vendredi 6 mars 2009

Duplication systémique

"Je veux surtout pas te casser ton moral
Mais c'est le bordel quand t'entres pas dans leur panel."
NTM, Nique le CSA.

"Les ânes nés passent, pourtant tout est toujours à sa place,
Plus de bitume donc encore moins d'espace
Vital et nécessaire à l'équilibre de l'homme
Non, personne n'est séquestré mais c'est tout comme."
Adaptation (parodique et légère) de NTM, Qu'est-ce qu'on attend?

Quand on essaye d'expliquer aux gens que la version officielle du 911 est une supercherie grotesque et qu'elle est le prétexte pour légitimer la guerre contre le terrorisme et le Nouvel Ordre Mondial comme remède à la crise systémique effroyable, les gens vous regardent avec de grands yeux estourbis. S'ils sont gentils, ils vous répondent souvent : "Désolé, on ne peut rien y faire." S'ils sont cyniques : "Et alors?". S'ils sont méchants : "Pas de temps à perdre avec des théories complotistes qui nous empêchent d'accéder à notre petit plaisir personnel". S'ils sont pervers : "C'est faux, complotiste, paranoïaque, antisémite et négationniste".
La duplication fantomatique est là, sous nos yeux, et nous nous efforçons de l'éviter. Nous dupliquons le réel quand nous sommes confrontés à de l'inacceptable et de l'indésirable. Le réalisme immanentiste est précisément le réalisme de qui refuse le reél au nom du désir. La supercherie immanentiste consiste à postuler que le reél est compatible avec le désir. Que l'homme possède la faculté de concilier le réel et le désir.
Celui qui comprend que le 911 est une imposture comprend que le système est condamné. Que son fonctionnement repose sur l'erreur d'aiguillage. Par conséquent, il tente candidement de prévenir son entourage : "Le 911 est une supercherie, l'Occident fonctionne la tête à l'envers!". Ce spectateur lucide, qui contemple l'abîme de la duplication fantomatique, qui s'exprime notamment dans la duplication hallucinatoire entre la guerre d'Irak condamnée et la cause 911 légitimée, ne se rend pas compte qu'il commet à son tour une duplication fantomatique et fondamentale en dissociant les peuples d'Occident du système occidental désaxé.
En réalité, de même que le 911 et la guerre contre le terrorisme ne font qu'un, les peuples occidentaux et l'Occident ne font qu'un. Il est impossible de désillusionner l'illusionné dans la mesure où l'illusionné veut y croire à tout prix. Exemple à l'heure actuelle avec la crise systémique, qui engendre des comportements typiques du syndrome Titanic : faisons la fête avant que le bateau ne coule et ne pensons surtout pas au naufrage. A l'essentiel.
Œdipe se crève les yeux quand il accède à la vérité trop atroce. Œdipe ne peut supporter l'administration de la vérité. Les peuples d'Occident ne peuvent supporter l'administration de la vérité, tout simplement parce que ce sont eux qui produisent le fonctionnement occidental. Ce sont eux l'Occident. Il existe de nombreux stratagèmes pour cautionner ce système inique et pervers. Mais pour que les peuples occidentaux accèdent la vérité, encore faudrait-il qu'ils en passent par le cheminement tragique d'Œdipe.
Raison de leur résistance incompréhensible pour qui comprend que le système occidental s'effondre et connaîtra un destin funeste : ils ne peuvent supporter l'administration de la vérité sans se crever les yeux et se détruire. La vérité, c'est que si l'on arrête de dupliquer entre le système occidental et les peuples d'Occident, on comprend que le système occidental reflète une mentalité diffuse et raciste, qui ne peut fonctionner correctement depuis des siècles que parce qu'elle dispose du soutien massif des peuples occidentaux. Si le système occidental est raciste, c'est que les peuples sont racistes.
A-t-on empêché en Occident, par des soulèvements populaires, des insurrections syndicales, les scandales? Non. On pratique la politique de l'autruche et l'on fait comme si rien ne s'était passé, en escomptant que les choses s'arrangent miraculeusement. C'est ainsi que l'on détourne le regard quand le 911 est évoqué. Et JFK? Le Vietnam? Kissinger? Pinochet? Seoud? Inintéressants.
