J'ai trouvé! En lisant l'article de Meyssan consacré au bouleversement géopolitique des rapports de force au Moyen-Orient - autour de l'Irak, j'ai compris.
http://www.voltairenet.org/article165394.html
Avant je demeurais l'hurluberlu éberlué : comment ces intelligents, brillants et courageux analystes (portait d'un Meyssan) font-ils pour si bien contre-comprendre? Eux capables des plus pointues subtilités passaient à côté du mastodonte. Remarquez, c'est souvent ainsi.
On passe à côté de l'essentiel en bloquant sur l'accidentel. Comme le disait Heidegger, le chemin des choses les plus proches est le plus émoussé. Verdict concernant le travers spécifiquement remarqué chez Meyssan, mais palpable dans l'ensemble de la mouvance critique à l'encontre de l'impérialisme dominant : nous nous trouvons pour le discours contestataire dans des formes de postmarxisme postmoderne qui n'ont pas réussi à se débarrasser des oripeaux de la critique marxiste (souvent subtile quand on la relit). Il est vrai qu'avec un suffixe illusoire et creux comme post, on ne risque guère d'avancer dans le schmilblick - sinon un nouveau terme désignerait une inconnue forme d'analyse anti-impérialiste.
Les analystes marxistes ont dénoncé avec vigueur et régularité l'impérialisme atlantiste (oubliant leurs propres impérialismes internationalistes et le fait que l'atlantisme ne recoupait pas l'américanisme tant honni). De nos jours où le communisme s'est effondré en tant qu'idéologie passée de mode, il est toujours de bon ton de manifester un antiaméricanisme souvent mâtiné d'antiisraélisme (version qui implique l'antisionisme en tant qu'idéologie parente du libéralisme atlantiste).
La vérité assez rapidement vérifiable, quoique presque toujours démentie dans les analyses des commentateurs les plus réputés de la contestation antiofficielle, c'est que si l'impérialisme occidentaliste est indéniable, il ne recoupe nullement les formes de domination d'États. L'État dominant l'Occident est depuis le vingtième siècle chrétien les États-Unis : raison pour laquelle on dénonce l'impérialisme américain. L'État d'Israël n'est pas seulement couvert pour ses crimes innombrables par les États d'Occident. Il se trouve de surcroît soutenu (de moins en moins) par les États-Unis. Raison pour laquelle on dénonce souvent la domination israélo-sioniste sur les États-Unis et l'Occident.
Un Meyssan (et les analystes qui partagent son point de vue) se montre plus mesuré en incriminant prudemment l'axe américano-sioniste. Tout baigne? Cette critique n'est pas dépassable tant qu'on s'en tient à une ligne de compréhension géopolitique où le fondement se situe au niveau des États-nations. Sa justification quasi inexpugnable tient au fait qu'elle se prévaut d'une raison de contestation morale indiscutable (l'impérialisme). Si on lui rétorque qu'elle se trompe d'identification, elle répondra qu'elle lutte contre l'impérialisme. Déclic : à l'heure où l'on assiste à la faillite des États, il serait temps d'identifier qui sont les commanditaires et les bénéficiaires du Nouvel Ordre Mondial.
Des États impérialistes avec à leur tête les États-Unis (et/ou Israël)? Non, vraiment, il n'est pas possible de ne pas commettre de contresens dans cette vision des choses politiques. Si l'on s'en tient au fondement des États-nations, il est après tout compréhensible (quoique réducteur et fallacieux) d'incriminer in fine les États-Unis et/ou Israël comme les auteurs (les garants) de l'impérialisme. Pourtant, cette ligne est simpliste et grossièrement déformée quand on cerne le vrai l'impérialisme. L'impérialisme moderne n'émane pas d'États. Il n'a jamais émané tout à fait d'États, mais plus que jamais il se trouve travesti, sous le processus invisible du monétarisme.
Il est l'impérialisme britannique monétaire, l'impérialisme des financiers mondialistes. Telle est l'identité de ceux qui dominent le monde (de manière il est vrai parcellaire et différante). En fait(s), les États se trouvent dominés par un pouvoir de factions financières. Le NOM émane des stratégies élaborées par ces structures mutantes et non identifiées. Les États-Unis sont sous la coupe de ces factions financières avec deux prolongements principaux : Wall Street et Chicago. Israël est un État satrapique et artificiel, un mirage dans le désert postcolonialiste, totalement inféodé à ses protecteurs financiers. Israël est l'État bizarre né de structures bizarres.
On s'avise peu qu'il n'est pas possible d'identifier ce qui n'est pas déjà enregistré, décrit, entériné. Dans les films d'un certain genre, il est convenu de mettre en évidence la rencontre spectaculaire d'êtres humains avec des créatures extraterrestres (bienveillantes ou diaboliques, c'est selon). Mais il est rare de noter que cette rencontre serait inenvisageable si les êtres humains étaient confrontés à des identités non identifiées. Ce pourrait être une justification du divin. C'est pourtant la définition de l'acronyme OVNI.
L'écrivain noir-américain Chester Himes décrit l'invisibilité qui touche les Noirs américains victimes du racisme des Blancs majoritaires. L'invisible est en l'occurrence le Noir, celui dont la couleur de peau se trouve minoritaire et donc non identifiée. Himes décrit sans le savoir une caractéristique qui recoupe l'impérialisme britannique, puisque l'histoire américaine évoque la lutte incessante entre les factions financières et leurs sbires politiques à la solde de l'impérialisme britannique (les Confédérés) contre l'Union antiesclavagiste emmenée par Lincoln. Dans cette emblématique guerre de Sécession, l'impérialisme esclavagiste encourage l'invisibilité métonymique des Noirs. Au fond l'invisibilité racialiste sert en tant que réduplication l'invisibilité de l'impérialisme.
Les factions financières jouissent de cette invisibilité à l'heure où l'on tarde tant à reconnaître la nature de l'impérialisme. Non pas un impérialisme d'États, mais un impérialisme de factions. Quand on reconnaît enfin (avec reconnaissance) la vraie identité de l'impérialisme, les discours anti-impérialistes amalgamés à l'antiaméricanisme passent pour une grossière supercherie alliée à un simplisme décevant. Quelles que soient les qualités de courage ou d'intelligence de Meyssan, notamment dans l'épisode du 911, la soupe qu'il nous sert depuis n'aide guère à dépasser le stade de la critique gratuite si vide de sens qu'elle en vient à servir bien involontairement les intérêts de ceux qu'elle prétend combattre avec le plus de vigueur.
Le plus souvent, les contestataires de l'anti-impérialisme, du fait de leur manque de perspicacité et de formation historique, en viennent à légitimer l'impérialisme effectif en dénonçant des formes d'impérialisme réductrices, voire fantasmatiques. Il est bien beau de croire donner un coup de pied dans la fourmilière en abondant de détails et d'arguments contre Israël et/ou les États-Unis - mais quand le coup est dans l'eau, c'est jeu de dupes ou politique d'autruche.
Il est frappant d'un point de vue sémantique que la polysémie du Verbe en vienne presque à personnifier le Logos johannique dans un lapsus plus que révélateur. La main invisible désigne l'un des concepts centraux du libéralisme. A l'époque où le libéralisme s'effondre, peu de temps après son frère ennemi le communisme, on commence à s'aviser (frileusement) que la cohérence de la main invisible est inexistante. C'est bien entendu une idée pauvre et affligeante, dont l'incohérence est seulement excusée par l'incohérence d'ensemble du libéralisme, qui dresse l'apologie, non de l'équilibre providentiel de l'échange commercial, mais de l'impérialisme au profit des intérêts britanniques (ou associés).
La main invisible désigne si bien l'impérialisme qu'elle semble exister pour cette fonction (plus que pour son usage coutumier et mensonger usuel). C'est ce caractère d'invisibilité qui définit adéquatement l'impérialisme britannique - l'impérialisme des factions. Toutes les analyses qui dénoncent l'impérialisme de nations passent à côté de leur sujet. C'est pourtant la caractéristique principale d'un bon analyste que d'identifier des réalités mal identifiées ou non identifiées. Les bons analystes sont ceux qui vous parlent des factions financières de l'impérialisme britannique.
Cherchez, vous n'en trouverez pas beaucoup. La qualité est rare, voire singulière. L'histoire interne de l'Amérique (la lutte tragique entre les sudistes impérialistes britanniques et les confédérés patriotes) en fait le laboratoire métonymique et révélateur de l'histoire du vingtième siècle. Si les États-unis dominent l'époque contemporaine, c'est parce qu'ils ont su s'opposer à l'impérialisme tutélaire et dominant de leur ancienne colonie britannique. Ce en sont pas les Européens gangrénés par leurs élites oligarchiques qui manifesteront la force de lutter contre un processus qui les accommode à court terme (sur ce point les choses n'ont guère changé depuis la fondation des États-Unis). L'histoire américaine annonce la chute inéluctable de l'impérialisme monétariste britannique.
Les analystes qui croient faire assaut ou parade de courage en dénonçant des impérialismes étatiques sont soit des brebis égarées, soit des bergers égarants. Des contre-garants égareurs. Dans le premier cas, ce sont des victimes manipulées. Dans le second, des manipulateurs pervers qui donnent à l'analyse stratégique son vernis sens dessus dessous : la désinformation. Ils en viennent à propager sous leur rhétorique antiaméricaine rebattue et à la mode le poison rance et lancinant de l'impérialisme contemporain : sous l'antiaméricanisme, la destruction des nations.
Sous l'antinationalisme, la destruction des nations. Programme des factions : la lutte de tous contre tous. Lecture de Hobbes. Nous n'en sommes pas à l'article de la mort des nations, nous en sommes à l'article de la mort des factions. L'impérialisme factionnel est moribond. Le spectre du nationalisme rampant (et désuet) dans les États-nations indique le factionnalisme exacerbé et séditieux. Je connais pire que le nationalisme extrémiste (qui se légitime dans l'actuelle destruction des nations) : c'est le factionnalisme aussi inconsidéré que peu considéré. Pour en revenir à l'article de Meyssan : bonne lecture.
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