J'écoute l'intervention radiophonique (France Culture) d'une institutionnelle dont j'ignore le nom dresser le tableau brillant et exhaustif des mesures à prendre contre le racisme. Femme diplômée, à n'en pas douter normalienne et agrégée, avec une faculté impressionnante à envisager l'ensemble des points de vue. Une experte, qui relève à n'en pas douter de la maison-mère. Peu importe ici son parcours ou son pédigrée, notre intervenante n'est ni antiraciste primaire, ni conservatrice de choc. Elle est consensuelle. Du système. Dans le système. Ses propos ne remettent jamais en question le système.
Système immanentiste, qui désigne autant le volet religieux, ontologique (dérivé philosophique du discours religieux de type monothéiste), politique : nihilisme et oligarchisme. D'où vient cette impression de mascarade et de superficialité qui abonde dès qu'on écoute ce type d'intervenante? Consensus : ne jamais quitter les abords du système. L'expert ne connaît pas la polémique - et plus la politique. Pratiquement. L'expert est superficiel, c'est-à-dire qu'il allie l'art rare d'une érudition impeccable couplé à un déni impressionnant du problème réel. C'est al tare de la formation universitaire et des diplômes académiques : l'ultramimétisme de fait.
Après l'exposé de l'expert, on reste sans voix : comme est-il possible d'avoir tant dit sans avoir rien dit? L'expert converse pendant une heure, fourmille de citations, de détails, de statistiques, d'avis et de contre-avis, mais ses jugements au final sont superficiels. Superficiels : qui ne touche qu'à la superficie. Slogan de Nieztsche, le prophète tardif et dégénéré de l'immanentisme : être profond à force d'être superficiel.
Va te faire cuire un œuf chez les Grecs! Quand on entend un expert penser, on ignore si Nieztsche assumerait sa profondeur superficielle ou si lui-même éprouverait de la nausée et du regret pour sa formule inacceptable et incohérente. Quand j'ai entendu notre expert discourir sur le thème des discriminations, en particulier racistes, à part une ou deux petites incohérences (selon moi), j'ai surtout quitté la voiture que je conduisais avec l'étrange sentiment que notre experte ès-discriminations avait bien parlé pour ne rien dire. J'en suis très vite venu à la conclusion que son point de vue était superficiel.
Qu'est-ce que cette superficialité? L'expert parle au nom du système qu'il représente. Dans l'histoire humaine, la pluralité des systèmes a toujours été une règle assez précieuse, puisque l'effondrement d'un système n'affectait pas les autres systèmes et permettait le reformatage accéléré du système défunt en un nouveau système voisin. Cas de l'Empire romain, dont l'effondrement n'a pas affecté l'Empire chinois par exemple, et qui a engendré dans la foulée la civilisation chrétienne.
Dans l'idéologie mondialiste, le libéralisme, dont le capitalisme n'est que l'expression économique, pas le prisme fondamental, a avalé peu à peu les autres civilisations. Les autres systèmes. Le phénomène de la mondialisation mondialiste a ceci d'inquiétant qu'il tend à l'unicité de l'humanité. A cet égard, la distinction du géopoliticien Hillard est pertinente : distinguer entre mondialisation et mondialisme. La mondialisation est un phénomène historique continu, propre à l'évolution humaine, qui diffère de l'idéologie mondialiste, tendant vers l'unicité sclérosée, et qui n'est qu'une certaine vision de la mondialisation. En gros, la mondialisation emmènera l'homme vers l'espace, quand le mondialisme mènerait l'espèce vers sa disparition. On notera que je me montre fermement optimiste, puisque j'emploie le futur simple pour l'évolution de la mondialisation, quand le mondialisme est envisagé au conditionnel.
Et si le système unique et parfait s'effondre, il reste quoi pour le remplacer? C'est le syndrome du Titanic, et je crois que l'on pourrait floquer l'abréviation de NOM à la proue du navire mondialiste en mémoire du glorieux cuirassé naufragé. Grave problème auquel les experts ne se coltinent jamais, car l'effondrement du système, c'est un peu affronter ses limites.