On peut clairement parler de responsabilité populaire ou institutionnelle quand au nom d'un État certaines factions pratiquent des actes criminels et illégaux. C'est ainsi que l'on évoque la responsabilité du peuple allemand dans les atrocités commises par les nazis. C'est ainsi que la France de Mitterrand fut condamnée pour ses crimes dans l'affaire piteuse du Rainbow Warrior. C'est ainsi qu'en toute conséquence, il faudra bien envisager la responsabilité du peuple israélien dans son silence ayant valeur d'acceptation de la politique de destruction du peuple autochtone palestinien.
Dès lors, on ne peut pleinement comprendre les réactions de silence, d'effroi et de soutien face au fonctionnement désaxé du système occidental que si l'on mesure que le système occidental est le produit de l'ensemble des peuples d'Occident, pas seulement de quelques factions nourries et incontrôlables. Si tel était le cas, voilà belle lurette que des forces institutionnelles représentatives de la volonté générale, de la volonté majoritaire, auraient mis fin à des agissements criminels de la plus haute gravité. Ce sont les peuples occidentaux qui sont responsables de la politique de l'Occident.
Tel n'est évidemment pas le cas. On peut se contenter de choisir des boucs émissaires et de stigmatiser les élites, certaines élites, les banquiers, certains banquiers, les financiers, certains financiers. En plus, on aura partiellement raison, car ces élites corrompues sont parfaitement coupables. Mais on aura aussi tort parce qu'on aura oublié d'envisager l'ensemble du problème. Et le problème intégral, c'est que les agissements de ces factions élitistes et corrompues ne sont possibles que parce qu'ils bénéficient du soutien, sinon direct, du moins diffus et massif, de la masse occidentale.
Qui ne dit mot consent. Si l'on résume, nous avons affaire à un système qui profite concrètement et unilatéralement aux peuples occidentaux. C'est un système colonialiste, impérialiste, prédateur, inégalitaire, raciste et eugéniste. Ce système est mis en place par des élites intellectuelles et politiques qui sont lucides avec les conditions d'établissement et qui légitiment ces conditions atroces par le prétexte de la domination et de la nécessité.
Ces élites lucides sont soutenues par un réseau de relais de propagande qui appartiennent à des couches sociales supérieures, matériellement aisées, et qui estiment représenter l'élite alors qu'elles n'en sont que l'instrument.
Puis viennent les classes moyennes, dont Solon a justement dit qu'elle constituaient le ciment de toute société pérenne. Ces classes moyennes suivent mimétiquement et souvent servilement. Elles se fient à leur intérêt immédiat, qui est le suivant : peut-être existe-t-il scandales et injustices, mais en tout cas, elles mangent, elles boivent et elles dorment à peu près correctement. Quand ces conditions viendront à manquer, elles se révolteront. D'ici là, elles cautionnent : le prix de leur soutien se situe à la limite de leur besoin matériel (je dirais : alimentaire).
Quand les classes moyennes souffrent trop de la répercussion inexorable de l'effondrement lent de leur système, elles ont le choix entre deux alternatives : soit se révolter; soit choisir le prétexte sécuritaire. C'est ce qu'elles font. C'est dire à quel point les classes moyennes sont conservatrices, c'est-à-dire à quel point elles souhaitent conserver le système qui les choie quand même plutôt et qui leur agrée, peut-être imparfaitement, mais enfin, prioritairement. Au fond, elles ne font que relayer le conservatisme de tout leur système, dont les formes de conservatisme explicite sont sans doute les plus virulentes (l'expression des classes dominantes ou s'estimant telles).
Dans cet ordre d'idée il faut comprendre qu'il existe un conservatisme qui se présente comme progressiste et qui est effectivement progressiste dans la mesure où il souhaite un certain progrès. Pas le progrès de l'homme ou de la société, mais le progrès du système occidental. Le progrès d'un système impérialiste. C'est ainsi que l'on peut fort bien soutenir de manière conservatrice le système occidental au nom de valeurs que l'on estime progressistes. On est alors un impérialiste progressiste qui oublie l'impérialisme pour mette en avant le progressisme.
On pourrait évoquer le contresens de ceux qui situent les responsables des politiques issues de l'impérialisme, non dans les rangs de l'impérialisme, mais dans les rangs des victimes de ces politiques. C'est ne cerner l'enjeu du problème qu'en se concentrant sur une conséquence partielle et secondaire. Pourtant, il n'est pas insurmontable de comprendre que les responsables sont des factions transversales, qui intègrent dans leur giron tant des "colons" que des "colonisés".
On peut faire mine de ne voir que certaines parties et ainsi incriminer seulement les colons (vision progressiste naïve) ou les colonisés (vision conservatrice naïve). Le must de la confusion savamment entretenue consiste à incriminer seulement le parti des colonisés au nom du progressisme. Manière de déculpabiliser à peu de frais le néocolon, soit l'Occident, au nom du progressisme impérialiste.
Cependant, le point névralgique tient à l'état factuel du monde : l'impérialisme fonctionne sur la domination par une minorité de la majorité. Le système impérialiste occidental asservit l'insigne partie de la planète pour perpétuer sa domination. La prospérité matérielle occidentale n'est possible qu'avec l'exploitation du reste de la planète. Les populations occidentales profitent d'un système qui les protège parce qu'elles abritent en leur sein les factions oligarchiques dominantes. On se demande toujours : pourquoi la prospérité n'est-elle pas mondiale alors que les possibilités techniques existent largement? Pourquoi est-elle seulement occidentale? On répond que c'est la faute des anciens colonisés, des dictateurs, des élites autochtones corrompues, et autres explications fumeuses, alors qu'on cherche seulement à déculpabiliser le système impérialiste occidental en expliquant que l'état florissant de l'Occident découle des politiques supérieures qu'il a mises en place et qu'il est le seul à avoir établies.
Si les autres crèvent de faim, c'est qu'il n'ont pas été capables de surmonter leurs dysfonctionnements.
1) Si l'on est impérialiste progressiste optimiste, on estime qu'ils en seront capables.
2) Si l'on est impérialiste progressiste pessimiste, on juge qu'ils n'en sont pas capables. Position hypocrite et désaxée d'un Bruckner.
3) Si l'on est un impérialiste pragmatique explicite, on accepte cette inégalité foncière en rappelant qu'elle est nécessaire et qu'il ne faut pas se désoler d'avoir la chance d'appartenir au camp des élus.
4) Si l'on est par contre un impérialiste pragmatique implicite, on s'affiche anticolonialiste, on lutte contre les inégalités en se gardant bien de remonter jusqu'à la source des inégalités, le système auquel on appartient, le système occidental impérialiste. On guérit des conséquences superficielles pourvu qu'elles reviennent et à condition de pas affronter la cause de ses problèmes. On travaille sur quelques conséquences disparates pour se donner bonne conscience et on montre l'étendue de son impérialisme de bonne foi et de bonne conscience quand on refuse d'affronter les implications de la cause.
On notera que finalement toutes ces positions sont des impérialismes plus ou moins assumés, plus ou moins hypocrites, et que l'impérialisme progressiste pessimiste est fort proche de l'impérialisme pragmatique implicite. Osons le vrai terme de la vérité : le progressisme et le pragmatisme se rejoignent sur leur identité commune et profonde d'impérialisme. Bonnet blanc et blanc bonnet, quoi.
Tu ne parviendras jamais à déciller l'aveuglement entêté des impérialistes parce qu'ils sont les heureux bénéficiaires de l'impérialisme. Telle est ton erreur. Telle est ta duplication fantasmatique. Tu aimerais tellement que le bourreau prenne conscience de sa faute et change. Tu aimerais tellement que l'ogre s'améliore, qu'il devienne soudain bon, gentil, serviable et généreux. Peine perdue! Cause perdue! Tu aimerais tellement qu'Œdipe accède à la vérité et se transforme en homme respectable, après avoir réparé la faute initiale de sa vie. Tu aimerais tellement que l'homme n'ait pas péché. Tu aimerais tellement être heureux que tu préfères ne pas voir et que tu dupliques pour ne pas voir.
Qu'est-il arrivé aux passagers du Titanic? Ils ont préféré détourner les yeux, festoyer, rire et danser, alors que leur navire inoxydable fonçait vers son naufrage prévisible. Le seul moyen pour eux d'accepter l'évidence aurait consisté à accepter leur faiblesse. Ils ont fini dans les pleurs et la douleur. Souffrance océane. Qu'est-il arrivé à Œdipe? Il a préféré détourner les yeux, régenter et administrer. Il a fini les yeux crevés, identitairement détruit, d'avoir tué son père et couché avec sa mère. Prix du pouvoir, tribut de César. Œdipe aurait évité son destin tragique et funeste s'il avait eu la force d'accepter l'oracle qui lui prédisait qu'il coucherait avec sa mère et qu'il tuerait son père.
Enseignement de Rosset : on réalise le reél quand on prétend l'éviter. On apaise le reél quand on accepte ses manifestations inéluctables, y compris les plus désagréables. Malheureusement, je crains fort que les peuples d'Occident ne soient pas en mesure d'accepter l'évidence de l'impérialisme du système qu'ils ont forgé et qu'ils continuent à entretenir, comme un feu de gangrène. Du coup, l'issue est inéluctable : le système occidental va disparaître et il n'y a rien à faire. Avertir du péril imminent est aussi inutile que dans les cas historiques ou mythiques évoqués précédemment.
Il ne sert à rien d'avertir du danger quand la future victime ne veut pas savoir. Il ne sert à rien d'avertir les passagers du Titanic, à rien de prévenir Œdipe, à rien de mettre en garde les Babyloniens (contre le projet Babel), à rien d'alerter les habitants de Sodome et Gomorrhe. S'ils avaient les moyens d'empêcher les terribles évènements advenus, ces évènements n'auraient précisément jamais eu lieu.
L'Occident va tomber, l'Occident va s'effondrer, et cette annonce mortifère est finalement une bonne chose, la seule bonne chose. Quand un système est trop gangréné, trop corrompu, trop pourri, la seule manière de l'améliorer consiste à le changer. C'est une réalité saine que les systèmes gangrénés s'effondrent : ainsi ils contribuent à pérenniser le reél en provoquant eux-mêmes leur chute, au lieu de colmater les brèches et de retarder leur issue.
Au vingtième siècle, de nombreux observateurs ont prévenu de cette chute. Parmi les victimes lucides, les Rastas de Jamaïque ont été parmi les plus prophétiques, en adoptant les récits bibliques de la chute de Babylone pour les appliquer à l'Occident esclavagiste et colonialiste. On peut s'étonner de leur science oraculaire et estimer qu'elle descend d'un pouvoir chamanique ou divin. Mais c'est oublier que leur lucidité leur vient de leur position de victime critique.
Il faut vivre la situation du colonisé et de l'esclave pour prendre conscience de ce que sont le colonialisme et l'esclavage. De ce qu'est l'impérialisme. Si l'on n'est pas confronté à ces situations de violence et de destruction, on n'en a pas conscience. Tout simplement. Et la dernière chose à faire, la plus folle, consiste à attendre du colon (ou de l'esclavagiste) qu'il prenne conscience de la violence du système qu'il incarne après l'avoir instauré. Attendre de l'impérialiste qu'il prenne la mesure de l'injustice de l'impérialisme?
Autant demander à un empoisonneur de guérir sa victime ou à un pyromane de mette fin aux incendies qu'il a fomentés. La plus haute duplication consiste à attendre d'un impérialiste qu'il change son comportement impérialiste et qu'il accède à la souffrance que son système inflige à ses victimes de par le monde. A la haine de plus en plus virulente qu'il suscite parmi les victimes. C'est impossible. La prise de conscience n'est possible que parmi les victimes. Et encore : il faut que la victime possède un point de référence solide, quasi miraculeux, comme le refus de la violence ou tout autre type de revendication profonde.
Les Rastas de Jamaïque avaient l'exemple du Christ pour amorcer leur prise de conscience. C'est l'impulsion critique qui a produit Bob Marley. Pour le meilleur et pour le pire. Marley n'a pas empêché la poursuite (et l'aggravation) de l'impérialisme, sur son île comme en Afrique (et dans le reste du monde), mais il nous a laissé la plus belle oeuvre des chansonniers modernes.
Sans doute est-ce le parti à tirer de la duplication fantomatique : elle ne nous aide pas à en finir avec nos maux; mais elle nous pousse à changer et à progresser. Changer et progresser au sens littéral : nous avons besoin d'accroître notre territoire, notre domaine de lutte comme dirait l'autre, pour échapper à notre démon : si nous n'avançons pas, loin de cesser de dupliquer, nous dupliquons de plus belle - et nous disparaissons.
Si nous avançons, alors nous allons dans l'espace et nous sauvons l'espèce. Il est probable que ceux qui sauveront l'espèce se trouveront parmi les réprouvés et les damnés paroxystiques actuels : les Africains. Les victimes de l'impérialisme occidental. Ceux qui bêtes et méchants accèderont miraculeusement à la technique la plus haute pour sauver l'homme et lui faire découvrir son nouvel espace. Vital. Et nécessaire.

Aucun commentaire: