lundi 22 août 2011

Le snobisme nihiliste de Nietzsche

"Une telle aristocratie, (Nietzsche) ne la voit existante en Europe que dans le corps des officiers prussiens ou dans la Saint-Pétersbourg des Grands Ducs. Notons que l'aristocratie britannique n'existe pas pour Nietzsche. Elle n'entre pas dans ses vues. Non davantage, d'ailleurs, l'ensemble des civilisations anglo-saxonnes. Nietzsche est un Européen continental, il ignore ceux qui négligent ou renient l'héritage de César et de Napoléon." (Halévy, p. 423).

Encore une citation de Halévy pour montrer l'aveuglement délirant qui étreint Nietzsche. Non content de prétendre soigner la maladie occidentale du nihilisme par le nihilisme (polysémique et contradictoire), Nietzsche entend résoudre le problème de l'esprit moutonnier par des considérations politiques dont le moins qu'on puisse constater est qu'elles sont totalement à côté de la plaque. Les commentateurs actuels de Nietzsche, entre autres manifestation de leur égarement, présentent Nietzsche comme un visionnaire politique qui serait doté et doué d'unehyperlucidité en matière de commentaire politique (et philosophique).
Eh bien, l'égarement de Nietzsche en matière de commentaire politique se révèle ici à peu près comparable à sa folie théorique quand il s'exprime fondamentalement sur le nihilisme ou sur son attente (très saine) de la destruction généralisée de l'humanité (suite un tremblement de terre de Nice). Nietzsche a le don de passer à côté de l'essentiel en occultant précisément le premier pour se concentrer (se focaliser) sur le secondaire. C'est ainsi que théoriquement il juge essentiel la destruction généralisée (le secondaire). Politiquement, il réussit l'exploit rare et comparable (lié) d'accorder son attention à l'aristocratie prussienne ou russe tout en oubliant l'aristocratie britannique.
Bel exemple de déni : le secondaire est bien ces aristocraties continentales dégénérées et en perdition, tandis que l'aristocratie britannique à l'époque de Nietzsche, pour dégénérée qu'elle soit, est la première aristocratie de l'époque (formant l'élite du premier Empire de l'époque, l'Empire britannique). Cette occultation de l'Empire britannique n'indique pas seulement que Nietzsche présente la curieuse manie de ne pas voir l'essentiel (l'éléphant), mais de discerner l'accidentel (la porcelaine); mais aussi que Nietzsche n'est pas capable de proposer un commentaire viable et fiable ni de son temps, ni du temps à venir.
Car aujourd'hui, nous nous trouvons accablé par les derniers miasmes de l'Empire britannique en crise (les factions financières non identifiées). Si bien que si l'on suivait le raisonnement de Nietzsche, il nous mènerait aussi sûrement à côté de l'essentiel existant en politique que vers la destruction et l'anéantissement plus fondamentaux! Nietzsche se trompe factuellemnet quant à la primauté de l'aristocratie européenne en ignorant l'aristocratie britannique. Nietzsche trompe en philosophie avec son choix du nihilisme, qui plus est polysémique et contradictoire (comme ça, il aura toujours raison, même quand il a tort, ce qui est la définition idéale du pervers selon Rosset).
Mais le plus frappant, c'est le snobisme de Nietzsche qui transparaît ici, et qui ferait du cas Nietzsche (au sens du cas Wagner) un portrait à accrocher dans la galerie de Proust, aux côtés d'un Saint-Loup, voire d'un Charlus. Je n'insinue nullement que Nietzsche serait homosexuel (ce qui ne serait nullement un tort condamnable), lui qui fut surtout asexué, soit coupé du réel qu'il prétendait tant comprendre, mais plutôt que Nietzsche ne comprend ni le problème politique ni le problème théorique.
Son snobisme est évident pour peu qu'on cherche à comprendre ce qu'il entend par aristocratie: certes, Nietzsche n'est pas un snob classique, tel que Proust les définit de manière hilarante ne s'en prenant au Faubourg bientôt désuet. Il n'est ni un snob qui se réclame de l'ancien monde (l'aristocratie historique européenne), ni un snob qui aspire à devenir un grand socialement (les bourgeois parvenus comme les Verdurin). Nietzsche entrerait dans une catégorie originale et nouvelle de snobisme, le snob qui entend fondre un nouveau snobisme en tant qu'il appelle de se voeux une nouvelle aristocratie.
L'aristocratie de Nietzsche n'est pas historique et sociale, mais repose sur l'esthétique, au sens où Nietzsche pense qu'être aristocrate, c'est fonder ses propres valeurs. Il s'agit d'un snobisme intellectuel, au sens où l'aristocratie entendue et rêvée par Nietzsche repose sur le substrat intellectuel. Cette aristocratie intellectuelle renvoie à l'élitisme (oligarchie) intellectuel dont rêve Nietzsche dans un extrait cité par Halévy et auquel j'ai fait référence (sorte d'abbaye de Thélème inversée, antirépublicaine et opposée aux conceptions rabelaisiennes). Nietzsche estime faire preuve d'innovation conceptuelle (dans un sens postspinoziste) en proposant que l'aristocratie soit intellectuelle.
Cela donne son fameux artiste créateur de ses propres valeurs. Nietzsche se montre fasciné par l'aristocratie et c'est en ce sens (particulier) de l'emploi d'aristocrate que Nietzsche fait montre de snobisme. Pas n'importe quel snobisme. Un snobisme qui consiste à proposer le remplacement du snobisme classique d'obédience sociale par le snobisme intellectuel (voire intellectualiste, et bien entendu élitiste). Le snobisme intellectuel à la sauce Nietzsche est comme tout snobisme creux. De même que le snob classique d'ordre social est grotesque parce qu'il adhère à des valeurs fallacieuses (le social pur); de même le snob intellectuel se trompe en déplaçant seulement le curseur du problème (du social à l'intellectuel).
Dans les deux cas, le snobisme a maille à partir avec le nihilisme. Dans le cas social, le nihilisme s'exprime par l'adhésion à des valeurs incomplètes, qui libèrent en-deçà du social un espace vide (l'espace du non-être); dans le cas intellectuel, le snobisme est encore en gradation, parce que le critère de l'intellectuel ne permet nullement de combler le néant du social vacant. L'intellectuel se trouve au service du désir, soi-disant complet, à ceci près que le désir n'est pas complet et que l'intellectuel accentue encore l'espace rendu vacant du non-être (dans le social).
Le snobisme de Nietzsche va de pair avec sa misanthropie maladive (pathologique). Si l'on associe le snobisme avec l'élitisme - si l'on se rappelle que tout nihiliste est attiré par le snobisme au nom de la précellence qu'il accorde au social; le nihiliste tient le social pour la fin du réel humain (seul réel envisageable), à ceci près (notable différence, notamment avec le beauf) que le nihiliste tend vers la domination sociale et abhorre la vulgarité et le troupeau(deux denrées qu'affectionne le beauf). Troupeau : l'un des termes préférés de Nietzsche pour manifester sa mentalité oligarchique - son rejet de la majorité.

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