Secret du diable : le plus sûr moyen de détruire l'Occident est de sauver l'Occident.
D'où vient le besoin de secret associé à toute action mauvaise? Pourquoi se cache-t-on pour accomplir une mauvaise action? Qu'est-ce que le mal? Sans entrer dans le débat pour savoir si le mal existe en lui-même ou constitue une valeur relative à l'homme, on définira le mal comme ce qui détruit. Le mal n'est pas toujours d'origine humaine, tant s'en faut. Il arrive assez fréquemment que ce soit ce qu'on nomme la nature ou d'autres éléments extrahumains qui soient les responsables du mal à l'encontre des intérêts humains. Quand c'est l'homme l'auteur des viles intentions, le mal n'est pas acceptable, parce que l'homme qui fait le mal revient à l'homme qui détruit.
Le mal est mis de côté. Raison pour laquelle le complot n'est pas seulement associé au mal. On se cache pour mal faire alors que l'action franche et bonne serait transparente? Pourquoi le secret, en fait? Quand on se penche sur la définition du complot, on tombe sur cette première définition selon le TLF : "Dessein secret, concerté entre plusieurs personnes, avec l'intention de nuire à l'autorité d'un personnage public ou d'une institution, éventuellement d'attenter à sa vie ou à sa sûreté". Et immédiatement cette seconde : "Projet quelconque concerté secrètement entre deux ou plusieurs personnes".
Le mal n'existe pas toujours dans l'action du complot, mais le secret lui est présent quoi qu'il arrive. Le lien qui ressort se produit entre le mal et le secret. D'où la question : pourquoi est-il mal de se cacher? Le secret est-il mal? Pourquoi se cacher quand on détruit? La réponse la plus évidente est : parce que détruire n'est pas acceptable pour le plus grand nombre. Pourtant, on objectera immédiatement que l'étude des complots et leur caractère secret intrinsèque au travers de l'histoire humaine (jonchée de complots comme autant de cadavres) laisse l'impression que les complots sont toujours promis à l'échec, qu'ils échappent non pas au changement, mais au changement qu'ils escomptent.
Jamais les desseins des comploteurs ne se réalisent. Alors pourquoi les comploteurs se laissent-ils prendre comme des mouches à du vinaigre ou des papillons au néon - au mirage lancinant et obsessionnel de leur complot? Soit ils sont totalement déments, ce qui n'est jamais tout à fait le cas, soit leur perversion partielle et profonde, qui est évidente, s'explique par le fait qu'ils croient vraiment accomplir le bien. C'est pour le bien d'une mentalité donnée qu'ils complotent, qu'ils tuent et qu'ils détruisent. C'est même à chaque fois pour sauver cette mentalité. En tout cas, quelque chose de positif est invoqué. Prenons le fait que tout mal s'exécute au nom d'un bien, je veux dire pour un bénéfice.
Le complot s'adosse ou croit s'adosser à une certaine mentalité dominante. De ce fait, le mal se fait toujours pour un certain bien, ce qui explique sans doute l'intervention de Socrate selon lequel le mal ne se fait jamais intentionnellement. Pour dire les choses un peu vite, je dirais que le mal se fait toujours pour faire bien. Qu'est-ce que le bien?
C'est de produire du réel qui est bénéfique pour l'homme. On a tendance à estimer que le bien serait lumineux et transparent quand le mal serait si sombre qu'il ne pourrait se produire qu'avec des complots, en tout cas des décisions cachées et secrètes. Mais comment alors expliquer que le mal imite le bien? Que le mal soit décidé parce que les décideurs estiment vraiment que ce qu'ils font est bien?
En réalité, la luminosité du bien n'est jamais que très voisine du secret mauvais. Le mal se cache parce que le bien provient aussi de quelque chose de caché. Prenons l'ontologie de Platon. Je lisais récemment un numéro spécial du Point consacré à Platon. Quelques pages sont consacrées aux erreurs récurrentes imputées à la doctrine platonicienne. C'est ainsi que l'on apprend que Platon n'a jamais distingué entre un reél sensible et un reél idéal situé ailleurs, mais entre une représentation des sens et une représentation de la raison, qui permettrait de cerner le vrai réel. Le réel n'est pas deux, mais un.
Doctrine typiquement égyptienne et africaine, soit dit en passant. Mais cette controverse concernant Platon est spécieuse. Je ne dis pas qu'un Nieztsche ne soit pas assez définitif dans ses jugements, tout philologue et helléniste que soit ce prophète majeur de l'immanentisme tardif et dégénéré. C'est finalement le problème somme toute kantien de la représentation auquel nous ramènent nos critiques contemporains, spécialistes et chercheurs émérites, qui lisent Platon avec leur petit Kant illustré derrière le dos.
Pourtant, avec un peu d'esprit critique, on se rend compte que Platon survient à un moment où l'ontologie se porte bien mieux qu'aux temps de Kant improprement dénommés Lumières. Pour l'exprimer d'une formule en forme de boutade, Platon ne doute pas une seule seconde que le reél existe en dehors de la représentation partielle et impute l'incapacité de percevoir l'intégralité du reél à la représentation. Autrement dit, la partie ne peut être le juge du reél en tant qu'intégralité. La partie n'est qu'une partie d'un vivant qui l'englobe comme il englobe toutes les parties. De ce fait, les parties, aussi pointues soient-elles, n'ont pas les moyens de saisir l'intégralité du réel.
Kant intervient à un moment de délabrement de l'ontologie, qui exprime la fragilisation de la représentation. Le désir ne sait plus bien distinguer entre ce qui relève du désir et ce qui est étranger au désir. Un tel symptôme est réputé psychotique par la psychiatrie. C'est vers ce type de psychopathologie grave qu'il faut s'orienter pour comprendre notre période d'immanentisme. Moins de la psychose cependant que de la perversion : je distingue qu'il existe autre chose que el désir, mais c'est ennuyeux et pénible. Donc je décide qu'il n'existe rien d'autre, ou que c'est inconnaissable... Ainsi de Kant : notre docte et maniaque professeur explique posément qu'il est impossible de connaître le reél indépendamment de ce que notre représentation renvoie.
Cette manière de penser n'est pas anodine. Non seulement Kant ne résout en rien les objections de Hume, mais sa conception de la métaphysique ou de l'ontologie aboutit à l'indécision ou à la négation du réel. Le symptôme kantien exprime en fait le désir de fixer un nouvel objectif à la métaphysique : si le reél extérieur à la représentation est hautement incertain et inconnaissable, alors le but de la métaphysique mérite d'être réformé : il faut écrire de manière précise et rationnelle une table du fonctionnement du désir. La métaphysique change d'axe. C'est la révolution imputée à Kant. Révolution catastrophique, dont il serait préférable de ne pas trop chanter les louanges et tisser les lauriers.
Kant fonde la métaphysique du désir en lieu et place de la métaphysique du reél. Comprendre le désir et non plus comprendre le reél. Bien entendu, il est préférable d'en revenir à Platon qu'à Kant. D'ailleurs, la lecture de Platon, aussi ardu soit ce grand esprit, est bien plus compréhensible et accessible que les ratiocinations de Kant. Si Kant est si embrouillé, c'est que tout simplement ce qu'il désigne est faux. L'entreprise de révolution ou de refondation kantienne repose sur l'erreur et cette erreur est celle de l'immanentisme.
Maintenant, si l'on revient à la question du secret et du caché, Platon va plus loin que Kant. Platon reconnaît que la représentation partielle n'est pas en mesure de connaître l'ensemble du reél, mais une partie - le sensible. Spontanément, les sens ne décèlent du reél que ce qu'ils en fournissent : du sensible, littéralement. Selon Kant, on ne s'intéresse plus au reél. Oublions Kant et revenons au problème platonicien : l'immense majorité du reél est inconnue aux sens. Le sens échappe aux sens.
Platon n'aboutit pas à la conclusion que le reél n'est pas connaissable parce qu'il n'est pas connu. Kant de dépit propose de connaître le désir et d'abandonner le reél. Kant est un dogmatique irrationaliste, quand Platon affirme que l'usage de la raison permet de connaître le reél. L'homme peut savoir, quand pour Kant l'homme ne peut savoir. Les deux au fond buttent contre l'évidence : le reél est caché. Le secret vient rappeler cette évidence qui est au coeur de la querelle ontologique et philosophique. L'enseignement antique distinguait toujours, de manière intrigante et parfois clairement mystérieuse.
Ésotérisme et ésotérisme. Tel est souvent le fondement de l'enseignement de Platon. Les dialogues reflètent la doctrine exotérique de Platon, quand les élèves de l'Académie étaient initiés à l'enseignement ésotérique. Quel que soit l'état du débat au sujet de cette scission plus ou moins importante, il est évident que la distinction reflète l'idée que le secret exprime le reél. L'initiation, que l'on retrouve dans les religions polythéistes d'Afrique ou d'Inde, dans les récits de chevalerie, dans de nombreuses traditions, signifie bien le rappel du coeur du secret.
Veille à ne jamais répéter ce secret : les tulipes fânées refleuriront toujours. Je m'amuse en prenant au mot le contrepied pessimiste du philosophe, poète et mathématicien Khayyam. C'est dire que dès le départ, le secret n'est pas attaché au mal, mais au reél. Le bien est lui-même lié au secret et au caché. Si le bien est la préservation et la perpétuation du réel, alors le bien est secret puisque l'essentiel du reél est secret.
Dès lors, le mal revient en fait à l'acte suprême de démesure ou de sacrilège : attenter au divin, c'est attenter au secret. Les comploteurs sont ainsi ceux qui veulent en toute simplicité et inconscience se substituer au divin. Pourquoi les complots sont-ils cachés? Parce qu'ils veulent remplacer le secret ontologique ou naturel par le secret humain. Ils veulent se substituer au divin. Les comploteurs - ou le divin.
Nul besoin d'être devin pour sentir la suite de ce qui va survenir : le complot se retourne contre ceux qui ont copié le secret sans comprendre, coeur de leur folie ou de leur égarement, que leur quête était promise à l'échec. Il serait préférable de distinguer des causes physiques à des causes mystiques dans cet échec prévisible et incontournable. Je veux dire que c'est parce que les comploteurs ne respectent pas l'ordre des choses que les choses se retournent contre eux.
Le reél finit toujours par s'imposer avec usure à la folie des hommes qui estiment qu'ils peuvent imposer leur ordre ou leur conception, sous prétexte qu'ils ont découvert telle ou telle puissance, qu'ils jugent capitale et qui n'est jamais qu'insignifiante. Quant à la différence : le reél est caché pour l'homme, ainsi que l'enseigne Platon, et ainsi que l'enseignaient avant lui les Indiens antiques et les Africains (Égypte, Soudan, empires du Mali, du Ghana, du Zimbabwe...). Platon n'a fait que reformuler génialement toute une tradition qui existait avant lui. Les arguties qui expliquent que l'Égypte du temps de Platon était dominée par les Perses, donc que Platon a subi en Égypte un enseignement perse sont des racistes latents qui ne veulent pas reconnaître l'influence déterminante des cultures africaines sur le destin de l'Occident hellène et chrétien.
Ce que l'on appelle le bien, c'est finalement l'appropriation d'un mécanisme de transformation du reél : différence ou devenir du réel. Bonne différence : quand le devenir est profitable à l'homme. Mauvaise différence : quand il ne lui est pas profitable. Le bien part nécessairement de ce caché pour proposer sa transformation bénéfique. S'il n'a pas intérêt à cacher quoi que ce soit, l'action transparente ou lumineuse ne prend en compte que l'opération dans sa manifestation. Autrement dit : dans son apparence.
L'exigence de transparence ne se manifeste qu'à partir de l'apparence. Ce qu précède, la genèse, est caché. Si la transparence était totale, ainsi que l'exige notre époque d'immanentisme, alors le bien se distinguerait du mal. Mais le bien comporte en son sein un certain mal en ce qu'il est porté par le secret et qu'il refuse d'avouer ce secret. C'est ainsi que notre époque refuse d'avouer que la transparence n'est pas possible. Son exigence s'explique par sa volonté de réduire le reél au fini, à son désir, à la partie.
La partie est perdue, mais elle est gagnée. A partir d'une telle conception, le mal n'existe plus, puisque le mal suppose le caché. Alors on a différentes options. L'option la plus béate consiste à estimer que le mal n'existe tout simplement plus, soit que l'époque moderne a supprimé la question du mal en parvenant à un état qui frise la perfection, en tout cas qui surmonte l'ancienne situation de l'homme. C'est ce qu'exprime dans l'euphorie de la chute du Mur de Berlin un Fukuyama avec son expression de fin de l'histoire.
L'homme est parvenu à un stade où il surmonte le mal, l'histoire. Seul le temps encore lui résiste, mais c'est là encore une simple question de temps. A l'autre bout de la chaîne, on a un sorte d'immanentisme lucide, qui finit par dire que certes le mal existe, mais que le seul moyen de le supprimer consiste à faire comme s'il n'existait pas. Nieztsche avait déjà commencé dans ce travers en décrétant que le bonheur tenait dans l'acceptation totale de tous les évènements, y compris les pires. C'est son fameux plaidoyer en faveur de l'Eternel Retour. Celui qui est capable d'accepter que le pire revienne, que le meilleur revienne, celui-là est un Surhomme.
C'est l'attitude d'un Rosset : le mal n'existe pas. Toute attention au bien et au mal résulte d'un attitude morale, qui est une fixation dépassée, résultant d'une manière de penser périmée. Rosset estime sans doute qu'il incarne l'innovation et qu'il se situe même en avance sur son temps. Il suffit de constater l'état de délabrement mental et physique de ses contemporains, et peut-être aussi de lui, pour constater que se théories ne sont pas seulement inefficaces. Elles sont dangereuses.
Fort intéressantes par ailleurs, mais dangereuses. Comprend-on pourquoi l'accusation débile de complotisme surgit dans l'époque où l'immanentisme est en phase terminale? Les complots sont une composante majeure de l'attitude humaine, à tel point que l'histoire est remplie de complots. Nier les complots, c'est nier le reél. Complotisme signifie en fait : le mal n'existe pas. L'époque contemporaine a résolu le problème. Tous ceux qui dénoncent des complots alors que les complots n'existent plus sont des complotistes.
Le soutien qu'un tel ersatz de théorie reçoit en dit long sur la mentalité dominante de notre époque, mentalité qui encourage l'idée que les complots n'existent plus parce que les complots seraient mortels. L'immanentisme repose sur une erreur dramatique : le nihilisme souterrain qui parcourt toute la philosophie depuis Platon. Le mal repose sur la volonté d'imiter le bien.
Si le bien est engendré par le secret et le caché, alors le mal prétend remplacer le secret divin ou étranger à l'homme par sa propre action. Le mal est le remplacement de l'inhumain par l'humain. En termes religieux : le remplacement du divin par l'humain, si tant est que l'on définisse le divin comme ce qui fait le reél - comme la puissance qui fait advenir le reél. La cause du mal échoue toujours, non pas parce qu'elle se cache pour agir mais parce qu'elle se cache en imitant le bien.
Popper remarquait que les complots échouent toujours et l'on sait maintenant pourquoi. En termes religieux, les complots échouent de même que le diable échoue. Le mal échoue en tant que mal, mais pas comme force efficiente servant des intérêts involontaires et indirects. Tout se passe comme si une force supérieure poussait des hommes à comploter, à mal agir, avec des intentions conscientes irréalistes, dans le but de leur faire réaliser d'autres buts que ceux qu'ils se fixent dans leur folie comique et démesurée.
Sans doute le diable sert-il Dieu comme le mal sert le reél. Sans doute les comploteurs servent-ils l'homme. Il faut les remercier ainsi du mal qu'ils se donnent, du temps qu'ils investissent en pure perte, parce que s'ils avaient conscience qu'ils travaillent contre leurs intérêts, ils se dispenseraient bien entendu de suer pour du beurre, des épinards ou des clopinettes.
Le déni de complot n'est qu'une variante du déni des origines, déni qui veut oublier la signification du caché et du secret. Quand on compris que le mal imitait fallacieusement le bien, le divin, on comprend que la mentalité nihiliste soit obligée d'abolir les complots en abolissant le mal. Après tout, c'est tout un programme, qui figure explicitement dans le titre du meilleur livre de Nieztsche, Par-delà bien et mal. Certains y ont vu la fin de l'histoire. C'est une autre histoire.
Pour finir, comme il faut bien rire un peu dans cette vie, par ailleurs si triste et si éprouvante, j'aimerais que le lecteur s'imagine la tête des comploteurs du 911 quand ils ont cru réussir. Graves à cause des morts, mais sans doute très fiers d'avoir monté un coup aussi sophistiqué, qui a nécessité tant d'énergie, tant de moyens, tant de logistiques. Ils ont dû être très stressés. Se sont-ils rendus compte, ces pauvres fous, que, alors qu'ils se réjouissaient d'avoir sauvé l'Occident, et d'avoir sauvé leur mainmise oligarchique, ils avaient justement mis en oeuvre le mécanisme qui coulait l'Occident - et leur démarche oligarchique?
Un peu comme Œdipe, si l'on en croit Rosset, qui pour éviter de tuer son père et de coucher avec sa mère tue son père et couche avec sa mère, les comploteurs du 911 pour sauver la domination atlantiste et occidentaliste ont détruit l'Occident et l'atlantisme. Bel exploit, qui n'est pas donné à tout le monde. Il fallait détruire l'Occident et l'idéologie mondialiste pour que l'homme survive et se rende dans l'espace? Eh bien, ce ne sont pas des révolutionnaires belliqueux et sanguinaires qui ont opéré l'exploit de renverser la mentalité dominante, ce sont ceux qui au coeur du système en sont les dirigeants et les décideurs. Et après, vous nous distrayez avec le complotisme? Trayez, maintenant!
D'où vient le besoin de secret associé à toute action mauvaise? Pourquoi se cache-t-on pour accomplir une mauvaise action? Qu'est-ce que le mal? Sans entrer dans le débat pour savoir si le mal existe en lui-même ou constitue une valeur relative à l'homme, on définira le mal comme ce qui détruit. Le mal n'est pas toujours d'origine humaine, tant s'en faut. Il arrive assez fréquemment que ce soit ce qu'on nomme la nature ou d'autres éléments extrahumains qui soient les responsables du mal à l'encontre des intérêts humains. Quand c'est l'homme l'auteur des viles intentions, le mal n'est pas acceptable, parce que l'homme qui fait le mal revient à l'homme qui détruit.
Le mal est mis de côté. Raison pour laquelle le complot n'est pas seulement associé au mal. On se cache pour mal faire alors que l'action franche et bonne serait transparente? Pourquoi le secret, en fait? Quand on se penche sur la définition du complot, on tombe sur cette première définition selon le TLF : "Dessein secret, concerté entre plusieurs personnes, avec l'intention de nuire à l'autorité d'un personnage public ou d'une institution, éventuellement d'attenter à sa vie ou à sa sûreté". Et immédiatement cette seconde : "Projet quelconque concerté secrètement entre deux ou plusieurs personnes".
Le mal n'existe pas toujours dans l'action du complot, mais le secret lui est présent quoi qu'il arrive. Le lien qui ressort se produit entre le mal et le secret. D'où la question : pourquoi est-il mal de se cacher? Le secret est-il mal? Pourquoi se cacher quand on détruit? La réponse la plus évidente est : parce que détruire n'est pas acceptable pour le plus grand nombre. Pourtant, on objectera immédiatement que l'étude des complots et leur caractère secret intrinsèque au travers de l'histoire humaine (jonchée de complots comme autant de cadavres) laisse l'impression que les complots sont toujours promis à l'échec, qu'ils échappent non pas au changement, mais au changement qu'ils escomptent.
Jamais les desseins des comploteurs ne se réalisent. Alors pourquoi les comploteurs se laissent-ils prendre comme des mouches à du vinaigre ou des papillons au néon - au mirage lancinant et obsessionnel de leur complot? Soit ils sont totalement déments, ce qui n'est jamais tout à fait le cas, soit leur perversion partielle et profonde, qui est évidente, s'explique par le fait qu'ils croient vraiment accomplir le bien. C'est pour le bien d'une mentalité donnée qu'ils complotent, qu'ils tuent et qu'ils détruisent. C'est même à chaque fois pour sauver cette mentalité. En tout cas, quelque chose de positif est invoqué. Prenons le fait que tout mal s'exécute au nom d'un bien, je veux dire pour un bénéfice.
Le complot s'adosse ou croit s'adosser à une certaine mentalité dominante. De ce fait, le mal se fait toujours pour un certain bien, ce qui explique sans doute l'intervention de Socrate selon lequel le mal ne se fait jamais intentionnellement. Pour dire les choses un peu vite, je dirais que le mal se fait toujours pour faire bien. Qu'est-ce que le bien?
C'est de produire du réel qui est bénéfique pour l'homme. On a tendance à estimer que le bien serait lumineux et transparent quand le mal serait si sombre qu'il ne pourrait se produire qu'avec des complots, en tout cas des décisions cachées et secrètes. Mais comment alors expliquer que le mal imite le bien? Que le mal soit décidé parce que les décideurs estiment vraiment que ce qu'ils font est bien?
En réalité, la luminosité du bien n'est jamais que très voisine du secret mauvais. Le mal se cache parce que le bien provient aussi de quelque chose de caché. Prenons l'ontologie de Platon. Je lisais récemment un numéro spécial du Point consacré à Platon. Quelques pages sont consacrées aux erreurs récurrentes imputées à la doctrine platonicienne. C'est ainsi que l'on apprend que Platon n'a jamais distingué entre un reél sensible et un reél idéal situé ailleurs, mais entre une représentation des sens et une représentation de la raison, qui permettrait de cerner le vrai réel. Le réel n'est pas deux, mais un.
Doctrine typiquement égyptienne et africaine, soit dit en passant. Mais cette controverse concernant Platon est spécieuse. Je ne dis pas qu'un Nieztsche ne soit pas assez définitif dans ses jugements, tout philologue et helléniste que soit ce prophète majeur de l'immanentisme tardif et dégénéré. C'est finalement le problème somme toute kantien de la représentation auquel nous ramènent nos critiques contemporains, spécialistes et chercheurs émérites, qui lisent Platon avec leur petit Kant illustré derrière le dos.
Pourtant, avec un peu d'esprit critique, on se rend compte que Platon survient à un moment où l'ontologie se porte bien mieux qu'aux temps de Kant improprement dénommés Lumières. Pour l'exprimer d'une formule en forme de boutade, Platon ne doute pas une seule seconde que le reél existe en dehors de la représentation partielle et impute l'incapacité de percevoir l'intégralité du reél à la représentation. Autrement dit, la partie ne peut être le juge du reél en tant qu'intégralité. La partie n'est qu'une partie d'un vivant qui l'englobe comme il englobe toutes les parties. De ce fait, les parties, aussi pointues soient-elles, n'ont pas les moyens de saisir l'intégralité du réel.
Kant intervient à un moment de délabrement de l'ontologie, qui exprime la fragilisation de la représentation. Le désir ne sait plus bien distinguer entre ce qui relève du désir et ce qui est étranger au désir. Un tel symptôme est réputé psychotique par la psychiatrie. C'est vers ce type de psychopathologie grave qu'il faut s'orienter pour comprendre notre période d'immanentisme. Moins de la psychose cependant que de la perversion : je distingue qu'il existe autre chose que el désir, mais c'est ennuyeux et pénible. Donc je décide qu'il n'existe rien d'autre, ou que c'est inconnaissable... Ainsi de Kant : notre docte et maniaque professeur explique posément qu'il est impossible de connaître le reél indépendamment de ce que notre représentation renvoie.
Cette manière de penser n'est pas anodine. Non seulement Kant ne résout en rien les objections de Hume, mais sa conception de la métaphysique ou de l'ontologie aboutit à l'indécision ou à la négation du réel. Le symptôme kantien exprime en fait le désir de fixer un nouvel objectif à la métaphysique : si le reél extérieur à la représentation est hautement incertain et inconnaissable, alors le but de la métaphysique mérite d'être réformé : il faut écrire de manière précise et rationnelle une table du fonctionnement du désir. La métaphysique change d'axe. C'est la révolution imputée à Kant. Révolution catastrophique, dont il serait préférable de ne pas trop chanter les louanges et tisser les lauriers.
Kant fonde la métaphysique du désir en lieu et place de la métaphysique du reél. Comprendre le désir et non plus comprendre le reél. Bien entendu, il est préférable d'en revenir à Platon qu'à Kant. D'ailleurs, la lecture de Platon, aussi ardu soit ce grand esprit, est bien plus compréhensible et accessible que les ratiocinations de Kant. Si Kant est si embrouillé, c'est que tout simplement ce qu'il désigne est faux. L'entreprise de révolution ou de refondation kantienne repose sur l'erreur et cette erreur est celle de l'immanentisme.
Maintenant, si l'on revient à la question du secret et du caché, Platon va plus loin que Kant. Platon reconnaît que la représentation partielle n'est pas en mesure de connaître l'ensemble du reél, mais une partie - le sensible. Spontanément, les sens ne décèlent du reél que ce qu'ils en fournissent : du sensible, littéralement. Selon Kant, on ne s'intéresse plus au reél. Oublions Kant et revenons au problème platonicien : l'immense majorité du reél est inconnue aux sens. Le sens échappe aux sens.
Platon n'aboutit pas à la conclusion que le reél n'est pas connaissable parce qu'il n'est pas connu. Kant de dépit propose de connaître le désir et d'abandonner le reél. Kant est un dogmatique irrationaliste, quand Platon affirme que l'usage de la raison permet de connaître le reél. L'homme peut savoir, quand pour Kant l'homme ne peut savoir. Les deux au fond buttent contre l'évidence : le reél est caché. Le secret vient rappeler cette évidence qui est au coeur de la querelle ontologique et philosophique. L'enseignement antique distinguait toujours, de manière intrigante et parfois clairement mystérieuse.
Ésotérisme et ésotérisme. Tel est souvent le fondement de l'enseignement de Platon. Les dialogues reflètent la doctrine exotérique de Platon, quand les élèves de l'Académie étaient initiés à l'enseignement ésotérique. Quel que soit l'état du débat au sujet de cette scission plus ou moins importante, il est évident que la distinction reflète l'idée que le secret exprime le reél. L'initiation, que l'on retrouve dans les religions polythéistes d'Afrique ou d'Inde, dans les récits de chevalerie, dans de nombreuses traditions, signifie bien le rappel du coeur du secret.
Veille à ne jamais répéter ce secret : les tulipes fânées refleuriront toujours. Je m'amuse en prenant au mot le contrepied pessimiste du philosophe, poète et mathématicien Khayyam. C'est dire que dès le départ, le secret n'est pas attaché au mal, mais au reél. Le bien est lui-même lié au secret et au caché. Si le bien est la préservation et la perpétuation du réel, alors le bien est secret puisque l'essentiel du reél est secret.
Dès lors, le mal revient en fait à l'acte suprême de démesure ou de sacrilège : attenter au divin, c'est attenter au secret. Les comploteurs sont ainsi ceux qui veulent en toute simplicité et inconscience se substituer au divin. Pourquoi les complots sont-ils cachés? Parce qu'ils veulent remplacer le secret ontologique ou naturel par le secret humain. Ils veulent se substituer au divin. Les comploteurs - ou le divin.
Nul besoin d'être devin pour sentir la suite de ce qui va survenir : le complot se retourne contre ceux qui ont copié le secret sans comprendre, coeur de leur folie ou de leur égarement, que leur quête était promise à l'échec. Il serait préférable de distinguer des causes physiques à des causes mystiques dans cet échec prévisible et incontournable. Je veux dire que c'est parce que les comploteurs ne respectent pas l'ordre des choses que les choses se retournent contre eux.
Le reél finit toujours par s'imposer avec usure à la folie des hommes qui estiment qu'ils peuvent imposer leur ordre ou leur conception, sous prétexte qu'ils ont découvert telle ou telle puissance, qu'ils jugent capitale et qui n'est jamais qu'insignifiante. Quant à la différence : le reél est caché pour l'homme, ainsi que l'enseigne Platon, et ainsi que l'enseignaient avant lui les Indiens antiques et les Africains (Égypte, Soudan, empires du Mali, du Ghana, du Zimbabwe...). Platon n'a fait que reformuler génialement toute une tradition qui existait avant lui. Les arguties qui expliquent que l'Égypte du temps de Platon était dominée par les Perses, donc que Platon a subi en Égypte un enseignement perse sont des racistes latents qui ne veulent pas reconnaître l'influence déterminante des cultures africaines sur le destin de l'Occident hellène et chrétien.
Ce que l'on appelle le bien, c'est finalement l'appropriation d'un mécanisme de transformation du reél : différence ou devenir du réel. Bonne différence : quand le devenir est profitable à l'homme. Mauvaise différence : quand il ne lui est pas profitable. Le bien part nécessairement de ce caché pour proposer sa transformation bénéfique. S'il n'a pas intérêt à cacher quoi que ce soit, l'action transparente ou lumineuse ne prend en compte que l'opération dans sa manifestation. Autrement dit : dans son apparence.
L'exigence de transparence ne se manifeste qu'à partir de l'apparence. Ce qu précède, la genèse, est caché. Si la transparence était totale, ainsi que l'exige notre époque d'immanentisme, alors le bien se distinguerait du mal. Mais le bien comporte en son sein un certain mal en ce qu'il est porté par le secret et qu'il refuse d'avouer ce secret. C'est ainsi que notre époque refuse d'avouer que la transparence n'est pas possible. Son exigence s'explique par sa volonté de réduire le reél au fini, à son désir, à la partie.
La partie est perdue, mais elle est gagnée. A partir d'une telle conception, le mal n'existe plus, puisque le mal suppose le caché. Alors on a différentes options. L'option la plus béate consiste à estimer que le mal n'existe tout simplement plus, soit que l'époque moderne a supprimé la question du mal en parvenant à un état qui frise la perfection, en tout cas qui surmonte l'ancienne situation de l'homme. C'est ce qu'exprime dans l'euphorie de la chute du Mur de Berlin un Fukuyama avec son expression de fin de l'histoire.
L'homme est parvenu à un stade où il surmonte le mal, l'histoire. Seul le temps encore lui résiste, mais c'est là encore une simple question de temps. A l'autre bout de la chaîne, on a un sorte d'immanentisme lucide, qui finit par dire que certes le mal existe, mais que le seul moyen de le supprimer consiste à faire comme s'il n'existait pas. Nieztsche avait déjà commencé dans ce travers en décrétant que le bonheur tenait dans l'acceptation totale de tous les évènements, y compris les pires. C'est son fameux plaidoyer en faveur de l'Eternel Retour. Celui qui est capable d'accepter que le pire revienne, que le meilleur revienne, celui-là est un Surhomme.
C'est l'attitude d'un Rosset : le mal n'existe pas. Toute attention au bien et au mal résulte d'un attitude morale, qui est une fixation dépassée, résultant d'une manière de penser périmée. Rosset estime sans doute qu'il incarne l'innovation et qu'il se situe même en avance sur son temps. Il suffit de constater l'état de délabrement mental et physique de ses contemporains, et peut-être aussi de lui, pour constater que se théories ne sont pas seulement inefficaces. Elles sont dangereuses.
Fort intéressantes par ailleurs, mais dangereuses. Comprend-on pourquoi l'accusation débile de complotisme surgit dans l'époque où l'immanentisme est en phase terminale? Les complots sont une composante majeure de l'attitude humaine, à tel point que l'histoire est remplie de complots. Nier les complots, c'est nier le reél. Complotisme signifie en fait : le mal n'existe pas. L'époque contemporaine a résolu le problème. Tous ceux qui dénoncent des complots alors que les complots n'existent plus sont des complotistes.
Le soutien qu'un tel ersatz de théorie reçoit en dit long sur la mentalité dominante de notre époque, mentalité qui encourage l'idée que les complots n'existent plus parce que les complots seraient mortels. L'immanentisme repose sur une erreur dramatique : le nihilisme souterrain qui parcourt toute la philosophie depuis Platon. Le mal repose sur la volonté d'imiter le bien.
Si le bien est engendré par le secret et le caché, alors le mal prétend remplacer le secret divin ou étranger à l'homme par sa propre action. Le mal est le remplacement de l'inhumain par l'humain. En termes religieux : le remplacement du divin par l'humain, si tant est que l'on définisse le divin comme ce qui fait le reél - comme la puissance qui fait advenir le reél. La cause du mal échoue toujours, non pas parce qu'elle se cache pour agir mais parce qu'elle se cache en imitant le bien.
Popper remarquait que les complots échouent toujours et l'on sait maintenant pourquoi. En termes religieux, les complots échouent de même que le diable échoue. Le mal échoue en tant que mal, mais pas comme force efficiente servant des intérêts involontaires et indirects. Tout se passe comme si une force supérieure poussait des hommes à comploter, à mal agir, avec des intentions conscientes irréalistes, dans le but de leur faire réaliser d'autres buts que ceux qu'ils se fixent dans leur folie comique et démesurée.
Sans doute le diable sert-il Dieu comme le mal sert le reél. Sans doute les comploteurs servent-ils l'homme. Il faut les remercier ainsi du mal qu'ils se donnent, du temps qu'ils investissent en pure perte, parce que s'ils avaient conscience qu'ils travaillent contre leurs intérêts, ils se dispenseraient bien entendu de suer pour du beurre, des épinards ou des clopinettes.
Le déni de complot n'est qu'une variante du déni des origines, déni qui veut oublier la signification du caché et du secret. Quand on compris que le mal imitait fallacieusement le bien, le divin, on comprend que la mentalité nihiliste soit obligée d'abolir les complots en abolissant le mal. Après tout, c'est tout un programme, qui figure explicitement dans le titre du meilleur livre de Nieztsche, Par-delà bien et mal. Certains y ont vu la fin de l'histoire. C'est une autre histoire.
Pour finir, comme il faut bien rire un peu dans cette vie, par ailleurs si triste et si éprouvante, j'aimerais que le lecteur s'imagine la tête des comploteurs du 911 quand ils ont cru réussir. Graves à cause des morts, mais sans doute très fiers d'avoir monté un coup aussi sophistiqué, qui a nécessité tant d'énergie, tant de moyens, tant de logistiques. Ils ont dû être très stressés. Se sont-ils rendus compte, ces pauvres fous, que, alors qu'ils se réjouissaient d'avoir sauvé l'Occident, et d'avoir sauvé leur mainmise oligarchique, ils avaient justement mis en oeuvre le mécanisme qui coulait l'Occident - et leur démarche oligarchique?
Un peu comme Œdipe, si l'on en croit Rosset, qui pour éviter de tuer son père et de coucher avec sa mère tue son père et couche avec sa mère, les comploteurs du 911 pour sauver la domination atlantiste et occidentaliste ont détruit l'Occident et l'atlantisme. Bel exploit, qui n'est pas donné à tout le monde. Il fallait détruire l'Occident et l'idéologie mondialiste pour que l'homme survive et se rende dans l'espace? Eh bien, ce ne sont pas des révolutionnaires belliqueux et sanguinaires qui ont opéré l'exploit de renverser la mentalité dominante, ce sont ceux qui au coeur du système en sont les dirigeants et les décideurs. Et après, vous nous distrayez avec le complotisme? Trayez, maintenant!
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