http://www.france24.com/fr/20091014-entretien-henry-kissinger-ancien-secretaire-detat-americain
Le résultat télévisé d'une conversation avec Kissinger? Un journaliste si fier de la qualité de son interlocuteur qu'il ne sort plus la brosse à reluire - mais le fer à repasser. Kissinger entretient la réputation d'un magicien de la diplomatie. Cette impression se retrouve dans l'interview qu'il a accordée de passage à Paris au Figaro.
http://www.lefigaro.fr/editos/2009/10/17/01031-20091017ARTFIG00235-kissinger-les-chinois-ne-veulent-plus-de-la-domination-du-dollar-sur-l-economie-.php
Ce serait un être aux qualités intellectuelles si exceptionnelles qu'elles seraient incomprises - sauf des bimbos. Kissinger se mouvrait dans des sphères si éthérées que le commun des mortels les méconnaît. Quelque chose de l'amoralisme politique plane sur Tennessee, Nietzsche et ses thuriféraires postmodernes. Pourtant, si l'on s'attache à la seule transcription écrite de cet entretien, on constate que les propos oscillent entre la banalité convenue et le sens confus. Loin du cador que l'Occident adore, nous sommes confrontés à un radotage insignifiant et stéréotypé.
L'on pourrait incriminer l'âge avancé de Kissinger pour expliquer le décalage entre la réputation surfaite du diplomate et la qualité effective de ses considérations. Las, Kissinger n'a jamais fait montre de qualité supérieure dans ses théories passées. Pis, l'étude lucide de son parcours politique indique qu'il n'a jamais pondu la moindre théorie, et que, gradation dans la supercherie, notre pôle sans pool s'est bornée à reprendre les théories d'experts moins célèbres mais plus authentiques que lui. Il va falloir se faire une raison (d'État) : Kissinger n'est ni un théoricien, ni un homme politique. En termes diplomatiques, c'est un valet.
En tant que diplomate, Kissinger s'est toujours borné à un rôle de messager. Ce porteur de valises pliées en deux s'avère incapable d'une analyse stratégique personnelle. Il livre plus qu'il ne délivre. C'est donc autant un manipulateur (violence et mensonge sont ses armes de messager servile et zélé) qu'un usurpateur (c'est un diplomate de tradition oligarchique qui n'a rien à voir avec les grands noms qu'il cite en exemples historiques, comme Richelieu, Bismarck, de Gaulle ou Le Duc Tho).
Petite précision formelle : je me suis efforcé de demeurer au plus près du sens sans recopier textuellement. Que l'on vérifie la précision de la transcription à l'aune du visionnage de l'interview. J'ai ajouté quelques commentaires entre crochets et en italiques.
Le journaliste qui réalise l'entretien est Robert Parsons pour la chaîne d'information internationale France 24, qui se voudrait une réplique francophone de CNN. L'inclination anglo-saxonne de la chaîne en dit long sur l'adoration idéologique que les dirigeants français de l'ère Sarkozy vouent envers la domination britannique. L'interview d'un vieux cheval comme Kissinger montre les options diplomatiques et les enjeux politiques qui sont retenus derrière le vernis de l'impartialité déontologique et de l'objectivité professionnelle du journalisme.
Parsons : - Notre invité est l'un des géants de la politique internationale de l'après-guerre au vingtième siècle. Peut-être n'a-t-il jamais été Président des États-Unis, mais en tant que secrétaire d'État de différentes administrations américaines et conseiller spécial en politique étrangère de Nixon, il a eu un impact durable sur la politique étrangère américaine. Il fut le pionnier de la politique de détente avec l'Union soviétique et la Chine et reçut le Prix Nobel de la Paix pour son action vaine au service de la fin de la guerre au Vietnam et au Moyen-Orient après le conflit israélo-arabe de 1973.
De nombreuses administrations se sont tournées vers vous depuis vos fonctions officielles passées pour avoir des conseils sur la politique étrangère. Quels seraient vos conseils pour l'administration Obama qui est contestée? Notamment en Afghanistan où le commandant général des troupes de l'OTAN réclame l'augmentation des troupes [de 10 000 à 45 0000 soldats étrangers, plus le doublement des forces déployées sur le terrain, environ 600 000 en tout avec les contingents autochtones, selon le Général Stanley McChrystal, commandant en chef américain]?
Kissinger : J'ai publié un article sur le sujet donc je me sens à l'aise pour en parler.
