lundi 22 novembre 2010

Le reflet libertarien


D'après un ami, un acteur italien aurait déclaré que le pire danger pour l'Italie n'était pas Berlusconi, mais la part de Berlusconi que chaque Italien possédait en lui-même. Cette remarque rejoint la distinction islamique entre le grand et le petit Jihad. Alors qu'on nous bassine avec le Jihad armé et frustre, on mentionne rarement que cette référence renvoie seulement au petit Jihad, alors que le grand Jihad désigne la lutte psychologique que l'on doit mener contre ses propres travers.
Suite à la terrible crise économique que le monde globalisé traverse et qui affecte tout particulièrement les Etats-Unis, avec un effondrement cataclysmique qui est en train de plonger la nation la plus riche du monde dans la voie de la tiers-mondisation, l'administration s'est fait justement sanctionner dans les élections de novembre 2010 pour sa gestion oligarchique et ultralibérale consistant à renflouer Wall Street et à opérer des coupes cryptofascistes contre main street.
Quels sont les nouveaux représentants démocratiques que les électeurs américains ont promus (du moins ceux qui sont allés voter)? Des opposants à la politique d'Obama qui allaient mettre fin à la crise en cessant de renflouer Wall Street pour venir en aide aux classes moyennes et défavorisées (bientôt un synonyme), alors qu'Obama avait prétendu lors de ses discours électoraux qu'il allait aider ces classes moyennes?
Il était évident que la cause de la crise est la théorie ultralibérale qui ravage le monde depuis la fin des Trente glorieuses, en gros depuis le découplage or/dollar de 1971. Eh bien, aussi incroyable ou irrationnel, les électeurs américains ont choisi pour remédier à l'ultralibéralisme qui ravage leur pays depuis Nixon (à des degrés divers) des extrémistes et des fascistes à droite de l'ultralibéralisme. C'est comme si un malade vous déclarait que face au poison dont il est la victime et qui cause sa maladie, il choisit un poison encore plus fort et plus pernicieux en guise d'alternative et de changement...
Prend-on la mesure de ce genre de folie? C'est pourtant celle qui est à l'oeuvre chez les électeurs américains qui ont voté pour des libertariens et autres ultraconservatuers pour punir les démocrates ultralibéraux (progressistes) autour d'Obama. Les libertariens ne sont rien d'autres que des ultraultralibéraux, qui prétendent encore plus démanteler l'Etat et promouvoir l'individu exclusif. Les libertariens sont au service des individualistes, soit des plus forts (des oligarques).
On glose, on jase et on s'étonne de ce choix - calamiteux. L'on impute cette bizarrerie à la dépolitisation des électeurs, ce qui est vrai, mais qui ne fait que confirmer le verdict lucide. Si les électeurs italiens ont voté pour Berlusconi - en majorité, c'est parce qu'ils partagent la plupart de ses envolées populistes, néo-fascistes et ultralibérales. Si les Français ont voté pour Sarkozy, c'est qu'ils partagent - en majorité - ses lubies néoconservatrices et ultralibérales. Idem pour Obama, qui est un ultralibéral progressiste, succédant à un ultralibéral néoconservateur (pour qui les électeurs américains avaient déjà voté, et deux fois).
Après l'effondrement du modèle libéral lors de cette crise, qui est comparable à l'effondrement du Mur de Berlin pour le communisme, les électeurs occidentaux s'entêtent : ils cherchent désespérément des alternatives à l'intérieur du système libéral. L'ultralibéralisme est caduc? Furetons du côté du libertarisme pour vérifier s'il n'existe pas par hasard quelques bribes encore valides de libéralisme, fût-il de texture extrémiste et violente...
Qu'est-ce que le libéralisme? C'est la philosophie idéologique qui légitime l'impérialisme de la Compagnie des Indes britannique... Les populations occidentales sont (en majorité toujours) favorables à cet impérialisme du moment qu'il leur profite. Il leur a profité durant le siècle passé et c'est avec stupéfaction et immoralité cultivée qu'elles constatent que leur beau joujou ne fonctionne plus; dès lors, leur révolte a peu de chance de se montrer lucide et clairvoyante. Face à l'effondrement du libéralisme, les profiteurs du système se montrent juste capables - hébétés et las - de choisir plus libéral encore - plus extrémiste encore.
Problème : bien qu'on ait fait mine de ne pas voir la supercherie, le paradigme libéral n'a cessé de croître à mesure que la mondialisation se mettait en place. Les progressistes sont devenus libéraux; les conservateurs prônent un ultralibéralisme fanatique. Le fascisme, qui est le stade terminal du libéralisme, a peu à peu montré son hideux minois, comme en témoigne l'avènement au pouvoir des néoconservateurs dans le monde (pas seulement aux emblématiques et représentatifs Etats-Unis).
Du coup, l'effondrement intervient au moment où c'est le stade extrémiste du libéralisme qui règne - l'ultralibéralisme de Friedmann. Le libéralisme inspiré par le dernier Hayek n'est que l'extrémisation quantitative de l'ultralibéralisme - lui aussi inspiré par Hayek dans des ouvrages précédents. L'avènement du libertarisme aux Etats-Unis, pour effrayant qu'il soit, n'en était pas moins prévisible.
Il sonne comme la réduplication, toutes proportions gardées, de l'avènement par les urnes d'un certain Hitler en période d'hyperinflation. L'histoire bégaie, du moins quant aux principes. Aura-t-on des dictatures et des guerres comme conséquences des graves désordres actuels, qui sont en général des prémisses à la violence? Que serait une troisième guerre mondiale à l'heure de la mondialisation? Ces hypothèses sont possibles, puisqu'elles sont envisagées par des diplomates et des anciens ministres.
Au surplus, ce serait un bon moyen pour les financiers de l'Empire britannique de créer un nouvel ordre mondial à leur botte suite à un chaos généralisé et effrayant. Après une bonne guerre, les gens préfèrent n'importe quel ordre à la poursuite des hostilités, des morts et des pleurs. Pourquoi les financiers du nazisme ne sont pas plus montrés du doigt pour leurs responsabilités écrasantes de commanditaires? Pourquoi ne parle-t-on jamais des liens entre les nazis et les financiers de la City et de Wall Street? Pourquoi n'ajoute-t-on pas à ces liens massifs l'existence gardée secrète de l'Empire britannique?
Ceux qui sont présentés comme les grands opposants, tels ce radoteur passablement raseur de Chomsky (qui en bon intellectuel myope commence à s'apercevoir que la VO du 911 est une escroquerie!), désignent comme coupables ultimes l'Empire américain, l'idéologie sioniste ou ce genre d'approximations - souvent de surcroît passablement haineuses et stupides. Ces menteurs, au moins obtus, voire malhonnêtes, se rendent-ils compte qu'ils se déconsidèrent pour les siècles à venir, quand la supercherie sera passée et que nos descendants s'étonneront de notre veulerie et de nos compromissions?
Comment peut-on faire la fête alors que le feu est déclaré? Comment peut-on élire des libertariens pour remédier à des ultralibéraux progressistes? Comment peut-on choisir de se désillusionner par le gage de l'illusion plus forte? Cette nouvelle méthode (la surenchère irresponsable) ne peut venir que de désemparés qui se sont trompés et qui sont incapables de proposer une alternative hors du champ de leur erreur monumentale. On n'élit des libertariens pour punir des ultralibéraux (progressistes) que parce qu'on est soi-même un libéral qui a tout sacrifié à la mentalité dominante. On est un mouton qui suit le troupeau. De biques.
Quand on est enfermé dans une mentalité, il est des plus difficiles d'en sortir. L'enfer me ment. Telle est la loi de la loi du plus fort, dont l'histoire du libéralisme est une illustration contemporaine : ce qui au départ passe pour une évidence claire et prometteuse, la liberté libérale, la main invisible et autres stupidités pour profiteurs gâtés, devient vite un monstre sanguinaire qui réclame de plus en plus de sacrifices pour subsister. C'est l'histoire de la gradation inexorable du libéralisme en ultralibéralisme (n'en déplaise aux illusionnés illusionnistes qui nous abreuvent de leur distinction savante et fantasmatique entre le libéralisme politique, modéré et respectable, et le libéralisme économique, dévoyé et critiquable).
Dans ce processus, l'issue est inévitable : c'est le chute. Cette chute s'accompagne des inévitables péripéties qui accompagnent tout effondrement : les violences sont multiples et hideuses (les fascismes en offrent un aperçu consternant au vingtième siècle). Le fascisme set le stade terminal du libéralisme comme la violence est la conséquence ultime d'un système en fin de course. Les libertariens jouent le rôle de ce masque hideux aux Etats-Unis à l'heure actuelle. Peut-être ne sont-ils pas tout à fait des fascistes virulents, au mieux des préfascistes, mais le pire est de constater qu'il existe un processus que l'on nomme libéralisme - et que les libertariens font partie de ce processus.
Pourtant, l'on s'entête à les isoler du processus, à les réduire à l'état de phénomènes hasardeux et inexplicables, spontanés comme l'absurde génération éponyme. Les phénomènes n'auraient pas de cause. La causalité est suspendue, voire supprimée, comme dans l'irrationalisme cher à Hume. La méthode de l'inexplicable irrationnel est la méthode de l'Empire britannique. La méthode de l'immanentisme comme production ontologique. Un peu de bon sens, point trop de mauvais sang : les libertariens sont la conséquence de la cause directe ultralibérale, qui elle-même s'insère dans la gradation inexorable et virulente du processus libéral.
Ce n'est pas parce qu'on refuse de voir que le réel n'est pas. La preuve en ce moment. Pour finir, s'inspirer de l'Islam révèle une vérité douloureuse : les représentants libertariens que les citoyens américains ont élus au pouvoir sont les symboles de ce que nous sommes, citoyens occidentaux dans la mentalité majoritaire libertariens. Oui, la plupart d'entre nous sommes des libertariens, des néoconservateurs, des ultralibéraux, des faux progressistes, des rebelles de pacotille. Et si nous ne correspondons pas positivement à ce spectacle désolant, si nous ne sommes pas des libertariens actifs ou des ultralibéraux conscients, nous collaborons passivement, par notre mimétisme et notre grégarisme. La plupart d'entre nous en Occident ont sacrifié à l'individualisme et à ses préoccupations suicidaires.
La plupart vivent comme dans la Grande Bouffe : goinfrons-nous de nos satisfactions mesquines et à courte vue avant de crever comme des porcs. Si l'on additionne les individualistes dépolitisés aux individualistes politisés, nous tombons sur la majorité significative des populations occidentales. Rien d'étonnant qu'à l'heure actuelle l'on retrouve autant de représentants politiques dégénérés dans les Etats-nations occidentaux en décrépitude : ils sont le reflet de ce que nous sommes et dont nous refusons la copie infamante et fidèle.

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