jeudi 12 novembre 2009

For my twinkle

"Who the cap fit, let them wear it."
Bob Marley, Who The Cap Fit.

Un entretien instructif de Marc-Édouard Nabe, écrivain que j'apprécie modérément.
http://www.alainzannini.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1459:je-me-fous-de-ma-reputation-interview-dans-medias-nd22-automne-2009&catid=74:interviews-presse&Itemid=93
D'un point de vue littéraire, je lui reproche d'avoir suivi la mode mineure de l'auto-fiction, de ses débordements et de ses maîtres-maux, en particulier un certain Matzneff, qui croit et croasse que la littérature revient à coucher (en termes choisis) son psyculdrame tragique, en particulier quand le psycul se révèle pervers et insoutenable (Matzneff est pédophile et s'en est expliqué dans un bateau-livre au titre révélateur et au contenu méprisable, Les Moins de seize ans).
D'un point de vue philosophique, l'anarchisme de Nabe confine à l'impossible et ramène au nihilisme - sous les oripeaux de l'individualisme forcené, le mythe de l'artiste individuel et supérieur. Nabe a beau conchier l'Occident, la France et les valeurs crétines qui y ont cours, il n'en demeure pas moins le prisonnier de ce nihilisme qu'il se garde bien de combattre, détruisant toutes les valeurs de l'Occident - sauf celles qui fondent le nihilisme immanentiste et qui constituent le cœur de l'Occident.
D'un point de vue politique, l'anti-impérialisme et l'anticolonialisme de Nabe seraient cohérents si Nabe ne demeurait pas cantonné dans un occidentalisme étriqué. Quand il refuse de prendre en considération la vérité factuelle au nom de sa pseudo-adoration de l'Orient, Nabe annonce la couleur : "La négation (...) de la participation d'al-Qaeda au 11-septembre entraîne le désolant complotisme de beaucoup d'Arabes aujourd'hui complexés par l'Amérique".
Que l'on critique le complotisme ou les Arabes, OK, mais à deux conditions dans le 911 :
1) on rappelle que la VO est déjà un complot - inouï;
2) on rappelle qu'al Quaeda n'est pas le commanditaire des attentats du 911 et que l'envergure internationale conférée à al Quaeda cellule mondialiste du terrorisme est une galéjade qui devrait inspirer à Nabe ses peintures les plus engagées.
En condamnant les critiques du 911 sous couvert de critique systémique du complotisme, en accréditant la VO sous couvert d'anticolonialisme et de pro-orientalisme, Nabe ne se rend pas compte qu'il fait le jeu du colonialisme et de l'impérialisme des factions financières d'Occident. Cet impérialisme existe bien : il porte le nom d'Empire britannique aux ramifications prégnantes en Israël, Arabie saoudite et Pays-Bas. A vrai dire, les métastases présentes surtout en Occident se trouvent partout où l'on a compris que l'impérialisme contemporain s'effectuait par le truchement de la spéculation financière et du monétarisme.
Maintenant que Nabe dans les choux est remis dans ses clous, je crains fort que le point crucial de cette interview par ailleurs excellente (drôle, la critique des journalistes propagandistes) se situe dans sa position par rapport à l'édition. Nabe commence par débiter des vérités admirables sur l'écriture : "C'est un procès qu'on fait à toute vraie littérature : lui reprocher son aspect violent. Mais il ne s'agit pas de violence gratuite, c'est de la poésie." Ou encore : "Aujourd'hui, la véritable écriture est tellement ignorée, tellement bafouée, tellement réduite à l'expression d'idées qu'on ne sait plus ce que c'est. Alors que le verbe n'est que l'expression de lui-même. Tout son sens est dans sa naissance. C'est ça qui est magique. C'est ça qui est religieux."
Las! Lalalalala! Nabe se vautre dans la contradiction sous couvert de changement et de dépassement. Après avoir sorti ses farandoles lumineuses sur l'écriture en lien avec le religieux, l'art en correspondance avec sa source, notre Nabe antinational en vient à dresser le constat d'échec de l'édition. Intéressant : un écrivain édité par une maison d'édition (le Rocher de Bertrand), puis chassé de ce havre de pets lorsque l'entreprise qui ne connaît pas la crise fut néanmoins reprise par un pharmacien respectable.
Du coup, la critique de Nabe soulève la question de la fin - de l'édition en format Gutenberg. La fin de la conception bourgeoise de la littérature. Selon cette grille de lecture, typiquement bourgeoise, la littérature est individualiste, rapporte de la valeur finie (l'argent des droits d'auteur) et n'existe que par le truchement de l'éditeur et du libraire. Que dit Nabe suite à son constat d'échec accablant qui décrit la pourriture du système de l'édition comme métonymie du système occidentaliste? "Je ne cherche pas d'éditeur. Qu'ils aillent se faire foutre. J'ai passé un cap. C'est moi qui ne veux plus d'éditeur. Je ne veux plus être dans ce système. Je suis une sorte de pionnier, petit et modeste, qui veut concevoir une nouvelle façon pour un écrivain de s'exprimer dans sa société."
Fort bien, susurrera-t-on : Nabe prend acte de la faillite de l'édition majoritaire, qui repose sur le modèle institué par Gutenberg. Nabe s'en prend à la conception bourgeoise de l'écriture, selon laquelle la seule valeur qui soit est marchande. A ce compte (c'est le cas de le dire), l'écriture est une action tout aussi marchande que les autres. Le résultat : des mauvais écrivains, obsédés par leurs drames intimes, leur nombril souffreteux, des maisons d'édition exsangues et obnubilées par le profit, qui ne retiennent que les écrits-haillons qui rapportent et qui se foutent de la qualité - une fois que l'on a compris que la qualité était sans rapport avec la quantité qui rapporte.
Après cette déclaration fracassante de Nabe, on serait en droit d'attendre une annonce qui dépasse le stade de la provocation. Du style : maintenant que j'ai passé le cap, je vais vous montrer l'alternative que je propose ("Moi je ne conteste pas celles qui existent, mais j'en crée de nouvelles."). Pourtant, force est de constater que Nabe joue petit bras, à moins qu'il en garde sous le coude. Tenez-vous bien, ami lecteur, voila l'innovation qu'émet Nabe : "Mes tracts, je pourrais les faire sous forme de blogs. Mais c'est quand même beaucoup plus beau de les tirer sur papier, et de les afficher. Que ça soit ensuite repris sur Internet ne me dérange absolument pas - il y a beaucoup de blogs qui les reproduisent, qui les ressaisissent même -, mais je préfère les voir d'abord sur les murs : ça a un sens par rapport aux dazibaos, aux affiches déchirées de l'époque dada, etc. Il n'y a rien de plus beau pour moi que de voir un de mes textes lacéré dans les rues. Ça redonne un sens à l'écriture."
Certes, Nabe innove en expliquant que les tracts "sont une première étape. Il va y en avoir d'autres." Il fanfaronne sans tact, le Nabe. What's my fucking name? Snoop Nabe. Il est fier de ces tracts, le nabot zaniné : "Vous allez voir. Vous n'êtes pas au bout de vos surprises avec moi." Peut-être évoque-t-il son projet au reste intéressant de sortir son prochain livre à partir de son site, sans l'appoint technique et logistique d'une maison d'édition ("Moi je suis davantage pressé de vivre de ce que je crée, le milieu éditorial m'excusera. Alors, j'ai décidé de m'éditer moi-même. En cliquant sur marcedouardnabe.com, vous pouvez dès à présent acheter mes livres anciens et surtout celui, inédit, que je sors ces jours-ci").
De ce point de vue, il creusera son chemin, Nabe. Dans son pénitencier de faux soyeur, il dématérialisera ses pépites de mots en hurlant contre la dématérialisation alchimique. Car la solution qu'il entrevoit reste vague. Après avoir posé la question de nouveaux supports, Nabe en reste aux tracts et écarte d'un revers de la main dédaigneux les blogs et Internet : "Le but, c'est de finir sur du papier, pas sur Internet. Voilà pourquoi je n'ai pas de blog. Ce serait écrire virtuellement." C'est curieux, d'analyser le cheminement d'une erreur. En général, on part des bons prémisses et l'on bifurque subitement, on finit par de mauvaises conclusions.
Nabe était parti sur une constatation juste : les maisons d'édition bourgeoises tirées du principe Gutenberg sont dépassées. Il aurait dû en déduire que le nouveau support était Internet et que le nouveau genre littéraire était le blog. Fin de l'édition bourgeoise : plus d'éditeur, plus de libraire, plus de marchandise, plus de papier. On lit , on imprime, c'est gratuit - prime à la carte.
Nabe détruit la solution en détruisant le problème. En guise de remédiation provisoire, il propose un support bancal, voire hypocrite : le tract. Je n'ai rien contre les tracts, mais entre un cautère et une nouvelle jambe... Nabe se fourre le doigt dans le crâne jusqu'au cervelet. Il se leurre, fier de sa prison dorée. L'enfer me ment. T'entends ça, Nabe?
Quand on débite : "Il faut sortir de la structure, du système. Le véritable ennemi de l'écrivain, ce n'est pas la société, mais le milieu littéraire lui-même", on se doit d'être au niveau de ses pensées. Quand on estime qu'on soulève "une vraie question métaphysique" en se demandant si "la réalité n'a pas besoin des artistes, ou bien [si] toute la réalité, finalement, n'est pas là uniquement pour les artistes ?", on se doit d'y répondre d'une manière satisfaisante.
Nabe fustige le milieu littéraire pour sa bassesse et sa mesquinerie, et il répond à la faute par la faute? Curieuse, cette démarche viciée et vicieuse, qui consiste à (se) tromper sous prétexte qu'on a été trompé. Nabe n'a pas compris les véritables enjeux de la révolution Internet. Au fond, il ne vaut pas mieux que le mauvais rhéteur Enthoven Jr. qui oublie que la littérature n'est pas de la propagande et que ce n'est pas parce qu'on ne peut contrôler les blogs qu'ils valent moins que le patronyme d'un rôt.
Moi qui kiffe Épicure, les cocons des cochons : Enthoven Jr. est rôti à force de roter comme un porcelet - de lait. Cador de la polémique pétaradante, Nabe propose les tracts et l'auto-édition en lieu et place d'Internet et des blogs. Qu'est-ce qui est gratuit, qui innove et qui laisse le champ à une nouvelle créativité? Internet ou l'auto-édition? Les blogs ou les tracts? Qu'est-ce qui balaye les critères conventionnels et conventionnés de la littérature? La gratuité? Par temps de crise, il faut embrayer : grâce à Internet, la révolution de la pensée va de pair avec la révolution systémique qui est en train de nettoyer les écuries du monde de la bourgeoisie, le monde du libéralisme, le monde de l'immanentisme. Fin d'un monde, place au nouveau. Dans ce nouveau monde, Internet est le nouveau support de la nouvelle parole.
Fin des parades parées de parfums fourbes. Le Verbe si cher à Nabe est désormais sur Internet. Il n'est plus chez Gutenberg le formaté sclérosé. Où sont les véritables écrivains? Sur Internet. Où sont les véritables éditeurs? Sur Internet. Et le pompon, c'est qu'ils ne font qu'un. Ils sont le vent frais de la liberté illibérale et libérée. J'espère que ce blog contribue à la vraie littérature et à la vraie révolution des mots contre les maux. L'art contre la pornographie : devinez qui l'emportera?
Devinez qui internera l'autre? Quel Internet terminera? Le toc du troc sexuel ou le tic du tac sans tact? Dieu ou le diable? Qu'est-ce qu'apporte Internet en guise de nouvelles valeurs? La gratuité et le sens d'un processus nommé changement. Alors que l'ordre bourgeois ratiocinait autour de la marchandisation des mots, alors que le milieu littéraire bourgeois pensait en termes d'individu et d'individualisme, Internet balaye le carcan, nous délivre des faux écrivains, des écrits vains, des bobos germano-patins, des frimeurs, des dragueurs, des échangistes, des pédophiles, des faussaires, des vrais cerfs, des tocards, des toqués. Internet rappelle que l'idée n'appartient à personne. Internet rappelle que le style n'appartient à personne.
Internet rappelle que le mot n'appartient à personne. Et ce qui est vrai pour la littérature est vrai pour les expressions artistiques. Internet est la révolution culturelle qui restaure le culte. Pas le culte du monothéisme. Le culte d'une nouvelle forme religieuse, à laquelle j'apporte mon obole non monétariste :
http://aunomduneant.blogspot.com/
Contribution qui si elle possède quelque valeur et quelque pérennité ne m'appartient pas. Le virtuel est la vertu du réel. Le virtuel est le nouveau matériel. Nabe n'a pas compris et vit dans le virtuel et le dématériel. Nabe, change de logiciel. Achète-toi une jeunesse! Le virtuel, c'est la dynamique du réel. Le nouveau réel. Tous critiquent Internet au nom du virtuel parce qu'ils sont passés à côté de leurs pompes. Ils n'ont pas compris les vertus du virtuel.
Comme souvent, ils ont pris l'innovation pour le vice. Condamnation du virtuel : éloge du vice à la vertu. Tandis que Nabe et ses potes profanent le virtuel, le matériel s'est fané. Nos flâneurs néo-anars et néo-punks se sont égarés dans la violence, la politique ou la gouache. Ce qui est tragique en termes de mesure individuelle est grandiose en termes de valeur humaine. L'individu qui écrit est un passeur du collectif. Ses idées ne lui appartiennent pas, ainsi que l'exprimaient la conception antique de l'inspiration. Raison du déni hautain de Nabe : Internet remet à l'ordre du jour cette vérité au moment où l'homme en a le plus besoin. Nabe l'individualiste vs. le progrès de l'homme.
A une époque de danger, au pire moment de crise de l'histoire connue, Internet est le support technologique qui annonce que l'homme va sortir de son ornière mondialiste et que la crise sera le moyen d'aller de l'avant, de changer, de progresser. Qu'est-ce qu'un changement? C'est quand du nouveau survient. Le nouveau, ce n'est pas un énième Gutenberg, le nouveau c'est le blog. Le nouveau c'est Internet. Attribut de la tribu : format Internet. Le nouveau, c'est l'individu au service de l'homme. L'individu-homme. L'indivision-homme. Sweet homme. L'individu se libère de la marchandisation bourgeoise et accède à la nouvelle espèce. L'espace.

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