Si le Grand Soir n'advient pas en tant qu'événement immédiat et instantané, ce n'est pas du tout le signe que la crise systémique n'existe pas. C'est le signe que le Grand Soir n'existe pas.
Le plus comique dans le tragique effondrement systémique que nous endurons, dans ce qu'il convient de nommer un phénomène de désintégration systémique, c'est la croyance des gens dans l'apocalypsme, dans le millénarisme, dans le Grand Soir. Soit cette croyance s'ordonne autour d'une intense foi révolutionnaire qui s'embrase à l'énoncé d'une telle possibilité; soit cette croyance prend des tournures antithétiques de contre-croyance critique, sur le mode : le Grand Soir étant impossible, l'effondrement systémique est impossible.
Qu'est-ce que le Grand Soir? Selon Wikipédia, l'expression connote "une notion définissant une rupture révolutionnaire, où tout est possible. Cette notion est partagée par des communistes marxistes et des anarchistes. Elle désigne l'anéantissement du pouvoir précédent et l'instauration d'une société nouvelle. Cette notion est utilisée par la plupart des organisations révolutionnaires pour fédérer leurs troupes. À la fin du XIXème siècle, les ouvriers, révoltés par des conditions de vie souvent misérables et par l'exploitation dont ils sont victimes, rêvent d'un Grand Soir, d'une révolution. Les ouvriers imaginent un monde meilleur où ils seraient mieux traités, mieux considérés. Des chansons, des dessins, des journaux portent leurs espérances comme par exemple l'Internationale d'Eugène Pottier en juin 1871. C'est pour J. P. Sartre le dernier grand "mythe poétique" révolutionnaire en France (Cf. "Orphée Noir" dans Situations III). René Lévesque et le Parti québécois ont spécialement parlé du grand soir à l'approche du référendum québécois de 1980. La notion de "Grand Soir", issue de la culture chrétienne, est visiblement dérivée de l'Apocalypse."
La caractéristique à retenir du Grand Soir, c'est la croyance principale dans le changement révolutionnaire soudain et définitif. Le Grand Soir est un thème de ce point de vue exalté et romantique, où la mutation ontologique advient au sens où les conditions de vie changent du tout au tout - dans un laps de temps bref et violent. Bien entendu, cette croyance est impossible et de ce point de vue la catégorie de l'impossible renvoie directement au nihilisme.
Caractéristique associée et secondaire de cette croyance fausse et emportée : le changement est tout aussi positif que subit. Le Grand Soir implique un passage révolutionnaire de quelques heures durant lequel le monde de l'homme passe de l'imperfection criante à la perfection saisissante. Cette croyance ajoutée est tout aussi fausse que la première - bien que la fausseté soit prévisible, puisque d'une cause fausse, il ne saurait découler une conséquence juste.
La vérité historique et structurelle est nettement moins réjouissante. Dans des coordonnées religieuses, il est possible que l'avènement final de Dieu (nommé apocalypse dans la tradition chrétienne) change du tout au tout le fonctionnement du réel. Mais tant qu'une intervention divine ou surnaturelle ne change pas ce fonctionnement, la croyance au changement structurel n'est pas possible.
Cette dimension religieuse du Grand Soir est explicitement soulignée dans l'article Wikipédia : les références révolutionnaires idéologiques matérialistes découlent en droite ligne des références religieuses antérieures et tant décriées. Du coup, la naïveté de la croyance idéologique réduplique la naïveté religieuse dénoncée. On peut estimer que Dieu n'a pas le pouvoir de changer le monde ou d'imposer l'Apocalypse. Toujours est-il que l'explication apocalyptique repose sur l'intervention cohérente (quoique contestable) de Dieu. Tandis que l'explication idéologique du Grand Soir est clairement impossible et d'une candeur confondante.