[Il serait intéressant de comparer ces propos d'expert confiant, quoique léger (depuis combien de temps un article suffit-il à connaître un sujet difficile?), avec les propos que Kissinger tenait au journaliste du Figaro de l'édition du 16 octobre "Je connais très mal l'Afghanistan ; mon avis n'est donc pas celui d'un expert".]
Il existe trois problèmes séparés :
1) le niveau des forces
Obama doit prendre l'avis des commandants nommés en Afghanistan parce qu'il n'y a pas d'alternative;
2) la stratégie à poursuivre
Si Obama ne fait rien, retraite; s'il fait un peu, entre deux chaises; en accroissant les troupes, stratégie en faveur de la sécurité des populations et d'une base pour lancer des opérations;
3) la diplomatie à poursuivre
en particulier des pays impliqués par la sécurité nationale, pas des pays de l'OTAN, mais des pays comme l'Inde, le Pakistan, la Chine, la Russie et même l'Iran.
[On notera qu'en guise d'avis expert, Kissinger sort des banalités affligeantes et convenues, qui indiquent au mieux que la stratégie retenue est celle de l'enlisement déguisée en énième tactique de contre-insurrection.]
Parsons : - Pourriez-vous tirer des parallèles avec la complexité de la guerre du Vietnam - la complexité des questions, le manque de clarté des objectifs des administrations américaines ou l'opposition grandissante à la guerre?
[Que l'on présente encore Kissinger comme le grand responsable américain de la paix au Vietnam est comique, surtout quand on se rappelle de ses actions criminelles et du refus de Le Duc Tho de recevoir le Nobel en sa compagnie.]
Kissinger : - Le problème est l'opposition potentielle à la guerre aux États-Unis. On ne peut se battre si un pourcentage important de votre population est déterminé à arrêter cette guerre.
[Désolé, mais le problème prioritaire serait surtout le pourcentage écrasant de la population afghane déterminé à chasser la coalition sous égide de l'OTAN...]
Parsons : - Malgré les difficultés de tous ordres dans le monde et aux États-Unis auxquelles Obama est confronté, j'aimerais parler du Moyen-Orient. Rien n'a changé. Vous avez rencontré le même problème à l'époque. Obama ne va-t-il pas se trouver confronté au même problème que vous?
[Aborder des questions comme la paix au Proche ou au Moyen-Orient est hilarant si l'on se souvient que Kissinger est un sioniste inconditionnel et que la vraie question cruciale à l'heure actuelle tient à la crise économique définitive qui condamne le système mondialiste, impérialiste et libéral. C'est ce qu'on appelle une diversion.]
Kissinger : - J'ai eu la chance de travailler avec le Président Sadate en Égypte et nous avons signé trois accords avec l'Égypte et un avec la Syrie en moins de dix-huit mois. Beaucoup dépend de la qualité des gouvernements impliqués dans le processus de paix. Pour l'instant, nous n'avons pas vu ces résultats.
[Il est affligeant ou drôle d'entendre Kissinger vanter l'action de Sadate, quand on se souvient du jeu trouble de Kissinger durant cette période de crise pétrolière instrumentalisée, de crise généralisée dans le bien-nommé Arc de crise et d'intervention déstabilisatrice et massive des forces impérialistes britanniques dans cette région, avec notamment le soutien trouble des Saoudiens. Pour l'anecdote, l'actuel numéro deux d'al Quaeda et ancien responsable du Jihad islamique Al-Zawahiri fut condamné puis innocenté dans l'assassinat de Sadate en 1981 (attribué à des membres du Jihad islamique affilié aux Frères musulmans). Zawahiri sortit de prison (pour possession illégale d'armes) en 1984 et rejoindra al Quaeda et Oussama, travaillant notamment pour les services secrets soudanais.]
Parsons : - Obama a mis sa réputation en jeu à l'occasion de son discours au Caire [jeudi 4 juin 2009]. Il faut qu'il tienne ses promesses parce que sa réputation et celle des États-Unis vont souffrir au Moyen-Orient...
Kissinger : - Nos amis doivent reconnaître qu'Obama est le Président des États-Unis. Il a mis en avant un message de conciliation à nos adversaires et s'il n'y a pas une réponse qui ait un sens même aux yeux de nos amis ou de nos adversaires, cela va affaiblir la cause pour laquelle ils se sont battus et c'est un problème aux yeux du monde.
[A écouter Kissinger, le dire remplace le faire, puisque les promesses suffisent à donner un sens aux combats politiques des acteurs de la région. Bel exemple de cynisme, qui indique que la dernière chose dont un Kissinger ait vraiment envie, c'est de réussir le but de la diplomatie, la négociation, les compromis, la paix.]
Parsons : - Obama est très critiqué pour avoir tendu à la main aux ennemis des États-Unis les Iraniens. A-t-il commis une erreur?
Kissinger : - Il a bien fait d'offrir la négociation car en cas de crise, le Président doit être capable de montrer au peuple américain et au monde qu'il a fait tous les efforts pour éviter la crise. Je soutiens la négociation, il est trop tôt pour le dire.
[Ainsi donc la négociation ne sert-elle pas la paix en tant que résolution des conflits, mais la stratégie de déstabilisation et de division, théorisé notamment par l'Arc de crise de Lewis ou Brzezinski : c'est la preuve que Kissinger est un diplomate au service de la stratégie impérialiste de l'Empire financier britannique, ainsi qu'il l'a expliqué en 1982 dans un discours à Chatham House et qu'il ne cesse de le montrer depuis.]
Parsons : Les Iraniens n'essayent-ils pas de mener les Américains en bateau?
Kissinger : - Il faut que je le dise... Il y a un courant en Iran qui essaye de le faire et qui constitue un danger. Si nous conduisons une négociation réfléchie, c'est la bonne direction. (...) Si nous n'atteignons pas nos résultats, nous devrons décider de sanctions. Nous ne pouvons accepter l'inacceptable que la communauté mondiale aura dénoncé, car cela affaiblirait notre impact [de pays dirigeants] sur le monde et sur d'autres problèmes.
[Si l'on se souvient du rôle que joua le 1er janvier 1974 l'Iran du Shah dans la deuxième phase du choc pétrolier en concertation avec Kissinger, puis le rôle de l'islamisme dans la stratégie américano-britannique de domination, avec notamment la Révolution islamique iranienne de 1979, les nombreuses associations islamistes soutenues par les Saoudiens, le soutien aux moudjahidines afghans, les vagues d'assassinat de de coup d'État dans l'Arc de crise, le providentiel consensus de la communauté mondiale s'apparente à un impérialisme qui sert les intérêts de l'occidentalisme, en particulier des factions financières de l'Empire britannique, que Kissinger dessert avec une cohérence exclusive depuis la fin des années soixante.]
Parsons : - Le succès des négociations avec l'Iran et des éventuelles sanctions dépend-il du soutien de la Chine et de la Russie? Ces pays en sont-ils capables?
Kissinger : - Sur l'Iran, oui. Le problème de la prolifération affecte des pays plus proches de l'Iran et plus faibles que les États-Unis si un programme nucléaire en Iran est imminent. Il faut espérer que ces pays prendront cette menace au sérieux.
[Kissinger recycle avec une belle habileté pragmatique le thème de la non-prolifération nucléaire, qu'il aurait consigné par écrit suite à la conférence de Pugwash de 1957 concernant la société post-industrielle, dont nous subissons les derniers miasmes avec l'effondrement du système financier mondial centré autour du dollar. Le thème de la non-prolifération nucléaire a déjà généré beaucoup de crises et de conférences. Kissinger a publié sous son nom dès 1957 Puissance nucléaire et politique étrangère, un ouvrage en réalité rédigé par Gordon Dean, un avocat spécialiste des questions nucléaires affecté au CFR par les cercles de Wall Street.]
Parsons : - Pensez-vous qu'il y ait danger? Que la Russie pense que les États-Unis font trop d'efforts pour acheter leur amitié?
(long silence)
[Chez Kissinger, le silence est destiné à laisser croire que notre diplomate entame une méditation profonde et qu'il va déclencher une déclaration marquante, alors qu'en général, il prépare la langue de bois la plus lénifiante et les banalités les plus convenues.]
Kissinger : - Pas vraiment. Le danger est que d'autres pays pensent que nous n'avons pas d'alternatives si les négociations échouent. Il faut que nous montrions dès le début des négociations que nous sommes sincères et que nous avons un programme spécifique. Si nous tenons ensuite à ce programme et si nous montrons que nous sommes imaginatifs en tirant les conséquences des échecs, l'effort ne doit pas être critiqué, mais les résultats.
[La dernière phrase en particulier ne veut rien dire, derrière une apparence de référence à la realpolitik, qui serait la grande affaire théorique de Kissinger, alors qu'elle n'est qu'un machin pompeux pour désigner le pragmatisme impérialiste théorisé par les vrais experts qui fournissent à un porte-parole comme Kissinger le matériau conceptuel. Le cynisme impérialiste transparaît notamment dans l'évocation d'une prétendue sincérité chez Kissinger, qui a toujours débouché sur des assassinats et des coups d'État!]
Parsons : - A l'occasion de l'anniversaire des vingt ans de la chute du Mur de Berlin, quels sont vos souvenirs de ce moment?
Kissinger : - J'étais dans une situation extraordinaire, car ce jour-là, j'étais en Chine. Je conversais avec Deng Xiaoping au sujet du coup d'État en Roumanie. Les Chinois m'avaient prévenu que le communisme d'Europe centrale ne pourrait continuer à survivre en raison de la glasnost et la perestroïka, et c'est tout ce que je savais quand je suis monté dans l'avion. Quand j'ai atterri à Hawaï, j'ai appris que le Mur était tombé, ce à quoi personne ne s'attendait. Je pensais que selon le sens de l'Histoire, cela allait arriver un jour. J'étais là étonné et je suis resté devant la télévision toute la journée à Hawaï et j'ai regardé ces effusions d'un des rares moments où les gens qui traversaient les deux côtés de la ligne de démarcation se sont retrouvés dans une perception commune du monde. C'était un des grands moments de l'Histoire et je me souviens de Rostropovitch qui venait d'arriver avec son violoncelle.
[La question est destinée à fournir le prétexte pour une anecdote comme Kissinger les choie. Il s'agit de montrer qu'un personnage comme Kissinger est d'une teneur extraordinaire et historique en ce que tous les moments de sa vie sont extraordinaires et historiques. C'est ainsi que la chute du Mur, événement historique, ne peut donner lieu à une expérience banale chez Kissinger. Notre diplomate est toujours en compagnie de personnages extraordinaires à traiter de questions historiques. Le jour de l'effondrement du Mur, il est avec le Premier ministre chinois de l'époque, il converse de problèmes internationaux majeurs autour de la glasnost, il assiste, cerise sur le gâteau, à l'arrivée de Rostropovitch, le fameux violoncelliste, qui est sensé dans l'histoire personnifier le grand artiste juif ashkénaze alter ego du grand diplomate juif ashkénaze Kissinger, alors qu'il n'est qu'un exécutant virtuose, un familier de compositeurs et d'écrivains célèbres, un dissident soviétique et un chevalier de l'ordre de l'Empire britannique. Une fois de plus, Kissinger montre qu'il accorde la prééminence à l'art et qu'ainsi sa propre supériorité est contrebalancée par la modestie lucide et incomprise. Le poste de télévision et la surfeuse Hawaï sont transfigurées par la présence historique du grand homme, dont chaque geste recèle une dimension mémorable et importante.]
Parsons : - J'ai bien peur que cet entretien soit arrivé à son terme. Merci..."
L'Empire britannique recrute des agents dont le zèle est recouvert et légitimé par le narcissisme débridé et l'impression d'importance décisive. Ainsi va Kissinger, qui s'imagine naïvement qu'il présente une dimension politique essentielle du vingtième siècle, alors qu'il n'est qu'un valet dans l'incessante parade britannique. Les médias occidentalistes, à la soldes des intérêts britanniques, laissent entendre à Kissinger que chacun de ses mots compte, alors qu'on le flatte comme un petit enfant dont on attendrait la réponse préméditée et adéquate. Résultat : Kissinger fait son cinéma, court le monde (et les femmes), se disperse en conseils stratégiques dont il n'est que le héraut, se spécialise dans la signature de coups tordus dont il n'est que le prête-nom, ferait mieux de méditer l'apologue biblique sur la vanité. Il parle pour ne rien dire et débite des formules toutes faites, mais c'est prévisible dans sa bouche de (per)roquet mercenaire : quand on répète ce que d'autres ont pondu, le plus prudent (vertu de l'oligarque) est encore de noyer le pois(s)on pour éviter de proférer une bourde. La qualité du diplomate est ainsi de camoufler le sens exact des théories qu'on (re)présente. Valet et porte-parole, tel est Kissinger. En tout cas, merci au journaliste du moment de faire le jeu de Kissinger, en lui posant les questions taillées sur mesure et en occultant soigneusement le problème central de la crise et les nombreuses zones d'ombres reconnues du criminel de guerre Kissinger.
Le résultat télévisé d'une conversation avec Kissinger? Un journaliste si fier de la qualité de son interlocuteur qu'il ne sort plus la brosse à reluire - mais le fer à repasser. Kissinger entretient la réputation d'un magicien de la diplomatie. Cette impression se retrouve dans l'interview qu'il a accordée de passage à Paris au Figaro.
http://www.lefigaro.fr/editos/2009/10/17/01031-20091017ARTFIG00235-kissinger-les-chinois-ne-veulent-plus-de-la-domination-du-dollar-sur-l-economie-.php
Ce serait un être aux qualités intellectuelles si exceptionnelles qu'elles seraient incomprises - sauf des bimbos. Kissinger se mouvrait dans des sphères si éthérées que le commun des mortels les méconnaît. Quelque chose de l'amoralisme politique plane sur Tennessee, Nietzsche et ses thuriféraires postmodernes. Pourtant, si l'on s'attache à la seule transcription écrite de cet entretien, on constate que les propos oscillent entre la banalité convenue et le sens confus. Loin du cador que l'Occident adore, nous sommes confrontés à un radotage insignifiant et stéréotypé.
L'on pourrait incriminer l'âge avancé de Kissinger pour expliquer le décalage entre la réputation surfaite du diplomate et la qualité effective de ses considérations. Las, Kissinger n'a jamais fait montre de qualité supérieure dans ses théories passées. Pis, l'étude lucide de son parcours politique indique qu'il n'a jamais pondu la moindre théorie, et que, gradation dans la supercherie, notre pôle sans pool s'est bornée à reprendre les théories d'experts moins célèbres mais plus authentiques que lui. Il va falloir se faire une raison (d'État) : Kissinger n'est ni un théoricien, ni un homme politique. En termes diplomatiques, c'est un valet.
En tant que diplomate, Kissinger s'est toujours borné à un rôle de messager. Ce porteur de valises pliées en deux s'avère incapable d'une analyse stratégique personnelle. Il livre plus qu'il ne délivre. C'est donc autant un manipulateur (violence et mensonge sont ses armes de messager servile et zélé) qu'un usurpateur (c'est un diplomate de tradition oligarchique qui n'a rien à voir avec les grands noms qu'il cite en exemples historiques, comme Richelieu, Bismarck, de Gaulle ou Le Duc Tho).
Petite précision formelle : je me suis efforcé de demeurer au plus près du sens sans recopier textuellement. Que l'on vérifie la précision de la transcription à l'aune du visionnage de l'interview. J'ai ajouté quelques commentaires entre crochets et en italiques.
Le journaliste qui réalise l'entretien est Robert Parsons pour la chaîne d'information internationale France 24, qui se voudrait une réplique francophone de CNN. L'inclination anglo-saxonne de la chaîne en dit long sur l'adoration idéologique que les dirigeants français de l'ère Sarkozy vouent envers la domination britannique. L'interview d'un vieux cheval comme Kissinger montre les options diplomatiques et les enjeux politiques qui sont retenus derrière le vernis de l'impartialité déontologique et de l'objectivité professionnelle du journalisme.
Parsons : - Notre invité est l'un des géants de la politique internationale de l'après-guerre au vingtième siècle. Peut-être n'a-t-il jamais été Président des États-Unis, mais en tant que secrétaire d'État de différentes administrations américaines et conseiller spécial en politique étrangère de Nixon, il a eu un impact durable sur la politique étrangère américaine. Il fut le pionnier de la politique de détente avec l'Union soviétique et la Chine et reçut le Prix Nobel de la Paix pour son action vaine au service de la fin de la guerre au Vietnam et au Moyen-Orient après le conflit israélo-arabe de 1973.
De nombreuses administrations se sont tournées vers vous depuis vos fonctions officielles passées pour avoir des conseils sur la politique étrangère. Quels seraient vos conseils pour l'administration Obama qui est contestée? Notamment en Afghanistan où le commandant général des troupes de l'OTAN réclame l'augmentation des troupes [de 10 000 à 45 0000 soldats étrangers, plus le doublement des forces déployées sur le terrain, environ 600 000 en tout avec les contingents autochtones, selon le Général Stanley McChrystal, commandant en chef américain]?
Kissinger : J'ai publié un article sur le sujet donc je me sens à l'aise pour en parler.
[Il serait intéressant de comparer ces propos d'expert confiant, quoique léger (depuis combien de temps un article suffit-il à connaître un sujet difficile?), avec les propos que Kissinger tenait au journaliste du Figaro de l'édition du 16 octobre "Je connais très mal l'Afghanistan ; mon avis n'est donc pas celui d'un expert".]
Il existe trois problèmes séparés :
1) le niveau des forces
Obama doit prendre l'avis des commandants nommés en Afghanistan parce qu'il n'y a pas d'alternative;
2) la stratégie à poursuivre
Si Obama ne fait rien, retraite; s'il fait un peu, entre deux chaises; en accroissant les troupes, stratégie en faveur de la sécurité des populations et d'une base pour lancer des opérations;
3) la diplomatie à poursuivre
en particulier des pays impliqués par la sécurité nationale, pas des pays de l'OTAN, mais des pays comme l'Inde, le Pakistan, la Chine, la Russie et même l'Iran.
[On notera qu'en guise d'avis expert, Kissinger sort des banalités affligeantes et convenues, qui indiquent au mieux que la stratégie retenue est celle de l'enlisement déguisée en énième tactique de contre-insurrection.]
Parsons : - Pourriez-vous tirer des parallèles avec la complexité de la guerre du Vietnam - la complexité des questions, le manque de clarté des objectifs des administrations américaines ou l'opposition grandissante à la guerre?
[Que l'on présente encore Kissinger comme le grand responsable américain de la paix au Vietnam est comique, surtout quand on se rappelle de ses actions criminelles et du refus de Le Duc Tho de recevoir le Nobel en sa compagnie.]
Kissinger : - Le problème est l'opposition potentielle à la guerre aux États-Unis. On ne peut se battre si un pourcentage important de votre population est déterminé à arrêter cette guerre.
[Désolé, mais le problème prioritaire serait surtout le pourcentage écrasant de la population afghane déterminé à chasser la coalition sous égide de l'OTAN...]
Parsons : - Malgré les difficultés de tous ordres dans le monde et aux États-Unis auxquelles Obama est confronté, j'aimerais parler du Moyen-Orient. Rien n'a changé. Vous avez rencontré le même problème à l'époque. Obama ne va-t-il pas se trouver confronté au même problème que vous?
[Aborder des questions comme la paix au Proche ou au Moyen-Orient est hilarant si l'on se souvient que Kissinger est un sioniste inconditionnel et que la vraie question cruciale à l'heure actuelle tient à la crise économique définitive qui condamne le système mondialiste, impérialiste et libéral. C'est ce qu'on appelle une diversion.]
Kissinger : - J'ai eu la chance de travailler avec le Président Sadate en Égypte et nous avons signé trois accords avec l'Égypte et un avec la Syrie en moins de dix-huit mois. Beaucoup dépend de la qualité des gouvernements impliqués dans le processus de paix. Pour l'instant, nous n'avons pas vu ces résultats.
[Il est affligeant ou drôle d'entendre Kissinger vanter l'action de Sadate, quand on se souvient du jeu trouble de Kissinger durant cette période de crise pétrolière instrumentalisée, de crise généralisée dans le bien-nommé Arc de crise et d'intervention déstabilisatrice et massive des forces impérialistes britanniques dans cette région, avec notamment le soutien trouble des Saoudiens. Pour l'anecdote, l'actuel numéro deux d'al Quaeda et ancien responsable du Jihad islamique Al-Zawahiri fut condamné puis innocenté dans l'assassinat de Sadate en 1981 (attribué à des membres du Jihad islamique affilié aux Frères musulmans). Zawahiri sortit de prison (pour possession illégale d'armes) en 1984 et rejoindra al Quaeda et Oussama, travaillant notamment pour les services secrets soudanais.]
Parsons : - Obama a mis sa réputation en jeu à l'occasion de son discours au Caire [jeudi 4 juin 2009]. Il faut qu'il tienne ses promesses parce que sa réputation et celle des États-Unis vont souffrir au Moyen-Orient...
Kissinger : - Nos amis doivent reconnaître qu'Obama est le Président des États-Unis. Il a mis en avant un message de conciliation à nos adversaires et s'il n'y a pas une réponse qui ait un sens même aux yeux de nos amis ou de nos adversaires, cela va affaiblir la cause pour laquelle ils se sont battus et c'est un problème aux yeux du monde.
[A écouter Kissinger, le dire remplace le faire, puisque les promesses suffisent à donner un sens aux combats politiques des acteurs de la région. Bel exemple de cynisme, qui indique que la dernière chose dont un Kissinger ait vraiment envie, c'est de réussir le but de la diplomatie, la négociation, les compromis, la paix.]
Parsons : - Obama est très critiqué pour avoir tendu à la main aux ennemis des États-Unis les Iraniens. A-t-il commis une erreur?
Kissinger : - Il a bien fait d'offrir la négociation car en cas de crise, le Président doit être capable de montrer au peuple américain et au monde qu'il a fait tous les efforts pour éviter la crise. Je soutiens la négociation, il est trop tôt pour le dire.
[Ainsi donc la négociation ne sert-elle pas la paix en tant que résolution des conflits, mais la stratégie de déstabilisation et de division, théorisé notamment par l'Arc de crise de Lewis ou Brzezinski : c'est la preuve que Kissinger est un diplomate au service de la stratégie impérialiste de l'Empire financier britannique, ainsi qu'il l'a expliqué en 1982 dans un discours à Chatham House et qu'il ne cesse de le montrer depuis.]
Parsons : Les Iraniens n'essayent-ils pas de mener les Américains en bateau?
Kissinger : - Il faut que je le dise... Il y a un courant en Iran qui essaye de le faire et qui constitue un danger. Si nous conduisons une négociation réfléchie, c'est la bonne direction. (...) Si nous n'atteignons pas nos résultats, nous devrons décider de sanctions. Nous ne pouvons accepter l'inacceptable que la communauté mondiale aura dénoncé, car cela affaiblirait notre impact [de pays dirigeants] sur le monde et sur d'autres problèmes.
[Si l'on se souvient du rôle que joua le 1er janvier 1974 l'Iran du Shah dans la deuxième phase du choc pétrolier en concertation avec Kissinger, puis le rôle de l'islamisme dans la stratégie américano-britannique de domination, avec notamment la Révolution islamique iranienne de 1979, les nombreuses associations islamistes soutenues par les Saoudiens, le soutien aux moudjahidines afghans, les vagues d'assassinat de de coup d'État dans l'Arc de crise, le providentiel consensus de la communauté mondiale s'apparente à un impérialisme qui sert les intérêts de l'occidentalisme, en particulier des factions financières de l'Empire britannique, que Kissinger dessert avec une cohérence exclusive depuis la fin des années soixante.]
Parsons : - Le succès des négociations avec l'Iran et des éventuelles sanctions dépend-il du soutien de la Chine et de la Russie? Ces pays en sont-ils capables?
Kissinger : - Sur l'Iran, oui. Le problème de la prolifération affecte des pays plus proches de l'Iran et plus faibles que les États-Unis si un programme nucléaire en Iran est imminent. Il faut espérer que ces pays prendront cette menace au sérieux.
[Kissinger recycle avec une belle habileté pragmatique le thème de la non-prolifération nucléaire, qu'il aurait consigné par écrit suite à la conférence de Pugwash de 1957 concernant la société post-industrielle, dont nous subissons les derniers miasmes avec l'effondrement du système financier mondial centré autour du dollar. Le thème de la non-prolifération nucléaire a déjà généré beaucoup de crises et de conférences. Kissinger a publié sous son nom dès 1957 Puissance nucléaire et politique étrangère, un ouvrage en réalité rédigé par Gordon Dean, un avocat spécialiste des questions nucléaires affecté au CFR par les cercles de Wall Street.]
Parsons : - Pensez-vous qu'il y ait danger? Que la Russie pense que les États-Unis font trop d'efforts pour acheter leur amitié?
(long silence)
[Chez Kissinger, le silence est destiné à laisser croire que notre diplomate entame une méditation profonde et qu'il va déclencher une déclaration marquante, alors qu'en général, il prépare la langue de bois la plus lénifiante et les banalités les plus convenues.]
Kissinger : - Pas vraiment. Le danger est que d'autres pays pensent que nous n'avons pas d'alternatives si les négociations échouent. Il faut que nous montrions dès le début des négociations que nous sommes sincères et que nous avons un programme spécifique. Si nous tenons ensuite à ce programme et si nous montrons que nous sommes imaginatifs en tirant les conséquences des échecs, l'effort ne doit pas être critiqué, mais les résultats.
[La dernière phrase en particulier ne veut rien dire, derrière une apparence de référence à la realpolitik, qui serait la grande affaire théorique de Kissinger, alors qu'elle n'est qu'un machin pompeux pour désigner le pragmatisme impérialiste théorisé par les vrais experts qui fournissent à un porte-parole comme Kissinger le matériau conceptuel. Le cynisme impérialiste transparaît notamment dans l'évocation d'une prétendue sincérité chez Kissinger, qui a toujours débouché sur des assassinats et des coups d'État!]
Parsons : - A l'occasion de l'anniversaire des vingt ans de la chute du Mur de Berlin, quels sont vos souvenirs de ce moment?
Kissinger : - J'étais dans une situation extraordinaire, car ce jour-là, j'étais en Chine. Je conversais avec Deng Xiaoping au sujet du coup d'État en Roumanie. Les Chinois m'avaient prévenu que le communisme d'Europe centrale ne pourrait continuer à survivre en raison de la glasnost et la perestroïka, et c'est tout ce que je savais quand je suis monté dans l'avion. Quand j'ai atterri à Hawaï, j'ai appris que le Mur était tombé, ce à quoi personne ne s'attendait. Je pensais que selon le sens de l'Histoire, cela allait arriver un jour. J'étais là étonné et je suis resté devant la télévision toute la journée à Hawaï et j'ai regardé ces effusions d'un des rares moments où les gens qui traversaient les deux côtés de la ligne de démarcation se sont retrouvés dans une perception commune du monde. C'était un des grands moments de l'Histoire et je me souviens de Rostropovitch qui venait d'arriver avec son violoncelle.
[La question est destinée à fournir le prétexte pour une anecdote comme Kissinger les choie. Il s'agit de montrer qu'un personnage comme Kissinger est d'une teneur extraordinaire et historique en ce que tous les moments de sa vie sont extraordinaires et historiques. C'est ainsi que la chute du Mur, événement historique, ne peut donner lieu à une expérience banale chez Kissinger. Notre diplomate est toujours en compagnie de personnages extraordinaires à traiter de questions historiques. Le jour de l'effondrement du Mur, il est avec le Premier ministre chinois de l'époque, il converse de problèmes internationaux majeurs autour de la glasnost, il assiste, cerise sur le gâteau, à l'arrivée de Rostropovitch, le fameux violoncelliste, qui est sensé dans l'histoire personnifier le grand artiste juif ashkénaze alter ego du grand diplomate juif ashkénaze Kissinger, alors qu'il n'est qu'un exécutant virtuose, un familier de compositeurs et d'écrivains célèbres, un dissident soviétique et un chevalier de l'ordre de l'Empire britannique. Une fois de plus, Kissinger montre qu'il accorde la prééminence à l'art et qu'ainsi sa propre supériorité est contrebalancée par la modestie lucide et incomprise. Le poste de télévision et la surfeuse Hawaï sont transfigurées par la présence historique du grand homme, dont chaque geste recèle une dimension mémorable et importante.]
Parsons : - J'ai bien peur que cet entretien soit arrivé à son terme. Merci..."
L'Empire britannique recrute des agents dont le zèle est recouvert et légitimé par le narcissisme débridé et l'impression d'importance décisive. Ainsi va Kissinger, qui s'imagine naïvement qu'il présente une dimension politique essentielle du vingtième siècle, alors qu'il n'est qu'un valet dans l'incessante parade britannique. Les médias occidentalistes, à la soldes des intérêts britanniques, laissent entendre à Kissinger que chacun de ses mots compte, alors qu'on le flatte comme un petit enfant dont on attendrait la réponse préméditée et adéquate. Résultat : Kissinger fait son cinéma, court le monde (et les femmes), se disperse en conseils stratégiques dont il n'est que le héraut, se spécialise dans la signature de coups tordus dont il n'est que le prête-nom, ferait mieux de méditer l'apologue biblique sur la vanité. Il parle pour ne rien dire et débite des formules toutes faites, mais c'est prévisible dans sa bouche de (per)roquet mercenaire : quand on répète ce que d'autres ont pondu, le plus prudent (vertu de l'oligarque) est encore de noyer le pois(s)on pour éviter de proférer une bourde. La qualité du diplomate est ainsi de camoufler le sens exact des théories qu'on (re)présente. Valet et porte-parole, tel est Kissinger. En tout cas, merci au journaliste du moment de faire le jeu de Kissinger, en lui posant les questions taillées sur mesure et en occultant soigneusement le problème central de la crise et les nombreuses zones d'ombres reconnues du criminel de guerre Kissinger.
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