samedi 5 avril 2008

Hey, mister D-Jay

Cher Djay-Djay (lol),

Djay-Djay, après tout, c'est un chouette surnom pour un expatrié sud-af qui passe son temps à faire des roulettes et des gris-gris sur les pelouses ensoleillées de l'Afrique australe. Petite mi-temps pour le sportif bien connu qui aurait pu devenir footballeur professionnel ou recordman du bras de fer (c'est au choix), s'il n'avait préféré embrasser la carrière de professeur de philosophie par amour conjugué/conjugal de l'enseignement et de la femme de Socrate.
Euh là, j'ai lâché une connerie. On dira plutôt : de la femme de Pythagore, parce que la femme de Platon, ça risque de ne pas le faire. Ce qui risque de le faire, ce serait un petit foot, histoire que je montre que mon amour du ballon rond ne s'est pas égaré entre deux piqures ou deux sinécures. Pour les cures, je n'en ai, puisque je sème à tout vent. Avant de m'en prendre un pour excès de vannes, je rappellerai que le Roi du foot, c'est Ronaldo. C'est pas moi qui le dis, c'est Zidane et tout le monde, depuis que le prodige du passement de jambes en pleine course s'est reclaqué un genou pour excès de muscles et fragilisation des articulations (tu noteras que je n'ai pas employé le terme de dopage...), le sait bien.
Bon, Ronaldo, on s'en fout, et puis je me propose de te mystifier une prochaine avec un double passement de jambes et une double fracture péroné/malléole... En attendant, en ce moment, quand je ne jongle pas avec les ballons, je m'occupe de taquiner les mots. J'ai de sérieux maux, comme tu sais, mais qui sont peu de choses en regard du triste état dans lequel se débat le monde depuis qu'il s'est mondialisé. Comment vont les Sudafs? Ils tirent pas trop la gueule à force de tirer sur la corde?
En tout cas, moi, depuis que j'ai compris (je ne sais pas trop quoi, mais j'ai compris, c'est le principal), je regarde le 911 comme l'acte autant millénaire que millénariste. Le 911 départage ceux qui sont du côté du système qui flanche et ceux qui sont en dehors du système, démontrant par là que le système n'est pas unique, comme la pensée qui s'est emparée de l'Occident et empêche tout esprit critique au nom de questions tournant autour de la culotte de Britney (a-t-on vu son cul?) ou de la perruque de X. (mais que sont ces cheveux devenus?).
En tout cas, ça fait longtemps que le 911 se préparait dans les arrières-cuisines putrides des salles obscures où le pouvoir se prend aussi. Tu te rappelles des débats entre Koffi le jusqu'au-boutiste et les étudiants musulmans des cités universitaires qui pétaient les plombs et qui se prenaient pour des penseurs? Alors, avant d'étudier le 911, je n'étais bien entendu pas raciste mais je n'avais pas compris l'occidentalisme. C'est marrant, quand j'étais plus jeune, j'avais pressenti plus que formulé que le système était pourri. C'est Peter Tosh : le shitstem va s'effondrer, Babylone brûle, le dollar s'effondrera.
Tiens, dix ans plus tard (le temps passe, passe, passe...), cette intuition était bien juste. Entre temps, je n'ai pas été capable de comprendre que l'Occident était un système colonialiste et impérialiste et que le système d'aujourd'hui pouvait être dit immanentiste, mondialiste, occidentaliste, hyperréaliste dans la mesure où il présentait une définition fallacieuse et aberrante du réel (comme donné fini et cerné).
Je crois qu'on pourrait dire que je participais sans m'en rendre compte au rationalisme mutant qui nous a envahis, nous peuples d'Occident. Bien entendu, j'étais trop cool, trop peace, trop irie pour développer des théories racistes ou racialistes. J'étais anticolonialiste, démocrate, antiimpérialiste, j'étais pour le développement de l'Afrique. Bref, j'étais contre le prosélytisme et j'étais occidentaliste parce que je n'avais pas vu que ce que je reprochais à la dégénérescence des cultures islamiques et des théories islamistes était une projection du système.
J'avais perçu que l'Islam vivait une période terrible. L'Islam était sclérosé (tu te doutes que je n'aime pas vraiment ce terme) et l'Islam était en train de se recroqueviller sur lui-même. Porter sur l'Islam les maux qui étaient les maux du système, c'était ne pas comprendre que le système portaient ces propres maux et que l'Islam n'était jamais que tributaire du système. Tous les reproches dont j'accablais l'Islam, l'Occident n'en était nullement dépourvu.
La liberté, la démocratie, le modèle noble et rationaliste de l'Occident, je croyais vraiment que l'humanité suivait une courbe ascendante et que les contestations de l'Occident contribuaient avant tout à ralentir ce modèle noble. Pour moi, l'Occident, c'était cette liberté et ce modèle appelé à rendre bénéfique et positive l'humanité. Tous les aspects négatifs de l'Occident, ce n'était pas que je ne les voyais pas, c'était que je les estimais comme secondaires, plus accidentels qu'essentiels.
Il suffisait de les stigmatiser pour donner la primauté à toutes les valeurs positives et nobles de l'Occident. Alors, je serais bien en peine de définir clairement ce que tu pensais toi. Je serais bien en peine parce que je pense que les vingt ans, ce sont plutôt les âges où l'on ne réfléchit pas et où l'on a bien raison. On sent, on s'en tire, on se dépense beaucoup et il est de loin préférable de dépenser que de penser. Plus tard, quand on fera le bilan, calmement et posément, on comprendra qu'il valait mieux rire un bon coup que de passer son temps en rat de bibliothèque et en arriviste du système. Ces gens qui ont réussi leur opération de formatage compulsif et mécanique se sont vendus et le pire, c'est qu'ils en sont fiers.
Ils ont fait ce qu'on leur disait de faire et ils ne sont pas loin d'estimer que le principal est de suivre le chemin que vous assigne le système. Et quand le système, il est pas bon, Sir? C'est justement là où le bas blesse. Je me suis réveillé le matin du 911 et je ne savais pas que le soir, mon doux rêve de dingue rêveur s'effondrerait. J'ai ouvert les yeux et j'ai distingué un grand danger contre les valeurs positives de l'Occident.
Plus tard, on ne cessera de répéter que cette époque était sombre parce que le positif contenait el négatif. C'est en croyant s'affranchir de la religiosité que l'Occident s'est détruit. On ne sort pas du religieux, ni par la raison, ni par Nieztsche, ni par l'individu, ni par aucune liberté. Tout est religieux et tu noteras que la superficialité incroyable de la plupart des gens qui se targuent de penser vient du fait qu'ils commentent le plus souvent et qu'ils en viennent à proférer des thèses mortifères sans s'en rendre compte. La meilleure que je connaisse, c'est le refrain sur la sortie de la religion par l'Occident.
Bien entendu, cette rengaine de croquemitaine s'accompagne d'autres mélopées sirupeuses et venimeuses. La démocratie est le pire des système à l'exclusion de tous les autres. Cette phrase aurait pu être mon credo et mon confiteor. D'une part, elle préservait mon rêve selon lequel on vivait la meilleure période de l'humanité; d'autre part, elle me permettait de préserver une certaine critique chère à mon tempérament de rationaliste et de contestataire. L'occidentalisme est terrible en ce qu'il développe à son service détourné et mutant des qualités de contestation.
On croit contester et on se retrouve à servir le système du fait même de la contestation. De ce point de vue, on n'est rien d'autre que des idiots utiles du système. On s'oppose dans la mesure où l'opposition est le cheval de Troie de l'occidentalisme. Par cette opposition, le système vous récupère et vous manipule.
Quel est ce système pervers qui est capable de reprendre à son compte la manipulation et la contestation? C'est le système selon lequel la contestation, toute contestation, est acceptable et tolérable (ah, la tolérance! ah l'esprit de liberté!) à condition qu'elle accepte certains substrats, un certain nombre de valeurs intangibles. Je les résumerai comme suit :
1 ) Le réel est définissable.
2) Grâce à la Raison, le système est sorti de l'ère religieuse.
Toutes les valeurs découlent de ces valeurs fondamentales. Alors, après, on invoque la liberté, la tolérance et la contestation et on se retrouve à travailler pour le système sans se rendre compte de ce qu'est le système. Dès qu'on croit dans la Raison et le Progrès comme alternatives à Dieu, on est perdu. Prends le cas des libertaires et autres anarchistes : ils affirment l'individu et ils estiment s'opposer au système en niant l'État. Mais à partir du moment où ils affirment le fondement de l'individu, ils travaillent pour le système.
Plus tard, on se rendra compte que tous les -ismes étaient dans le fond des alliés objectifs et que le communisme était l'allié du capitalisme. Dès lors, j'étais perdu à partir du moment où je croyais dans le Progrès et où je manifestais une confiance candide dans le système. Un système qui repose sur la raison est un système fondamentalement bon, estimais-je confusément. Il faut vieillir et vivre certaines situations pour être en mesure de comprendre que le système n'est pas particulièrement bon quand on a le malheur de sortir de ses codes et de ses gonds.
Evidemment, une grande bourgeoise dont le mari travaille et qui profite à plein temps de ses loisirs vous certifiera que le système est délicieux, mais le Progrès est trompe-l'oeil redoutable. En fait, le système s'effondre et s'épuise et depuis le 911, l'effondrement et l'épuisement gagnent le coeur du système, cet Occident qui vous file une perspective faussée et biaisée et qui vous laisse croire que tout va bien, Madame la Marquise.
Plus que jamais, aujourd'hui, le système joue la fanfare pétaradante parce qu'il coule et qu'il n'est jamais que l'avatar du Titanic. Oups! Hic! Pardon, je suis occidentaliste et je me soigne. On picole et on fume, mais tous les joints du monde et toutes les bouteilles de whisky ne sont jamais que des exutoires qui empêchent de penser, qui diffèrent de regarder la réalité en face. Pour se guérir, d'une certaine manière, il fallait tomber malade. Une fois malade, on se rend compte que le système est malade. Une fois atteint la maladie auto-immune, on mesure que le système s'est retourné contre lui-même parce qu'il brûle, Babylone brûle, et qu'il pratique la politique de la jachère et de la destruction. La politique de civilisation? La politique de destruction!
Alors, l'alternative à mon optimisme béat, qui consistait à proférer grosso modo que l'Occident, aussi imparfait soit-il, était encore le meilleur système connu et le seul en tout cas à mener l'homme vers le bonheur, se situa-t-elle dans ce que je conçois confusément comme le point de vue alternatif et complémentaire que tu portais? Tu avais ainsi tendance à estimer que le tiers-mondisme avait du bon et que le fait de se reprocher ses propres torts était le plus sûr moyen d'éviter l'impérialisme et l'occidentalisme. Il est vrai que cette position te portait à accorder une certaine mansuétude d'origine chrétienne (et non nietzschéenne) à toutes les contestations de l'Occident, en particulier l'Islam d'aujourd'hui, qui tient surtout dans l'ignorance et la haine du réel.
Donc tu étais plus indulgent que moi envers tous ces sympathisants du Hamas, du Hezbollah et de théories qui sont ni plus ni moins que des totalitarisme négatifs maquillés en contestations de l'impérialisme occidental. Sans doute te montrais-tu plus critique envers les valeurs occidentalistes et leurs dérivés que moi. Sans doute croyais-tu moins dans le Progrès et davantage dans le relativisme culturel.
Au final, tu avais la préférence nette et méritée de tous les faux islamistes et néo-musulmans qui s'échauffaient le cerveau en croyant découvrir des idées révolutionnaires et divines, alors qu'ils ne répétaient que des rengaines débiles et simplistes. Mais ton point de vue était tout aussi occidentaliste que le mien, avec le recul je m'en rends compte. J'étais occidentaliste parce que je croyais au Progrès et à la Raison. Tu étais occidentaliste parce que tu croyais au relativisme. Après tout, nous ne faisions que répéter des positions qui permettent à la jeunesse d'Occident de se targuer de contestation alors qu'elle est appelée à répéter les mêmes travers de l'occidentalisme que les aînés. Rappelle-toi les envolées de 68 et toutes les billevesées, et regarde aujourd'hui que sont devenus les Cohn-Bendit et les autres avant-gardistes. Quelles que soient les appellations dont ils se targuent, ils sont des propagandistes objectifs du système.
Bon, alors, ton relativisme échevelé s'édifiait au nom de la tolérance. Sur le mode : gare à l'Occident modèle puisque l'Occident trop fort risque bien de périr sous ses propres dérives et délires. Gare aux mots de l'Occident. Mieux vaut se montrer prudent et tolérer les contestations du système. Fort bien, je te dirais, mais toutes les contestations du système sont des composantes du système. Si bien que ton relativisme n'était qu'un des multiples points de vue du système et que finalement on n'échappe au système ni en lui accordant sa confiance critique, ni en lui faisant grâce d'alternatives plus ou moins peu crédibles.
Regardons le dédoublement fantasmatique qui s'est opéré. Le meilleur moyen de sombrer dans l'illusion, c'est encore de faire d'une chose deux, de dédoubler et de séparer. L'Occident et l'Orient ne font qu'un. Tout simplement : le monde ne fait qu'un, puisque nous vivons dans l'ère de la mondialisation. Et cette unicité du monde repose sur une supercherie qui est très proche de l'escroquerie de type financière : laisser croire que l'homme possède les pouvoirs de la Raison alors que sa Raison signe son oraison. Le système n'est pas bon, c'est : le système n'est pas viable. Définir le réel, c'est déjà le perdre.
Au final, nous sommes tous des enfants de l'occidentalisme et nous ne sommes pas loin de ce journaliste bien en Cour qui crut un instant que le journalisme pouvait s'affranchir de son humilité ingrate et qui crut bon de lancer après le 911 que nous étions tous Américains. Américains, il voulait dire sans le savoir que nous appartenions tous à ce shitstem immanentiste, mais il croyait que l'Amérique était le système de la liberté et que l'on pouvait s'opposer au système de l'intérieur, en critiquant ses erreurs et ses extrémités, mais en conservant les fondamentaux. Depuis, il a disparu de la circulation, jeté comme une vieille chaussette pour son zèle débilitant envers son modèle chéri.
Nous étions deux mollassons et nous étions horrifiés par le radicalisme niais dont les contestataires du système s'emparaient avec l'idée qu'ils parvenaient de ce fait à recréer des alternatives. Je crois que le propre du système d'aujourd'hui, c'est son unicité, qui apparaît à la fois comme une force et comme une faiblesse, mais en tout cas comme un horizon indépassable. Aujourd'hui, on croit que c'est la quintessence des idéologies rationalistes des Lumières qui a émergé et que toutes les alternatives rationalistes se sont effondrées parce qu'elles n'étaient pas viables. On croit alors que le meilleur rationalisme est le rationalisme libéral et néo-libéral et qu'il a triomphé de tous les autres rationalismes parce qu'il était le meilleur et le seul viable. De ce fait, on estime que le seul moyen de travailler à la pérennité du système humain, c'est encore d'encourager le seul rationalisme viable sous peine de favoriser les formes archaïques qui préexistaient au rationalisme.
On craint par-dessus tout le religieux et je crois que c'est face au religieux que l'on se positionne. Moi je croyais que le religieux avait été dépassé et que ses inconvénients étaient pires que ses avantages, en tout cas comparés aux avantages et aux inconvénients du système rationaliste. Et toi, tu étais sans doute plus indulgent vis-à-vis du religieux, même si tu estimais aussi que le religieux était dépassé par le rationalisme occidental. Il était plus positif à tes yeux et tu avais moins de mal à supporter l'Islam et toutes les formes de religieux non occidental, puisque ton ouverture relativiste te portais à tolérer tout ce qui n'est pas occidental au nom de la tolérance et de l'ouverture.
Malheureusement, je crains aujourd'hui que de la même manière que le système claironne que le système qu'il prône est le pire à l'exclusion de tous les autres, ce qui est un moyen d'empêcher dans le fond la critique, de la même manière la propagande pose comme dogme indépassable que le religieux est dépassé dans la mesure où elle a intérêt à cacher que tout phénomène humain est relié au religieux et obéit aux lois du religieux. Le propre du religieux immanentiste est ainsi de se définir comme sortie du religieux. Le religieux immanentiste est mutant parce qu'il est la sortie du religieux. De la sorte les analystes qui se satisfont du religieux dans la mesure où il pose que le religieux avait pour couronnement le christianisme et que le christianisme avait pour fin la démocratie et la sortie de la religion, ces beaux esprits analystes sont des tristes experts et des mauvais penseurs. Ils commentent, ils commentent et ils ne se rendent plus compte au final qu'ils sont les relais de l'optimisme béat occidentaliste qui veut que l'on vive dans la meilleure époque et le meilleur système que l'homme ait créés. On envisage la critique mais seulement avec cette idée que les productions humaines étant imparfaites, elles sont critiquables.
Néanmoins, le fond, c'est que l'homme a atteint un summum dont il ne pourra se débarrasser qu'en le dépassant par plus de raison, plus de mondialisation, plus de démocratie. On est persuadé que le système suit la bonne pente, le bon sens et qu'il faut s'accrocher. De la sorte, on en vient à percevoir toutes les contestations comme des freins à la bonne marche du système et l'on est occidentaliste et immanentiste sans s'en rendre compte, en pensant vraiment combattre les pulsions irrationalistes et totalitaristes des formes archaïques.
De ce point de vue, je pense que finalement tu étais d'accord pour estimer que le système suivait la bonne pente. Sinon, tu n'aurais pas manifesté une telle propension à la tolérance vis-à-vis de ce qui était finalement de fausses alternatives qui ne pouvaient conduire qu'à conforter le système contesté en apparence. Et moi, pauvre fou, je n'aurais pas rejeté les fausses contestations (que j'avais perçues comme haineuses et démentes) pour mieux coopter le système que j'étais censé détester.
Le seul moyen de sortir de ce système, c'est de refuser le système en tant que système. En apparence rance, ce choix relevait de l'illusion et de la gageure pendant les sombres années qui nous servirent de jeunesse insouciante et triomphante. Les nineties sont un modèle de pensée unique et de déréliction, en ce que toute contestation subissait immédiatement au nom du Bien le plus maléfique et le moins détectable la propagande et la calomnie. Mais le 911, le système a montré ce qu'il en coûtait de prétendre à l'unicité, au Bien et à la Vérité.
Le 911, le système s'est fissuré et cette fêlure impressionnante a suivi le destin qui attend tous les tremblements de terre et les attaques systémiques. Sa vague de fond était si importante qu'elle ne pouvait être évaluée et remarquée immédiatement. C'est un peu comme dans les accidents importants où l'accidenté sort du véhiculé sain et sauf et s'effondre quelques minutes plus tard parce qu'en fait ses blessures étaient si profondes et importantes qu'elles étaient cachées et impossibles à diagnostiquer immédiatement. Le cyclomotoriste enlève son casque avec l'air repu du miraculé, et là, horreur, son crâne maintenu intact explose en deux et l'impétrant tombe raide mort.
Le miracle était le supplice. Le 911 a signifié que le sort du système était de connaître ce type de destin. Puissant comme il est il tombera d'un coup. Alors on peut toujours gloser sur l'unicité du système, mais aujourd'hui, les unicistes sont si discrets et muets que le seul argument qui fonctionne encore est de prétendre que le système est mauvais mais qu'il est le seul. Mieux vaut le pire que rien.
Evidemment, c'est ridicule. Sans doute faudrait-il jeter un regard un peu plus lucide sur la généalogie de la raison mutée en Raison et se rendre compte que le rationalisme pris comme fin ne peut que muter; sa mutation ne peut au départ que créer des multiples racines qui donnent l'impression que la profusion est le signe de la viabilité; la profusion des systèmes rationalistes se pose comme l'alternative aux formes religieux irrationnelles et archaïques; l'unicité se présente comme le triomphe de la Raison : le meilleur système aurait triomphé et garantirait à l'homme l'ère de la prospérité et la fin de l'histoire.
Un peu de sérieux : c'est l'épuisement du système qui engendre la réduction des alternatives jusqu'à l'unicité, si bien que ce qu'on prend à première vue pour une évolution positive n'est en fait que la conséquence d'un appauvrissement tant quantitatif que qualitatif. L'unicité ne pouvait déboucher que sur le 911, comme la nécessité pour se réveiller et trouver le sursaut. Alors les oppositions externes sont des oppositions internes. Il est totalement faux de croire que l'optimisme occidentaliste ou le relativisme occidentaliste sont des solutions et que le système se débat entre plusieurs oppositions. Il est encore plus faux de croire que l'opposition se situerait entre l'intériorité de l'Occident et l'extériorité de l'Orient.
D'ailleurs, l'opposition entre les démocrates et libéraux occidentaux et les islamistes terroristes est une galéjade qui, vérifiée historiquement, permet de mieux comprendre que le principe d'extériorité n'existe pas. Ce sont les mêmes qui clament que l'Occident possède un ennemi extérieur et ceux qui arment cet ennemi extérieur. Comme si la démocratie et le libéralisme se trouvaient menacés, dans leur principe de civilisation, par les exactions de barbares aussi insaisissables que déterminés à détruire le principe de civilisation, la démocratie, le libéralisme et toutes les belles réalisations de l'Occident.
La vérité, c'est que l'Occident donne la main à cette représentation terroriste et dégénérée de l'Orient et que l'ennemi est intérieur : parce que l'humanité a achevé son périple avec la mondialisation, pare que la mondialisation est l'achèvement du monothéisme en crise, toutes les factions à l'heure actuelle qui s'opposent constituent des oppositions internes ou des fausses oppositions participant du même système. C'est le drame du système actuel que de ne plus posséder d'extériorité et d'ennemi. La création artificielle d'un ennemi répond au besoin d'extériorité. Mais si cet ennemi existait, c'est qu'il aurait les moyens de présenter des alternatives.
Les islamistes ou les Chinois n'ont aucune alternative au modèle occidentaliste et mondialiste. Dans un monde tel que le nôtre, la seule alternative est immanentiste et c'est l'argument principal du système pour poursuivre sa course folle vers plus de destruction et de désolation. Alors le 911 a surgi et ce drame planétaire, qui a causé tant de morts et de guerres, est en fait le signal du renouveau. L'homme n'en pouvait plus de se débattre dans la crise et de se trouver aux prises avec des dirigeants mondialistes profondément désaxés. Si ce sont les pires pervers qui dirigent les affaires humaines, c'est que le système est tellement mal en point qu'il porte à sa tête des individus à son image et son acabit.
La vérité, c'est que les islamistes, mais aussi les Chinois ou les Russes, sont différents par rapport au même modèle. Leur argument : le modèle ou le néant s'est effondré le 911. Leur cynisme s'est matérialisé en même temps que les Tours se dématérialisaient. Le 911 a créé le cadre à des alternatives qui vont sauver l'homme en même temps qu'elles enterreront le système actuel. C'est heureux, parce que ce que nous nommons système à l'heure actuelle, cette extraordinaire structure avec tout un réseau mondialisé, cet aboutissement somptueux des entreprises humaines, n'est en fait que le résultat d'une crise qui se présente comme un succès et même le succès de tous les succès.
La crise a commencé avec les Lumières et déroule la logique de la raison mutante qui croit s'être émancipée de Dieu. Nous sommes les enfants de la crise et ce que nous prenons pour la plus haute réalisation humaine, voire son achèvement, l'émancipation de la raison à l'égard de Dieu, n'est en fait que le symptôme évident de la crise qui couve dans l'homme. Ce que nous prenons pour le plus haut est le plus bas et le plus dangereux. Ce constat effarant et bouleversant est le constat du 911.
Raison de nos atermoiements et de nos erreurs. Le 911 n'est pas l'annonce de l'effondrement pur et simple du système. Je ne suis pas une de ces plumes prophétiques du simple malheur. Ce que j'annonce, et je n'y peux rien, ce n'est pas la disparition de l'homme, c'est le profond changement du système. Pas l'effondrement de telle branche du système rationaliste, mais l'effondrement de l'ensemble du système rationaliste, du système rationaliste en tant que système rationaliste. L'homme ne va pas disparaître. Par contre, il considérera plus tard cette époque comme une époque de crise. Il comprendra que la crise s'était abattue non en tant que crise mais en tant que bénéfice et apogée.
Oulala, je me rends compte que j'écris, j'écris, et cette lettre est en train de devenir un roman épistolaire! Pour finir, nous avions tort tous les deux car nous étions occidentalistes sans le savoir et sans le souhaiter. Comme la plupart des individualistes, nous croyions être libres et décider de nos mouvements et pensées, alors que nous étions étroitement manipulés et conditionnés pour penser de la manière dont nous pensions. Chacun à notre manière, nous étions les outils involontaires de la propagande immanentiste, selon laquelle un bon profil est le profil du contestataire qui remet tout en cause - sauf le système. Gagnés! nous étions les bons profils pour servir de chair à canon au système le plus manipulateur de l'histoire.
Et le 911 est arrivé. Nous n'avons certainement pas choisi l'histoire de notre entrée dans l'Histoire. J'espère que la sortie de la crise immanentiste ne se fera pas sans des heurts trop importants. Les révolutions et les périodes d'instabilité ne sont jamais une bonne chose, si bien qu'être révolutionnaire, c'est aussi être du côté de la destruction et de la désolation. En même temps, il faut bien avouer que l'homme ne peut plus continuer avec le mensonge et la corruption généralisés. Il est temps que la mort de Dieu s'augure du Phénix et que la prochaine période religieuse succède au monothéisme. Si Dieu est mort, il va renaître de ses cendres et il faut bien avouer que cette renaissance est proche de la résurrection christique. Quelle sera la prochaine forme religieuse pour le troisième millénaire balbutiant et chrétien? En tout cas, cette forme sera celle qui accompagnera l'homme dans sa révolution vers l'espace. Le monothéisme avait accompagné l'homme vers la mondialisation. Le nouveau religieux lancera l'homme vers les routes constellées de l'espace sauveur de - l'espèce.

2 commentaires:

Unknown a dit…

Ou la la, c'est un peu allumé, c'est de la bonne sci-fi, un peu prophétique. C'est amusant. Mais c'est quoi 911, tu l'explique jamais. J'aime bien le style, et le spectre d'une révolution des valeurs, où tous les antagonismes anciens se révelent obsolètes. Puis la fin sur le dessein de Dieu, c'est pas mal, mais ça fait un peu déluge et arche de Noé.

Koffi Cadjehoun a dit…

Allumé et prophétique, c'est un compliment. Mais qui est jnbc?