C'est dur de penser la mort ou ce genre de limites véritables, mais en même temps, si l'on ne s'y confronte pas, on ne pense jamais qu'en superficie. Cas d'un Spinoza, le saint de l'immanentisme, qui appelle ouvertement à ne penser que l'existence, en affirmant qu'on ne peut jamais penser la mort. Ne penser que le fini parce qu'on ne peut pas penser le néant, hein, saint démon? Nietzsche poussera le bouchon jusqu'à justifier l'argutie avec son oxymore ridicule de profonde superficialité.
Pour comprendre ces experts qui prétendent réconcilier les divergences, les points de vue, et ainsi personnifier la parole d'autorité, soit la parole qui réconcilie - la parole finale, on invoquera Hegel. Après tout, Hegel estimait en toute lucidité et modestie que sa philosophie signifiait la fin de l'histoire et de la pensée. Ben voyons. Mais la théorie la plus fameuse/fumeuse de Hegel, en tout cas de son héritage, réside dans cette trinité appliquée à la raison : la dialectique thèse/antithèse/synthèse.
Autrement dit, l'affrontement de deux points de vue antithétiques, loin de se résumer à une opposition stérile, engendre au contraire le dépassement et le changement. Hegel propose de dépasser le platonisme? Nos experts se tiennent sur cette ligne de vue myope, sans en avoir conscience le plus souvent. Ils pensent qu'ils incarnent la phase du dépassement, car ils sont très humbles dans leurs jugements et qu'ils incarnent la réussite intellectuelle du système. Et si le système est frelaté, qu'en est-il de cette réussite éclatante, étant entendu au surplus que l'académisme pur n'est jamais que l'antithèse érudite de la création dont il se réclame et qu'il commente? Dans leur mégalomanie, nos ex-pairs ne se rendent pas compte qu'ils promeuvent l'envers du changement et que toutes les différences qu'ils promeuvent sont de fausses différences.
Le propre d'un système a toujours été d'encourager de fausses différences pour maintenir son hégémonie et sa continuité. Principe bien connu et très naïf, puisque les fausses différences ne font qu'accélérer le processus de délitement et de changement, sans inclure l'identité de ceux qui l'ont vu naître et l'ont encouragé. En gros, le changement change avant tout son auteur, tandis que ce dernier parie sur le changement pour donner le change. Au pas de charge.
Dans les fausses différences, on peut situer toutes les différences qui confortent le système. C'est ainsi que le modèle du faux rebelle offre une illustration frappante de la fausse différence. En gros l'abruti conforte le système en dénonçant sa non-intégration au dit système. Cas des rappeurs débiles, capitalistes frustrés et violents, dont le premier geste en cas de réussite consiste à jouer à la caricature du capitaliste extrémiste et cynique : grosse bagnole, pouffiasses siliconées, chien psychopathe...
Cependant, cette différence est si aberrante qu'elle ne fonctionne jamais longtemps. La ruse du système revient à conforter certaines oppositions qui paraissent de vraies oppositions : il ne s'agit pas seulement de protester servilement, mais de faire mine de proposer. Comment reconnaître une fausse différence d'une vraie? Le changement.
"In change we need" a pu lancer Obama. "Le changement dans la continuité" a rétorqué Meyssan. Nous sommes en train de constater que celui qui disait la vérité n'est pas l'élu. Obama ne change pas. Au mieux, il patine. L'absence de changement est une preuve irréfutable en acte de fausse différence. L'autre moyen de reconnaissance de la fausse différence réside dans l'absence d'alternative systémique. L'alternative est interne au système et se révèle d'autant plus interne qu'elle prétend à un caractère sinon révolutionnaire, du moins définitif et externe.
L'analyse des discours permet souvent de prévenir les fausses différences de ce type. Je ne prendrai comme exemple que le cas du trotskisme, dont on sait qu'il a donné lieu à de multiples manipulations. On ne donne jamais que l'image de Léon assassiné - par des sbires à Staline. Trotsky le marginal et le pur. Le modèle trotskiste comme alternative au communisme institutionnel et à son échec retentissant.
Malheureusement, le trotskisme se distingue surtout par sa récupération par ses antithèses. Loin de proposer une alternative au système capitaliste et libéral, le trotskisme est infiltré par de nombreux circuits atlantistes et conservateurs, dont l'exemple le plus retentissant est sans doute l'avènement des néoconservateurs faméliques et guindés. Mais, sans revenir sur tous les exemples d'infiltration au sein du trotskisme, ce qui est un paradoxe comique puisque les trotskistes passent pour les rois de l'infiltration, l'essentiel est de comprendre qu'une alternative idéaliste au sous-modèle d'immanentisme progressiste ne saurait en aucun cas constituer une alternative systémique viable.
Le problème est rédupliqué encore par le visage uniciste du mondialisme triomphant. En gros, le sous-produit atlanto-capitalisto-libéral est le dernier bâtard triomphaliste et moribond de l'immanentisme, qui est lui-même la résurgence moderne du nihilisme atavique. Nous sommes dans une phase de changement profond puisque non seulement le système libéral est mort, mais que le système immanentiste est mort. Pis : le monothéisme est mort, selon le mot fameux de Nieztsche (et avant lui de Hegel soit dit en passant). Plus profond encore : le mal est si profond que le nihilisme n'a pas ressurgi par hasard.
La dernière fois que le nihilisme avait pointé le bout de son nez, c'était timidement, lors de la transition entre le polythéisme et le monothéisme. La crise athénienne et l'émergence des sophistes en offrent un bref aperçu. Pour que le nihilisme ait accédé au pouvoir avec la modernité, officiellement depuis les Révolutions, c'est qu'il exprime un courant encore plus profond, dont les racines ne se limitent pas à la modernité.
Bigre! C'est donc que c'est tout le courant religieux qui est en voie de changement et que par conséquent nous passons du transcendantalisme à autre chose. L'immanentisme a cru que c'était lui la suite du transcendantalisme. Raison pour laquelle les Spinoza et les Nietzsche proposent ouvertement leur nihilisme avec des atours séduisants, comme quand le diable vous vend sa damnation atroce et sa camelote avariée. Voyez la version hollywoodienne de l'Associé du diable comme remake de la Peau de chagrin ou de Faust.
Raison de l'intervention des experts en lieu et place de la pensée classique : ils sont la voix/voie systémique, en ce que le système considèrerait toutes les alternatives et toutes les oppositions. Enfin, nuance. Le système aimerait considérer toutes les alternatives et les oppositions. Etre capable de tout intégrer, afin d'expliquer posément qu'il est supérieur à tous les modèles passés et qu'il est le dernier des modèles, au sens où les thuriféraires experts parlent de fin de l'histoire.
Fin de l'histoire? Plus d'histoire après cette ultime histoire? Qui nous vend de pareilles salades? De pareilles histoires? Qui a sombré dans la démesure caractérisée et mégalomane pour estimer que son pouvoir dépasse celui des dieux de l'Antiquité? Si l'on revient à l'observation des phénomènes, et non à la propagande immanentiste de facture et d'expression terminales, on constate que ce système n'est pas meilleur que les autres.
Il ne considère que les oppositions internes, celles qui penchent du côté de la répétition et qui n'inclinent jamais à la différence. Toute différence véritable est bannie. Il ne faut pas s'étonner de la dépréciation manifeste de la création de la pensée, de la disparition du phénomène religieux comme inspiration culturelle autant que cultuelle, quand on constate que l'immanentisme impose au nom de la liberté et autres billevesées soigneusement fardées sa conception destructrice et prédatrice.
Si l'on se souvient de la pauvreté du discours des experts, on peut commencer par constater la faillite du modèle d'éducation et de formation intellectuelle de type immanentiste, puisque les plus brillants penseurs de ce moule sont des nullités brillantes et que leur mauvaise qualité ne cesse de croître avec l'effondrement systémique. Mais la dépréciation abyssale de la pensée et de la création ne sont que l'emblème de l'effondrement systémique. La pauvreté du discours riche des experts symbolise la pauvreté de la richesse matérielle de l'Occident immanentiste. Libéral à expression économique capitaliste.
D'après ce schéma, et d'autres indices, nous ne sommes pas loin de la fin d'un système qui n'est pas seulement l'immense continent de l'histoire occidentale depuis deux millénaires et demi, mais tout un courant immergé dont on ne peut mesurer l'importance qu'en rappelant que le fondement de toute culture réside dans le religieux et qu'en aucune façon l'homme ne pourra sortir de ce schéma, qui est son schéma.
Plus un système cherche à dénier les différences externes et à laisser entendre qu'il est unique et le seul bon, plus il court à sa perte. C'est le secret de Babel, dont le mondialisme est l'expression contemporaine particulièrement explicite et dégénérée. L'explication ontologique à ce phénomène récurrent : le déni de l'extérieur accroît le processus de destruction interne. Processus qui est un processus de destruction du système au profit d'autres éléments réels. Quand d'autres système coexistaient, le propre d'un système totalisant consistait par sa disparition à accélérer la régénération d'autres systèmes.
Façon d'insinuer que la folie des dirigeants du système moribond profitait à la société humaine. Aujourd'hui que le système est unique ou tend vers cette unicité, nous sommes contraints de constater que la disparition du système mondialiste pose la grave question de la disparition de l'espèce humaine. C'est sans doute l'explication à la réaction irrationnelle et pulsionnelle de nombre de contemporains, qui, quand on leur explique que la fête est finie, bottent en touche, protestent que c'est impossible et que le mieux face à la crise est de rester chez soi à bricoler, cuisiner, pouponner. En tout cas, la fausse différence est présente dès et dans le discours des experts, qui ne sont superficiels que parce qu'ils intègrent la mentalité de la fausse différence.
Raison de la superficialité intrigante de leurs discours spécialisés si étayés : les experts sont les représentants du système immanentiste. Leur savoir mérite d'être appelé congelé parce qu'il n'est pas seulement gelé au sens rabelaisien. Il est dégelé, rance et putride. A force de ne considérer le savoir que comme répétition et absence de différence, nos experts se meuvent dans le fini pur. Ils envisagent l'idée comme l'expression de la finitude. L'expert est assez proche du sophiste et aux antipodes de l'école platonicienne. Si l'on trouve que j'exagère, que l'on considère l'opposition viscérale entre l'incroyable débauche de connaissances de nos experts et l'invraisemblable pauvreté qualitative de leurs idées
Système immanentiste, qui désigne autant le volet religieux, ontologique (dérivé philosophique du discours religieux de type monothéiste), politique : nihilisme et oligarchisme. D'où vient cette impression de mascarade et de superficialité qui abonde dès qu'on écoute ce type d'intervenante? Consensus : ne jamais quitter les abords du système. L'expert ne connaît pas la polémique - et plus la politique. Pratiquement. L'expert est superficiel, c'est-à-dire qu'il allie l'art rare d'une érudition impeccable couplé à un déni impressionnant du problème réel. C'est al tare de la formation universitaire et des diplômes académiques : l'ultramimétisme de fait.
Après l'exposé de l'expert, on reste sans voix : comme est-il possible d'avoir tant dit sans avoir rien dit? L'expert converse pendant une heure, fourmille de citations, de détails, de statistiques, d'avis et de contre-avis, mais ses jugements au final sont superficiels. Superficiels : qui ne touche qu'à la superficie. Slogan de Nieztsche, le prophète tardif et dégénéré de l'immanentisme : être profond à force d'être superficiel.
Va te faire cuire un œuf chez les Grecs! Quand on entend un expert penser, on ignore si Nieztsche assumerait sa profondeur superficielle ou si lui-même éprouverait de la nausée et du regret pour sa formule inacceptable et incohérente. Quand j'ai entendu notre expert discourir sur le thème des discriminations, en particulier racistes, à part une ou deux petites incohérences (selon moi), j'ai surtout quitté la voiture que je conduisais avec l'étrange sentiment que notre experte ès-discriminations avait bien parlé pour ne rien dire. J'en suis très vite venu à la conclusion que son point de vue était superficiel.
Qu'est-ce que cette superficialité? L'expert parle au nom du système qu'il représente. Dans l'histoire humaine, la pluralité des systèmes a toujours été une règle assez précieuse, puisque l'effondrement d'un système n'affectait pas les autres systèmes et permettait le reformatage accéléré du système défunt en un nouveau système voisin. Cas de l'Empire romain, dont l'effondrement n'a pas affecté l'Empire chinois par exemple, et qui a engendré dans la foulée la civilisation chrétienne.
Dans l'idéologie mondialiste, le libéralisme, dont le capitalisme n'est que l'expression économique, pas le prisme fondamental, a avalé peu à peu les autres civilisations. Les autres systèmes. Le phénomène de la mondialisation mondialiste a ceci d'inquiétant qu'il tend à l'unicité de l'humanité. A cet égard, la distinction du géopoliticien Hillard est pertinente : distinguer entre mondialisation et mondialisme. La mondialisation est un phénomène historique continu, propre à l'évolution humaine, qui diffère de l'idéologie mondialiste, tendant vers l'unicité sclérosée, et qui n'est qu'une certaine vision de la mondialisation. En gros, la mondialisation emmènera l'homme vers l'espace, quand le mondialisme mènerait l'espèce vers sa disparition. On notera que je me montre fermement optimiste, puisque j'emploie le futur simple pour l'évolution de la mondialisation, quand le mondialisme est envisagé au conditionnel.
Et si le système unique et parfait s'effondre, il reste quoi pour le remplacer? C'est le syndrome du Titanic, et je crois que l'on pourrait floquer l'abréviation de NOM à la proue du navire mondialiste en mémoire du glorieux cuirassé naufragé. Grave problème auquel les experts ne se coltinent jamais, car l'effondrement du système, c'est un peu affronter ses limites.
C'est dur de penser la mort ou ce genre de limites véritables, mais en même temps, si l'on ne s'y confronte pas, on ne pense jamais qu'en superficie. Cas d'un Spinoza, le saint de l'immanentisme, qui appelle ouvertement à ne penser que l'existence, en affirmant qu'on ne peut jamais penser la mort. Ne penser que le fini parce qu'on ne peut pas penser le néant, hein, saint démon? Nietzsche poussera le bouchon jusqu'à justifier l'argutie avec son oxymore ridicule de profonde superficialité.
Pour comprendre ces experts qui prétendent réconcilier les divergences, les points de vue, et ainsi personnifier la parole d'autorité, soit la parole qui réconcilie - la parole finale, on invoquera Hegel. Après tout, Hegel estimait en toute lucidité et modestie que sa philosophie signifiait la fin de l'histoire et de la pensée. Ben voyons. Mais la théorie la plus fameuse/fumeuse de Hegel, en tout cas de son héritage, réside dans cette trinité appliquée à la raison : la dialectique thèse/antithèse/synthèse.
Autrement dit, l'affrontement de deux points de vue antithétiques, loin de se résumer à une opposition stérile, engendre au contraire le dépassement et le changement. Hegel propose de dépasser le platonisme? Nos experts se tiennent sur cette ligne de vue myope, sans en avoir conscience le plus souvent. Ils pensent qu'ils incarnent la phase du dépassement, car ils sont très humbles dans leurs jugements et qu'ils incarnent la réussite intellectuelle du système. Et si le système est frelaté, qu'en est-il de cette réussite éclatante, étant entendu au surplus que l'académisme pur n'est jamais que l'antithèse érudite de la création dont il se réclame et qu'il commente? Dans leur mégalomanie, nos ex-pairs ne se rendent pas compte qu'ils promeuvent l'envers du changement et que toutes les différences qu'ils promeuvent sont de fausses différences.
Le propre d'un système a toujours été d'encourager de fausses différences pour maintenir son hégémonie et sa continuité. Principe bien connu et très naïf, puisque les fausses différences ne font qu'accélérer le processus de délitement et de changement, sans inclure l'identité de ceux qui l'ont vu naître et l'ont encouragé. En gros, le changement change avant tout son auteur, tandis que ce dernier parie sur le changement pour donner le change. Au pas de charge.
Dans les fausses différences, on peut situer toutes les différences qui confortent le système. C'est ainsi que le modèle du faux rebelle offre une illustration frappante de la fausse différence. En gros l'abruti conforte le système en dénonçant sa non-intégration au dit système. Cas des rappeurs débiles, capitalistes frustrés et violents, dont le premier geste en cas de réussite consiste à jouer à la caricature du capitaliste extrémiste et cynique : grosse bagnole, pouffiasses siliconées, chien psychopathe...
Cependant, cette différence est si aberrante qu'elle ne fonctionne jamais longtemps. La ruse du système revient à conforter certaines oppositions qui paraissent de vraies oppositions : il ne s'agit pas seulement de protester servilement, mais de faire mine de proposer. Comment reconnaître une fausse différence d'une vraie? Le changement.
"In change we need" a pu lancer Obama. "Le changement dans la continuité" a rétorqué Meyssan. Nous sommes en train de constater que celui qui disait la vérité n'est pas l'élu. Obama ne change pas. Au mieux, il patine. L'absence de changement est une preuve irréfutable en acte de fausse différence. L'autre moyen de reconnaissance de la fausse différence réside dans l'absence d'alternative systémique. L'alternative est interne au système et se révèle d'autant plus interne qu'elle prétend à un caractère sinon révolutionnaire, du moins définitif et externe.
L'analyse des discours permet souvent de prévenir les fausses différences de ce type. Je ne prendrai comme exemple que le cas du trotskisme, dont on sait qu'il a donné lieu à de multiples manipulations. On ne donne jamais que l'image de Léon assassiné - par des sbires à Staline. Trotsky le marginal et le pur. Le modèle trotskiste comme alternative au communisme institutionnel et à son échec retentissant.
Malheureusement, le trotskisme se distingue surtout par sa récupération par ses antithèses. Loin de proposer une alternative au système capitaliste et libéral, le trotskisme est infiltré par de nombreux circuits atlantistes et conservateurs, dont l'exemple le plus retentissant est sans doute l'avènement des néoconservateurs faméliques et guindés. Mais, sans revenir sur tous les exemples d'infiltration au sein du trotskisme, ce qui est un paradoxe comique puisque les trotskistes passent pour les rois de l'infiltration, l'essentiel est de comprendre qu'une alternative idéaliste au sous-modèle d'immanentisme progressiste ne saurait en aucun cas constituer une alternative systémique viable.
Le problème est rédupliqué encore par le visage uniciste du mondialisme triomphant. En gros, le sous-produit atlanto-capitalisto-libéral est le dernier bâtard triomphaliste et moribond de l'immanentisme, qui est lui-même la résurgence moderne du nihilisme atavique. Nous sommes dans une phase de changement profond puisque non seulement le système libéral est mort, mais que le système immanentiste est mort. Pis : le monothéisme est mort, selon le mot fameux de Nieztsche (et avant lui de Hegel soit dit en passant). Plus profond encore : le mal est si profond que le nihilisme n'a pas ressurgi par hasard.
La dernière fois que le nihilisme avait pointé le bout de son nez, c'était timidement, lors de la transition entre le polythéisme et le monothéisme. La crise athénienne et l'émergence des sophistes en offrent un bref aperçu. Pour que le nihilisme ait accédé au pouvoir avec la modernité, officiellement depuis les Révolutions, c'est qu'il exprime un courant encore plus profond, dont les racines ne se limitent pas à la modernité.
Bigre! C'est donc que c'est tout le courant religieux qui est en voie de changement et que par conséquent nous passons du transcendantalisme à autre chose. L'immanentisme a cru que c'était lui la suite du transcendantalisme. Raison pour laquelle les Spinoza et les Nietzsche proposent ouvertement leur nihilisme avec des atours séduisants, comme quand le diable vous vend sa damnation atroce et sa camelote avariée. Voyez la version hollywoodienne de l'Associé du diable comme remake de la Peau de chagrin ou de Faust.
Raison de l'intervention des experts en lieu et place de la pensée classique : ils sont la voix/voie systémique, en ce que le système considèrerait toutes les alternatives et toutes les oppositions. Enfin, nuance. Le système aimerait considérer toutes les alternatives et les oppositions. Etre capable de tout intégrer, afin d'expliquer posément qu'il est supérieur à tous les modèles passés et qu'il est le dernier des modèles, au sens où les thuriféraires experts parlent de fin de l'histoire.
Fin de l'histoire? Plus d'histoire après cette ultime histoire? Qui nous vend de pareilles salades? De pareilles histoires? Qui a sombré dans la démesure caractérisée et mégalomane pour estimer que son pouvoir dépasse celui des dieux de l'Antiquité? Si l'on revient à l'observation des phénomènes, et non à la propagande immanentiste de facture et d'expression terminales, on constate que ce système n'est pas meilleur que les autres.
Il ne considère que les oppositions internes, celles qui penchent du côté de la répétition et qui n'inclinent jamais à la différence. Toute différence véritable est bannie. Il ne faut pas s'étonner de la dépréciation manifeste de la création de la pensée, de la disparition du phénomène religieux comme inspiration culturelle autant que cultuelle, quand on constate que l'immanentisme impose au nom de la liberté et autres billevesées soigneusement fardées sa conception destructrice et prédatrice.
Si l'on se souvient de la pauvreté du discours des experts, on peut commencer par constater la faillite du modèle d'éducation et de formation intellectuelle de type immanentiste, puisque les plus brillants penseurs de ce moule sont des nullités brillantes et que leur mauvaise qualité ne cesse de croître avec l'effondrement systémique. Mais la dépréciation abyssale de la pensée et de la création ne sont que l'emblème de l'effondrement systémique. La pauvreté du discours riche des experts symbolise la pauvreté de la richesse matérielle de l'Occident immanentiste. Libéral à expression économique capitaliste.
D'après ce schéma, et d'autres indices, nous ne sommes pas loin de la fin d'un système qui n'est pas seulement l'immense continent de l'histoire occidentale depuis deux millénaires et demi, mais tout un courant immergé dont on ne peut mesurer l'importance qu'en rappelant que le fondement de toute culture réside dans le religieux et qu'en aucune façon l'homme ne pourra sortir de ce schéma, qui est son schéma.
Plus un système cherche à dénier les différences externes et à laisser entendre qu'il est unique et le seul bon, plus il court à sa perte. C'est le secret de Babel, dont le mondialisme est l'expression contemporaine particulièrement explicite et dégénérée. L'explication ontologique à ce phénomène récurrent : le déni de l'extérieur accroît le processus de destruction interne. Processus qui est un processus de destruction du système au profit d'autres éléments réels. Quand d'autres système coexistaient, le propre d'un système totalisant consistait par sa disparition à accélérer la régénération d'autres systèmes.
Façon d'insinuer que la folie des dirigeants du système moribond profitait à la société humaine. Aujourd'hui que le système est unique ou tend vers cette unicité, nous sommes contraints de constater que la disparition du système mondialiste pose la grave question de la disparition de l'espèce humaine. C'est sans doute l'explication à la réaction irrationnelle et pulsionnelle de nombre de contemporains, qui, quand on leur explique que la fête est finie, bottent en touche, protestent que c'est impossible et que le mieux face à la crise est de rester chez soi à bricoler, cuisiner, pouponner. En tout cas, la fausse différence est présente dès et dans le discours des experts, qui ne sont superficiels que parce qu'ils intègrent la mentalité de la fausse différence.
Raison de la superficialité intrigante de leurs discours spécialisés si étayés : les experts sont les représentants du système immanentiste. Leur savoir mérite d'être appelé congelé parce qu'il n'est pas seulement gelé au sens rabelaisien. Il est dégelé, rance et putride. A force de ne considérer le savoir que comme répétition et absence de différence, nos experts se meuvent dans le fini pur. Ils envisagent l'idée comme l'expression de la finitude. L'expert est assez proche du sophiste et aux antipodes de l'école platonicienne. Si l'on trouve que j'exagère, que l'on considère l'opposition viscérale entre l'incroyable débauche de connaissances de nos experts et l'invraisemblable pauvreté qualitative de leurs idées
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