que la substitution du réel mystérieux par de la projection ontologique (de l'Etre sur le modèle du sensible) a pour effet de fausser la compréhension de ce réel mystérieux, mais a pour avantage insigne de conserver l'identité entre le réel connu et fini et le réel inconnu. Du coup, le réel demeure du réel.
Au contraire, le principe nihiliste détruit le sensible sous prétexte d'universaliser le sensible ou de réduire le réel à la seule définition connue du sensible. Le réel mystérieux est ainsi dénié. C'est le seul moyen, mais aussi le meilleur, d'établir le néant en lieu et place de l'Etre. Où l'approximation de l'Etre tendait à conserver le réel, son remplacement par le néant tend à détruire le réel. L'hypothèse théorique et ontologique nihiliste empire, car l'identité entre le fini et le réel mystérieux est détruite. Le néant diffère du réel fini. L'absence d'identité est la marque de la destruction.
Ce n'est pas le néant en tant que néant qui détruit le fini et qui prouverait ainsi son existence. C'est que l'absence d'identité entre le réel mystérieux et le fini a pour effet de détruire le fini et de remplacer le fini ordonné en fini chaotique. C'est dire que le principe d'identité dans le réel n'est pas seulement une nécessité théorique, mais possèdes des répercussions pratiques de la plus haute gravité.
Maintenant, il serait temps de comprendre que l'unité contenue derrière le principe d'identité est complémentaire du dualisme. L'erreur nihiliste consiste à opposer l'unicité au dualisme. Du coup, elle substitue un dualisme à un autre dualisme. Le dualisme provient d'une constatation simple : il est impossible pour la partie de parvenir à une représentation unifiée du réel. La partie se distingue toujours du tout.
Le seul moyen de réunir la partie et le tout suppose que l'on passe par le dualisme. C'est dire que le dualisme est un processus inamovible et inévitable. Le seul moyen de parvenir à l'unité revient à passer par le dualisme, selon le raisonnement le plus sain : le partie ne peut se transformer en tout. Il faut respecter le morcèlement ontologique.
Sous-entendre que le dualisme s'oppose à l'unité est ainsi un raisonnement typiquement nihiliste, pervers et détraqué. La vérité, c'est que l'unité est complémentaire du dualisme. Il n'est jusqu'à présent que deux types de raisonnement. Tous les deux sont dualistes.
1) La premier raisonnement est l'opposition dualiste entre le sensible et l'Etre. L'identité entre les deux termes permet l'unité. A noter que cette unité repose sur le principe contestable de la projection.
2) Le second raisonnement est nihiliste. Il oppose le sensible au néant. Le dualisme est évident. Par contre, l'absence d'identité entre le réel et le néant ruine l'unité.
On constate que l'unité ne s'obtient que par l'acceptation du dualisme, soit par l'identité dualiste du réel. Par contre, le déni du dualisme ruine l'unité au nom de son obtention. La seule unité passe par le dualisme. Le déni du dualisme ruine l'unité. La crise actuelle, la crise immanentiste, n'est possible que parce que l'ordre classique de type transcendantaliste s'est effondré. Le dualisme sensible/Être s'est effondré et le nihilisme a ressurgi et a pris la posture de l'immanentisme.
Cet effondrement du transcendantalisme plurimillénaire n'est pas anodin. C'est le plus formidable bouleversement connu. La dernière période où le nihilisme surgit et montre sa bobine hideuse et fascinante, c'est à l'époque où le polythéisme est remplacé par le monothéisme. C'est ainsi que le devoir de Platon fut de combattre l'émergence du nihilisme antique à l'époque où le monde change et où le monothéisme arrive.
Les nihilistes de l'époque sont les matérialistes et les sophistes. Mais l'effondrement du transcendantalisme engendre un choc bien plus considérable que le sous-effondrement polythéiste. Le polythéisme est un sous-ordre du transcendantalisme. L'émergence du monothéisme a permis de prolonger l'ordre du transcendantalisme et de pallier à la crise issue de l'effondrement du polythéisme.
Mais actuellement, le phénomène qui s'est produit est bien plus considérable : c'est l'effondrement du transcendantalisme, soit une crise comme jamais l'homme n'en a connu depuis qu'il s'est constitué en cultures. L'homme s'est constitué en être transcendantal. C'est toute son histoire que l'homme doit affronter. Que s'est-il passé dès lors pour que la crise du nihilisme moderne soit aussi importante? Elle dure en effet depuis le 1492 symbolique : soit depuis environ cinq siècles. Elle ne date pas d'hier.
L'immanentisme comme expression du nihilisme moderne n'a surgi que parce que subitement, l'homme a découvert que Dieu n'existait pas. L'Etre n'existait pas, ce qui a permis au prophète de l'immanentisme tardif et dégénéré, Nietzsche, d'annoncer que Dieu était mort. Il ne fut pas le seul à cette époque, mais il fut le plus théâtral et grandiloquent à l'annoncer. Que signifie l'erreur de Dieu? C'est l'erreur selon laquelle Dieu est projection du sensible.
On connaît tous la formule selon laquelle l'homme a été créé à l'image de son Créateur. Eh bien, cette projection et ce prolongement ne tiennent plus parce que l'homme se rend soudain compte que le réel n'est pas fabriqué sur le mode de la projection. Du coup, l'homme a l'impression que le seul réel est le réel immédiat. Si le réel projeté s'effondre, ne reste plus que l'immédiat. Auparavant, l'homme était persuadé que le sensible avait été fabriqué à l'image du réel, soit que la projection était un mécanisme de compréhension ontologique qui fonctionnait.
Cette croyance est l'expression même de la connaissance antique, selon laquelle l'homme peut connaître Dieu, puisque Dieu et l'homme ne sont que des modes identiques. C'est ainsi que Platon croit au sens premier aux Idées ou que Spinoza le saint de l'immanentisme perpétue cette croyance. Lui cependant ne l'applique qu'à son monisme, ce qui fait qu'il exclut le réel sous prétexte de tout inclure.
La rupture moderne se fonde autour de la prise de conscience que Dieu prolongement de l'homme n'existe pas en tant que phénomène d'universalisation et d'extension. Du coup, le nihiliste en tire la conclusion que Dieu n'existe pas. Simplification abusive! Raccourci théorique hâtif et présomptueux! Dieu n'est pas mort. Dieu est mot. Cette distinction essentielle signifie que c'est la représentation transcendantaliste qui est morte. Pas Dieu.
La modernité est immanentiste en ce que le moderne découvre que l'identité ne repose pas sur le principe de prolongement, d'extension et de projection. C'est ainsi que deux phénomènes s'entrecroisent et se distinguent :
- premièrement, la découverte symbolique de l'Amérique, qui signifie clairement que le reél n'est pas celui des monothéistes et des transcendantalistes. D'autres découvertes traumatisantes viendront détruire définitivement le dogme chrétien : la Terre n'est pas plate. La scolastique s'effondre.
- deuxièmement, l'avènement de la science qui prétend prendre la place du transcendantalisme. A tout malheur, chose bénéfique. L'effondrement du transcendantalisme a permis l'éclosion de la science moderne, fondée sur l'expérimentation et sur la vérification. Cette science est tout à fait positive et a engendré de grands résultats. Simplement, cette science ne s'applique qu'à des objets. Cette science ne se meut que dans l'univers de la finitude. Dès que la science moderne bascule dans le positivisme, elle perd sa positivité.
Si le discours scientifique reconnaît cette limitation de la science au fini, alors la science est merveilleuse. Mais si la science perd toute mesure, elle prend alors la place du transcendantalisme et elle estime dans sa folie qu'elle est théorie du réel, qu'elle est pensée supérieure à la pensée classique. C'est ce qu'on a appelé le positivisme ou le scientisme. La dénonciation de ces mouvements est rebattue.
Gare à la ruse qui consiste à faire semblant de contester un mouvement alors qu'on est ce mouvement et qu'on se contente de dénoncer le plus extrémiste et le plus grotesque du mouvement. La modernité conteste ainsi le positivisme comme l'exacerbation extrémiste d'un processus qui est le processus moderne. La modernité est défini par le paradigme immanentiste. Le positivisme n'est que l'extrémisme et l'exacerbation de l'immanentisme.
Comte est ainsi (notamment) dénoncé comme fou et excessif alors qu'on ne se rend pas compte que Spinoza ou Nietzsche sont l'incarnation plus modérée et conséquente d'un courant qui englobe le positivisme. Le positivisme n'est pas seulement le discours explicite selon lequel la démarche scientifique va parvenir à découvrir la vérité du réel. Cette affirmation péremptoire sera vite démentie par les faits. Par contre, les faits ne peuvent pas démentir le vrai positivisme, selon lequel le réel se résume à l'immédiat, à l'apparence. C'est ce qu'explique Nietzsche, avec sa théorie du réel comme empilement de couches successives d'apparences en lieu et place de l'opposition sensible/Être.
Telle est la modernité, qui remplace ainsi la profondeur de l'ailleurs par la simplicité de l'ici. On peut sans peine interpréter et conjecturer que la crise immanentiste provient de la prise de conscience de l'erreur transcendantaliste, selon laquelle le réel est la projection du fini. Du coup, l'erreur nihiliste consiste à passer à l'extrême inverse : le seul réel est l'immédiat. La science moderne ne pouvait qu'éclore dans l'essor de cette mentalité, qui tend à réduire au lieu d'étendre. C'est dire que l'immanentisme favorise la science, conséquence positive de l'immanentisme; mais que l'immanentisme en tant que tel est une conséquence négative de l'effondrement transcendantaliste.
On peut expliquer par la projection le transcendantalisme. Le nihilisme lui se définit par la disjonction. Le transcendantalisme établit une continuité baroque en tâtonnant entre le fini et l'Etre. Le nihilisme rompt cette continuité et disjoint le sensible et le néant. On peut estimer que le sensible est universalisé au réel et à son tour projeté. Dans cette optique, le mécanisme de projection n'apparaît guère, puisque du fini accouche le néant. Mais il faut penser en termes de rupture et de réduction.
Si le réel se réduit tel une peau de chagrin, c'est précisément pour laisser place au néant. C'est pour éviter la perte de l'identité que le dualisme classique se met en place. On peut estimer que l'effort du transcendantalisme vise à prévenir l'apparition du nihilisme, qui n'est possible que dans une conception religieuse où l'identité n'existe pas et où le dualisme est connexe de la disjonction et de la rupture.
L'immanentisme a restauré la disjonction sous l'effet de l'effondrement du transcendantalisme. Autrement dit, l'effondrement d'un certain ordre libère la réaction vers le désordre, comme si le désordre pouvait succéder à l'ordre. Attente immanentiste. En réalité, c'est toujours un certain ordre qui succède à un certain ordre, présence de l'ordre qui n'implique pas la négation du désordre. Le désordre est présent dans l'ordre.
Le désordre n'est jamais que l'expression humaine d'un type d'ordre qui ne correspond pas à la conception humaine de l'ordre. Cette crise que tous s'accordent à reconnaître comme religieuse libèrera l'espace pour un nouveau type de religiosité : le transcendantalisme est mort, vive la suite du transcendantalisme! Précision : cette suite ne correspond certainement pas à l'immanentisme, qui n'est jamais qu'une crise. Un effet du néant.
Le dualisme nihiliste exprime l'aggravation du chaos. Le dualisme classique consiste à faire de un deux; le dualisme nihiliste à faire de deux un. Unifier le deux équivaut à dédoubler le un. Le nihilisme ne résout pas le problème qu'il perçoit et dénonce dans le classicisme : l'incapacité à définir le réel, soit l'incapacité à distinguer ce qui est certain de ce qui est incertain. Autrement dit, la duplication que reproche le nihilisme au transcendantalisme, il ne la résout pas. Au contraire, il la renforce.
Car faire de l'un le deux signifie que l'on ne sait pas bien au fond ce qui est et ce qui n'est pas. On sait que ce qui est est; mais l'on ne sait pas ce qui n'est pas. On ne sait guère ce qui est. Le transcendantalisme est contraint de postuler que le deux explique le un. Du coup, il mélange le réel et l'irréel au sein de cet autre, qui forme l'Un et qui parfois se trompe lourdement. On pourrait dire que pour expliquer l'un, il faut l'Un et que trop souvent l'Un se fourvoie en deux parce que l'Un est hautement incertain.
Telle est la limite du transcendantalisme et cette limite, le nihilisme ne la connaît que trop. Le diable est très fort pour déceler les limites. Mais que propose-t-il en lieu et place? Pire. Le pire. Le néant comme certitude à la place du réel comme incertitude. C'est-à-dire que le nihilisme dénonce le double pour lui substituer le double!
