mardi 11 mai 2010

Le néopostimmanentisme



"C'est nouveau, ça vient de sortir!"
Coluche, La publicité.

Nous nous trouvons engoncés dans une époque où le must, la mode, l'acmé, la tendance résident dans l'admiration, au surplus sibylline, voire incompréhensible (le coup de sens impossible), d'identités aussi inexistantes que frelatées. Tour d'horizon non exhaustif.
Nouveau
: néoconservateurs, nouveaux philosophes, néolibéralisme, néocolonialisme, nouvel âge...
Post : postmodernisme, postkeynésisme, postindustrialisation, postracialisme, postidéologie...
La prolifération des termes introduits par des post ou des néo est plus significative qu'elle n'y paraît. Pour parodier Coluche se moquant des publicités vantant les mérites de lessives, plus blanc que blanc, on ne sait pas trop ce que c'est. Moins blanc que blanc correspondrait à gris clair. Et - plus blanc que blanc? Transparent? Rien? Faux blanc? Blanc pervers (qui occulterait une grosse tache verdâtre)?
Avec son sketch hilarant, Coluche ne fait pas qu'illustrer les délires de la publicité, qui à force de promouvoir l'empire de l'Hyperréel (soit les attentes fantasmatiques du désir) en vient à proférer les plus incoulables stupidités (tel ce slogan vantant les mérites inattaquables du plus blanc que blanc). La publicité est le médium médiatique de l'illusion destructrice. Contrairement à la doctrine immanentiste (propagée par l'immanentisme terminal d'un Rosset), l'illusion ne sanctionne pas le domaine existant (en non existant) du néant/chaos/absence.
Il sanctionne sous un faux nom (le néant nihiliste) une fausse identité (le lieu néant). En termes de navigation, on parlerait de faux pavillon. En réalité, l'illusion désigne un autre nom existant et un autre lieu existant. Du coup, l'existence détruit, non pas absolument, en créant du néant positif (hypothétique), mais relativement, en anéantissant l'objet qui s'illusionne (le seul qui définit effectivement l'illusion). L'objet qui s'illusionne est l'illusion - le seul endroit utopique de l'illusion.
Maintenant, examinons (sans prendre le temps de les définir un à un) ces termes pompeux qui invoquent les suffixes avant-gardistes (c'est le cas de le dire) et branchés néo ou post. Néo signifie nouveau et post après. L'avant-gardisme sanctionnerait un après réactionnaire, sclérosé, illusoire - vide du sens invoqué)?
- Néo : la nouveauté est positive quand elle est affirmée. Alors un changement peut être édicté (souvent de manière simple, rétrospectivement évidente). En l'occurrence, la nouveauté invoquée est un mirage. Pas la nouveauté positive. Que de la nouveauté négative. Néo renvoie bien entendu à quelque chose, mais sur le mode effectif (non nihiliste) de l'illusion, soit un B présenté traîtreusement (quoique souvent involontairement) comme un A nouveau. Qu'est-ce qu'un néoconservateur? Est-on nouveau conservateur comme l'on est plus banc que blanc?
Outre la dénomination politique (qui distingue un conservateur de plus en plus impérialiste à tel point qu'il flirte avec le fascisme travesti en démocratie, quand il n'y appelle pas ouvertement), la nouveauté négative est la promotion de l'entropie (comme pendant politique du principe physique), soit l'inversion remarquable du changement (dont la forme est la croissance générale). La négativité de ce nouveau renvoie en fait à l'absence de nouveauté; l'absence de changement. Bref, tout ce qui est néo est illusoire.
- Post : blanc, je sais ce que c'est; plus blanc que blanc, je l'ignore - disait en substance Coluche. Idem avec l'usage du post qui s'il confère au terme ainsi suffixé une teneur éminemment futuriste l'est d'autant plus que le terme ainsi mis en valeur (en voleur?) se révèle vide de sens. Je suis d'autant plus à l'avant-garde que je suis vide. Et après? Pour parodier Coluche, un moderne, je vois à peu près ce que c'est (mettons que ce soit un individu survenant après le symbolique 1492); un postmoderne, je ne vois plus du tout. Plus moderne que moderne, c'est quoi? Ultramoderne?
Tout comme pour le suffixe néo, le suffixe post a fait fureur avec une vigueur sémantique d'autant plus remarquable qu'il se révèle suite à un examen sommaire des plus dénués de sens. Faudrait-il se montrer cruel et observer que l'usage de ces suffixes indique surtout un usage proche de celui de la publicité, où l'on vend de l'illusion au point de pondre des slogans illusoires? N'utiliserait-on pas ces suffixes creux pour désigner un changement qui connote aussi la fabrique de l'illusion?
Changement, il y a bien; mais changement étranger à ceux qui participent de la domination politique, économique, sociale en place et qui aimeraient tant que le changement leur profite (qu'ils participent au changement, soit que le changement ne les dépossède pas de leur pouvoir en transit). Sans doute cette domination est-elle avant tout intellectuelle et se manifeste avec éclat et archétype dans ce courant postmoderne, dont le sens vague va de pair avec un jargon remarquable de pédantisme.
Par l'emploi d'un suffixe négatif éminemment révélateur, on admet que le changement est inconnu de ceux qui se targuent pourtant de leur domination présente. Terrible aveu car dans cet emploi illusoire se tapit le signe (sémantique) que l'on se trouve dans une période de changement et que le processus de changement est étranger de ceux qui se vantent de le maîtriser, voire de l'instiller.
Qu'est-ce qu'un postmoderne - sinon un avant-gardiste qui prétend dépasser la modernité par le changement - l'avènement d'une nouvelle ère? On peine à localiser ce lieu utopique, localisé aussi bien avant qu'après. Mais cette nouvelle ère se révèle illusoire en ce qu'elle n'est pas définie - sinon par un artifice de langage commode mais intenable. Le disciple de la postmodernité avoue rien moins que le changement de la modernité, qu'il existe (déjà) une ère après la modernité mais que cette ère postmoderne demeure inconnue de lui et échappe à son sens borné, statique, figé et fini.
En d'autres termes, le changement est étranger aux observateurs du néo et du post, qui le constatent de manière externe et irrémédiable. En termes ontologiques, les immanentistes de la phase terminale comprennent que l'immanentisme se clôt, désireraient (dans une vision publicitaire de leur complétude ébréchée) faire partie du changement, mais ne parviennent pas à en faire partie - autrement que négativement. Du coup ils recourent à une ruse langagière consistant à recourir à des termes négatifs. Ils camouflent leur illusion dans le négatif.
Alors qu'un Hegel rêvant d'être l'Aristote des immanentistes (est-ce tant un compliment?) propose de dépasser le négatif par une synthèse surmontant positivement le négatif transitoire (bien que dans sa trinité dialectique Hegel forge un système clos, antidynamique, antiplatonicien, dont la positivité est finalement négative insidieusement, immanentiste au nom de la métaphysique classique à laquelle Aristote se trouve assimilé subrepticement), le système immanentiste explicite, tel que le développe l'immanentisme terminal d'un Rosset, en reste à l'éloge de la négativité (si bien qu'un Rosset peut se déclarer l'ennemi théorique d'un Hegel à l'intérieur d'un mouvement qui les réunit au titre de frères ennemis). Cette négativité ontologique réduplique dans un effort de répétition pure saisissant la négativité du changement impossible.
L'impossible est la catégorie par excellence du nihilisme; le changement impossible connote adéquatement l'utilisation creuse et illusoire des suffixes post et néo. La négativité contient dans son processus son dépassement inéluctable par le changement - étranger. Le changement est entendu négativement (donc incompris, dénaturé) par l'observateur immanentiste. Le changement est l'Arlésienne incomprise de toute expression nihiliste : changer, c'est aller à l'encontre du même, dont le néant est l'incarnation impossible et tragique. Raison pour laquelle un immanentiste rigoureux (paradoxe) est un conservateur forcené et intransigeant - à l'image de Schopenhauer ou de son disciple Rosset à notre époque d'immanentisme en phase de changement.
Pour le dire d'une traite (langagière), l'immanentisme est programmé pour disparaître. Nous nous trouvons à l'époque de cette disparition forcément bouleversante (le bouleversement est changement). En tant qu'expression de négativité pure, l'immanentisme ne pouvait que disparaître. L'immanentisme est une transition vers de nouveaux horizons (que j'ai baptisés néanthéisme). Dans ce renouveau, qui est une renaissance historique non linéaire quoique répétitive, la reconnaissance par le langage de ce qu'est l'immanentisme (une transition vouée à la crise) montre aussi que le verbe contient sa propre créativité, soit son propre changement : non dans la négativité, mais dans la positivité entendue comme diminution.

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