vendredi 5 août 2011

Pédagogie de l'hyperoligarchie

"Prévoyant qu’il me faudra, d’ici peu, affronter l’humanité avec le plus grave défi qui lui ait jamais été lancé, il me paraît indispensable de dire qui je suis. Au fond, cela pourrait se savoir : car je ne me suis pas « laissé sans témoignage ». Mais la disproportion entre la grandeur de ma tâche et la petitesse pour ce qui est de mes contemporains s’est traduite par le fait qu’on ne m’a ni entendu ni même perçu. Je vis sur le crédit que je m’accorde moi-même, peut-être mon existence se réduit-elle à un préjugé ?... Pour peu que je parle à n’importe quel homme « cultivé » se rendant l’été en Haute Engadine, je me persuade que je n’existe pas... Dans ces conditions, c’est un devoir, qui répugne au fond à mes habitudes, bien plus, à la fierté de mes instincts, de dire : Écoutez-moi ! car je suis tel et tel. Surtout, pas de quiproquo à mon sujet !"
Nietzsche, Ecce homo, Préface, § 1 et 2.

"Il voulait montrer qu'il fallait instituer deux sortes d'écoles, les unes, professionnelles, pour le plus grand nombre; les autres classiques et vraiment supérieures, pour un nombre infime d'individus choisis dont les études seraient continuées jusqu'à la trentième année. Cette élite séparée, retirée du commun des hommes, comment la former et l'instruire? Frédéric Nietzsche retrouvait ainsi sa pensée la plus intime et la plus persistante, cet idéal aristocratique où le portaient toujours ses méditations. Il en avait souvent étudié les porblèmes. Mais il avait besoin pour les examiner en public de se sentir soutenu par la confiance de son auditeur."
p. 139-139, Combats pour Wagner.

Cette longue citation est issue du Nietzsche de Halévy, qui n'est peut-être pas un modèle de biographie pour les pointilleux commentateurs, épigones actuels, de Nietzsche, mais qui présente le mérite de nous rappeler ce que fut la nouveauté philosophique pour Nietzsche : une resucée de l'atavique théorie nihiliste légitimant l'oligarchie politique. Les thèmes de jeunesse de ces conférences de 1872 (Nietzsche a vingt-huit ans), intitulées L'avenir de nos institutions de culture selon la traduction que retient Halévy (Sur l’avenir de nos établissements de formation d'après la traduction plus récente validée par les commentateurs dominants), seront développés de manière plus large (avec l'esprit aristocratique de l'artiste créateur) dans les dernières années de la vie consciente du philosophe, avec la proposition embryonnaire et confuse de concepts positifs comme le bancal Éternel Retour du Même (revisitation psychologique d'un thème stoïcien) ou l'obscure volonté de puissance (qui donnera lieu à des déformations idéologiques plutôt posthumes). Correspondance instructive : Nietzsche lie le dionysiaque et l'apollinien de la Naissance de la Tragédie (surtout pas L'Origine, n'est-ce pas) avec le thème de l'éducation.
Dès les prémisses de son oeuvre philosophique, alors que Nietzsche se soucie de publier La Naissance de la Tragédie, qu'il éprouve les pires difficultés à imposer ce dessein, qu'il rencontre un accueil pour le moins discret et mitigé (notamment de la critique), qu'il ambitionne d'ajouter un pamphlet contre la politique antifrançaise de l'Allemagne, Nietzsche manifeste les embryons des préoccupations qu'il développera tout au long de son oeuvre à venir et qui prennent vers la fin de sa vie consciente leur tour le plus élaboré, avec parfois une avidité de masque (une grandiloquence) qui camoufle à grand peine que notre philosophe fait du nouveau avec de l'ancien (de l'immanentisme tardif et dégénéré avec du dionysiaque et de l'oligarchique). Nietzsche se montre ainis le plus clair dans ces projets inachevés de jeunesse, sachant que les thèmes abordés sont les mêmes qu'à la fin, en moins élaborés et en plus explicites.
Selon une certaine tradition philologique, exprimée notamment par le disciple de Diop Obenga, l'étymologie du sophia de philosophie serait à chercher (dans les langues africaines) dans l'éducation. Le philosophe serait celui qui aime l'éducation. La recherche d'une éducation juste est un thème récurrent dans la philosophie, avec le dessein républicain de Platon, qui cherche à élever toutes les âmes vers un progrès des savoirs (tout en admettant que certaines, philosophiques, sont plus développées que d'autres). L'intervention moderne de Rousseau set assez oligarchique en fait, notamment dans l'Emile, où notre philosophe-musicien dispense une éducation qui accorde la part belle à la Nature bonne pour développer l'intelligence de l'étudiant (l'influence de Rousseau repose largement sur le mythe fantasmatique et destructeur de cette Nature pure).
Contre le platonisme - puis son influence postérieure, on retrouve dès le départ la réaction philosophique et scientifique de l'aristotélisme, qui oppose aux idées républicaines la conception la plus dure et la plus radicale de l'oligarchie. De la même manière qu'en théorie le réel est multiple (selon la théorie bancale d'Aristote développée dans la Métaphysiqueposthume), cette multiplicité recoupe les formes d'intelligence, inégales et oligarchiques, ce qui fait qu'une minorité d'élus doit être servie par une majorité de moutons, parmi lesquels un nombre conséquent d'esclaves (ou affiliés). La conception d'Aristote se veut moins impitoyable que réaliste : il est légitime (puisque nécessaire) de défendre la tyrannie contre la démocratie démagogique (promise à la décadence rapide).
La correspondance des thèmes de jeunesse de Nietzsche avec ses thèmes de fin de vie consciente a été largement développée pour la Naissance. Il serait à mon avis encore plus significatif de l'utiliser pour ces conférences. Nietzsche se rend compte de l'importance du thème de l'éducation en philosophie. C'est à cette époque qu'il gravite dans les cercles oligarchiques autour du couple Wagner et qu'il développe une vision de la "pensée" de Wagner qui devient un peu la sienne (Nietzsche aurait-il déjà la raison troublée au point de verser dans l'osmose pathologique?).
Les différents éditeurs qui refusent le manuscrit de la Naissance et les critiques qui se montrent sévères pour la parution de l'ouvrage (tenant plus de la philologie que de la philosophie) sont unanimes sur le fondement de leur rejet : l'auteur est un wagnérien enflammé et peu lucide. Pourtant, la correspondance des thèmes fondamentaux entre le jeune et le vieux Nietzsche indique une continuité intellectuelle : Nietzsche dès le départ n'est pas tant un wagnérien qu'un partisan de certains thèmes qu'il croit partager avec Wagner. Et ces thèmes sont faciles à résumer d'un mot : ils sont oligarchiques. Nietzsche s'est trompé sur sa parenté avec Wagner et ses inconditionnels, au sens où Wagner fait montre d'un engouement pour le nationalisme et un certain racisme, mais l'attraction que Wagner exerce sur un esprit oligarchique comme Nietzsche tient précisément à la communauté de vues oligarchiques.
Moralité : les spécificités dans l'oligarchie sont multiples, selon l'enseignement d'Aristote, et l'opposition de Wagner à Nietzsche tient sur ce point précis, avec une précision : si Nietzsche est opposé à la violence idéologique et politique de Wagner, il se montre plus radical quant aux fondements philosophiques (épurés de leur application politique) de sa conception oligarchique, c'est-à-dire qu'il opte pour une oligarchie trop philosophique pour être politique. Wagner avait pour parenté d'esprit avec Nietzsche le culte de l'inégalitarisme, sans se rendre compte que Nietzsche manifestait surtout le besoin (très romantique) d'une communauté d'esprit, d'une fraternité dans le génie et la hauteur d'esprit.
Ce qu'indique le message précoce et inachevé des conférences, c'est que Nietzsche conçoit l'éducation à l'image du réel et de l'homme : de manière oligarchique. Ce que Nietzsche appellenouveau n'est jamais que la réécriture (l'adaptation) de conceptions anciennes, tout comme l'immanentisme est la reformulation (moderne) du nihilisme atavique - et tout comme la forme spécifique de l'immanentisme tardif et dégénéré n'est que la réforme, dans un sens quasi religieux, de l'immanentisme fondamental et de ses carences toutes spinozistes.