Le nihilisme dénonce le double du réel fantasmatique pour lui substituer le double du néant fantasmatique. Simplifier abusivement le réel exprime la même opération que doubler abusivement le réel. Mais cette opération est plus grave et destructrice dans le cas du nihilisme. L'erreur transcendantaliste consiste à exagérer le reél : le transcendantalisme voit plus de réel qu'il n'y en a. Voir plus de réel ne signifie pas qu'en lieu et place du trop-plein de réel il n'y ait rien, mais que le surplus en réel, cet Être au sens ontologique, signale l'existence d'une réalité qui n'est pas du fini et qui n'est pas de l'Etre.
Corrigeons : voir trop de réel, c'est voir trop de projection. On projette sur ce qui n'est pas du fini, on essentialise le fini et on en fait du Fini - ou de l'Infini. L'Etre est ainsi une projection du sensible - toujours en termes ontologiques. Voir trop de réel ne signifie pas qu'en lieu et place de ce quelque chose en trop, il n'y ait rien. L'erreur du nihilisme consiste à commencer par percevoir que l'Etre est une projection fantasmatique de l'être, puis par remplacer l'Etre par le néant.
Pour comprendre l'erreur du nihilisme, il faut comprendre que le réel qui n'est pas fini n'est pas forcément une projection du fini. Mais il est encore moins du néant. Entendons par néant au sens nihiliste le néant en tant que néant, soit la croyance dans l'existence positive du néant. Si l'on reprend les termes de la dialectique nihiliste opposée à la dialectique transcendantaliste, on comprend que la substitution du réel mystérieux par de la projection ontologique (de l'Etre sur le modèle du sensible) a pour effet de fausser la compréhension de ce réel mystérieux, mais a pour avantage insigne de conserver l'identité entre le réel connu et fini et le réel inconnu. Du coup, le réel demeure du réel.
Au contraire, le principe nihiliste détruit le sensible sous prétexte d'universaliser le sensible ou de réduire le réel à la seule définition connue du sensible. Le réel mystérieux est ainsi dénié. C'est le seul moyen, mais aussi le meilleur, d'établir le néant en lieu et place de l'Etre. Où l'approximation de l'Etre tendait à conserver le réel, son remplacement par le néant tend à détruire le réel. L'hypothèse théorique et ontologique nihiliste empire, car l'identité entre le fini et le réel mystérieux est détruite. Le néant diffère du réel fini. L'absence d'identité est la marque de la destruction.
Ce n'est pas le néant en tant que néant qui détruit le fini et qui prouverait ainsi son existence. C'est que l'absence d'identité entre le réel mystérieux et le fini a pour effet de détruire le fini et de remplacer le fini ordonné en fini chaotique. C'est dire que le principe d'identité dans le réel n'est pas seulement une nécessité théorique, mais possèdes des répercussions pratiques de la plus haute gravité.
Maintenant, il serait temps de comprendre que l'unité contenue derrière le principe d'identité est complémentaire du dualisme. L'erreur nihiliste consiste à opposer l'unicité au dualisme. Du coup, elle substitue un dualisme à un autre dualisme. Le dualisme provient d'une constatation simple : il est impossible pour la partie de parvenir à une représentation unifiée du réel. La partie se distingue toujours du tout.
Le seul moyen de réunir la partie et le tout suppose que l'on passe par le dualisme. C'est dire que le dualisme est un processus inamovible et inévitable. Le seul moyen de parvenir à l'unité revient à passer par le dualisme, selon le raisonnement le plus sain : le partie ne peut se transformer en tout. Il faut respecter le morcèlement ontologique.
Sous-entendre que le dualisme s'oppose à l'unité est ainsi un raisonnement typiquement nihiliste, pervers et détraqué. La vérité, c'est que l'unité est complémentaire du dualisme. Il n'est jusqu'à présent que deux types de raisonnement. Tous les deux sont dualistes.
1) La premier raisonnement est l'opposition dualiste entre le sensible et l'Etre. L'identité entre les deux termes permet l'unité. A noter que cette unité repose sur le principe contestable de la projection.
2) Le second raisonnement est nihiliste. Il oppose le sensible au néant. Le dualisme est évident. Par contre, l'absence d'identité entre le réel et le néant ruine l'unité.
On constate que l'unité ne s'obtient que par l'acceptation du dualisme, soit par l'identité dualiste du réel. Par contre, le déni du dualisme ruine l'unité au nom de son obtention. La seule unité passe par le dualisme. Le déni du dualisme ruine l'unité. La crise actuelle, la crise immanentiste, n'est possible que parce que l'ordre classique de type transcendantaliste s'est effondré. Le dualisme sensible/Être s'est effondré et le nihilisme a ressurgi et a pris la posture de l'immanentisme.
Cet effondrement du transcendantalisme plurimillénaire n'est pas anodin. C'est le plus formidable bouleversement connu. La dernière période où le nihilisme surgit et montre sa bobine hideuse et fascinante, c'est à l'époque où le polythéisme est remplacé par le monothéisme. C'est ainsi que le devoir de Platon fut de combattre l'émergence du nihilisme antique à l'époque où le monde change et où le monothéisme arrive.
Les nihilistes de l'époque sont les matérialistes et les sophistes. Mais l'effondrement du transcendantalisme engendre un choc bien plus considérable que le sous-effondrement polythéiste. Le polythéisme est un sous-ordre du transcendantalisme. L'émergence du monothéisme a permis de prolonger l'ordre du transcendantalisme et de pallier à la crise issue de l'effondrement du polythéisme.
Mais actuellement, le phénomène qui s'est produit est bien plus considérable : c'est l'effondrement du transcendantalisme, soit une crise comme jamais l'homme n'en a connu depuis qu'il s'est constitué en cultures. L'homme s'est constitué en être transcendantal. C'est toute son histoire que l'homme doit affronter. Que s'est-il passé dès lors pour que la crise du nihilisme moderne soit aussi importante? Elle dure en effet depuis le 1492 symbolique : soit depuis environ cinq siècles. Elle ne date pas d'hier.
L'immanentisme comme expression du nihilisme moderne n'a surgi que parce que subitement, l'homme a découvert que Dieu n'existait pas. L'Etre n'existait pas, ce qui a permis au prophète de l'immanentisme tardif et dégénéré, Nietzsche, d'annoncer que Dieu était mort. Il ne fut pas le seul à cette époque, mais il fut le plus théâtral et grandiloquent à l'annoncer. Que signifie l'erreur de Dieu? C'est l'erreur selon laquelle Dieu est projection du sensible.
On connaît tous la formule selon laquelle l'homme a été créé à l'image de son Créateur. Eh bien, cette projection et ce prolongement ne tiennent plus parce que l'homme se rend soudain compte que le réel n'est pas fabriqué sur le mode de la projection. Du coup, l'homme a l'impression que le seul réel est le réel immédiat. Si le réel projeté s'effondre, ne reste plus que l'immédiat. Auparavant, l'homme était persuadé que le sensible avait été fabriqué à l'image du réel, soit que la projection était un mécanisme de compréhension ontologique qui fonctionnait.
Cette croyance est l'expression même de la connaissance antique, selon laquelle l'homme peut connaître Dieu, puisque Dieu et l'homme ne sont que des modes identiques. C'est ainsi que Platon croit au sens premier aux Idées ou que Spinoza le saint de l'immanentisme perpétue cette croyance. Lui cependant ne l'applique qu'à son monisme, ce qui fait qu'il exclut le réel sous prétexte de tout inclure.
La rupture moderne se fonde autour de la prise de conscience que Dieu prolongement de l'homme n'existe pas en tant que phénomène d'universalisation et d'extension. Du coup, le nihiliste en tire la conclusion que Dieu n'existe pas. Simplification abusive! Raccourci théorique hâtif et présomptueux! Dieu n'est pas mort. Dieu est mot. Cette distinction essentielle signifie que c'est la représentation transcendantaliste qui est morte. Pas Dieu.
La modernité est immanentiste en ce que le moderne découvre que l'identité ne repose pas sur le principe de prolongement, d'extension et de projection. C'est ainsi que deux phénomènes s'entrecroisent et se distinguent :
- premièrement, la découverte symbolique de l'Amérique, qui signifie clairement que le reél n'est pas celui des monothéistes et des transcendantalistes. D'autres découvertes traumatisantes viendront détruire définitivement le dogme chrétien : la Terre n'est pas plate. La scolastique s'effondre.
- deuxièmement, l'avènement de la science qui prétend prendre la place du transcendantalisme. A tout malheur, chose bénéfique. L'effondrement du transcendantalisme a permis l'éclosion de la science moderne, fondée sur l'expérimentation et sur la vérification. Cette science est tout à fait positive et a engendré de grands résultats. Simplement, cette science ne s'applique qu'à des objets. Cette science ne se meut que dans l'univers de la finitude. Dès que la science moderne bascule dans le positivisme, elle perd sa positivité.
Si le discours scientifique reconnaît cette limitation de la science au fini, alors la science est merveilleuse. Mais si la science perd toute mesure, elle prend alors la place du transcendantalisme et elle estime dans sa folie qu'elle est théorie du réel, qu'elle est pensée supérieure à la pensée classique. C'est ce qu'on a appelé le positivisme ou le scientisme. La dénonciation de ces mouvements est rebattue.
Gare à la ruse qui consiste à faire semblant de contester un mouvement alors qu'on est ce mouvement et qu'on se contente de dénoncer le plus extrémiste et le plus grotesque du mouvement. La modernité conteste ainsi le positivisme comme l'exacerbation extrémiste d'un processus qui est le processus moderne. La modernité est défini par le paradigme immanentiste. Le positivisme n'est que l'extrémisme et l'exacerbation de l'immanentisme.
Comte est ainsi (notamment) dénoncé comme fou et excessif alors qu'on ne se rend pas compte que Spinoza ou Nietzsche sont l'incarnation plus modérée et conséquente d'un courant qui englobe le positivisme. Le positivisme n'est pas seulement le discours explicite selon lequel la démarche scientifique va parvenir à découvrir la vérité du réel. Cette affirmation péremptoire sera vite démentie par les faits. Par contre, les faits ne peuvent pas démentir le vrai positivisme, selon lequel le réel se résume à l'immédiat, à l'apparence. C'est ce qu'explique Nietzsche, avec sa théorie du réel comme empilement de couches successives d'apparences en lieu et place de l'opposition sensible/Être.
Telle est la modernité, qui remplace ainsi la profondeur de l'ailleurs par la simplicité de l'ici. On peut sans peine interpréter et conjecturer que la crise immanentiste provient de la prise de conscience de l'erreur transcendantaliste, selon laquelle le réel est la projection du fini. Du coup, l'erreur nihiliste consiste à passer à l'extrême inverse : le seul réel est l'immédiat. La science moderne ne pouvait qu'éclore dans l'essor de cette mentalité, qui tend à réduire au lieu d'étendre. C'est dire que l'immanentisme favorise la science, conséquence positive de l'immanentisme; mais que l'immanentisme en tant que tel est une conséquence négative de l'effondrement transcendantaliste.
On peut expliquer par la projection le transcendantalisme. Le nihilisme lui se définit par la disjonction. Le transcendantalisme établit une continuité baroque en tâtonnant entre le fini et l'Etre. Le nihilisme rompt cette continuité et disjoint le sensible et le néant. On peut estimer que le sensible est universalisé au réel et à son tour projeté. Dans cette optique, le mécanisme de projection n'apparaît guère, puisque du fini accouche le néant. Mais il faut penser en termes de rupture et de réduction.
Si le réel se réduit tel une peau de chagrin, c'est précisément pour laisser place au néant. C'est pour éviter la perte de l'identité que le dualisme classique se met en place. On peut estimer que l'effort du transcendantalisme vise à prévenir l'apparition du nihilisme, qui n'est possible que dans une conception religieuse où l'identité n'existe pas et où le dualisme est connexe de la disjonction et de la rupture.
L'immanentisme a restauré la disjonction sous l'effet de l'effondrement du transcendantalisme. Autrement dit, l'effondrement d'un certain ordre libère la réaction vers le désordre, comme si le désordre pouvait succéder à l'ordre. Attente immanentiste. En réalité, c'est toujours un certain ordre qui succède à un certain ordre, présence de l'ordre qui n'implique pas la négation du désordre. Le désordre est présent dans l'ordre.
Le désordre n'est jamais que l'expression humaine d'un type d'ordre qui ne correspond pas à la conception humaine de l'ordre. Cette crise que tous s'accordent à reconnaître comme religieuse libèrera l'espace pour un nouveau type de religiosité : le transcendantalisme est mort, vive la suite du transcendantalisme! Précision : cette suite ne correspond certainement pas à l'immanentisme, qui n'est jamais qu'une crise. Un effet du néant.
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