jeudi 28 février 2008

Langue de pois

On maudit souvent le discours lénifiant de la langue de bois en pouffant, pestant et haussant les épaules, comme si ce phénomène était inexplicable ou trop ardu à expliquer. D'où vient cette langue de bois qui s'est abattue telle une chape de plomb sur l'Occident démocratique à tel point que c'est un maléfice insupportable : les citoyens occidentaux ne peuvent profiter à plein régime de leur belle démocratie puisque la liberté absolue dont ils jouissent ne leur sert à rien? Pour des raisons inexplicables, la langue de bois empêche l'exercice intelligent et critique de la démocratie.
Il est même certains esprits chagrins pour oser qu'une démocratie empêtrée dans la langue de bois n'est pas vraiment une démocratie. Au vu de la dérive des médias, qui de contre-pouvoir sont devenus hérauts du pouvoir (tristes héros en vérité, serviles et imbus), on pouvait se demander si les esprits chagrins n'avaient pas raison de se faire un gros chagrin, si, en fait, ils n'étaient pas beaucoup plus lucides que chagrins. Je crois que la différance est un concept tellement riche qu'il permet de bien comprendre les mécanisme de notre système et de relier la politique à l'ontologie. Drôle de richesse que celle qui consiste à en dire beaucoup contre son gré. Je veux dire : la différance signifie beaucoup à partir du moment où l'on analyse le sens qu'elle prend et les raison de son succès; en tant que concept, c'est jargon et verbiage au programme derridien. Je parle en termes philosophiques en n'oubliant pas que l'ontologie provient en réalité de la religion et que la religion en tant que phénomène est bien plus riche que la philosophie.
La langue de bois s'explique très bien dans le contexte de l'acte de différer. A force de différer (le différend), on finit par ne plus rien dire. Il est certain que dans l'ontologie de l'apparence immédiate et replète, il y a très peu à dire puisque le donné se limite très vite à l'apparence. Le sens étant à jamais différé, le sens qui reste est un sens superficiel et sans grande valeur. Sens pauvre et sens appauvri, qui correspond à la langue de bois. Parler pour ne rien dire, définition de la langue de bois; définition fort compréhensible et prévisible pour qui s'avise que le sens est un donné pauvre et différé à jamais. Il reste dès lors à l'utiliser avec précaution et à en dire le moins possible pour qui est contraint d'usiter de ce mécanise fragile et capital. Le manieur de langue de bois est dans la position de l'aventurier qui dans le désert doit gérer au mieux et au plus près la pénurie d'eau, sous peine de mourir de soif. On meurt très bien et très vite de sens comme on meurt de soif.
Il faudrait lutter contre la langue de bois. La déperdition du sens, son dépérissement évident signale un danger encore plus grand que le péril de l'eau. L'eau vive est plus importante encore que l'eau naturelle. Sans sens, l'homme est condamné de manière inéluctable. Avec son énergie et sa débrouillardise, il serait encore capable de parer à une absence d'eau. Mais de sens, non, il en est incapable. Une blague surfaite prétend que l'eau bue éclate. Je crains fort que la langue de bois ne soit un symptôme fort évocateur, qui signale les lendemains de cuite, quand l'excès d'alcool entraîne des phénomènes physiologiques désagréables, comme la soif ou le mal de tête.
Il faudra demander à Bukowski. En attendant, on ne gardera pas pour soi le diagnostic que révèle le malaise de la langue de bois. Malaise du sens qui débouche inévitablement sur l'effondrement (collapsus) et la mort. Ce n'est pas que je sois langue de pute. Je cherche seulement à avertir mes contemporains des dangers objectifs de la langue de bois en espérant qu'ils ne seront pas comme les moutons perdus dans le désert, qui se piétinèrent pour parvenir à l'oasis. Quand ils se rendirent compte qu'il s'agissait d'un mirage, ils n'eurent plus qu'à mourir - de soif.

Aucun commentaire: