Qui se croit trop malin fait le Malin.
Perversion : nous sommes d'une époque diabolique. Les temps sont diaboliques. Le diable est moins une créature fumeuse fumiste que la faculté à renverser le sens. Le diable est la propension à définir le réel comme le sensible. Le diable est le correspondant religieux du nihilisme ontologique. Par les temps qui courent, on entend souvent que le diable n'existe pas : c'est la preuve que nos temps sont diaboliques. Pas que nos temps sont rationnels et débarrassés des superstitieux modernes.
Le fondateur de l'immanentisme clame que le diable appartient à la superstition, qui est à bannir et à reléguer aux oubliettes de l'obscurantisme dépassé par la Raison. Spinoza prouve seulement son diabolisme de blasphémateur plus polisson que polisseur. En clamant que le diable n'existe pas, nos moutons modernes, qui se parent des vertus de la pensée alors qu'ils ne sont que des répétiteurs pédants et roboratifs, ne se rendent pas compte que leur raison dévoyée leur fournit les raisons de leur aveuglement face aux maux réels. Raisons de la colère.
Une des pires explications pour expliquer l'aveuglement hallucinant et hallucinatoire des épigones du diable à son endroit réside dans le renversement du sens. Alors qu'en réalité ils accomplissent le programme du diable, qui consiste à amener la discorde et la destructions sous prétexte de définir le reél par le sensible, la confusion des esprits de ses disciples les pousse à accorder l'exclusive prééminence à leur désir en lieu et place de la réalité. Le diable est le synonyme du néant, du menteur et du malin. Le diable est surnommé avec effroi le Malin. Cette dénomination terrifiante indique ainsi que l'intelligence inspire méfiance et qu'une trop grande foi dans l'intelligence pousse au diabolisme. Qui se croit trop malin fait le Malin, en somme.
Avant de désigner l'intelligence, le malin désigne ce qui est derrière ce type d'intelligence : la ruse. L'étymologie de malin renvoie à la méchanceté et à ce qui est malsain. Le diable est malin en ce qu'il est malsain. La ruse est de faire passer le malsain pour l'intelligence. Le malsain est ce qui porte atteinte au salut. Le malin se croit intelligent en ce qu'il ruse. Il ne ruse pas sur des broutilles et des peccadilles. Il ruse sur le reél. Le malin produit du réel une définition nihiliste qui réduit le reél au sensible et qui libère le néant. Le malin ruse en ce qu'il ne produit pas directement et explicitement cette ruse.
La ruse consiste à présenter sous des atours séduisants le néant. Dans le mythe, le néant est figuré sous les atours de l'Enfer. Selon le diable, l'Enfer est le Paradis. Le diable promet à Faust toutes les jouissances matérielles - tous les biens sensibles. Logique : le diable maîtrise du réel l'intégralité du sensible. Pas davantage. Dans le mythe, le désespéré qui accepte le pacte avec le diable escompte en tirer profit : la jouissance sensible n'obère en rien de la vie après la mort. Après tout, un être aussi puissant et bienfaiteur que le diable ne saurait être foncièrement mauvais.
Justement : le diable n'est pas mauvais. Il est destructeur. Il ne peut garantir que la toute-puissance de ce bas-monde, soit du sensible. A partir du moment où le reél ne se réduit pas au sensible, le pouvoir du diable est des plus limités : sa limite, c'est le limité - le sensible. Le diable détruit parce qu'il perd l'entièreté du reél pour une pincée - de sensible. La contradiction entre la ruse diabolique et l'effectivité du reél est la contradiction du nihilisme. Le nihilisme se prétend synthèse et résolution supérieure du transcendantalisme dans la mesure où il est menteur et pervers. Quand on renverse le sens, on se condamne à la contradiction.
Quand on ne définit pas le reél, peut-on produire une définition du réel? Le nihiliste est celui qui réduit le reél au sensible et qui en même temps ne définit pas le reél ou le déclare indéfinissable. Voyez par exemple Rosset, qui s'en tire par une pirouette rhétorique, qu'un Platon aurait taxée de sophisme : selon lui, le reél est tautologique, ce qui induit que si on peut tout en dire, on ne peut rien en dire du tout - non plus. Le réel est le réel. Circulez, il n'y a rien à voir. Ce qui implique que l'on ait le sentiment du reél - ou qu'on ne l'ait pas.
S'il est certain que le principe de contradiction mérite d'être dépassé constamment pour que la raison humaine accroisse son pouvoir de connaissance du reél, il est tout aussi certain que la contradiction est le principe qui permet de démêler ce qui est vrai de ce qui est faux. Ce n'est pas le principe de contradiction qui se trouve pris en défaut quand la contradiction d'un système donné se trouve dépassé par l'apport d'un nouveau système. Le principe de contradiction s'ajuste à un certain système. Si les coordonnés changent, le verrou de la contradiction donnée saute. Cependant, le dépassement d'un certain niveau de contradiction n'est possible que par l'apport d'un nouveau principe qui dépasse la contradiction.
Sans l'apport de ce nouveau principe, le principe de contradiction se trouve restauré. Sans l'apport de ce nouveau principe, le principe de contradiction est réfuté de manière fausse, ce qui implique la mauvaise foi et le mensonge du contradicteur. C'est exactement ce qui se produit avec le nihilisme : l'immanentisme prétend dépasser le transcendantalisme, mais il ne dépasse en rien la définition du transcendantalisme. Il prospère sur la constatation lucide que le transcendantalisme est caduc.
Il se contente d'enregistrer la mort de Dieu, son assassinat par son successeur auto-désigné, l'homme humaniste. Frime et vacuité du nihilisme. Quand on annonce le néant, on est vain. Loin de dépasser le transcendantalisme dépassé, le nihilisme se contente d'instaurer le règne de la mauvaise foi. La question du transcendantalisme, l'être englobé dans l'Etre, serait résolue si en lieu et place de l'Etre caduc, l'immanentisme produisait une alternative supérieure et plus explicative.
Si l'immanentisme n'explique rien de ce qui est devenu inexplicable, il sombre dans la contradiction et la mauvaise foi. L'immanentisme ne produit rien. Il restaure la contradiction impossible entre le sensible et ce qui lui est nécessairement adjoint. En faisant mine de résoudre cette contradiction, Spinoza pose l'incréé, concept qui est typiquement irrationaliste et qui ne désigne rien de nouveau. Pis, les distinction entre la substance, les attributs et les modes sont fallacieusement géométrique et logiques. En réalité, l'irrationalisme et l'illogisme sont au menu de ce programme savant et faussement réjouissant : ces différences fausses restaurent le principe de contradiction, soit la déchirure entre la représentation et le reél - la partie et le tout.
Il faut se rendre à la raison : le programme immanentiste n'est qu'une vulgate nihiliste qui impressionne les gogos et qui insupporte les lucides. Elle revient à répéter bêtement la salade défraîchie du nihilisme atavique, qui consiste à opposer sous prétexte de réconciliation le reél au néant.
La réconciliation tant vantée s'en tient au minimalisme partiel et caricatural de la représentation réconciliée avec la partie. En fait, la représentation se réconcilie avec le sensible et ce faisant se fâche avec le reél. L'homme se réconcilierait avec l'homme en se fâchant avec le divin? Absurde! C'est pourquoi le dépassement tant vanté de l'immanentisme aboutit, quand on presse son thuriféraire citronné, à l'aveu de son erreur mensongère. Je ne crois pas qu'il faille essayer d'expliquer la mauvaise foi par une faute de goût ou une déficience du jugement. Le nihiliste ment comme le diable. Il ruse et se croit le plus malin. Entre deux flammes, il jure s'en sortir toujours.
L'irrationalisme consiste à proposer un faux dépassement qui surmonterait la contradiction. Comme le dépassement est faux, la contradiction est restaurée. C'est ainsi que Rosset, qui avoue parce qu'il est exténué par son immanentisme terminal, finit par lâcher que sa définition du reél est inexistante. Produire une définition inexistante de l'existence, faut le faire! Comme Calliclès dans Platon (et d'autres modèles avoisinants), l'irrationalisme est l'arbitraire qui correspond à la loi du plus fort. La loi du plus fort repose sur la contradiction et l'injustifiable.
Idem pour l'irrationalisme. Rosset est obligé de postuler que l'adhésion au réel est l'apanage de quelques élus qui légitiment l'élitisme forcené de toute la philosophie nihiliste, en particulier de l'immanentisme. Nietzsche détestait la démocratie au nom du droit des forts à se protéger des faibles. Rosset ne fait que prolonger cette propension à l'arbitraire et à la force, qui est indissociable de la doctrine de l'unicité.
C'est ainsi qu'il ne faut pas chercher de contradiction dans la doctrine nihiliste au motif qu'elle définirait et ne définirait pas le reél. C'est la mauvaise foi et le mensonge qui définissent plus que le déni la propension à définir et ne pas définir. Il serait illusoire de chercher une erreur dans le raisonnement critique du nihilisme au motif qu'il contiendrait une contradiction fondamentale et inexpugnable.
C'est précisément l'erreur du nihilisme qui se signale ici : l'irrationalisme est la forme logique (donc illogique) de l'erreur et de la mauvaise foi. On est irrationnel quand on avalise l'impossible, soit la contradiction, en particulier non dépassée. De là il appert que le rationnel sanctionne le reél. Le mot de Hegel, selon lequel la non-contradiction pourrait être source d'inconséquence, est à ne pas prendre au pied de la lettre.
Evidemment, si l'on en reste à l'objectivité intangible du principe de non-contradiction, on se heurte à l'impossibilité du changement, en particulier du dépassement. En même temps, impossible de réfléchir si l'on sanctionne le rationalisme et que l'on sanctifie en lieu et place l'irrationalisme. Il n'est possible de dépasser que dans les normes du rationalisme. Le rationalisme correspond au reél, quand l'irrationalisme réduit le reél - au sensible.
La contradiction qui est perceptible dans la démarche nihiliste (définir et ne pas définir - le réel) et dans la doctrine fondamentale (le monisme se veut le tout et libère en même temps le néant, qui est l'impensé radical et majeur de l'ontologie spinoziste) est non la marque d'un dépassement inaperçu, mais d'une répétition fausse. Dans ces conditions, le mot de Nietzsche sur la profondeur du masque a valeur d'aveu et s'explique parce que le masque est ce qui cache, déforme et protège. On a besoin de protection quand le fond de votre pensée repose sur l'erreur et le mensonge. L'immanentisme a besoin de protection parce que l'immanentisme ment. C'est fort gênant.
Le masque cache l'erreur et l'appelle rationalisme radical et étriqué (Spinoza); ou irrationalisme tautologique (Rosset) - c'est selon. Le rationalisme de Spinoza n'est jamais que l'irrationalisme de Rosset. Correspondances, quand tu nous tiens. Sans doute Rosset voit-il plus clair que Spinoza, mais en même temps Rosset intervient à la fin de l'immanentisme, dans sa phase terminale, quand on en est à baisser les cartes et qu'on s'avise que le roi est nu. Joker - n'a rien à cacher.
Nietzsche avait défini la démarche immanentiste au stade de l'immanentisme tardif et dégénéré. Plus on progresse dans un mouvement, plus son processus est porté au grand jour. Nietzsche explicite la démarche que Spinoza porte de manière implicite et inconsciente. C'est ainsi que Nietzsche, qui prophétise plus qu'il ne rationalise, ce qui là encore est signe d'explicitation, annonce à grand renfort de moulinets extatiques le renversement de toutes les valeurs. A vrai dire, quand on a fini d'assister au dynamitage des valeurs classiques (comme les Twin Towers?), on a envie de savoir le mot de la fin : quelles valeurs à la place? L'absence de valeurs sanctionnerait le voleur.
Le voleur des valeurs. C'est là qu'on se trouve déçu. Nieztsche brave plus qu'il ne propose. Nietzsche n'a pas grand chose d'autre à proposer que la figure centrale de l'immanentisme : l'impossible. L'incohérence. On comprend pourquoi Rosset se livre à l'apologie de l'irrationalisme au nom de la tautologie et autres savantes considérations. Le grand reversement des valeurs sonne comme un pétard mouillé, tonitruant peut-être, mais avant tout trompeur. Attentat garanti. Effet annulé.
Nieztsche est le chantre de la mutation impossible, alors que Spinoza était l'apôtre de l'ontologie impossible. Et Rosset? En tant que représentant archétypal de l'immanentisme terminal, il se contente d'entériner la mort du sens. Rosset en reste au sensible et ce seul programme mérite bine qu'un de ses amis, un nihiliste malsain, l'éditeur et psychanalyste Jaccard, le surnomme le naufrageur de la philosophie. Le sensible : vous savez, ce que l'immanentiste Rosset nomme le reél et qu'il fait mine de ne pas définir pour ne pas engendrer controverses et réfutations. Les aspects les plus convaincants de la pensée de Rosset (la joie, le choix des mots, le tragique) ne valent que si l'on met entre parenthèses le fondement irrationaliste et immanentiste, bancal et erroné : le diable est ici moins dans les détails que dans les fondements.
Perversion : nous sommes d'une époque diabolique. Les temps sont diaboliques. Le diable est moins une créature fumeuse fumiste que la faculté à renverser le sens. Le diable est la propension à définir le réel comme le sensible. Le diable est le correspondant religieux du nihilisme ontologique. Par les temps qui courent, on entend souvent que le diable n'existe pas : c'est la preuve que nos temps sont diaboliques. Pas que nos temps sont rationnels et débarrassés des superstitieux modernes.
Le fondateur de l'immanentisme clame que le diable appartient à la superstition, qui est à bannir et à reléguer aux oubliettes de l'obscurantisme dépassé par la Raison. Spinoza prouve seulement son diabolisme de blasphémateur plus polisson que polisseur. En clamant que le diable n'existe pas, nos moutons modernes, qui se parent des vertus de la pensée alors qu'ils ne sont que des répétiteurs pédants et roboratifs, ne se rendent pas compte que leur raison dévoyée leur fournit les raisons de leur aveuglement face aux maux réels. Raisons de la colère.
Une des pires explications pour expliquer l'aveuglement hallucinant et hallucinatoire des épigones du diable à son endroit réside dans le renversement du sens. Alors qu'en réalité ils accomplissent le programme du diable, qui consiste à amener la discorde et la destructions sous prétexte de définir le reél par le sensible, la confusion des esprits de ses disciples les pousse à accorder l'exclusive prééminence à leur désir en lieu et place de la réalité. Le diable est le synonyme du néant, du menteur et du malin. Le diable est surnommé avec effroi le Malin. Cette dénomination terrifiante indique ainsi que l'intelligence inspire méfiance et qu'une trop grande foi dans l'intelligence pousse au diabolisme. Qui se croit trop malin fait le Malin, en somme.
Avant de désigner l'intelligence, le malin désigne ce qui est derrière ce type d'intelligence : la ruse. L'étymologie de malin renvoie à la méchanceté et à ce qui est malsain. Le diable est malin en ce qu'il est malsain. La ruse est de faire passer le malsain pour l'intelligence. Le malsain est ce qui porte atteinte au salut. Le malin se croit intelligent en ce qu'il ruse. Il ne ruse pas sur des broutilles et des peccadilles. Il ruse sur le reél. Le malin produit du réel une définition nihiliste qui réduit le reél au sensible et qui libère le néant. Le malin ruse en ce qu'il ne produit pas directement et explicitement cette ruse.
La ruse consiste à présenter sous des atours séduisants le néant. Dans le mythe, le néant est figuré sous les atours de l'Enfer. Selon le diable, l'Enfer est le Paradis. Le diable promet à Faust toutes les jouissances matérielles - tous les biens sensibles. Logique : le diable maîtrise du réel l'intégralité du sensible. Pas davantage. Dans le mythe, le désespéré qui accepte le pacte avec le diable escompte en tirer profit : la jouissance sensible n'obère en rien de la vie après la mort. Après tout, un être aussi puissant et bienfaiteur que le diable ne saurait être foncièrement mauvais.
Justement : le diable n'est pas mauvais. Il est destructeur. Il ne peut garantir que la toute-puissance de ce bas-monde, soit du sensible. A partir du moment où le reél ne se réduit pas au sensible, le pouvoir du diable est des plus limités : sa limite, c'est le limité - le sensible. Le diable détruit parce qu'il perd l'entièreté du reél pour une pincée - de sensible. La contradiction entre la ruse diabolique et l'effectivité du reél est la contradiction du nihilisme. Le nihilisme se prétend synthèse et résolution supérieure du transcendantalisme dans la mesure où il est menteur et pervers. Quand on renverse le sens, on se condamne à la contradiction.
Quand on ne définit pas le reél, peut-on produire une définition du réel? Le nihiliste est celui qui réduit le reél au sensible et qui en même temps ne définit pas le reél ou le déclare indéfinissable. Voyez par exemple Rosset, qui s'en tire par une pirouette rhétorique, qu'un Platon aurait taxée de sophisme : selon lui, le reél est tautologique, ce qui induit que si on peut tout en dire, on ne peut rien en dire du tout - non plus. Le réel est le réel. Circulez, il n'y a rien à voir. Ce qui implique que l'on ait le sentiment du reél - ou qu'on ne l'ait pas.
S'il est certain que le principe de contradiction mérite d'être dépassé constamment pour que la raison humaine accroisse son pouvoir de connaissance du reél, il est tout aussi certain que la contradiction est le principe qui permet de démêler ce qui est vrai de ce qui est faux. Ce n'est pas le principe de contradiction qui se trouve pris en défaut quand la contradiction d'un système donné se trouve dépassé par l'apport d'un nouveau système. Le principe de contradiction s'ajuste à un certain système. Si les coordonnés changent, le verrou de la contradiction donnée saute. Cependant, le dépassement d'un certain niveau de contradiction n'est possible que par l'apport d'un nouveau principe qui dépasse la contradiction.
Sans l'apport de ce nouveau principe, le principe de contradiction se trouve restauré. Sans l'apport de ce nouveau principe, le principe de contradiction est réfuté de manière fausse, ce qui implique la mauvaise foi et le mensonge du contradicteur. C'est exactement ce qui se produit avec le nihilisme : l'immanentisme prétend dépasser le transcendantalisme, mais il ne dépasse en rien la définition du transcendantalisme. Il prospère sur la constatation lucide que le transcendantalisme est caduc.
Il se contente d'enregistrer la mort de Dieu, son assassinat par son successeur auto-désigné, l'homme humaniste. Frime et vacuité du nihilisme. Quand on annonce le néant, on est vain. Loin de dépasser le transcendantalisme dépassé, le nihilisme se contente d'instaurer le règne de la mauvaise foi. La question du transcendantalisme, l'être englobé dans l'Etre, serait résolue si en lieu et place de l'Etre caduc, l'immanentisme produisait une alternative supérieure et plus explicative.
Si l'immanentisme n'explique rien de ce qui est devenu inexplicable, il sombre dans la contradiction et la mauvaise foi. L'immanentisme ne produit rien. Il restaure la contradiction impossible entre le sensible et ce qui lui est nécessairement adjoint. En faisant mine de résoudre cette contradiction, Spinoza pose l'incréé, concept qui est typiquement irrationaliste et qui ne désigne rien de nouveau. Pis, les distinction entre la substance, les attributs et les modes sont fallacieusement géométrique et logiques. En réalité, l'irrationalisme et l'illogisme sont au menu de ce programme savant et faussement réjouissant : ces différences fausses restaurent le principe de contradiction, soit la déchirure entre la représentation et le reél - la partie et le tout.
Il faut se rendre à la raison : le programme immanentiste n'est qu'une vulgate nihiliste qui impressionne les gogos et qui insupporte les lucides. Elle revient à répéter bêtement la salade défraîchie du nihilisme atavique, qui consiste à opposer sous prétexte de réconciliation le reél au néant.
La réconciliation tant vantée s'en tient au minimalisme partiel et caricatural de la représentation réconciliée avec la partie. En fait, la représentation se réconcilie avec le sensible et ce faisant se fâche avec le reél. L'homme se réconcilierait avec l'homme en se fâchant avec le divin? Absurde! C'est pourquoi le dépassement tant vanté de l'immanentisme aboutit, quand on presse son thuriféraire citronné, à l'aveu de son erreur mensongère. Je ne crois pas qu'il faille essayer d'expliquer la mauvaise foi par une faute de goût ou une déficience du jugement. Le nihiliste ment comme le diable. Il ruse et se croit le plus malin. Entre deux flammes, il jure s'en sortir toujours.
L'irrationalisme consiste à proposer un faux dépassement qui surmonterait la contradiction. Comme le dépassement est faux, la contradiction est restaurée. C'est ainsi que Rosset, qui avoue parce qu'il est exténué par son immanentisme terminal, finit par lâcher que sa définition du reél est inexistante. Produire une définition inexistante de l'existence, faut le faire! Comme Calliclès dans Platon (et d'autres modèles avoisinants), l'irrationalisme est l'arbitraire qui correspond à la loi du plus fort. La loi du plus fort repose sur la contradiction et l'injustifiable.
Idem pour l'irrationalisme. Rosset est obligé de postuler que l'adhésion au réel est l'apanage de quelques élus qui légitiment l'élitisme forcené de toute la philosophie nihiliste, en particulier de l'immanentisme. Nietzsche détestait la démocratie au nom du droit des forts à se protéger des faibles. Rosset ne fait que prolonger cette propension à l'arbitraire et à la force, qui est indissociable de la doctrine de l'unicité.
C'est ainsi qu'il ne faut pas chercher de contradiction dans la doctrine nihiliste au motif qu'elle définirait et ne définirait pas le reél. C'est la mauvaise foi et le mensonge qui définissent plus que le déni la propension à définir et ne pas définir. Il serait illusoire de chercher une erreur dans le raisonnement critique du nihilisme au motif qu'il contiendrait une contradiction fondamentale et inexpugnable.
C'est précisément l'erreur du nihilisme qui se signale ici : l'irrationalisme est la forme logique (donc illogique) de l'erreur et de la mauvaise foi. On est irrationnel quand on avalise l'impossible, soit la contradiction, en particulier non dépassée. De là il appert que le rationnel sanctionne le reél. Le mot de Hegel, selon lequel la non-contradiction pourrait être source d'inconséquence, est à ne pas prendre au pied de la lettre.
Evidemment, si l'on en reste à l'objectivité intangible du principe de non-contradiction, on se heurte à l'impossibilité du changement, en particulier du dépassement. En même temps, impossible de réfléchir si l'on sanctionne le rationalisme et que l'on sanctifie en lieu et place l'irrationalisme. Il n'est possible de dépasser que dans les normes du rationalisme. Le rationalisme correspond au reél, quand l'irrationalisme réduit le reél - au sensible.
La contradiction qui est perceptible dans la démarche nihiliste (définir et ne pas définir - le réel) et dans la doctrine fondamentale (le monisme se veut le tout et libère en même temps le néant, qui est l'impensé radical et majeur de l'ontologie spinoziste) est non la marque d'un dépassement inaperçu, mais d'une répétition fausse. Dans ces conditions, le mot de Nietzsche sur la profondeur du masque a valeur d'aveu et s'explique parce que le masque est ce qui cache, déforme et protège. On a besoin de protection quand le fond de votre pensée repose sur l'erreur et le mensonge. L'immanentisme a besoin de protection parce que l'immanentisme ment. C'est fort gênant.
Le masque cache l'erreur et l'appelle rationalisme radical et étriqué (Spinoza); ou irrationalisme tautologique (Rosset) - c'est selon. Le rationalisme de Spinoza n'est jamais que l'irrationalisme de Rosset. Correspondances, quand tu nous tiens. Sans doute Rosset voit-il plus clair que Spinoza, mais en même temps Rosset intervient à la fin de l'immanentisme, dans sa phase terminale, quand on en est à baisser les cartes et qu'on s'avise que le roi est nu. Joker - n'a rien à cacher.
Nietzsche avait défini la démarche immanentiste au stade de l'immanentisme tardif et dégénéré. Plus on progresse dans un mouvement, plus son processus est porté au grand jour. Nietzsche explicite la démarche que Spinoza porte de manière implicite et inconsciente. C'est ainsi que Nietzsche, qui prophétise plus qu'il ne rationalise, ce qui là encore est signe d'explicitation, annonce à grand renfort de moulinets extatiques le renversement de toutes les valeurs. A vrai dire, quand on a fini d'assister au dynamitage des valeurs classiques (comme les Twin Towers?), on a envie de savoir le mot de la fin : quelles valeurs à la place? L'absence de valeurs sanctionnerait le voleur.
Le voleur des valeurs. C'est là qu'on se trouve déçu. Nieztsche brave plus qu'il ne propose. Nietzsche n'a pas grand chose d'autre à proposer que la figure centrale de l'immanentisme : l'impossible. L'incohérence. On comprend pourquoi Rosset se livre à l'apologie de l'irrationalisme au nom de la tautologie et autres savantes considérations. Le grand reversement des valeurs sonne comme un pétard mouillé, tonitruant peut-être, mais avant tout trompeur. Attentat garanti. Effet annulé.
Nieztsche est le chantre de la mutation impossible, alors que Spinoza était l'apôtre de l'ontologie impossible. Et Rosset? En tant que représentant archétypal de l'immanentisme terminal, il se contente d'entériner la mort du sens. Rosset en reste au sensible et ce seul programme mérite bine qu'un de ses amis, un nihiliste malsain, l'éditeur et psychanalyste Jaccard, le surnomme le naufrageur de la philosophie. Le sensible : vous savez, ce que l'immanentiste Rosset nomme le reél et qu'il fait mine de ne pas définir pour ne pas engendrer controverses et réfutations. Les aspects les plus convaincants de la pensée de Rosset (la joie, le choix des mots, le tragique) ne valent que si l'on met entre parenthèses le fondement irrationaliste et immanentiste, bancal et erroné : le diable est ici moins dans les détails que dans les fondements.
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