Alors que les commentateurs actuels, tous académiciens surdiplômés et brillants, essayent péniblement de nous vendre un Nietzsche qui aurait été calomnié de part en part, par sa soeur, puis par des idéologues peu scrupuleux et récupérateurs, ces textes de jeunesse apportent la preuve irréfutable de l'identité oligarchique (et non pas idéologique, soit pré-nazie) de Nietzsche, une identité qui n'a guère varié dans l'existence consciente de Nietzsche, tout au plus qui s'est élaborée et qui s'est rendue plus cohérente, portant sur le désir en général, plus seulement sur l'éducation (pourtant son thème central). Après les récupérations fascistes (en particulier nazies) de l'oeuvre de Nietzsche, les commentateurs essayent d'expliquer que puisque Nietzsche n'était ni nazi, ni antisémite, ni fasciste (ce qui est vrai), c'est donc la preuve qu'il oscillait entre une pensée totalement nouvelle et incomprise (la grande affaire) et une pensée compatible avec le libéralisme dominant actuel, voire le gauchisme (un contresens grotesque, développé par les postmodernes et qui se trouve repris depuis).
Pour la récupération libérale, discernons-y surtout l'influence inconsciente de la mentalité dominante, influence tellement imprégnée dans les tics des commentateurs qu'ils font de la compatibilité de Nietzsche avec le libéralisme l'un des présupposés indispensables à son étude dithyrambique et manichéenne (il faudrait se demander comment un soi-disant inactuel, marginal et rebelle peut se trouver à ce point encensé par les huiles du système, surtout quand une des particularités du système consiste à promouvoir des rebelles systémiques). Mais la grande spécificité accordée (telle un privilège) à Nietzsche, c'est qu'il est tellement novateur qu'il en devient forcément indicible, voire incompréhensible. Les commentateurs transis ne se rendent pas compte qu'ils acceptent une allégeance anticritique (vis-à-vis de leur Nietzsche sacralisé) alors qu'ils exhibent les plus hauts titres académiques attestant de leur lucidité et de leur savoir étendu : l'innovation de Nietzsche devient suspecte quand on s'avise qu'elle ne serait jamais dicible.
Cette ruse critique permet de rendre Nietzsche incompris et inactuel alors que les thèmes développés sont rebattus et ressortissent de la tradition nihiliste, qui n'est pas circonscrite à Aristote, mais qui trouve en Aristote son plus habile et cohérent représentant de l'Antiquité (loin devant les sophistes assez impudents ou les atomistes assez hésitants). D'ùo la contradiction du raisonnement des commentateurs : si Nietzsche est totalement incompris, il ne peut que l'être par les commentateurs eux-mêmes, ce qui condamne leur tentative à l'incohérence; mais si Nietzsche est seulement en partie incompris, il devient ipso factocompris par les plus perspicaces, au moins par l'élite des commentateurs et de leurs lecteurs, ce qui est très prétentieux, mais demeure envisageable. Là où l'incohérence du raisonnement diacritique se corse : si cette incompréhension sélective et fort élitiste (oligarchique) est peu compréhensible, au moins peut-elle être formulée.
Si elle n'est pas formulable, alors c'est qu'elle n'existe pas; si elle est formulable, c'est qu'on peut l'appréhender. Le vice des commentateurs (comme le plus éminent actuellement en France, un certain Wotling; mais aussi son collègue qui monte dans les médias le germaniste-philosophe Astor) consiste à proposer la formulation positive un brin confuse et à décréter qu'elle n'est pas comprise dès qu'elle se trouve critiquée négativement (quand c'est critiqué positivement, on acquiesce poliment). Dans ces conditions, selon ces possibles censeurs opérant dans le monde académique et médiatique, la pensée nietzschéenne n'est pas critiquable (négativement), puisqu'on lui opposera alors l'incompréhension totale (dans le cas inverse, en cas de critique positive, on l'admettra dans le sein de la compréhension élitiste). Cette mauvaise foi pourrait s'énoncer : critique du double standard - un standard (d'admission) en cas de positivité, un standard (de rejet) en cas de négativité.
L'on pourrait difficilement tenir plus beau spécimen de résultat auquel aboutit les critères de pensée de la loi du plus fort - auquel Nietzsche souscrit en leur accordant une valeur radicale, qu'il baptise de ce fait "novatrice". Valeurs qui privilégient de manière drastique les plus forts tout en écartant, voire en détruisant, les plus faibles ou les plus contestataires. Aux yeux des nietzschéens de l'heure, qui se déclarent d'autant plus marginalisés et incompris qu'ils ont pignon sur rue pour exprimer leur marginalité (encore une application vérifiable du double standard de la mauvaise foi), la critique de leur idole inavouable et pourtant patente est impossible. Ne pas pouvoir critiquer une valeur ou une idée est le signe de l'idolâtrie la plus fanatique.
