"Le renversement (Umkehrung en allemand) se fait, pour Nietzsche, en deux moments historiques et culturels : premièrement, avec ce qu'il appelle la scission de l'ancienne aristocratie en une "aristocratie guerrière" et une "aristocratie sacerdotale", et deuxièmement, avec l'avènement du judaïsme et sa lutte ultérieure avec la culture romaine sous la forme du christianisme. A ces deux moments, le faible l'emporte sur le fort, et la métaphysique prend un essor culturel dont le dernier avatar est le nihilisme moderne."
Richard Beardsworth, Friedrich Nietzsche.
Nietzsche appelle au renversement de toutes les valeurs. Paradoxe aussi instructif qu'amusant : le renversement qu'évoque le commentateur Beardsworth n'est jamais que le renversement (classique) du renversement (nietzschéen). Paradoxe (onto)logique : si Nietzsche appelle au renversement de toutes les valeurs, le renversement chronologique n'est pas le renversement premier - sans quoi jamais Nietzsche n'oserait intenter la formulation originale de son retentissant (et grandiloquent) renversement. Loin d'être seulement une marque d'illogisme, le renversement nietzschéen est de surcroît factuellement un faux grossier.
Pour légitimer l'immanentisme, Nietzsche tombe le masque en décrivant son renversement de toutes les valeurs qui détruirait les forts et incrusterait les faibles. Il opère une description du nihilisme premier. Après l'idéal de l'ordre naturel pur, cher à Rousseau - après l'Age d'Or d'avant la Chute, qu'un récit biblique fondamental retranscrit - le mythe du nihilisme originaire, celui qui précède le renversement transcendantaliste et qui indique l'homme supérieur de toutes les époques - auquel aspire de succéder le Surhomme.
1) La scission de l'aristocratie idéalo-primitive en une aristocratie guerrière et une aristocratie sacerdotale n'est pas datée. Outre cette imprécision mésinterprétative, qui indique le caractère illusoire de l'interprétation nietzschéenne, elle n'est nulle part attestée. Les travaux de Dumézil indiquent que la caste sacerdotale est (omni)présente dès les limbes du modèle trinitaire indo-européen. Dans les autres modèles, le schéma nietzschéen n'apparaît guère plus : le modèle africain de type plutôt dualiste revendique l'existence de la classe sacerdotale au même titre que la classe guerrière.
Jamais un système politique et religieux n'est attesté sans l'existence de la classe sacerdotale (ou l'équivalent). Nous ne disposons d'aucun récit historique de cette scission qui du coup devient un mythe au sens d'une invention. Mythe nihiliste moderne. Mythe immanentiste. Nietzsche critique l'avènement de l'aristocratie sacerdotale, ce qui implique que sa définition des meilleurs coïncide avec la vertu guerrière. Cette simplification abusive de l'histoire traduit une conception oligarchique du pouvoir qui au mieux est une utopie fumiste, au pis se réalise dans des régimes violents et prédateurs comme la cité de Sparte dans la Grèce antique.
Sparte incarne le modèle oligarchique en ce que le peuple de Sparte ne vit que pour la petite élite des aristocrates. Un tel modèle est aussi antirépublicain que condamné à une dégénérescence rapide. C'est un modèle impérialiste et mensonger. Si tel est le modèle nietzschéen, voilà un modèle aussi faux que fou : il n'a jamais existé; il ne possède aucune pérennité.
2) Première interprétation simpliste et emportée : le christianisme est rapporté à un judaïsme universalisé. Deuxième interprétation fausse : décrire le judaïsme comme l'opposition d'une aristocratie sacerdotale à une aristocratie guerrière relève de l'escroquerie intellectuelle et de la simplification patente. Nietzsche propose et oppose son modèle-repoussoir du christianisme, dont on sait la haine peu commune qu'il lui voue, à son modèle - l'Empire romain. De ce fait, Nietzsche tombe pour de bon le masque : loin d'être porteur d'un nouvel élan créateur, avec le Surhomme, le renversement de toutes les valeurs, la Volonté de Puissance ou l'Éternel Retour, Nietzsche est le héraut prévisible et l'imposteur enflammé de l'impérialisme.
Outre ces deux grossière erreurs, Nietzsche ajoute la critique métaphysique au programme du renversement, soit la critique de Platon et de ses successeurs occidentaux. Si Nietzsche traite la métaphysique comme il traite l'histoire des religions, il a du pain sur la planche. Dans son cas de philologue brillant et érudit, il n'est pas question de croire dans une confusion involontaire. Il s'agit bel et bien d'un mensonge prémédite d'apologiste et de propagandiste du nihilisme.
Bien qu'il affecte le masque de la création révolutionnaire, Nietzsche est obligé de trahir à un moment ou un autre son immanentisme. Nous nous trouvons explicitement dans un de ces moments et nous constatons que Nietzsche l'impérialiste n'est pas du tout l'innovateur qu'il nous laisse accroire à longueur de pages. Ce copieur stylé est, le pire de tout, un affabulateur raffiné.
Nietzsche travaille pour le droit des plus forts. Historiquement, sa filiation das l'histoire des idées se fait en deux temps forts :
- avec Spinoza le saint de l'immanentisme, qui a pondu l'Éthique comme explication cohérente de l'immanentisme;
- avec Gorgias, l'apôtre du nihilisme explicite antique et des beaux discours.
Nietzsche vient à un moment où l'immanentisme s'effondre et où il est obligé d'abattre les cartes. Il ruse comme il peut - il ruse comme il croit - il ruse de manière contre-productive. Pour adhérer à cette généalogie fausse, il faut vraiment avoir subi un sacré lavage de cerveau. Dans la définition que Nietzsche propose de la généalogie, il s'agit bien entendu de donner une définition oligarchique aux principes moraux tant détruits.
Selon Wikipédia, Nietzsche "met en avant que ce sont les aristocrates de toutes sociétés qui se sont désignés en premier lieu eux-mêmes comme bons, et que ce terme, d'une manière simple et spontané, désigne la richesse, la beauté, les plaisirs de l'activité physique, la santé, en un mot, l'excellence. Le mot bon désigne ainsi les hommes de la caste la plus élevée, celle des guerriers." Dont acte.
Outre que cette démarche malhonnête consiste à trouver, non la/les causes d'un effet, mais l'effet tant attendu d'une cause non recherchée, principe de la fausse enquête ou de la mauvaise quête travesti en amélioration méthodologique, Nietzsche ne fait que révéler au grand jour son visage de nihiliste et d'impérialiste. Si l'on veut vérifier la véritable généalogie de ce Nietzsche, que l'on rappelle ce qu'il pense de Spinoza et de Gorgias :
a) « Je suis très étonné, ravi ! J’ai un précurseur et quel précurseur ! Je ne connaissais presque pas Spinoza. Que je me sois senti attiré en ce moment par lui relève d’un acte « instinctif ». Ce n’est pas seulement que sa tendance globale soit la même que la mienne : faire de la connaissance l’affect le plus puissant - en cinq points capitaux je me retrouve dans sa doctrine ; sur ces choses ce penseur, le plus anormal et le plus solitaire qui soit, m’est vraiment très proche : il nie l’existence de la liberté de la volonté ; des fins ; de l’ordre moral du monde ; du non-égoïsme ; du Mal. Si, bien sûr, nos divergences sont également immenses, du moins reposent-elles plus sur les conditions différentes de l’époque, de la culture, des savoirs" (Carte à Franz Overbeck, Sils-Maria le 30 juillet 1881).
b) "Lorsque Nietzsche compare la prose de Gorgias à celle de Démosthène, se déclarant pour la première, on saisit une différence de niveau entre son jugement particulier et ses intuitions d'ensemble. Une évaluation formelle de leur technique expressive est presque impossible, étant donné que très peu de textes authentiques de Gorgias nous sont parvenus. Toutefois, un écart entre les deux personnalités apparaît déjà avec évidence dans la sphère, chère à Nietzsche, de la puissance. Gorgias est quelqu'un qui déchaîne – par le discours –, un dominateur, un artisan de la puissance, alors que Démosthène est une victime de la puissance. Mais Gorgias est plus encore, il est un homme de la connaissance, un sommet de la connaissance. La rhétorique comme telle est, dans une mesure non négligeable, son invention expressive, même si Gorgias connaît d'autres expressions, excelle en d'autres expressions, il est l'un des connaisseurs les plus rusés, l'un des explorateurs, des inventeurs de l'expression humaine en général. Face à lui, Démosthène est à tous égards un homme du IVe siècle, un contemporain de la comédie nouvelle." (Giorgio Colli, Après Nietzsche, http://www.lyber-eclat.net/lyber/colli/apres_nietzsche/grecs_contre_nous.html)
Le renversement si extraordinaire auquel appelle Nietzsche n'est pas seulement un leurre, qui au nom du réel ressortit d'un idéalisme postromantique ridicule; il est surtout un rétablissement. En aucun cas un renversement original et nouveau. Rétablissement : rétablissement du nihilisme, des valeurs nihilistes, des principes nihilistes. Rétablissement renversant si l'on veut, mais en aucun cas renversement, au sens où le renversement renvoie au sens dessus dessous.
Ce renversement n'est pas l'inverse du fondement classique. Il est le retour d'une méthode atavique qui ne fonctionne pas et qui ne passe pas. Le nihilisme ne fonctionne pas. Par contre, il a toujours existé. Il repose sur le postulat faux du néant et la définition fausse du réel réduit au sensible. Demandez à Gorgias. Demandez à Spinoza le soi-disant esprit libre. Demandez à Nietzsche. Ce renversement est le rétablissement de l'erreur et du mensonge.
Richard Beardsworth, Friedrich Nietzsche.
Nietzsche appelle au renversement de toutes les valeurs. Paradoxe aussi instructif qu'amusant : le renversement qu'évoque le commentateur Beardsworth n'est jamais que le renversement (classique) du renversement (nietzschéen). Paradoxe (onto)logique : si Nietzsche appelle au renversement de toutes les valeurs, le renversement chronologique n'est pas le renversement premier - sans quoi jamais Nietzsche n'oserait intenter la formulation originale de son retentissant (et grandiloquent) renversement. Loin d'être seulement une marque d'illogisme, le renversement nietzschéen est de surcroît factuellement un faux grossier.
Pour légitimer l'immanentisme, Nietzsche tombe le masque en décrivant son renversement de toutes les valeurs qui détruirait les forts et incrusterait les faibles. Il opère une description du nihilisme premier. Après l'idéal de l'ordre naturel pur, cher à Rousseau - après l'Age d'Or d'avant la Chute, qu'un récit biblique fondamental retranscrit - le mythe du nihilisme originaire, celui qui précède le renversement transcendantaliste et qui indique l'homme supérieur de toutes les époques - auquel aspire de succéder le Surhomme.
1) La scission de l'aristocratie idéalo-primitive en une aristocratie guerrière et une aristocratie sacerdotale n'est pas datée. Outre cette imprécision mésinterprétative, qui indique le caractère illusoire de l'interprétation nietzschéenne, elle n'est nulle part attestée. Les travaux de Dumézil indiquent que la caste sacerdotale est (omni)présente dès les limbes du modèle trinitaire indo-européen. Dans les autres modèles, le schéma nietzschéen n'apparaît guère plus : le modèle africain de type plutôt dualiste revendique l'existence de la classe sacerdotale au même titre que la classe guerrière.
Jamais un système politique et religieux n'est attesté sans l'existence de la classe sacerdotale (ou l'équivalent). Nous ne disposons d'aucun récit historique de cette scission qui du coup devient un mythe au sens d'une invention. Mythe nihiliste moderne. Mythe immanentiste. Nietzsche critique l'avènement de l'aristocratie sacerdotale, ce qui implique que sa définition des meilleurs coïncide avec la vertu guerrière. Cette simplification abusive de l'histoire traduit une conception oligarchique du pouvoir qui au mieux est une utopie fumiste, au pis se réalise dans des régimes violents et prédateurs comme la cité de Sparte dans la Grèce antique.
Sparte incarne le modèle oligarchique en ce que le peuple de Sparte ne vit que pour la petite élite des aristocrates. Un tel modèle est aussi antirépublicain que condamné à une dégénérescence rapide. C'est un modèle impérialiste et mensonger. Si tel est le modèle nietzschéen, voilà un modèle aussi faux que fou : il n'a jamais existé; il ne possède aucune pérennité.
2) Première interprétation simpliste et emportée : le christianisme est rapporté à un judaïsme universalisé. Deuxième interprétation fausse : décrire le judaïsme comme l'opposition d'une aristocratie sacerdotale à une aristocratie guerrière relève de l'escroquerie intellectuelle et de la simplification patente. Nietzsche propose et oppose son modèle-repoussoir du christianisme, dont on sait la haine peu commune qu'il lui voue, à son modèle - l'Empire romain. De ce fait, Nietzsche tombe pour de bon le masque : loin d'être porteur d'un nouvel élan créateur, avec le Surhomme, le renversement de toutes les valeurs, la Volonté de Puissance ou l'Éternel Retour, Nietzsche est le héraut prévisible et l'imposteur enflammé de l'impérialisme.
Outre ces deux grossière erreurs, Nietzsche ajoute la critique métaphysique au programme du renversement, soit la critique de Platon et de ses successeurs occidentaux. Si Nietzsche traite la métaphysique comme il traite l'histoire des religions, il a du pain sur la planche. Dans son cas de philologue brillant et érudit, il n'est pas question de croire dans une confusion involontaire. Il s'agit bel et bien d'un mensonge prémédite d'apologiste et de propagandiste du nihilisme.
Bien qu'il affecte le masque de la création révolutionnaire, Nietzsche est obligé de trahir à un moment ou un autre son immanentisme. Nous nous trouvons explicitement dans un de ces moments et nous constatons que Nietzsche l'impérialiste n'est pas du tout l'innovateur qu'il nous laisse accroire à longueur de pages. Ce copieur stylé est, le pire de tout, un affabulateur raffiné.
Nietzsche travaille pour le droit des plus forts. Historiquement, sa filiation das l'histoire des idées se fait en deux temps forts :
- avec Spinoza le saint de l'immanentisme, qui a pondu l'Éthique comme explication cohérente de l'immanentisme;
- avec Gorgias, l'apôtre du nihilisme explicite antique et des beaux discours.
Nietzsche vient à un moment où l'immanentisme s'effondre et où il est obligé d'abattre les cartes. Il ruse comme il peut - il ruse comme il croit - il ruse de manière contre-productive. Pour adhérer à cette généalogie fausse, il faut vraiment avoir subi un sacré lavage de cerveau. Dans la définition que Nietzsche propose de la généalogie, il s'agit bien entendu de donner une définition oligarchique aux principes moraux tant détruits.
Selon Wikipédia, Nietzsche "met en avant que ce sont les aristocrates de toutes sociétés qui se sont désignés en premier lieu eux-mêmes comme bons, et que ce terme, d'une manière simple et spontané, désigne la richesse, la beauté, les plaisirs de l'activité physique, la santé, en un mot, l'excellence. Le mot bon désigne ainsi les hommes de la caste la plus élevée, celle des guerriers." Dont acte.
Outre que cette démarche malhonnête consiste à trouver, non la/les causes d'un effet, mais l'effet tant attendu d'une cause non recherchée, principe de la fausse enquête ou de la mauvaise quête travesti en amélioration méthodologique, Nietzsche ne fait que révéler au grand jour son visage de nihiliste et d'impérialiste. Si l'on veut vérifier la véritable généalogie de ce Nietzsche, que l'on rappelle ce qu'il pense de Spinoza et de Gorgias :
a) « Je suis très étonné, ravi ! J’ai un précurseur et quel précurseur ! Je ne connaissais presque pas Spinoza. Que je me sois senti attiré en ce moment par lui relève d’un acte « instinctif ». Ce n’est pas seulement que sa tendance globale soit la même que la mienne : faire de la connaissance l’affect le plus puissant - en cinq points capitaux je me retrouve dans sa doctrine ; sur ces choses ce penseur, le plus anormal et le plus solitaire qui soit, m’est vraiment très proche : il nie l’existence de la liberté de la volonté ; des fins ; de l’ordre moral du monde ; du non-égoïsme ; du Mal. Si, bien sûr, nos divergences sont également immenses, du moins reposent-elles plus sur les conditions différentes de l’époque, de la culture, des savoirs" (Carte à Franz Overbeck, Sils-Maria le 30 juillet 1881).
b) "Lorsque Nietzsche compare la prose de Gorgias à celle de Démosthène, se déclarant pour la première, on saisit une différence de niveau entre son jugement particulier et ses intuitions d'ensemble. Une évaluation formelle de leur technique expressive est presque impossible, étant donné que très peu de textes authentiques de Gorgias nous sont parvenus. Toutefois, un écart entre les deux personnalités apparaît déjà avec évidence dans la sphère, chère à Nietzsche, de la puissance. Gorgias est quelqu'un qui déchaîne – par le discours –, un dominateur, un artisan de la puissance, alors que Démosthène est une victime de la puissance. Mais Gorgias est plus encore, il est un homme de la connaissance, un sommet de la connaissance. La rhétorique comme telle est, dans une mesure non négligeable, son invention expressive, même si Gorgias connaît d'autres expressions, excelle en d'autres expressions, il est l'un des connaisseurs les plus rusés, l'un des explorateurs, des inventeurs de l'expression humaine en général. Face à lui, Démosthène est à tous égards un homme du IVe siècle, un contemporain de la comédie nouvelle." (Giorgio Colli, Après Nietzsche, http://www.lyber-eclat.net/lyber/colli/apres_nietzsche/grecs_contre_nous.html)
Le renversement si extraordinaire auquel appelle Nietzsche n'est pas seulement un leurre, qui au nom du réel ressortit d'un idéalisme postromantique ridicule; il est surtout un rétablissement. En aucun cas un renversement original et nouveau. Rétablissement : rétablissement du nihilisme, des valeurs nihilistes, des principes nihilistes. Rétablissement renversant si l'on veut, mais en aucun cas renversement, au sens où le renversement renvoie au sens dessus dessous.
Ce renversement n'est pas l'inverse du fondement classique. Il est le retour d'une méthode atavique qui ne fonctionne pas et qui ne passe pas. Le nihilisme ne fonctionne pas. Par contre, il a toujours existé. Il repose sur le postulat faux du néant et la définition fausse du réel réduit au sensible. Demandez à Gorgias. Demandez à Spinoza le soi-disant esprit libre. Demandez à Nietzsche. Ce renversement est le rétablissement de l'erreur et du mensonge.
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