Le réel se trouve d'autant moins défini qu'il est fini.
Le déni est le défi que le désir intente au réel. A l'heure actuelle, nous mesurons le combat perdu d'avance que le désir intente au réel.
1) Le désir : le désir humain, soit ce que les plus forts des individus de l'espèce humaine entendent imposer aux autres de leurs congénères et au restant du réel. Pourtant, malgré cette définition qui indique l'incomplétude quasi irréfragable du réel, la première exigence de ce désir totalitaire est de se définir contre les évidences comme complet.
Rosset dans son livre préféré La Force majeure (qui est peut-être son livre abordant son thème central (la joie), mais pas son meilleur livre, un peu comme Nietzsche préférait son Zarathoustra, qui est loin d'être son meilleur ouvrage), explique que la joie est ontologiquement totalitaire par opposition au totalitarisme politique. Cette dissociation de l'ontologie et de la politique est d'autant plus douteuse (on retrouve l'antagonisme ontologique du nihilisme) que l'on constate qu'historiquement le nihilisme recoupe l'impérialisme.
Le totalitarisme de la joie selon Rosset, joie immanentiste terminale, renverrait à la totalité du réel, quand le totalitarisme politique serait violent et destructeur parce qu'il prétendrait en tant que partie dominer la totalité. Il s'agit d'une fausse distinction au sens où cette distinction ne vaudrait que si et seulement si le désir était complet. Pour ce faire, rien de plus simple, mais rien de plus révélateur : il suffirait que le désir classique, qui est complet et partie du réel devienne complétude et totalité. On pourrait cependant objecter que dans le cas de figure d'un désir complet, le totalitarisme politique aurait de fortes chances de ne pas exister. Du coup, l'association ontologie/politique se trouve restaurée.
Comme ce n'est évidemment pas le cas, l'attribution de la complétude au désir relève de la démesure, dont on sait depuis les Anciens qu'elle constitue le pire des péchés touchant le désir. L'échec du désir complet, qui contrairement au pain du même nom se révèle un échec plus cuisant encore que brûlé, aboutit au totalitarisme du désir, soit à la violence. La violence est toujours le résultat terminal et prévisible d'un processus qui commence par dénier le réel et qui ne peut de ce fait qu'y installer tôt ou tard le chaos.
2) Le réel : c'est le tout, soit tout ce qui excède le monde humain. On peut admettre le raisonnement selon lequel le tout n'est pas définitivement définissable mais certainement pas l'argument des immanentistes, dont Rosset représente un archétype d'autant plus explicite qu'il intervient parmi les terminaux, selon lequel le réel n'est en aucun cas définissable. Rosset consacre à cette argutie typiquement sophistique la première partie de son dernier opuscule sans vraiment convaincre, en amalgamant la démarche métaphysique classique (issue d'un Platon) avec la philosophie dissidente (dont Spinoza est son modèle à l'heure moderne).
Qu'un Rosset ou que les nihilistes dans leur histoire refusent de définir le réel et considèrent le réel comme l'indéfinissable est le pivot de leur irrationalisme, qui permet de justifier de cet injustifiable cardinal. Pourtant, ce refus est conséquent dans son inconséquence puisque l'on ne saurait définir le réel si le désir est complet. D'une certaine manière la complétude du réel qui est fausse serait démasquée si le réel était défini. Par ailleurs, l'indéfinition du réel permet de masquer que dans un système nihiliste cohérent, la définition du réel déboucherait sur la définition du désir.
Dans le processus nihiliste, ce n'est que dans le stade moderne du nihilisme (l'immanentisme) que par un effet d'accroissement et de gradation le désir devient la définition du réel. Auparavant, au stade du nihilsime préimmanentiste, on se contentait d'une affirmation plus prudente : le réel est le fini. Mais le processus nihiliste implique cette gradation que d'aucuns nommeront surenchère et qui conduit le nihilisme, par un excès de certitude et de confiance dans l'expérience scientifique moderne, de la finitude quasi certaine (modèle physico-ontologique d'Aristote) vers le désir complet (éthique géométrique de Spinoza).
La définition que produit le nihilisme est certaine et fausse - d'autant plus certaine que fausse. Elle ne retient que le premier terme (la certitude) pour mieux occulter le second (l'erreur). C'est un retournement du sens remarquablement pervers, mais ce n'est pas un raisonnement valable. C'est pourtant au nom de ce raisonnement que le nihiliste invoque la supériorité de son modèle sur le modèle classique, avec pour antienne l'élitisme forcené et pour poivre à son moulin le savoir. Un des symptômes qui permettent de démasquer le nihiliste est l'impressionnante érudition dont il est paré, comme les sophistes (des Gorgias, des Protagoras, des Hippias...), comme Spinoza le reclus ou Nietzsche le philologue surdoué. A ce propos, on n'a jamais assez creusé cette fonction de philosophe prodige chez Nietzsche.
Elle permet de le caractériser et de le cerner. Si on n'a jamais approfondi cette donnée écrasante, c'est parce que l'identité d'immanentiste tardif et dégénéré de Nietzsche n'est pas reconnue. C'est son trait central. C'est le trait central de l'immanentisme et du nihilisme. Le philologue est ce savant érudit qui interprète le savoir passé (inchangé et certain) dans une optique d'interprétation finie, voire congelée. A cet égard, la critique que dresse Nietzsche du savant entomologiste qui congèle le savoir et qui s'en sert comme d'un instrument de domination est à inclure dans sa mentalité d'immanentiste. Nietzsche dénonce non le savoir fini, mais le désir de domination du savant par rapport à l'artiste, soit par rapport à celui qui crée dans un système fini. Nietzsche ne sort en aucun cas de la représentation finie du nihilisme.
L'erreur des nihilistes est de toujours accorder la précellence au savoir, dont l'excellence se trouve être l'érudition. Le cas historique le plus évident est cet Aristote qui produit un savoir d'autant plus remarquable qu'il repose sur une conception ontologique fausse et perverse. Nietzsche ne fait que pire, soit poursuivre la gradation du nihilisme vers l'immanentisme : son savoir de philologue fameux le conduit d'un savoir directement en prise avec le réel (le savoir scientifique d'un Aristote) vers un savoir de seconde main, qui étudie des textes portant eux sur le réel (savoir de philologue).
Au final, un Nietzsche se retrouve pris dans le piège de cette erreur fondamentale, dont la complétude du désir n'est que la conséquence accrue de la finitude du réel. Plus ils se montrent critique au sein de leur erreur, plus ils s'illusionnent de manière difficilement remédiable. Cas remarquable d'un Nietzsche qui dans le temps où il se montre critique à l'encontre des savants estime s'exclure en tant que savant de formation de la démarche des savants qu'il critique. C'est encore pire : il ne se démarque d'eux que dans le cadre d'un schéma stéréotypé et totalement faux.
Cas plus général des nihilistes qui produisent un système typiquement aristotélicien selon lequel à partir de fondements postulés et non discutables la logique finaliste se montre irréfutable. Fort bien, pourrait-on constater. Fort belle construction architecturale. Mais - examinons les fondements. Ces fondements sont archi-faux, voire simplistes. On construit sur du branlant du complexe et du sophistiqué? La seule excuse à une pareille apologie erronée tient dans le désir de domination qui ne manque jamais d'être associé au nihilisme.
Rosset se montre tout à fait fasciné par l'impérialisme, au point de considérer à maintes reprises que l'impérialisme est la forme prédominante d'organisation politique. Nietzsche était fasciné par l'Empire romain et par les sophistes. Aristote est un agent impérialiste de la cour macédonienne, et ce rôle politique peu prestigieux se trouve occulté au profit de son rôle de vénérable autant que vénéré métaphysicien élève de Platon commenté par d'irréprochables et irréfutables commentateurs contemporains.
Pourquoi la figure cardinale du métaphysicien est-elle aux yeux des commentateurs un Aristote, ainsi que le déclare imprudemment mais franchement Luc Ferry (un faux philosophe qui est plutôt un commentateur calé en philosophie politique et un politicien arriviste profitant de son crédit d'intellectuel-philosophe)? Parce que les commentateurs sont formés à l'aune de la mentalité nihiliste dont une part importante de la métaphysique est imprégnée? En tout cas, la fausseté de la définition du désir ne fait que redoubler la fausseté originelle de définition du réel.
Le réel n'est pas plus fini que le désir n'est complet. Le réel non défini est l'indéfinition qui permet de cacher l'erreur définitoire du désir; mais l'erreur est circulaire, au point que si le réel non défini permet de conforter la définition fausse du désir complet, l'inverse est tout aussi vrai : le désir soi-disant complet permet d'occulter le fondement bancal du réel soi-disant fini. L'identité différante est constamment inexistante, soit toujours se réclame d'un autre introuvable, parce que sa définition est fausse. Le réel se trouve d'autant moins défini qu'il est fini.
L'erreur du nihilisme fonctionne parce que sa promesse est séduisante : enfin produire de la certitude. Certitude théorique : le réel est fini. Du coup il serait enfin délimité et facile à cerner. Certitude éthique (de préférence à morale pour un immanentiste comme Spinoza ou son disciple Rosset) : le désir serait enfin désirable. La défaite du désir complet sur le réel s'explique parce que le moyen pour le désir de réussir son pari de domination serait que le réel soit fini et que le désir soit complet. Mais le réel n'étant pas fini implique que le désir ne soit pas complet.
Raison pour laquelle le déni ontologique immanentiste engendre des réactions aussi décalées à l'instant de l'effondrement pourtant inévitable et prévisible. C'est un peu comme si un bourgeois respectable et respecté, totalement traumatisé par l'incendie de sa maison et le choc émotionnel violent qu'il occasionne, déraillait au point de s'inquiéter de la couleur à donner à une porte (bleu? verte? blanche? oui, mais - quel blanc?) alors que l'édifice menace de s'effondrer sous l'action du feu.
Comment un individu élevé dans la mentalité dominante le mettant en valeur de manière aussi démesurée et valorisante, dans des pays d'Occident qui sont les grands (voire exclusifs) bénéficiaires de ces largesses diaboliques, pourrait-il régir de manière adéquate (pour reprendre avec ironie un terme prisé de Spinoza) face à l'effondrement systémique d'appellation financière? Il réagit comme le bourgeois face à l'incendie de sa maison. Soit il manifeste un comportement à côté de la plaque; soit il recourt à des moyens pathologiques afin d'échapper au contact trop douloureux avec le réel (malaise, pétage de plomb...).
Ce que l'observateur extérieur prend pour une attitude désaxée n'est que la déformation d'une incompréhension née de la réduction préalable et majoritaire du réel à ses désirs. Une fois que le réel reprend ses droits (comme c'est le cas actuellement avec l'effondrement systémique du système immanentiste à dominante occidentale), l'immanentiste se montre incapable d'agir en relation avec le réel. Éduqué pour agir en fonction de ses désirs, il est inadapté, décalé, déphasé.
En général, cette distanciation se révèle des plus comiques. Elle commence à se manifester avec ces gogos qui décrètent crânement qu'il n'y a finalement rien (en pleine tempête!) ou avec ces benêts plus pervers qui se félicitent avec d'autant plus de cynisme de la crise qu'ils se targuent d'avoir prévu ce qu'en zélés et dociles moutons ils n'avaient nullement vu venir - et que quelque temps plus tôt ils présentaient mordicus comme une bourrasque passagère destinée à se résorber sous peu (suivant en cela l'opinion craintive de la mode dominante commençant par nier ce qu'elle finit par légitimer, selon une célèbre sentence de Schopenhauer : «Toute vérité passe par trois phases. D'abord, elle est ridiculisée; ensuite, elle rencontre une vive opposition avant d'être acceptée comme une totale évidence").
Le déni est le défi que le désir intente au réel. A l'heure actuelle, nous mesurons le combat perdu d'avance que le désir intente au réel.
1) Le désir : le désir humain, soit ce que les plus forts des individus de l'espèce humaine entendent imposer aux autres de leurs congénères et au restant du réel. Pourtant, malgré cette définition qui indique l'incomplétude quasi irréfragable du réel, la première exigence de ce désir totalitaire est de se définir contre les évidences comme complet.
Rosset dans son livre préféré La Force majeure (qui est peut-être son livre abordant son thème central (la joie), mais pas son meilleur livre, un peu comme Nietzsche préférait son Zarathoustra, qui est loin d'être son meilleur ouvrage), explique que la joie est ontologiquement totalitaire par opposition au totalitarisme politique. Cette dissociation de l'ontologie et de la politique est d'autant plus douteuse (on retrouve l'antagonisme ontologique du nihilisme) que l'on constate qu'historiquement le nihilisme recoupe l'impérialisme.
Le totalitarisme de la joie selon Rosset, joie immanentiste terminale, renverrait à la totalité du réel, quand le totalitarisme politique serait violent et destructeur parce qu'il prétendrait en tant que partie dominer la totalité. Il s'agit d'une fausse distinction au sens où cette distinction ne vaudrait que si et seulement si le désir était complet. Pour ce faire, rien de plus simple, mais rien de plus révélateur : il suffirait que le désir classique, qui est complet et partie du réel devienne complétude et totalité. On pourrait cependant objecter que dans le cas de figure d'un désir complet, le totalitarisme politique aurait de fortes chances de ne pas exister. Du coup, l'association ontologie/politique se trouve restaurée.
Comme ce n'est évidemment pas le cas, l'attribution de la complétude au désir relève de la démesure, dont on sait depuis les Anciens qu'elle constitue le pire des péchés touchant le désir. L'échec du désir complet, qui contrairement au pain du même nom se révèle un échec plus cuisant encore que brûlé, aboutit au totalitarisme du désir, soit à la violence. La violence est toujours le résultat terminal et prévisible d'un processus qui commence par dénier le réel et qui ne peut de ce fait qu'y installer tôt ou tard le chaos.
2) Le réel : c'est le tout, soit tout ce qui excède le monde humain. On peut admettre le raisonnement selon lequel le tout n'est pas définitivement définissable mais certainement pas l'argument des immanentistes, dont Rosset représente un archétype d'autant plus explicite qu'il intervient parmi les terminaux, selon lequel le réel n'est en aucun cas définissable. Rosset consacre à cette argutie typiquement sophistique la première partie de son dernier opuscule sans vraiment convaincre, en amalgamant la démarche métaphysique classique (issue d'un Platon) avec la philosophie dissidente (dont Spinoza est son modèle à l'heure moderne).
Qu'un Rosset ou que les nihilistes dans leur histoire refusent de définir le réel et considèrent le réel comme l'indéfinissable est le pivot de leur irrationalisme, qui permet de justifier de cet injustifiable cardinal. Pourtant, ce refus est conséquent dans son inconséquence puisque l'on ne saurait définir le réel si le désir est complet. D'une certaine manière la complétude du réel qui est fausse serait démasquée si le réel était défini. Par ailleurs, l'indéfinition du réel permet de masquer que dans un système nihiliste cohérent, la définition du réel déboucherait sur la définition du désir.
Dans le processus nihiliste, ce n'est que dans le stade moderne du nihilisme (l'immanentisme) que par un effet d'accroissement et de gradation le désir devient la définition du réel. Auparavant, au stade du nihilsime préimmanentiste, on se contentait d'une affirmation plus prudente : le réel est le fini. Mais le processus nihiliste implique cette gradation que d'aucuns nommeront surenchère et qui conduit le nihilisme, par un excès de certitude et de confiance dans l'expérience scientifique moderne, de la finitude quasi certaine (modèle physico-ontologique d'Aristote) vers le désir complet (éthique géométrique de Spinoza).
La définition que produit le nihilisme est certaine et fausse - d'autant plus certaine que fausse. Elle ne retient que le premier terme (la certitude) pour mieux occulter le second (l'erreur). C'est un retournement du sens remarquablement pervers, mais ce n'est pas un raisonnement valable. C'est pourtant au nom de ce raisonnement que le nihiliste invoque la supériorité de son modèle sur le modèle classique, avec pour antienne l'élitisme forcené et pour poivre à son moulin le savoir. Un des symptômes qui permettent de démasquer le nihiliste est l'impressionnante érudition dont il est paré, comme les sophistes (des Gorgias, des Protagoras, des Hippias...), comme Spinoza le reclus ou Nietzsche le philologue surdoué. A ce propos, on n'a jamais assez creusé cette fonction de philosophe prodige chez Nietzsche.
Elle permet de le caractériser et de le cerner. Si on n'a jamais approfondi cette donnée écrasante, c'est parce que l'identité d'immanentiste tardif et dégénéré de Nietzsche n'est pas reconnue. C'est son trait central. C'est le trait central de l'immanentisme et du nihilisme. Le philologue est ce savant érudit qui interprète le savoir passé (inchangé et certain) dans une optique d'interprétation finie, voire congelée. A cet égard, la critique que dresse Nietzsche du savant entomologiste qui congèle le savoir et qui s'en sert comme d'un instrument de domination est à inclure dans sa mentalité d'immanentiste. Nietzsche dénonce non le savoir fini, mais le désir de domination du savant par rapport à l'artiste, soit par rapport à celui qui crée dans un système fini. Nietzsche ne sort en aucun cas de la représentation finie du nihilisme.
L'erreur des nihilistes est de toujours accorder la précellence au savoir, dont l'excellence se trouve être l'érudition. Le cas historique le plus évident est cet Aristote qui produit un savoir d'autant plus remarquable qu'il repose sur une conception ontologique fausse et perverse. Nietzsche ne fait que pire, soit poursuivre la gradation du nihilisme vers l'immanentisme : son savoir de philologue fameux le conduit d'un savoir directement en prise avec le réel (le savoir scientifique d'un Aristote) vers un savoir de seconde main, qui étudie des textes portant eux sur le réel (savoir de philologue).
Au final, un Nietzsche se retrouve pris dans le piège de cette erreur fondamentale, dont la complétude du désir n'est que la conséquence accrue de la finitude du réel. Plus ils se montrent critique au sein de leur erreur, plus ils s'illusionnent de manière difficilement remédiable. Cas remarquable d'un Nietzsche qui dans le temps où il se montre critique à l'encontre des savants estime s'exclure en tant que savant de formation de la démarche des savants qu'il critique. C'est encore pire : il ne se démarque d'eux que dans le cadre d'un schéma stéréotypé et totalement faux.
Cas plus général des nihilistes qui produisent un système typiquement aristotélicien selon lequel à partir de fondements postulés et non discutables la logique finaliste se montre irréfutable. Fort bien, pourrait-on constater. Fort belle construction architecturale. Mais - examinons les fondements. Ces fondements sont archi-faux, voire simplistes. On construit sur du branlant du complexe et du sophistiqué? La seule excuse à une pareille apologie erronée tient dans le désir de domination qui ne manque jamais d'être associé au nihilisme.
Rosset se montre tout à fait fasciné par l'impérialisme, au point de considérer à maintes reprises que l'impérialisme est la forme prédominante d'organisation politique. Nietzsche était fasciné par l'Empire romain et par les sophistes. Aristote est un agent impérialiste de la cour macédonienne, et ce rôle politique peu prestigieux se trouve occulté au profit de son rôle de vénérable autant que vénéré métaphysicien élève de Platon commenté par d'irréprochables et irréfutables commentateurs contemporains.
Pourquoi la figure cardinale du métaphysicien est-elle aux yeux des commentateurs un Aristote, ainsi que le déclare imprudemment mais franchement Luc Ferry (un faux philosophe qui est plutôt un commentateur calé en philosophie politique et un politicien arriviste profitant de son crédit d'intellectuel-philosophe)? Parce que les commentateurs sont formés à l'aune de la mentalité nihiliste dont une part importante de la métaphysique est imprégnée? En tout cas, la fausseté de la définition du désir ne fait que redoubler la fausseté originelle de définition du réel.
Le réel n'est pas plus fini que le désir n'est complet. Le réel non défini est l'indéfinition qui permet de cacher l'erreur définitoire du désir; mais l'erreur est circulaire, au point que si le réel non défini permet de conforter la définition fausse du désir complet, l'inverse est tout aussi vrai : le désir soi-disant complet permet d'occulter le fondement bancal du réel soi-disant fini. L'identité différante est constamment inexistante, soit toujours se réclame d'un autre introuvable, parce que sa définition est fausse. Le réel se trouve d'autant moins défini qu'il est fini.
L'erreur du nihilisme fonctionne parce que sa promesse est séduisante : enfin produire de la certitude. Certitude théorique : le réel est fini. Du coup il serait enfin délimité et facile à cerner. Certitude éthique (de préférence à morale pour un immanentiste comme Spinoza ou son disciple Rosset) : le désir serait enfin désirable. La défaite du désir complet sur le réel s'explique parce que le moyen pour le désir de réussir son pari de domination serait que le réel soit fini et que le désir soit complet. Mais le réel n'étant pas fini implique que le désir ne soit pas complet.
Raison pour laquelle le déni ontologique immanentiste engendre des réactions aussi décalées à l'instant de l'effondrement pourtant inévitable et prévisible. C'est un peu comme si un bourgeois respectable et respecté, totalement traumatisé par l'incendie de sa maison et le choc émotionnel violent qu'il occasionne, déraillait au point de s'inquiéter de la couleur à donner à une porte (bleu? verte? blanche? oui, mais - quel blanc?) alors que l'édifice menace de s'effondrer sous l'action du feu.
Comment un individu élevé dans la mentalité dominante le mettant en valeur de manière aussi démesurée et valorisante, dans des pays d'Occident qui sont les grands (voire exclusifs) bénéficiaires de ces largesses diaboliques, pourrait-il régir de manière adéquate (pour reprendre avec ironie un terme prisé de Spinoza) face à l'effondrement systémique d'appellation financière? Il réagit comme le bourgeois face à l'incendie de sa maison. Soit il manifeste un comportement à côté de la plaque; soit il recourt à des moyens pathologiques afin d'échapper au contact trop douloureux avec le réel (malaise, pétage de plomb...).
Ce que l'observateur extérieur prend pour une attitude désaxée n'est que la déformation d'une incompréhension née de la réduction préalable et majoritaire du réel à ses désirs. Une fois que le réel reprend ses droits (comme c'est le cas actuellement avec l'effondrement systémique du système immanentiste à dominante occidentale), l'immanentiste se montre incapable d'agir en relation avec le réel. Éduqué pour agir en fonction de ses désirs, il est inadapté, décalé, déphasé.
En général, cette distanciation se révèle des plus comiques. Elle commence à se manifester avec ces gogos qui décrètent crânement qu'il n'y a finalement rien (en pleine tempête!) ou avec ces benêts plus pervers qui se félicitent avec d'autant plus de cynisme de la crise qu'ils se targuent d'avoir prévu ce qu'en zélés et dociles moutons ils n'avaient nullement vu venir - et que quelque temps plus tôt ils présentaient mordicus comme une bourrasque passagère destinée à se résorber sous peu (suivant en cela l'opinion craintive de la mode dominante commençant par nier ce qu'elle finit par légitimer, selon une célèbre sentence de Schopenhauer : «Toute vérité passe par trois phases. D'abord, elle est ridiculisée; ensuite, elle rencontre une vive opposition avant d'être acceptée comme une totale évidence").
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