Ce refus de la critique au nom de l'incompréhension, véritable pose terroriste de la critique philosophique actuelle, ayant remplacé le précédent terrorisme intellectuel de facture : gauchisme libéral des postmodernes, permet d'accroître le refus de comprendre la position de Nietzsche pourtant éclatante à propos de ce qu'il appelle l'aristocratie - et qui ressortit de l'oligarchie. Je sais bien que la création des valeurs artistes n'est pas l'expression d'un fascisme ou d'une position politique violente; mais cette dénégation superficielle et aveuglée ne supprime nullement la vraie question : Nietzsche est-il (plutôt que fasciste) oligarque? Si Nietzsche se démarque de l'antisémitisme politique et d'une pensée politique, le meilleur moyen de vérifier que la position théorique nietzschéenne recoupe le nihilisme le plus avant-gardiste de son temps, c'est de se rendre compte que Nietzsche prône en matière d'éducation des valeurs oligarchiques tout à fait patentes.
Et plus important encore, cette exigence de nouveauté chez Nietzsche, cet avant-gardisme postromantique qui file des frissons aux chercheurs d'avant-garde manquant de créativité, est la marque scandaleuse et inavouable d'une gradation dans la continuité des anciennes valeurs les plus éprouvées (le nihilisme se fait immanentiste). Aristote abolissait (déjà) la créativité avec la coupure irrationaliste du Premier Moteur; Nietzsche se contente de faire du nouveau avec de l'ancien en gradant dans l'intensité, fort de cette idée que le changement existe, mais qu'il est limité et fini : de ce fait réservé aux plus méritants et aux plus artistes. On retrouve dans l'activité de création la même mentalité oligarchique que dans la conception de l'éducation.
Nietzsche grade (encore) dans l'oligarchie (par rapport au spinozisme) en adaptant dès sa jeunesse intellectuelle l'exigence néo-platonicienne de l'abbaye de Thélème aux canons de l'oligarchie (Rabelais prône le républicanisme de la Renaissance contre la scolastique d'obédience aristotélicienne). Ce qu'il importe de repérer dans la vision nietzschéenne de l'éducation, c'est que l'élite des élèves reçoit une éducation classique de haut vol, qui a pour particularité d'être "séparée, retirée du commun des hommes".
Il s'agit de séparer l'élite extraordinaire et exceptionnelle (dont Nietzsche!) du troupeau qui est voué à son service (le professionnel recouperait vu son dénigrement l'esclavage dans un sens large d'exploitation. On mesure quel cas précoce Nietzsche fait du socialisme et de la condition des opprimés, dont les fameux prolétaires). Nietzsche estime que la pérennité de l'éducation oligarchique (et de l'oligarchie tout court) passe par l'aménagement spécifié du cloisonnement intellectuel, entre les méditatifs géniaux et dominateurs - et les travailleurs, plus ou moins qualifiés, mais toujours au service des méditatifs.
Les nihilistes antiques ne conçoivent pas de séparation dominatrice et supérieure de nature intellectuelle; ils retenaient l'idée de séparation et de multiplicité, d'un visage social. La conception antique de l'oligarchie est sociale avant tout, ce qui implique que les oligarques intellectuels fassent partie de l'oligarchie, mais préservés se trouvent plutôt au service des oligarques militaires et politiques; quand l'oligarchie immanentiste vire à l'intellectuel. Spinoza symbolisera cet intellectuel retiré, mais cette solitude méditative reste le gage d'un maintien éthique dans le monde tel qu'il est.
L'immanentisme d'un Spinoza grade par rapport au nihilisme (issu de l'Antiquité et s'exprimant dans les variantes du processus métaphysique) en prônant un cloisonnement individuel, qui demeure timide et qui ne déséquilibre pas la société en la scindant de manière périlleuse, en particulier à l'intérieur du monde oligarchique, où l'on équilibre encore le rapport de forces entre les méditatifs/intellectuels et les militaires/politiques/prêtres. Tandis que Nietzsche grade encore dans l'immanentisme en proposant un cloisonnement collectif qui contribue à déséquilibrer la société, en particulier l'élite oligarchique, où les intellectuels dominentravageusement les autres catégories oligarchiques.