Quand un système s'effondre, ce n'est pas en quelques heures, selon une visibilité chronologique à échelle humaine, mais selon un temps long, réparti sur plusieurs décennies, voire sur plusieurs siècles. L'exemple de l'Empire romain donne un aperçu de cette vérité dans le champ de l'histoire occidentale assez récente (après tout, quelques millénaires ne sont pas grand chose selon le monde, et même selon l'homme).
Évidemment, on pourra citer l'exemple récent de la chute du Mur de Berlin, intervenue le 9 novembre 1989. Mais la symbolique destruction du Mur est l'événement final d'un processus bien plus long qui dans ses instants terminaux s'appelait perestroïka ou glasnost. Estimer que le communisme s'est effondré purement et simplement le 9 novembre 1989, c'est réduire un phénomène à son événement ultime. C'est finalement ne rien comprendre au phénomène que de le réduire selon une dimension réductrice aussi maximaliste.
Par ailleurs, comprendre l'effondrement communiste, c'est comprendre que le communisme est l'idéologie immanentiste progressiste qui est opposée à son contraire l'idéologie immanentiste pragmatique en tant qu'elle est son complément et son pendant. En termes idéologiques, le communisme et le capitalisme sont deux sous-idéologies nées de l'idéologie impérialiste libérale. Quand on oppose le libéralisme au communisme, on se contente de commettre un faux sens tant théorique qu'historique.
Une fois cette vérité rétablie (l'inscription du communisme dans le champ du libéralisme et non comme alternative externe), l'effondrement du Mur de Berlin (qui selon les dires de chanteurs médiocres n'aurait pas de seins, et, à mon avis, pas davantage de saints) n'exprime que la première partie de l'effondrement de l'immanentisme, ou, si l'on veut, de l'effondrement libéral. La seconde est l'actuel effondrement, que l'on dénie parce qu'il est trop effrayant pour les membres du système, mais qui n'en est pas moins irréfutable à l'aune de faits déments et corroborés.
Dans une perspective de cultures multiples, l'effondrement d'un système engendre la fin de ce système, mais peut permettre la prolifération facilitée d'autres systèmes. Dans la perspective de notre monde unique ou globalisé, l'effondrement du système précipite l'ensemble des cultures de plus en plus unicisées vers la disparition de l'humanité. Ce n'est pas une hypothèse farfelue, mais une menace qui s'agite sous notre nez.
Telle est l'Apocalypse : le spectre de la fin de l'homme. Seul un cataclysme ou une catastrophe de dimension nucléaire pourraient engendrer le Grand Soir ou l'Apocalypse instantanés. Dans le cas d'un effondrement systémique de type économique, le refus de croire au Grand Soir ne conduit en aucun cas à réfuter le problème de la désintégration. Réfuter l'existence de la désintégration systémique revient à un phénomène de déni, selon lequel il n'est pas possible que le système s'effondre parce que le système ne peut s'effondrer (avec son corolaire selon lequel le système ne peut s'effondre parce qu'il est unique).
Le déni d'effondrement ou de désintégration systémiques porte un label : la fin de l'histoire made in Fukuyama. Selon cette conception, l'homme de la fin de l'histoire végète dans une absence de monde soumis aux impératifs normatifs classiques. L'homme de la fin de l'histoire ne connaît ni le temps, ni l'histoire. L'homme de la fin de l'histoire ne connaît pas la crise. L'homme de la fin de l'histoire est débarrassé des oripeaux du réel. A la fin de la fin de l'histoire, il y a - la fin de l'histoire.
Le déni est le refus du réel. L'homme de la fin de l'histoire est cet histrion qui refuse le réel et qui s'est installé dans le pire des conforts, le confort maudit, le confort de la démesure antique, le confort qui confond le désir et le réel - le tout et la partie. Si le Grand Soir n'advient pas en tant qu'événement immédiat et instantané, ce n'est pas du tout le signe que la crise systémique n'existe pas. C'est le signe que le Grand Soir n'existe pas.
Dans une optique lucide, la crise systémique existe bien, mais comme tout effondrement systémique, elle prendra son temps pour développer ses miasmes immondes et sa forme monstrueuse. Un temps progressif, mais visible - mas certain. La crise systémique n'existerait pas si elle n'était corroborée par de multiples signes, comme le déficit abyssal des États, les bulles spéculatives vertigineuses brassant des sommes fictives hallucinatoires, inimaginables et astronomiques, le déclin faramineux de l'activité industrielle, la destruction croissante de l'économie physique, la transformation de l'économie vers des activités déconnectées de l'activité physique, le découplage du dollar-valeur (monnaie de référence) et de l'étalon-or...
La crise qui s'abat sur l'Occident est une crise oligarchique qui abat le libéralisme comme idéologie-masque de l'impérialisme occidentaliste. En termes ontologico-religieux, c'est l'immanentisme qui s'effondre. Deux alternatives : soit l'homme surmonte - vers l'espace; soit il décroît, il s'ingénie dans l'eugénisme, il s'effondre, il tombe, il chute, il disparaît... Selon la seconde option, à laquelle je ne souscris pas, la fin de l'immanentisme tient dans la fin de l'homme - au sens littéral.
Cette fin a commencé schématiquement depuis le symbolique 2009 - vingt ans après 1989, la chute du premier volet de l'immanentisme. Avant d'atteindre les stades ultimes, nous sommes déjà dans les limbes de l'ère terminale. Cette ère implique que les pays occidentaux, dont le niveau de vie se situe au-dessus du restant du monde, redescendent à un niveau aussi bas que les autres colonisés et impérialisés, avec une répartition oligarchique des biens. L'exemple de ce qui attend l'Occident dans ce schéma est la situation courante de l'homme : l'Afrique, l'Amérique du sud ou l'Asie - avec sur ce continent l'emblématique Chine, passée du communisme maoïste aux mirages du capitalisme d'État.
Les populations occidentales, loin de développer un modèle extensible de démocratie et de libéralisme, ont bénéficié de la politique impérialiste et colonialiste de leurs élites oligarchiques. Seulement, la crise systémique indique que la fête est finie. Gavés comme des oies, dépolitisés, incapables de comprendre un problème d'envergure, aveugles comme des Œdipes libidineux, nos Occidentaux sont des sinistres cyniques, des chiffes molles, des quarterons de dégonflés, des ratatinés de la veulerie.
On tance la lâcheté des collabos sous les régimes fascistes du milieu du vingtième siècle, mais le monstre collabobo que l'on identifie n'a pas disparu. Il cohabite avec le libéralisme, dont le fascisme n'est que l'excroissance paroxystique et l'acmé de la rage boutonneuse. A présente que la fête est finie, l'Occident ne peut que retomber vers des niveaux de vie économiques et affectifs comparables à ceux des populations qu'il a asservies. Ce serait d'une certaine manière un juste châtiment pour la lâcheté et le déni si l'avenir de l'homme n'était encore plus menacé que l'avenir de l'Occident.
J'ai la dent dure? Au lieu de souscrire aux Grands Soirs et aux visions simplistes de l'Apocalypse, comprenez que l'effondrement systémique n'est pas une petite grippette, un petit feu de camps d'adolescents paumés et insouciants. La crise qui nous menace n'en est qu'à ses débuts. Considérez les mensonges éhontés des caisses de résonance officielles, ces médias propagandistes et dégénérés, qui nous serinent avec inconséquence que tous les six mois la crise est passée et que le retour à la fin de l'histoire est pour bientôt.
La crise ne passera pas. Les bulles éclateront. Quel savon en perspective! Le système coulera comme le Titanic. Ce fameux navire ultramoderne pour son époque était conçu pour ne pas connaître le naufrage. On a vu le résultat de la bêtise conjuguée à l'insouciance. Rien ne peut arriver au Titanic? Rien ne peut arriver à l'Occident? Faire la fête avant de crever, c'est une mentalité de nihilistes, de cyniques et de bons à rien. Ne pas comprendre la gravité de la crise à l'aune des chiffres exacts et des enjeux qui se profilent depuis la fin des Trente glorieuses, c'est verser dans le déni.
Se moquer du Grand Soir pour contempler son nombril, c'est ne pas comprendre que le changement de type révolutionnaire (soit un changement de système) n'apportera jamais la perfection définitive en lieu et place des imperfections et des aberrations pré-révolutionnaires. Il est déconcertant de reproduire sans cesse la même erreur, qui consiste à croire que le changement, aussi radical et considérable soit-il, peut apporter la perfection.
Notez les deux écueils :
- d'un côté la perfection en guise de changement;
- de l'autre l'absence de changement en guise de fin de l'histoire.
Dans les deux cas, on fait fi de la réalité de l'histoire : l'homme est cet animal qui change et dont le changement consiste dans le perfectionnement. Par perfectionnement j'entends l'amélioration continuelle, quoique non linéaire, qui se manifeste par la maîtrise de plus en plus grande du monde de l'homme et par la représentation de plus en plus pointue du réel.
Désolé si je rejette les thèses du Grand Soir, mais elles sont plus les cautions des tenants de la fin de l'histoire, soit du parti oligarchique, que des idéalistes révolutionnaires qui adhèrent à une utopie baba au fond aussi réconfortante que débilitante. Au lieu de verser dans des thèses qui déconsidèrent ce qu'elles louent, on ferait mieux de regarder la réalité en face : ce qui menace l'homme n'est pas un effondrement si brutal et spectaculaire qu'il engendrerait des réactions énergiques et pugnaces. C'est un effondrement systémique de type terminal, qui mène à une homogénéisation systémique de type oligarchique et à un effondrement continu dont le terme du terminal est la fin.
Au début, la faim. Puis enfin, la fin. Heureusement, l'homme est doté de telles facultés d'adaptation et de changement qu'il saura relever le défi et que je parie aveuglément sur son sursaut. C'est finalement peut-être cela, le Grand Soir : non la perfection ultime, mais le perfectionnement continu. C'est un enseignement de type religieux, qui ramène au vrai sens de l'apocalypse et de tous les discours prophétiques.
Le plus comique dans le tragique effondrement systémique que nous endurons, dans ce qu'il convient de nommer un phénomène de désintégration systémique, c'est la croyance des gens dans l'apocalypsme, dans le millénarisme, dans le Grand Soir. Soit cette croyance s'ordonne autour d'une intense foi révolutionnaire qui s'embrase à l'énoncé d'une telle possibilité; soit cette croyance prend des tournures antithétiques de contre-croyance critique, sur le mode : le Grand Soir étant impossible, l'effondrement systémique est impossible.
Qu'est-ce que le Grand Soir? Selon Wikipédia, l'expression connote "une notion définissant une rupture révolutionnaire, où tout est possible. Cette notion est partagée par des communistes marxistes et des anarchistes. Elle désigne l'anéantissement du pouvoir précédent et l'instauration d'une société nouvelle. Cette notion est utilisée par la plupart des organisations révolutionnaires pour fédérer leurs troupes. À la fin du XIXème siècle, les ouvriers, révoltés par des conditions de vie souvent misérables et par l'exploitation dont ils sont victimes, rêvent d'un Grand Soir, d'une révolution. Les ouvriers imaginent un monde meilleur où ils seraient mieux traités, mieux considérés. Des chansons, des dessins, des journaux portent leurs espérances comme par exemple l'Internationale d'Eugène Pottier en juin 1871. C'est pour J. P. Sartre le dernier grand "mythe poétique" révolutionnaire en France (Cf. "Orphée Noir" dans Situations III). René Lévesque et le Parti québécois ont spécialement parlé du grand soir à l'approche du référendum québécois de 1980. La notion de "Grand Soir", issue de la culture chrétienne, est visiblement dérivée de l'Apocalypse."
La caractéristique à retenir du Grand Soir, c'est la croyance principale dans le changement révolutionnaire soudain et définitif. Le Grand Soir est un thème de ce point de vue exalté et romantique, où la mutation ontologique advient au sens où les conditions de vie changent du tout au tout - dans un laps de temps bref et violent. Bien entendu, cette croyance est impossible et de ce point de vue la catégorie de l'impossible renvoie directement au nihilisme.
Caractéristique associée et secondaire de cette croyance fausse et emportée : le changement est tout aussi positif que subit. Le Grand Soir implique un passage révolutionnaire de quelques heures durant lequel le monde de l'homme passe de l'imperfection criante à la perfection saisissante. Cette croyance ajoutée est tout aussi fausse que la première - bien que la fausseté soit prévisible, puisque d'une cause fausse, il ne saurait découler une conséquence juste.
La vérité historique et structurelle est nettement moins réjouissante. Dans des coordonnées religieuses, il est possible que l'avènement final de Dieu (nommé apocalypse dans la tradition chrétienne) change du tout au tout le fonctionnement du réel. Mais tant qu'une intervention divine ou surnaturelle ne change pas ce fonctionnement, la croyance au changement structurel n'est pas possible.
Cette dimension religieuse du Grand Soir est explicitement soulignée dans l'article Wikipédia : les références révolutionnaires idéologiques matérialistes découlent en droite ligne des références religieuses antérieures et tant décriées. Du coup, la naïveté de la croyance idéologique réduplique la naïveté religieuse dénoncée. On peut estimer que Dieu n'a pas le pouvoir de changer le monde ou d'imposer l'Apocalypse. Toujours est-il que l'explication apocalyptique repose sur l'intervention cohérente (quoique contestable) de Dieu. Tandis que l'explication idéologique du Grand Soir est clairement impossible et d'une candeur confondante.
Quand un système s'effondre, ce n'est pas en quelques heures, selon une visibilité chronologique à échelle humaine, mais selon un temps long, réparti sur plusieurs décennies, voire sur plusieurs siècles. L'exemple de l'Empire romain donne un aperçu de cette vérité dans le champ de l'histoire occidentale assez récente (après tout, quelques millénaires ne sont pas grand chose selon le monde, et même selon l'homme).
Évidemment, on pourra citer l'exemple récent de la chute du Mur de Berlin, intervenue le 9 novembre 1989. Mais la symbolique destruction du Mur est l'événement final d'un processus bien plus long qui dans ses instants terminaux s'appelait perestroïka ou glasnost. Estimer que le communisme s'est effondré purement et simplement le 9 novembre 1989, c'est réduire un phénomène à son événement ultime. C'est finalement ne rien comprendre au phénomène que de le réduire selon une dimension réductrice aussi maximaliste.
Par ailleurs, comprendre l'effondrement communiste, c'est comprendre que le communisme est l'idéologie immanentiste progressiste qui est opposée à son contraire l'idéologie immanentiste pragmatique en tant qu'elle est son complément et son pendant. En termes idéologiques, le communisme et le capitalisme sont deux sous-idéologies nées de l'idéologie impérialiste libérale. Quand on oppose le libéralisme au communisme, on se contente de commettre un faux sens tant théorique qu'historique.
Une fois cette vérité rétablie (l'inscription du communisme dans le champ du libéralisme et non comme alternative externe), l'effondrement du Mur de Berlin (qui selon les dires de chanteurs médiocres n'aurait pas de seins, et, à mon avis, pas davantage de saints) n'exprime que la première partie de l'effondrement de l'immanentisme, ou, si l'on veut, de l'effondrement libéral. La seconde est l'actuel effondrement, que l'on dénie parce qu'il est trop effrayant pour les membres du système, mais qui n'en est pas moins irréfutable à l'aune de faits déments et corroborés.
Dans une perspective de cultures multiples, l'effondrement d'un système engendre la fin de ce système, mais peut permettre la prolifération facilitée d'autres systèmes. Dans la perspective de notre monde unique ou globalisé, l'effondrement du système précipite l'ensemble des cultures de plus en plus unicisées vers la disparition de l'humanité. Ce n'est pas une hypothèse farfelue, mais une menace qui s'agite sous notre nez.
Telle est l'Apocalypse : le spectre de la fin de l'homme. Seul un cataclysme ou une catastrophe de dimension nucléaire pourraient engendrer le Grand Soir ou l'Apocalypse instantanés. Dans le cas d'un effondrement systémique de type économique, le refus de croire au Grand Soir ne conduit en aucun cas à réfuter le problème de la désintégration. Réfuter l'existence de la désintégration systémique revient à un phénomène de déni, selon lequel il n'est pas possible que le système s'effondre parce que le système ne peut s'effondrer (avec son corolaire selon lequel le système ne peut s'effondre parce qu'il est unique).
Le déni d'effondrement ou de désintégration systémiques porte un label : la fin de l'histoire made in Fukuyama. Selon cette conception, l'homme de la fin de l'histoire végète dans une absence de monde soumis aux impératifs normatifs classiques. L'homme de la fin de l'histoire ne connaît ni le temps, ni l'histoire. L'homme de la fin de l'histoire ne connaît pas la crise. L'homme de la fin de l'histoire est débarrassé des oripeaux du réel. A la fin de la fin de l'histoire, il y a - la fin de l'histoire.
Le déni est le refus du réel. L'homme de la fin de l'histoire est cet histrion qui refuse le réel et qui s'est installé dans le pire des conforts, le confort maudit, le confort de la démesure antique, le confort qui confond le désir et le réel - le tout et la partie. Si le Grand Soir n'advient pas en tant qu'événement immédiat et instantané, ce n'est pas du tout le signe que la crise systémique n'existe pas. C'est le signe que le Grand Soir n'existe pas.
Dans une optique lucide, la crise systémique existe bien, mais comme tout effondrement systémique, elle prendra son temps pour développer ses miasmes immondes et sa forme monstrueuse. Un temps progressif, mais visible - mas certain. La crise systémique n'existerait pas si elle n'était corroborée par de multiples signes, comme le déficit abyssal des États, les bulles spéculatives vertigineuses brassant des sommes fictives hallucinatoires, inimaginables et astronomiques, le déclin faramineux de l'activité industrielle, la destruction croissante de l'économie physique, la transformation de l'économie vers des activités déconnectées de l'activité physique, le découplage du dollar-valeur (monnaie de référence) et de l'étalon-or...
La crise qui s'abat sur l'Occident est une crise oligarchique qui abat le libéralisme comme idéologie-masque de l'impérialisme occidentaliste. En termes ontologico-religieux, c'est l'immanentisme qui s'effondre. Deux alternatives : soit l'homme surmonte - vers l'espace; soit il décroît, il s'ingénie dans l'eugénisme, il s'effondre, il tombe, il chute, il disparaît... Selon la seconde option, à laquelle je ne souscris pas, la fin de l'immanentisme tient dans la fin de l'homme - au sens littéral.
Cette fin a commencé schématiquement depuis le symbolique 2009 - vingt ans après 1989, la chute du premier volet de l'immanentisme. Avant d'atteindre les stades ultimes, nous sommes déjà dans les limbes de l'ère terminale. Cette ère implique que les pays occidentaux, dont le niveau de vie se situe au-dessus du restant du monde, redescendent à un niveau aussi bas que les autres colonisés et impérialisés, avec une répartition oligarchique des biens. L'exemple de ce qui attend l'Occident dans ce schéma est la situation courante de l'homme : l'Afrique, l'Amérique du sud ou l'Asie - avec sur ce continent l'emblématique Chine, passée du communisme maoïste aux mirages du capitalisme d'État.
Les populations occidentales, loin de développer un modèle extensible de démocratie et de libéralisme, ont bénéficié de la politique impérialiste et colonialiste de leurs élites oligarchiques. Seulement, la crise systémique indique que la fête est finie. Gavés comme des oies, dépolitisés, incapables de comprendre un problème d'envergure, aveugles comme des Œdipes libidineux, nos Occidentaux sont des sinistres cyniques, des chiffes molles, des quarterons de dégonflés, des ratatinés de la veulerie.
On tance la lâcheté des collabos sous les régimes fascistes du milieu du vingtième siècle, mais le monstre collabobo que l'on identifie n'a pas disparu. Il cohabite avec le libéralisme, dont le fascisme n'est que l'excroissance paroxystique et l'acmé de la rage boutonneuse. A présente que la fête est finie, l'Occident ne peut que retomber vers des niveaux de vie économiques et affectifs comparables à ceux des populations qu'il a asservies. Ce serait d'une certaine manière un juste châtiment pour la lâcheté et le déni si l'avenir de l'homme n'était encore plus menacé que l'avenir de l'Occident.
J'ai la dent dure? Au lieu de souscrire aux Grands Soirs et aux visions simplistes de l'Apocalypse, comprenez que l'effondrement systémique n'est pas une petite grippette, un petit feu de camps d'adolescents paumés et insouciants. La crise qui nous menace n'en est qu'à ses débuts. Considérez les mensonges éhontés des caisses de résonance officielles, ces médias propagandistes et dégénérés, qui nous serinent avec inconséquence que tous les six mois la crise est passée et que le retour à la fin de l'histoire est pour bientôt.
La crise ne passera pas. Les bulles éclateront. Quel savon en perspective! Le système coulera comme le Titanic. Ce fameux navire ultramoderne pour son époque était conçu pour ne pas connaître le naufrage. On a vu le résultat de la bêtise conjuguée à l'insouciance. Rien ne peut arriver au Titanic? Rien ne peut arriver à l'Occident? Faire la fête avant de crever, c'est une mentalité de nihilistes, de cyniques et de bons à rien. Ne pas comprendre la gravité de la crise à l'aune des chiffres exacts et des enjeux qui se profilent depuis la fin des Trente glorieuses, c'est verser dans le déni.
Se moquer du Grand Soir pour contempler son nombril, c'est ne pas comprendre que le changement de type révolutionnaire (soit un changement de système) n'apportera jamais la perfection définitive en lieu et place des imperfections et des aberrations pré-révolutionnaires. Il est déconcertant de reproduire sans cesse la même erreur, qui consiste à croire que le changement, aussi radical et considérable soit-il, peut apporter la perfection.
Notez les deux écueils :
- d'un côté la perfection en guise de changement;
- de l'autre l'absence de changement en guise de fin de l'histoire.
Dans les deux cas, on fait fi de la réalité de l'histoire : l'homme est cet animal qui change et dont le changement consiste dans le perfectionnement. Par perfectionnement j'entends l'amélioration continuelle, quoique non linéaire, qui se manifeste par la maîtrise de plus en plus grande du monde de l'homme et par la représentation de plus en plus pointue du réel.
Désolé si je rejette les thèses du Grand Soir, mais elles sont plus les cautions des tenants de la fin de l'histoire, soit du parti oligarchique, que des idéalistes révolutionnaires qui adhèrent à une utopie baba au fond aussi réconfortante que débilitante. Au lieu de verser dans des thèses qui déconsidèrent ce qu'elles louent, on ferait mieux de regarder la réalité en face : ce qui menace l'homme n'est pas un effondrement si brutal et spectaculaire qu'il engendrerait des réactions énergiques et pugnaces. C'est un effondrement systémique de type terminal, qui mène à une homogénéisation systémique de type oligarchique et à un effondrement continu dont le terme du terminal est la fin.
Au début, la faim. Puis enfin, la fin. Heureusement, l'homme est doté de telles facultés d'adaptation et de changement qu'il saura relever le défi et que je parie aveuglément sur son sursaut. C'est finalement peut-être cela, le Grand Soir : non la perfection ultime, mais le perfectionnement continu. C'est un enseignement de type religieux, qui ramène au vrai sens de l'apocalypse et de tous les discours prophétiques.
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