jeudi 25 février 2010

La perversion du progrès

Qu'est-ce que le progressisme? C'est aller vers la croissance. Le progrès d'un système politique, c'est aller vers la croissance du modèle politique. Cas des idéologies, qui sont des réductions des idées aux modèles politiques et qui aboutissent à la réduction des systèmes politiques classiques à des approches économiques. Nous en sommes actuellement à une réduction de la réduction - à une réduction de l'économique au financier. Nous sommes dans une phase de réduction accrue, croissante, et c'est à l'intérieur de ce phénomène de décroissance assumée plus ou moins lucidement (plutôt moins que plus d'ailleurs, tant le déni est omniprésent) que se manifeste avec paradoxe et acuité le phénomène du progressisme.
De nos jours de système déclinant (système politique libéral occidental en particulier, système qui renvoie au déni religieux de l'immanentisme), le progressisme caractérise une conception du progrès qui est aux antipodes de ce qu'on entend classiquement par progrès. Usuellement, le progrès définit l'accroissement. Cette fois, le progrès désigne la décroissance. On peut parler de progrès pervers au sens étymologique, puisque la perversion caractérise le retournement du sens. Le sens classique tend vers l'accroissement. La perversion du sens tend vers la décroissance.
Le propre du déni est de déclarer que le visible est invisible, que le mal est bien ou que l'illusoire est réel. L'approche contemporaine du progrès est typiquement perverse en ce qu'elle promeut la décroissance comme progrès. C'est le signe que le système occidental s'est littéralement retourné, soit qu'il est passé d'un stade d'expansion croissante à un stade de régression décroissante. Tant que l'impérialisme occidental croît, il promeut un progrès classique. A partir du moment où intervient la décroissance de l'impérialisme occidental, c'est-à-dire à partir de l'effondrement du modèle progressiste immanentiste de type collectiviste, le progrès classique se retourne et décroît.
Le retournement du progrès se manifeste au moment où s'écroule l'incarnation du progrès idéologique, soit le progrès collectiviste. Nous sommes passés à la phase de l'unicité du système, à une ère de déclin qui promeut la bonté absolue du système unique. Un système unique est un système condamné à la destruction programmée et qui sous-tend une mentalité stupide et dévoyée. C'est la théorie de la nécessité, qui justifie l'unicité d'un système politique par le dogme de l'unicité du réel. Unicité du réel : fort bien, mais qu'entend-on par réel et par unicité?
Cette définition ne concorde pas avec un effort s'attachant à définir une partie de réel. Il faut se montrer particulièrement outrecuidant pour estimer que la partie est le tout. C'est pourtant à cette extrémité qu'en sont réduits les médiocres thuriféraires de nos régimes actuels, libéraux, démocratiques, laïques et - vermoulus, eux qui clament et piaillent à n'en pas finir que le système est si unique, si nécessaire qu'il serait parvenu à la fin de l'histoire. Ils ne croient pas si bien dire : le terme de fin étant à prendre non en son sens allégorique d'éternité débarrassé des oripeaux de l'histoire, mais en son terme premier et littéral de fin.
C'est dans cette conception dévoyée qui accompagne avec flonflons et célébration le déclin - pensée déclinante - que se manifeste l'idée de progrès pervers par opposition au progrès classique. La plupart des gens, quand ils sont confrontés à l'idéal de progrès, le représentent selon l'acception classique. Préjugé aisément compréhensible. Ils ne se rendent compte ni de la possible mutation perverse, ni de la perversion du sens, ni du déclin du système. Ils tombent sur un progressiste pervers, un adepte du système en déclin travesti en nouveauté et originalité - ils le prennent pour un progressiste classique, un adepte du progrès du système en croissance. C'est la blague du niveau scolaire qui s'effondre et du théoricien en pédagogie qui loin d'admettre son erreur et sa responsabilité vous explique avec une arrogance irresponsable qu'il faut considérer l'effondrement en termes d'innovation et de progrès.
C'est l'histoire d'un idéaliste pervers. Son idéal tient dans la catégorie de l'impossible, catégorie typiquement nihiliste. C'est dans ce cadre qu'il convient d'entendre les progressistes pervers. Bien entendu, ils ne comprennent pas le phénomène de décroissance. Bien entendu, ils vous expliquent avec une jovialité satirique que de tout temps les Cassandre ont annoncé la fin du système. Comme si les systèmes politiques étaient éternels! Comme si le temps était aboli! La fin du temps - la fin de l'histoire? En réalité, à côté des millénaristes et des pessimistes, coexistent les lucides et les visionnaires.
Les système ne sont pas éternels, et quand un système s'effondre, le progrès déclinant consiste à légitimer le déclin. D'un point de vue de croissance ou de vitalité, c'est une position aussi morbide que pervers, mais du point de vue de l'acteur qui défend le corps auquel il appartient, c'est une position de défense. Illégitime défense? Légitime défonce? Sans doute. En tout cas, les ultra-libéraux de gauche ou les socialistes libéraux sont les incarnations de ce progressisme pervers et dévoyé qui consiste à accroître le progrès du déclin. Accroître le progrès de la croissance est un acte systémique positif conjugué à un acte moral louable.
Accroître le progrès de la décroissance conduit à un renversement de l'idée de progrès : on ne fait plus progresser, on fait régresser. On ne fait plus accroître le progrès, on fait accroître le déclin. D'où la perversion qui subvertit insidieusement et diaboliquement (habilement) le sens. Le sens se glisse dans les mots. La perversion se joue dans les mots - en particulier. Les progressistes qui défendent un système en déclin sont des pervers qui militent pour l'accroissement du déclin et pour le travestissement du déclin en nouveauté, innovation, voire simple changement.
Bien entendu, cette vérité devient éclatante une fois le système effondré. Tant qu'il est vacillant, debout, les membres sont réticents à admettre sa disparition programmée, prévisible, parfois imminente. C'est le cas actuellement. Les résurgences de progressismes systémiques sont risibles et conduisent de manière inexplicable à accroître le système purulent. Accroître le système imparfait n'est pas la même chose! La solution face à un système condamné n'est pas de choisir la solution du progrès damné, mais de damer - changer de système.

2 commentaires:

samuel a dit…

excellent blog, belle précision, pensée précieuse accessible à tous sans rien perdre de ses nuances. Les entrées du 22 au 25 février semblent être un bon résumé de vos préoccupations. Et vous avez la qualité ne pas vous laisser gagner par l'agressivité dans vos démonstration (ce que vous dites de nabe demeure respectueux malgré ce qui doit être une évidente déception, bref tout le monde peut se tromper, j'espère que nabe aura l'occasion de lire votre message et qu'il sera repris par le site des lecteurs)

Très utile

Merci beaucoup, vais tenter très très localement de passer le mot.

sam

Koffi Cadjehoun a dit…

Merci pour votre compliment. Je vais essayer de poursuivre!