Sans doute l'équilibre que propose Nietzsche est-il en réalité fort déséquilibré, ce qui explique notamment sa folie (déséquilibre psychique intérieur recoupant le déséquilibre social extérieur qui propose en le niant); sans doute est-ce cependant la solution (désaxée) de cet élitisme collectif qui permet d'assurer le désir déraisonnable et contre-révolutionnaire d'un Nietzsche de parvenir à la complétude du désir. La complétude de Spinoza pêchait parce qu'elle était (trop) solitaire? Il s'agissait en l'occurrence de parvenir à l'exercice de la mutation solitaire. La réponse de Nietzsche sera collective : assurer la complétude du désir par l'oligarchie collective (l'enthousiasme que déchaîne Nietzsche chez les gauchistes non marxistes provient peut-être de cet attrait du collectivisme, pourtant de nature oligarchique et anti-progressiste). Collectif élitiste contre individualisme élitiste : Nietzsche poursuit sur la voie de l'oligarchie, en lui conférant un caractère collectif. Du coup, la volonté générale que promeut tout républicain se trouve contrecarrée par cette alternative (réductrice et dénaturée) de volonté collective, différente de la volonté générale en ce qu'elle se trouve coupée de la majorité - du troupeau.
Ne jamais perdre de vue que Nietzsche fait du nouvel immanentisme en gradant avec l'ancien nihilisme, soit qu'il se place dans les pas d'Aristote et de Spinoza - tout en se présentant comme l'alternative à Platon et à Jésus (rien de moins chez ce mégalomane génial). Quant à la suite du processus immanentiste de délitement (inéluctable gradation dans la dégradation), il finit (symboliquement) avec Rosset l'immanentiste terminal (plus spinoziste que nietzschéen), qui, un cran au-dessus que Nietzsche dans l'immanentisme, rétablit l'individualisme de la connaissance, un individualisme radical et irrémissible, à ceci près qu'il s'agit de ne plus s'occuper des autres, y compris des autres excellents, mais de se focaliser sur l'intelligence de son désir seul tout en posant le chaos fondamental comme la règle d'or du réel (d'où le nécessité de se focaliser sur soi seul et totalement seul). Poursuivant dans ce "processus" fini, on passe d'une volonté (faussée) de pérennisation de l'oligarchie chez Nietzsche à la reconnaissance tragique (résignée) chez Rosset que l'oligarchie est anti-pérenne, soit que l'oligarchie se meut à court terme joyeusement (désespérément), dans un réel chaotique et entropique.
Nietzsche entend imposer une hyperoligarchie pérenne et collective, dont il chercha un modèle esthétique dans les premiers essais politico-musicaux de Wagner, à Triebschen (alors que le déménagement à Bayreuth marque déjà le déclin du modèle hyperoligarchique et son remplacement par une démagogie arrogante et raciste, que l'on pourrait qualifier de nationalisme esthético-snob). Outre la gradation du processus immanentiste dans l'entropie, gradation paradoxale dans la destruction et l'anéantissement, l'innovation telle que Nietzsche la conçoit consiste à considérer que le changement (rencontre de l'être avec le non-être) est limité à une finitude indéfinie (changement fini continu) et que du coup la création se trouve accaparée par les artistes aristocrates, qui ne peuvent accompagner le changement qu'en petit nombre, tel Nietzsche lui-même à son époque.
Sans doute Nietzsche considère-t-il que les changements plus importants répercutent des collisions majeures entre l'être et le non-être et que le moyen pour que le changement dans l'être soit aboli (au sens où il ne changerait plus l'ordre humain) serait que l'on passe d'une conception d'oligarchie sociale à une oligarchie intellectuelle - de telle sorte que le changement se trouve à jamais dominé par l'intellect et que la hiérarchie oligarchique correspond à la hiérarchie platonicienne : chez Platon, c'est le philosophe qui dirige la cité; chez Nietzsche, c'est aussi bien le philosophe qui assume cette mission, mais avec une fin différente.
Le Bien chez Platon, le beau élitiste (aristocratique) chez Nietzsche. Nietzsche est démasqué dans sa revendication pédagogique, au sens où c'est dans ce domaine qu'il se montre le plus clair et le moins masqué (le plus précoce aussi) et que ses dernières idées seront plus obscures et plus inachevées en s'attachant à reprendre et à accroître la conception oligarchique dans le domaine le plus théorique, celui visant à remplacer l'ontologie par une méontologie (au sens abdéritain) logiquement assez peu claire. Tant il est vrai que la clarté démasquerait le projet oligarchique comme inopérant, tant dans le domaine central de l'éducation que dans le domaine plus généralisé du reél. La pédagogie est la métonymie (à défaut d'étymologie précise) de la pensée.

Aucun commentaire: