Si le scepticisme était une fosse - sceptique?
(Suite à l'interview du philosophe académicien Jean-Luc Marion dans le Philosophie magazine numéro 39 de mai 2010.)
N'ayant jamais trop lu Marion, la critique qu'un professeur de philosophie lui adresse (avoir christianisé la phénoménologie) s'avère plus que superficielle. Comme si le christianisme, en plus d'être dépassé, était infréquentable, en particulier pour un philosophe. Il est vrai que nos commentateurs qui se prennent pour philosophes estiment que Nietzsche joue en philosophie le rôle incontournable du vigie. Ses sornettes antichrétiennes seraient-elles à prendre au sérieux si l'on veut philosopher?
Je n'accable ni les commentateurs, ni les nietzschéens. Après tout, un professeur de philosophie a le droit de penser. Souvent il se montre trop attaché (amarré) à son savoir pour penser. Pour penser, larguez les amarres. Autrement dit : larguez votre savoir. Je ne voudrais pas vexer ceux qui croient qu'on pense bien en déchristianisant, mais le problème n'est pas là. Ou encore : le problème tient dans l'affrontement entre le religieux et le déreligieux. Quand on déreligionise, on néanthéise. Ceux qui estiment que la sortie du religieux coïncide avec le progrès ne se rendent pas compte que l'homme sans religieux se trouve sans culture. Pas de culte, pas de culture.
Comme les analystes de tous bords mettent leur temps à remarquer que le (leur) système du nihilisme actuel (l'immanentisme monétariste) s'effondre, ils sont désemparés. Le propre du nihilisme est de fonctionner sur le déni, soit sur le refus de la contradiction (catégorie de l'impossible). Dans cette mentalité, les thuriféraires les plus haut placés ne comprennent pas ce qui se produit. Soit ils ne pensent qu'en termes de court terne, soit ils prennent pour des fondements irréfutables ce qui n'est que le prisme de leurs postulats relatifs.
Dans cette conception de basse vue, les penseurs nihilistes qui escomptent aller le plus loin sont ceux qui ne perçoivent pas la réalité de leur nihilisme, parce que le déni typique du nihilisme repose sur le compromis, soit sur l'idée de positivité alliée à l'idéal de tolérance. Le compromis théorique est le fait entre deux points de vue divergents de trouver une troisième voie qui soit nouvelle et qui satisfasse les deux parties.
Le compromis est aussi le lieu idéal des compromissions, dont la parenté étymologique accouche d'un sens nettement plus négatif, voire pervers. La compromission désigne le fait de ne pas parvenir à dégager de troisième voie originale et de s'en tenir à un plan fixe - un entre-deux entre les deux parties qui signe l'impossibilité. Dresser des compromis, c'est ne pas réussir à proposer de l'original.
Le déni nihiliste présente ceci de commun avec cette troisième voie illusoire qu'il réfute la possibilité du changement au nom de la fixité ontologique de son système. Dans un réel fini, on ne peut pas changer - si peu. Le conservatisme de Rosset s'explique de manière tout à fait conséquente - dans cette mentalité. Également la signification funeste de cette troisième voie tant promue comme révolutionnaire et avant-gardiste par certains sociaux-démocrates mâtinés d'idéaux pondus par les stratèges de la Société fabienne britannique (repaire d'impérialistes progressistes à la Keynes).
Le nihilisme qui tient la distance (qui ne connaît pas l'oubli expiatoire s'étant emparé des sophistes) est celui qui comprend qu'il ne peut représenter d'alternative exclusive au transcendantalisme. Quand on se montre nihiliste trop explicite, comme Gorgias, quand on vante sans retenue le nihilisme exacerbé, on finit oublié, car au-delà de la réaction de censure due aux bigoteries, l'horreur s'explique par le pressentiment (lucide) qu'engendre le spectacle à découvert du nihilisme.
Le compromis nihiliste est produit par Aristote au sortir de l'enseignement platonicien. Comme Aristote a conscience qu'il ne peut attaquer la théorie des Idées, il choisit la voix de l'entre-deux : les Idées n'existent pas, mais la métaphysique demeure valable à l'intérieur d'un monde assez vague, où l'on nous vante quand même les mérites des formes sans les définir. Le nihilisme d'Aristote se trahit quand Aristote définit le réel comme fini. Descartes agit selon le même compromis : il se place à la sortie de la scolastique médiévale entre ontologie platonicienne/chrétienne et nihilisme.
L'ontologie cartésienne propose un réel mécaniste où Dieu est reconnu à l'état de deux ex machina, soit de manière miraculeuse (impossible). Spinoza radicalisera le cartésianisme pour produire le fondement de l'immanentisme, qui dénie le nihilisme en le rapportant au désir. La complétude du désir n'est pas plus définie que la complétude du réel, dont on apprend qu'elle serait substance incréée. L'immanentisme est la radicalisation du nihilisme, dont Descartes exprime l'entre-deux, entre la tradition d'Aristote et la tradition spinoziste (dont Nietzsche sera un fleuron remarquable quoique inquiétant).
Dans cette culture du compromis, que le christianisme peut encourager par le pardon, on est nihiliste : on ne produit pas un compromis authentique au sens où l'on créerait une idée nouvelle à partir de la réunion entre nihilisme et transcendantalisme. On accrédite de facto l'ontologie nihiliste en souscrivant à son postulat premier selon lequel le réel est fini. Dans un monde fini, la fixité est la règle universelle. Le compromis dans la fixité implique que l'on prenne les deux idées rivales et que l'on propose une médiation qui ne propose rien. Entre Aristote et Platon, dans un système fixe et fini, il n'existe aucune troisième autre voie.
Le modèle selon Platon est inconciliable (irréconciliable) avec celui d'Aristote. La seule illusion qu'Aristote parvient à produire dans sa tentative de compromettre l'ontologie dans un compromis avec la sophistique, c'est de brouiller les cartes. Il souscrit en partie au modèle platonicien, et il demeure dans le vague la plupart du temps en se trahissant les rares fois où il définit le réel. Si vous voulez démasquer la mentalité aristotélicienne, demandez sa définition de l'infini. Pour Platon, c'est la dynamique. Et pour Aristote? Que veut dire ce silence embarrassé? Descartes aura-t-il ajouté le deux ex machina pour dégotter une réponse/compromis au non-dit aristotélicien? Serait-ce plus un compromis avec le christianisme (politiquement puissant) de son temps qu'une définition sincère de Dieu? Faudrait-il le rebaptiser deux ex - miracula?
Non que Descartes soit un athée ou un nihiliste méprisant le divin (l'Être). Descartes est plutôt un sceptique qui n'est jamais sorti de son scepticisme. C'est dans cette perspective qu'il faut lire l'interview que Marion donne à Philosophie magazine. D'entrée, il n'est pas question d'attaquer Marion sur sa personne ou son intelligence (indiscutable). Il s'agit de signifier que le scepticisme chrétien dont se prévaut Marion n'est pas du transcendantalisme, mais une forme sophistiquée de nihilisme.
Sans doute Marion est-il chrétien authentique, mais c'est un penseur qui s'égare non parce qu'il serait chrétien (c'est ce qui le sauve) que parce qu'il sacrifie à la tentation du compromis entre transcendantalisme et nihilisme. Marion en tant qu'un des commentateurs les plus avisés de Descartes s'égarerait-il au nom de la filiation définitoire qu'il propose Dieu - l'impossible? Quel que soit le sens que Marion confère à l'impossible, l'impossible est la catégorie par excellence du nihilisme.
Dieu nihiliste n'est pas intéressant car il est de toute façon inutile et incertain. Mais Marion est-il si incertain qu'il s'en justifie? Son scepticisme l'incline vers l'incertitude comme valeur indépassable de la pensée philosophique. En réalité, un Marion académicien et prestigieux exprime le paroxysme de la philosophie académique actuelle. Hic ad hoc : les historiens de la philosophie n'ont aucune créativité. Du coup, ils se rabattent sur la répétition d'idées passées. Ils accordent leur préférence sélectives aux idées les plus subtiles, voire les plus absconses.
Marion est moins abscons que subtil. Il cherche à masquer qu'il n'est pas philosophe, mais excellent historien de la philosophie. Du coup, en répétiteur brillant et formaté, ne parvenant pas à sortir de son intelligence roborative, il nous propose un compromis fixe et fin entre christianisme et cartésianisme. Il croit appâter le chaland avec son scepticisme saturé. Descartes sceptique, Rosset sceptique, quel type de scpetique Marion est-il?
Le scepticisme de Rosset se réclame d'un Montaigne avec des emprunts à Lucrèce ou à Nietzsche (en filigrane à Spinoza). Ce scepticisme-là déclare que la vérité existe et qu'on peut la connaître Elle serait juste inférieure au rien. Rosset est un sceptique nihiliste en ce sens qu'il subvertit le scepticisme classique comme celui de Montaigne. Et Marion? La vérité existe (Dieu) mais elle n'est pas connaissable par l'homme. La vérité est ce qu'il y a de plus haut, mais elle dépasse l'homme.
De ce point de vue, Marion est un sceptique dans la tradition de Pyrrhon. Son héritage cartésien l'incline de surcroît au scepticisme, à ceci près que Descartes choisit le doute pour établir plus certainement ses croyances nouvelles. Ce faisant, Descartes établit moins une métaphysique certaine, dans le prolongement de l'aristotélisme, qu'un curieux et savant mélange de nihilisme et d'ontologie, dans lequel le certain est le nihilisme (d'obédience mécaniste), quand le divin affirmé, voire prouvé (de manière ambiguë), correspond à l'intervention magique et irrationnelle qui viole les lois de la physique et qui montre que la raison humaine ne peut connaître la Raison divine.
Marion répète pourtant dans son interview à Philosophie magazine que le propre du christianisme est de croire que la rationalité humaine rejoint la rationalité divine. Mais Marion estime que la rationalité humaine ne peut comprendre la rationalité divine. L'englobé ne comprend pas l'englobant. Dieu est Raison, mais cette Raison est incompris de la raison faible et finie de l'homme. C'est-à-dire que Marion le sceptique chrétien établit une disjonction unilatérale entre la raison et la Raison, entre l'homme et Dieu.
Cette disjonction, unilatérale, même fidèle à Dieu, même fidèle au scepticisme, pose le problème du compromis avec le nihilisme : ce dualisme antagoniste entre réel et néant est le propre de l'affirmation nihiliste. Marion n'oppose certainement pas les deux éléments fondamentaux du réel et du néant, mais son Être existe d'autant plus qu'il n'est pas connaissable autrement que négativement et que cette négativité sceptique engendre la définition la plus saisissante de Dieu : l'impossible.
L'impossible selon Marion est l'expression rationnelle et négative de la foi, mais une foi qui exprime une curieuse conception du Rationnel (au sens divin). Le Rationnel par rapport au rationnel est disjoint au sens où le Rationnel serait l'arationnel. L'arationnel englobe le rationnel. Du coup le rationnel est rattaché à l'arationnel de manière définitivement négative. Cette négativité indépassable du rationnel fige la philosophie dans une négativité qui ne peut être dépassée que par la foi (positive en tant qu'elle est indicible).
C'est une position théologique plus que philosophique, qui exprime la supériorité de la foi sur la raison, mais le problème est que cette approche chrétienne de Dieu disjoint la raison et la Raison. Surtout elle établit une définition du réel (de Dieu) qui exprime la catégorie centrale du nihilisme : l'impossible. Marion a beau jeu de rappeler que Pascal était un sceptique, comme Descartes ou Montaigne. Mais si la philosophie s'arrête à des certitudes négatives, alors son exercice est à jamais fixé, donné, inchangeable.
C'est un problème chrétien. Car cette conception d'un savoir fixe est typique du nihilisme, pas du transcendantalisme monothéiste et chrétien dont se réclame Marion. Au contraire, l'idée de savoir en tant que connaissance figée n'est pas chrétienne. Le propre de l'homme est de progresser constamment, hors de l'idée de donné. C'est la plus sérieuse objection à adresser au scepticisme (figer la connaissance dans le négatif) et c'est en quoi il convient de rattacher Marin à la tradition du compromis dont il ne sort pas à la suite de Descartes.
Pour ce qui est de Pascal, penseur catholique, Pascal n'est pas un sceptique. Le croyant de la fin de vie juge que la philosophie n'est jamais que la propédeutique de la foi (que la foi intègre l'exercice de la pensée). Pour lui, la limite négative de la pensée rationnelle l'amène plutôt à conforter sa foi dans le christianisme. Parler de scepticisme pour Pascal est tendancieux.
Quant au scepticisme de Descartes, il renvoie au compromis entre nihilisme et transcendantalisme. C'est ce que Marion essaye de renouveler à son tour, de manière totalement répétitive par rapport à Descartes. A une époque d'immanentisme terminal ou l'immanentisme s'effondre, Marion le chrétien ne se rend pas compte qu'il ne parviendra pas à réconcilier le christianisme et l'immanentisme - ni à refonder le christianisme en lui injectant des parcelles d'immanentisme. Si le transcendantalisme est mort, sous les coups de buttoir de l'immanentisme, l'immanentisme est mort.
C'est ce que Nietzsche n'avait pas prévu : Dieu serait mort? Le désir de néant est mort. De Dieu, seule la représentation transcendantaliste, une certaine conception humaine, est morte. Dieu ne peut mourir. C'est assez étrange, comme délire, cet assassinat de Dieu partout célébré, sauf dans la cervelle échauffée de notre misanthrope Nietzsche, qui confond son désir avec le réel, qui prend son désir pour le réel (des vessies pour des lanternes). La mort de l'immanentisme devrait indiquer à Marion que la voie qu'il choisit le condamne à intégrer du nihilisme moribond dans du religieux transcendantaliste dépassé. On ne réveille pas un cadavre avec un cadavre.
Seule l'ontologie finie du nihilisme peut mourir. Quant au religieux qui exprime l'infini, il ne peut mourir. Il peut seulement changer de forme (de représentation). L'impossible dont se réclame Marion est un compromis entre l'impossible nihiliste (refus du principe de non contradiction) et la théologie négative (seul l'arationnel lève la contradiction, de manière incompréhensible). Le problème tient dans le glissement de sens que Marion opère entre théologie et philosophie. La théologie est le discours rationnel au service de Dieu, quand la philosophie est le discours rationnel qui s'appuie sur l'homme seul (dans tous les sens du terme).
La théologie négative est au service de Dieu. Marion transpose la théologie négative en philosophie négative, en incluant dans son mouvement Pascal, qui serait à rapprocher de la théologie négative (bien que Pascal soit un janséniste de l'affirmation davantage qu'un théologien négatif). La philosophie négative fonde l'idée que le processus de la raison est négatif en plus d'être sans rapport autre que d'inféodation avec la Raison.
Dans la connaissance classique, si la raison est imparfaite, l'homme présente la possibilité d'accroître sa connaissance. On peut parler d'un lien entre raison et Raison au sens où si la raison est imparfaite, la connaissance est possible. La possibilité de connaissance fonde la possibilité d'un progrès de la connaissance, qui ne soit pas seulement circonscrit à la démarche scientifique.
Marion rappelle que la science coupe le réel en objets non représentatifs du réel. Pour lui, la science positive incertaine est l'apanage des branches scientifiques, quand la science des sciences, la philosophie (l'ontologie), serait l'expression de la négativité. C'est oublier que la science des sciences n'est appelée telle que parce qu'elle participe de la démarche de l'incertitude positive - pas parce qu'elle aurait la même démarche appliquée à l'universel, et non plus au particulier.
Définir la philosophie comme science des sciences, c'est définir la démarche philosophique non pas comme négativité certaine, mais comme positivité incertaine. C'est une caractéristique peu remarquée de Marion et des sceptiques en général que la définition de la philosophie comme négativité engendre une certitude paradoxale, sur le mode du "je sais que je ne sais pas". C'est une lecture forcée de l'adage socratique, au sens où Socrate explique que toute connaissance rationnelle est vouée à l'incomplétude et à l'imperfection.
Le je ne sais pas renvoie à cette incomplétude. Quant au je sais positif, il indique que malgré cette incomplétude, l'homme peut progresser dans la connaissance - qu'il est capable d'un savoir positif, même imparfait et incomplet. La lecture de Marion vise en fait à biffer cette imperfection de la connaissance en décrétant qu'il est un moyen d'accéder à la certitude : le paradoxe de la négativité. Du coup, le scepticisme peut être défini comme un fanatisme à rebours. Le fanatisme édicte la certitude de la connaissance positive, quand le scepticisme édicte la certitude de la connaissance négative.
Si l'on peut comprendre que l'impossible soit chez les sceptiques croyants le moyen de définir négativement ce qui est supérieur au possible fini, cette définition négative libère le nihilisme contenu dans le négatif. Négatif est à entendre dans un sens synonyme de fini. L'impossible serait ce qui est infini par rapport au possible qui serait le fini. Problème : cette définition reprend la conception nihiliste de l'antagonisme entre réel et néant, sauf que le néant se trouve remplacé par Dieu. Pour amorcer une réconciliation englobante de type transcendantaliste, le métaphysicien adepte du compromis postule que le divin est de nature miraculeuse, avec une toute-puissance incompréhensible qui indique que le christianisme contient en son sein des éléments de dépassement du transcendantalisme, quand la forme la plus cohérente de monothéisme correspond sans doute à l'Islam.
Le scepticisme est un moyen de concilier nihilisme et transcendantalisme plus que de les dépasser. On demeure dans une interprétation finie selon laquelle l'homme n'a accès qu'au fini. Quant à l'infini, il n'existe qu'à l'état d'impossible miraculeux. L'attention que prête Marion à l'impossible en tant que figure de Dieu est instructive, car pour Marion comme pour les sceptiques de la tradition cartésienne, l'impossible est ce qui transcende le possible.
L'infini n'est pas rationalisable. La compréhension de l'arationnel pour Marion est de l'ordre de l'incompréhensible. Certes pour Marion l'arationnel n'est pas l'irrationnel, mais à quel prix? L'irrationnel est l'inverse du rationnel, soit ce qui est chaotique, alors que l'arationnel est ce qui englobe la raison, soit ce qui n'est pas chaotique, mais définitivement incompréhensible. Dans cette compréhension transcendantaliste/nihiliste, l'irrationnel n'existe pas vraiment, ou existe à l'état marginal; mais : l'arationnel n'est-il pas devenu irrationnel sous le coup d'un compromis qui intervient alors que l'on ne peut mener de compromis avec le nihilisme sans se trouver détruit par le spectre du néant positif?
Pis, Marion intervient avec sa science impressionnante (et faussée) alors que le transcendantalisme s'est effondré, sous les coups de buttoir de l'immanentisme, et que l'immanentisme s'effondre à son tour. Le compromis entre deux formes dépassées, en particulier une forme destructrice (l'immanentisme), est inutile autant que suicidaire. On ne fait pas de l'avenir avec de la réaction, fût-elle double. Faire ressurgir le passé en tant que forme linéaire est dépassé. Le passé sert à changer, au sens où l'avenir se sert du passé pour changer.
Dans cette configuration, l'effort de Marion pour concilier le christianisme et l'immanentisme traduit l'échec couru (cousu) d'avance d'un cartésien qui surgirait après la bataille (je n'ai rien contre les mercenaires, ni contre Descartes). L'impossible est défini comme ce qui ne peut être. L'impossible est typiquement la catégorie du nihilisme, qui prônant au final le néant encourage l'impossible. L'impossible détruit l'être et inféode tout type d'être au néant.
Mais l'impossible recoupe aussi la catégorie du miracle, car dans la concpetion cartésienne, Dieu existe d'autant plus qu'il est miraculeux, c'est-à-dire qu'il se soustrait aux lois du réel, qui sont considérées comme les lois de la physique définitivement définies. La physique désigne la conception d'un réel fini - surtout stagne, figé, fixe, immobile. Dans cette conception, effectivement, qui chez Descartes prend l'aspect du mécanisme quasi radical, Dieu est impossible (et miraculeux) en ce qu'il ne peut être selon les lois de la physique. S'Il est, c'est de manière miraculeuse. L'arationnel prend la forme du miracle, de l'inexplicable, de l'incompréhensible.
L'impossible réfute la catégorie de l'être sans en proposer de substitut. Sans être, il n'est que du non-être. Le non-être prend une forme explicite chez un Gorgias; il prend une forme implicite chez un Descartes. Le scepticisme n'est pas une trouvaille au sens où l'on trouve quelque chose. C'est un moyen de légitimer, voire d'escamoter le nihilisme en le faisant passer sous l'explication (inexplicable) du négatif (on ne trouve rien). L'impossible devient la catégorie de l'arationnel. Malheureusement, cette tentative de faire entrer le loup dans la bergerie (le nihilisme dans le quelque chose) ne contribue nullement à apaiser les choses.
Il serait temps de définir (à l'aune de la définition de Leibniz) l'arationnel, le rationnel et l'irrationnel. Si l'on se souvient qu'il n'est pas de rien, qu'il n'est que du quelque chose, sans quoi l'homme se promet au néant qu'il introduit par faiblesse (vrai visage de ce consensus mou sceptique), il convient de rattacher l'impossible à l'irrationnel. Mais l'irrationnel n'est irrationnel que positivement. L'irrationnel comme l'illusion sont des concepts qui n'existent pas positivement au sens où le néant n'existe pas positivement.
La négativité exprime seulement le fait qu'une idée est mal posée. C'est le cas de l'impossible et de la démarche du scepticisme. Ce que cette idée de scepticisme (et d'impossible) signifie, c'est que la notion d'arationnel transcendant ou englobant est fausse. Du coup, Marion et les cartésiens essayent de concilier ce qui est mal posé (le transcendantalisme) avec ce qui ressort, la question nihiliste originale (que l'on pourrait rapprocher du péché originel). Le nihilisme aurait disparu si le transcendantalisme était parvenu à éradiquer la question qu'il pose. Cette question étant : que fait-on du néant?
Le transcendantalisme évacue le néant sans le reconnaître. Du coup, le néant ressurgit à mesure que le transcendantalisme s'essouffle et s'effondre. L'irrationnel n'existe pas en tant qu'irrationnel, mais surgit chaque fois que le rationnel est mal posé. L'arationnel n'existe pas en tant qu'impossible, mais en tant que possible. L'arationnel était ce qui englobe aux yeux du transcendantaliste. Les sceptiques comme Marion essayent de concilier l'impossible nihiliste avec l'arationnel transcendantaliste.
Mais l'arationnel désigne la différence entre la représentation rationnelle finie et imparfaite de la partie et la représentation rationnelle infinie et parfaite du tout. Dans l'inconnu, le rationnel est confronté à l'inconnu rationnel d'éléments finis comme lui dont il ignore l'existence et le fonctionnement, mais dont il peut acquérir la connaissance du fait du caractère identique de leur finitude. Cet inconnu connote aussi l'arationnel qui ne peut être jamais tout à fait connu en tant que l'infini ne peut être connu tout à fait du fini.
L'irrationnel désigne la croyance en l'incapacité de la raison à comprendre quoi que ce soit de l'inconnu. L'irrationnel est l'antonyme du rationnel en ce qu'il existerait à côté d'un réel rationnellement connaissable un réel rationnellement inconnaissable. Cette conception rejoint la doctrine nihiliste, selon laquelle le néant est l'antagoniste absolu du réel. Ce n'est pas la même chose de décider que l'arationnel ne peut être jamais compris ou qu'il ne peut jamais être tout à fait compris.
L'irrationnel n'existe que dans cette idée de l'existence de l'incompréhensible radical. Il est impossible de comprendre dans l'hypothèse de l'incompréhensible radical. Est irrationnel non ce est inconnu, mais ce qui est inconnaissable. Ce qui n'est pas connu et qui est fini est rationnel et rationalisable. Ce qui n'est pas connu et qui est infini n'est pas rationnel, mais est rationalisable. Ce constat implique l'idée que l'arationnel est rationalisable en partie, mais rationalisable.
La rationabilisation de l'arationnel est toujours soumise à l'imperfection constitutive de la rationalité. Ce n'est pas la même chose que de considérer que l'arationnel n'est pas rationalisable du tout (est irrationnel) ou que l'arationnel n'est jamais totalement rationalisable, bien que rationalisable en partie (imparfaitement). Le caractère rationnel de l'arationnel est imparfait mais existe. Le caractère irrationnel indique que tout effort de rationalisation est impossible.
C'est pourtant ce choix que le sceptique Marion élabore dans le droit fil du scepticisme antique (l'arationnel est évacué) et de la forme moderne de type cartésien (un scepticisme qui aboutit à l'amalgame de l'irrationnel et de l'arationnel). Marion franchit un pas par rapport à Descartes en explicitant le rapport d'impossible. Mais si l'on en revient à cette idée que l'arationnel est rationalisable en partie, le caractère infini de l'arationnel indique que cette rationalisation ne sera jamais complète tout autant qu'elle sera toujours en progrès.
Le progrès de la rationalisation de l'infini est indéfini. Dans cette perspective, la dynamique indique le caractère indéfini du progrès fini face à l'infini. Le changement est indéfini puisque l'infini n'est pas limitable. L'idée selon laquelle il n'est de connaissance globale que négative, telle que le scepticisme la développe, telle qu'elle apparaît chez Marion, est fausse. Marion, qui est un brillant commentateur, mais pas un penseur, reprend une idée fausse en se révélant aveuglé par le prestige de ceux qui se trompent (en particulier de Descartes).
Il convient de distinguer entre l'incertitude positive et la certitude négative. Selon un sceptique, l'incertitude positive étant impossible, seule la certitude négative est possible. Cette possibilité incomplète et imparfaite ouvre le champ soit pour que l'incomplétude finie soit complétée par du néant (hypothèse nihiliste); soit que l'incomplétude finie soit complétée par du miraculeux (hypothèse cartésienne, que prolonge Marion).
Mais l'incertitude positive rend impossible au sens nihiliste d'un faux fuyant la certitude négative. Dans cette configuration, il convient d'affirmer haut et fort que l'incertitude positive n'est pas dévolue seulement (et arbitrairement) aux sciences du fait de la réduction épistémologique qu'elles induisent; mais que les sciences sont des incertitudes positives partielles au sens où tout type de connaissance est incertitude positive.
Les sciences sont des incertitudes positives partielles de la connaissance en général, qui se définit comme indéfinie incertitude positive. La connaissance est une incertitude positive perpétuelle et indéfiniment changeante. Cette définition caractérise l'ontologie en premier lieu. C'est la raison pour laquelle on nomme l'ontologie la science des sciences. Non qu'elle soit une science rigoureuse au sens où la science désigne une démarche d'objectivation et de réduction du réel à un objet d'étude. Mais que l'objectivation ne soit possible que dans une réduction, alors que le réel n'est pas réductible au fini (il est infini).
Dans cette optique, il est urgent de réhabiliter l'incertitude positive contre la certitude négative. La certitude négative tend vers le nihilisme. Pour preuve, dans la logique de Marion, elle aboutit à faire de Dieu une intervention miraculeuse. Dans le nihilisme, le rationnel est limité par l'irrationnel, et même le rationnel est dominé par l'irrationnel (selon les arguties de Gorgias). Dans un monde où la connaissance est possible, il n'est pas possible d'opposer l'irrationnel miraculeux de Dieu au rationnel sensible. Le réel au néant. L'incertitude positive signifie en premier lieu que la connaissance rationnelle finie est possible.
C'est la possibilité de connaissance que le scepticisme détruit sous prétexte d'apporter une certaine dose de certitude (frelatée). La certitude négative contre l'incertitude positive. Sous prétexte qu'il n'y a pas de certitude positive, mieux vaudrait conserver la certitude même négative que de recourir à l'incertitude même positive. En réalité, l'immanentisme a pu détruire le transcendantalisme parce que le transcendantalisme a montré que son incertitude positive devenait de plus en plus incertitude et de moins en moins positive. Face à l'arnaque théorique immanentiste, la seule connaissance rationnelle renvoie à l'incertitude positive.
Dans une représentation du réel, la démarche de connaissance qui n'est pas adossée à une représentation du réel de type religieux est vouée à la disparition de type nihiliste. Face à l'extension démesurée du fini (l'espace qui ne se réduit ni au bassin méditerranéen, ni à la Terre, mais à des univers de plus en plus gigantesques), le schéma théorique religieux classique (de nature ontologique) a volé en éclat. L'hypothèse transcendantaliste n'est plus viable, car l'Être de Dieu est introuvable.
Il convient d'intégrer le néant comme quelque chose qui complète le fini incomplet. Dans ce schéma, l'enversion néanthéiste remplace l'englobement transcendantaliste. La connaissance dans le schéma néanthéiste implique moins la conquête finie (de type scientifique) que la redéfinition de l'infini. L'immanentisme a permis de faire progresser le domaine du fini à un point tel qu'il a révolutionné la science tout en faisant exploser le schéma transcendantaliste. Pour que la connaissance finie puisse continuer à poursuivre sa croissance, il convient de redéfinir l'infini. Selon le néanthéisme, l'infini signifie le néant néanthéiste, soit le quelque chose enversé.
Dans ce schéma, la connaissance incertaine redevient envisageable et la connaissance certaine est une aberration. Pour poursuivre sa croissance historique, l'homme doit se rendre dans l'espace. Cette croissance physique ira de pair avec une mutation religieuse. Il n'est pas possible d'opérer cette mutation en recourant à des alliances entre modèles sclérosées, comme le fait Marion entre son scepticisme néo-cartésien et le christianisme. Ce n'est pas en pactisant avec le diable que l'on renouvelle le divin. Ce n'est pas en pactisant avec le nihilisme (sous sa mouture immanentiste) que l'on renouvelle le religieux.
Renouveler Dieu : faire de Dieu non pas le modèle de complétude impossible, mais le modèle d'incomplétude possible.
(Suite à l'interview du philosophe académicien Jean-Luc Marion dans le Philosophie magazine numéro 39 de mai 2010.)
N'ayant jamais trop lu Marion, la critique qu'un professeur de philosophie lui adresse (avoir christianisé la phénoménologie) s'avère plus que superficielle. Comme si le christianisme, en plus d'être dépassé, était infréquentable, en particulier pour un philosophe. Il est vrai que nos commentateurs qui se prennent pour philosophes estiment que Nietzsche joue en philosophie le rôle incontournable du vigie. Ses sornettes antichrétiennes seraient-elles à prendre au sérieux si l'on veut philosopher?
Je n'accable ni les commentateurs, ni les nietzschéens. Après tout, un professeur de philosophie a le droit de penser. Souvent il se montre trop attaché (amarré) à son savoir pour penser. Pour penser, larguez les amarres. Autrement dit : larguez votre savoir. Je ne voudrais pas vexer ceux qui croient qu'on pense bien en déchristianisant, mais le problème n'est pas là. Ou encore : le problème tient dans l'affrontement entre le religieux et le déreligieux. Quand on déreligionise, on néanthéise. Ceux qui estiment que la sortie du religieux coïncide avec le progrès ne se rendent pas compte que l'homme sans religieux se trouve sans culture. Pas de culte, pas de culture.
Comme les analystes de tous bords mettent leur temps à remarquer que le (leur) système du nihilisme actuel (l'immanentisme monétariste) s'effondre, ils sont désemparés. Le propre du nihilisme est de fonctionner sur le déni, soit sur le refus de la contradiction (catégorie de l'impossible). Dans cette mentalité, les thuriféraires les plus haut placés ne comprennent pas ce qui se produit. Soit ils ne pensent qu'en termes de court terne, soit ils prennent pour des fondements irréfutables ce qui n'est que le prisme de leurs postulats relatifs.
Dans cette conception de basse vue, les penseurs nihilistes qui escomptent aller le plus loin sont ceux qui ne perçoivent pas la réalité de leur nihilisme, parce que le déni typique du nihilisme repose sur le compromis, soit sur l'idée de positivité alliée à l'idéal de tolérance. Le compromis théorique est le fait entre deux points de vue divergents de trouver une troisième voie qui soit nouvelle et qui satisfasse les deux parties.
Le compromis est aussi le lieu idéal des compromissions, dont la parenté étymologique accouche d'un sens nettement plus négatif, voire pervers. La compromission désigne le fait de ne pas parvenir à dégager de troisième voie originale et de s'en tenir à un plan fixe - un entre-deux entre les deux parties qui signe l'impossibilité. Dresser des compromis, c'est ne pas réussir à proposer de l'original.
Le déni nihiliste présente ceci de commun avec cette troisième voie illusoire qu'il réfute la possibilité du changement au nom de la fixité ontologique de son système. Dans un réel fini, on ne peut pas changer - si peu. Le conservatisme de Rosset s'explique de manière tout à fait conséquente - dans cette mentalité. Également la signification funeste de cette troisième voie tant promue comme révolutionnaire et avant-gardiste par certains sociaux-démocrates mâtinés d'idéaux pondus par les stratèges de la Société fabienne britannique (repaire d'impérialistes progressistes à la Keynes).
Le nihilisme qui tient la distance (qui ne connaît pas l'oubli expiatoire s'étant emparé des sophistes) est celui qui comprend qu'il ne peut représenter d'alternative exclusive au transcendantalisme. Quand on se montre nihiliste trop explicite, comme Gorgias, quand on vante sans retenue le nihilisme exacerbé, on finit oublié, car au-delà de la réaction de censure due aux bigoteries, l'horreur s'explique par le pressentiment (lucide) qu'engendre le spectacle à découvert du nihilisme.
Le compromis nihiliste est produit par Aristote au sortir de l'enseignement platonicien. Comme Aristote a conscience qu'il ne peut attaquer la théorie des Idées, il choisit la voix de l'entre-deux : les Idées n'existent pas, mais la métaphysique demeure valable à l'intérieur d'un monde assez vague, où l'on nous vante quand même les mérites des formes sans les définir. Le nihilisme d'Aristote se trahit quand Aristote définit le réel comme fini. Descartes agit selon le même compromis : il se place à la sortie de la scolastique médiévale entre ontologie platonicienne/chrétienne et nihilisme.
L'ontologie cartésienne propose un réel mécaniste où Dieu est reconnu à l'état de deux ex machina, soit de manière miraculeuse (impossible). Spinoza radicalisera le cartésianisme pour produire le fondement de l'immanentisme, qui dénie le nihilisme en le rapportant au désir. La complétude du désir n'est pas plus définie que la complétude du réel, dont on apprend qu'elle serait substance incréée. L'immanentisme est la radicalisation du nihilisme, dont Descartes exprime l'entre-deux, entre la tradition d'Aristote et la tradition spinoziste (dont Nietzsche sera un fleuron remarquable quoique inquiétant).
Dans cette culture du compromis, que le christianisme peut encourager par le pardon, on est nihiliste : on ne produit pas un compromis authentique au sens où l'on créerait une idée nouvelle à partir de la réunion entre nihilisme et transcendantalisme. On accrédite de facto l'ontologie nihiliste en souscrivant à son postulat premier selon lequel le réel est fini. Dans un monde fini, la fixité est la règle universelle. Le compromis dans la fixité implique que l'on prenne les deux idées rivales et que l'on propose une médiation qui ne propose rien. Entre Aristote et Platon, dans un système fixe et fini, il n'existe aucune troisième autre voie.
Le modèle selon Platon est inconciliable (irréconciliable) avec celui d'Aristote. La seule illusion qu'Aristote parvient à produire dans sa tentative de compromettre l'ontologie dans un compromis avec la sophistique, c'est de brouiller les cartes. Il souscrit en partie au modèle platonicien, et il demeure dans le vague la plupart du temps en se trahissant les rares fois où il définit le réel. Si vous voulez démasquer la mentalité aristotélicienne, demandez sa définition de l'infini. Pour Platon, c'est la dynamique. Et pour Aristote? Que veut dire ce silence embarrassé? Descartes aura-t-il ajouté le deux ex machina pour dégotter une réponse/compromis au non-dit aristotélicien? Serait-ce plus un compromis avec le christianisme (politiquement puissant) de son temps qu'une définition sincère de Dieu? Faudrait-il le rebaptiser deux ex - miracula?
Non que Descartes soit un athée ou un nihiliste méprisant le divin (l'Être). Descartes est plutôt un sceptique qui n'est jamais sorti de son scepticisme. C'est dans cette perspective qu'il faut lire l'interview que Marion donne à Philosophie magazine. D'entrée, il n'est pas question d'attaquer Marion sur sa personne ou son intelligence (indiscutable). Il s'agit de signifier que le scepticisme chrétien dont se prévaut Marion n'est pas du transcendantalisme, mais une forme sophistiquée de nihilisme.
Sans doute Marion est-il chrétien authentique, mais c'est un penseur qui s'égare non parce qu'il serait chrétien (c'est ce qui le sauve) que parce qu'il sacrifie à la tentation du compromis entre transcendantalisme et nihilisme. Marion en tant qu'un des commentateurs les plus avisés de Descartes s'égarerait-il au nom de la filiation définitoire qu'il propose Dieu - l'impossible? Quel que soit le sens que Marion confère à l'impossible, l'impossible est la catégorie par excellence du nihilisme.
Dieu nihiliste n'est pas intéressant car il est de toute façon inutile et incertain. Mais Marion est-il si incertain qu'il s'en justifie? Son scepticisme l'incline vers l'incertitude comme valeur indépassable de la pensée philosophique. En réalité, un Marion académicien et prestigieux exprime le paroxysme de la philosophie académique actuelle. Hic ad hoc : les historiens de la philosophie n'ont aucune créativité. Du coup, ils se rabattent sur la répétition d'idées passées. Ils accordent leur préférence sélectives aux idées les plus subtiles, voire les plus absconses.
Marion est moins abscons que subtil. Il cherche à masquer qu'il n'est pas philosophe, mais excellent historien de la philosophie. Du coup, en répétiteur brillant et formaté, ne parvenant pas à sortir de son intelligence roborative, il nous propose un compromis fixe et fin entre christianisme et cartésianisme. Il croit appâter le chaland avec son scepticisme saturé. Descartes sceptique, Rosset sceptique, quel type de scpetique Marion est-il?
Le scepticisme de Rosset se réclame d'un Montaigne avec des emprunts à Lucrèce ou à Nietzsche (en filigrane à Spinoza). Ce scepticisme-là déclare que la vérité existe et qu'on peut la connaître Elle serait juste inférieure au rien. Rosset est un sceptique nihiliste en ce sens qu'il subvertit le scepticisme classique comme celui de Montaigne. Et Marion? La vérité existe (Dieu) mais elle n'est pas connaissable par l'homme. La vérité est ce qu'il y a de plus haut, mais elle dépasse l'homme.
De ce point de vue, Marion est un sceptique dans la tradition de Pyrrhon. Son héritage cartésien l'incline de surcroît au scepticisme, à ceci près que Descartes choisit le doute pour établir plus certainement ses croyances nouvelles. Ce faisant, Descartes établit moins une métaphysique certaine, dans le prolongement de l'aristotélisme, qu'un curieux et savant mélange de nihilisme et d'ontologie, dans lequel le certain est le nihilisme (d'obédience mécaniste), quand le divin affirmé, voire prouvé (de manière ambiguë), correspond à l'intervention magique et irrationnelle qui viole les lois de la physique et qui montre que la raison humaine ne peut connaître la Raison divine.
Marion répète pourtant dans son interview à Philosophie magazine que le propre du christianisme est de croire que la rationalité humaine rejoint la rationalité divine. Mais Marion estime que la rationalité humaine ne peut comprendre la rationalité divine. L'englobé ne comprend pas l'englobant. Dieu est Raison, mais cette Raison est incompris de la raison faible et finie de l'homme. C'est-à-dire que Marion le sceptique chrétien établit une disjonction unilatérale entre la raison et la Raison, entre l'homme et Dieu.
Cette disjonction, unilatérale, même fidèle à Dieu, même fidèle au scepticisme, pose le problème du compromis avec le nihilisme : ce dualisme antagoniste entre réel et néant est le propre de l'affirmation nihiliste. Marion n'oppose certainement pas les deux éléments fondamentaux du réel et du néant, mais son Être existe d'autant plus qu'il n'est pas connaissable autrement que négativement et que cette négativité sceptique engendre la définition la plus saisissante de Dieu : l'impossible.
L'impossible selon Marion est l'expression rationnelle et négative de la foi, mais une foi qui exprime une curieuse conception du Rationnel (au sens divin). Le Rationnel par rapport au rationnel est disjoint au sens où le Rationnel serait l'arationnel. L'arationnel englobe le rationnel. Du coup le rationnel est rattaché à l'arationnel de manière définitivement négative. Cette négativité indépassable du rationnel fige la philosophie dans une négativité qui ne peut être dépassée que par la foi (positive en tant qu'elle est indicible).
C'est une position théologique plus que philosophique, qui exprime la supériorité de la foi sur la raison, mais le problème est que cette approche chrétienne de Dieu disjoint la raison et la Raison. Surtout elle établit une définition du réel (de Dieu) qui exprime la catégorie centrale du nihilisme : l'impossible. Marion a beau jeu de rappeler que Pascal était un sceptique, comme Descartes ou Montaigne. Mais si la philosophie s'arrête à des certitudes négatives, alors son exercice est à jamais fixé, donné, inchangeable.
C'est un problème chrétien. Car cette conception d'un savoir fixe est typique du nihilisme, pas du transcendantalisme monothéiste et chrétien dont se réclame Marion. Au contraire, l'idée de savoir en tant que connaissance figée n'est pas chrétienne. Le propre de l'homme est de progresser constamment, hors de l'idée de donné. C'est la plus sérieuse objection à adresser au scepticisme (figer la connaissance dans le négatif) et c'est en quoi il convient de rattacher Marin à la tradition du compromis dont il ne sort pas à la suite de Descartes.
Pour ce qui est de Pascal, penseur catholique, Pascal n'est pas un sceptique. Le croyant de la fin de vie juge que la philosophie n'est jamais que la propédeutique de la foi (que la foi intègre l'exercice de la pensée). Pour lui, la limite négative de la pensée rationnelle l'amène plutôt à conforter sa foi dans le christianisme. Parler de scepticisme pour Pascal est tendancieux.
Quant au scepticisme de Descartes, il renvoie au compromis entre nihilisme et transcendantalisme. C'est ce que Marion essaye de renouveler à son tour, de manière totalement répétitive par rapport à Descartes. A une époque d'immanentisme terminal ou l'immanentisme s'effondre, Marion le chrétien ne se rend pas compte qu'il ne parviendra pas à réconcilier le christianisme et l'immanentisme - ni à refonder le christianisme en lui injectant des parcelles d'immanentisme. Si le transcendantalisme est mort, sous les coups de buttoir de l'immanentisme, l'immanentisme est mort.
C'est ce que Nietzsche n'avait pas prévu : Dieu serait mort? Le désir de néant est mort. De Dieu, seule la représentation transcendantaliste, une certaine conception humaine, est morte. Dieu ne peut mourir. C'est assez étrange, comme délire, cet assassinat de Dieu partout célébré, sauf dans la cervelle échauffée de notre misanthrope Nietzsche, qui confond son désir avec le réel, qui prend son désir pour le réel (des vessies pour des lanternes). La mort de l'immanentisme devrait indiquer à Marion que la voie qu'il choisit le condamne à intégrer du nihilisme moribond dans du religieux transcendantaliste dépassé. On ne réveille pas un cadavre avec un cadavre.
Seule l'ontologie finie du nihilisme peut mourir. Quant au religieux qui exprime l'infini, il ne peut mourir. Il peut seulement changer de forme (de représentation). L'impossible dont se réclame Marion est un compromis entre l'impossible nihiliste (refus du principe de non contradiction) et la théologie négative (seul l'arationnel lève la contradiction, de manière incompréhensible). Le problème tient dans le glissement de sens que Marion opère entre théologie et philosophie. La théologie est le discours rationnel au service de Dieu, quand la philosophie est le discours rationnel qui s'appuie sur l'homme seul (dans tous les sens du terme).
La théologie négative est au service de Dieu. Marion transpose la théologie négative en philosophie négative, en incluant dans son mouvement Pascal, qui serait à rapprocher de la théologie négative (bien que Pascal soit un janséniste de l'affirmation davantage qu'un théologien négatif). La philosophie négative fonde l'idée que le processus de la raison est négatif en plus d'être sans rapport autre que d'inféodation avec la Raison.
Dans la connaissance classique, si la raison est imparfaite, l'homme présente la possibilité d'accroître sa connaissance. On peut parler d'un lien entre raison et Raison au sens où si la raison est imparfaite, la connaissance est possible. La possibilité de connaissance fonde la possibilité d'un progrès de la connaissance, qui ne soit pas seulement circonscrit à la démarche scientifique.
Marion rappelle que la science coupe le réel en objets non représentatifs du réel. Pour lui, la science positive incertaine est l'apanage des branches scientifiques, quand la science des sciences, la philosophie (l'ontologie), serait l'expression de la négativité. C'est oublier que la science des sciences n'est appelée telle que parce qu'elle participe de la démarche de l'incertitude positive - pas parce qu'elle aurait la même démarche appliquée à l'universel, et non plus au particulier.
Définir la philosophie comme science des sciences, c'est définir la démarche philosophique non pas comme négativité certaine, mais comme positivité incertaine. C'est une caractéristique peu remarquée de Marion et des sceptiques en général que la définition de la philosophie comme négativité engendre une certitude paradoxale, sur le mode du "je sais que je ne sais pas". C'est une lecture forcée de l'adage socratique, au sens où Socrate explique que toute connaissance rationnelle est vouée à l'incomplétude et à l'imperfection.
Le je ne sais pas renvoie à cette incomplétude. Quant au je sais positif, il indique que malgré cette incomplétude, l'homme peut progresser dans la connaissance - qu'il est capable d'un savoir positif, même imparfait et incomplet. La lecture de Marion vise en fait à biffer cette imperfection de la connaissance en décrétant qu'il est un moyen d'accéder à la certitude : le paradoxe de la négativité. Du coup, le scepticisme peut être défini comme un fanatisme à rebours. Le fanatisme édicte la certitude de la connaissance positive, quand le scepticisme édicte la certitude de la connaissance négative.
Si l'on peut comprendre que l'impossible soit chez les sceptiques croyants le moyen de définir négativement ce qui est supérieur au possible fini, cette définition négative libère le nihilisme contenu dans le négatif. Négatif est à entendre dans un sens synonyme de fini. L'impossible serait ce qui est infini par rapport au possible qui serait le fini. Problème : cette définition reprend la conception nihiliste de l'antagonisme entre réel et néant, sauf que le néant se trouve remplacé par Dieu. Pour amorcer une réconciliation englobante de type transcendantaliste, le métaphysicien adepte du compromis postule que le divin est de nature miraculeuse, avec une toute-puissance incompréhensible qui indique que le christianisme contient en son sein des éléments de dépassement du transcendantalisme, quand la forme la plus cohérente de monothéisme correspond sans doute à l'Islam.
Le scepticisme est un moyen de concilier nihilisme et transcendantalisme plus que de les dépasser. On demeure dans une interprétation finie selon laquelle l'homme n'a accès qu'au fini. Quant à l'infini, il n'existe qu'à l'état d'impossible miraculeux. L'attention que prête Marion à l'impossible en tant que figure de Dieu est instructive, car pour Marion comme pour les sceptiques de la tradition cartésienne, l'impossible est ce qui transcende le possible.
L'infini n'est pas rationalisable. La compréhension de l'arationnel pour Marion est de l'ordre de l'incompréhensible. Certes pour Marion l'arationnel n'est pas l'irrationnel, mais à quel prix? L'irrationnel est l'inverse du rationnel, soit ce qui est chaotique, alors que l'arationnel est ce qui englobe la raison, soit ce qui n'est pas chaotique, mais définitivement incompréhensible. Dans cette compréhension transcendantaliste/nihiliste, l'irrationnel n'existe pas vraiment, ou existe à l'état marginal; mais : l'arationnel n'est-il pas devenu irrationnel sous le coup d'un compromis qui intervient alors que l'on ne peut mener de compromis avec le nihilisme sans se trouver détruit par le spectre du néant positif?
Pis, Marion intervient avec sa science impressionnante (et faussée) alors que le transcendantalisme s'est effondré, sous les coups de buttoir de l'immanentisme, et que l'immanentisme s'effondre à son tour. Le compromis entre deux formes dépassées, en particulier une forme destructrice (l'immanentisme), est inutile autant que suicidaire. On ne fait pas de l'avenir avec de la réaction, fût-elle double. Faire ressurgir le passé en tant que forme linéaire est dépassé. Le passé sert à changer, au sens où l'avenir se sert du passé pour changer.
Dans cette configuration, l'effort de Marion pour concilier le christianisme et l'immanentisme traduit l'échec couru (cousu) d'avance d'un cartésien qui surgirait après la bataille (je n'ai rien contre les mercenaires, ni contre Descartes). L'impossible est défini comme ce qui ne peut être. L'impossible est typiquement la catégorie du nihilisme, qui prônant au final le néant encourage l'impossible. L'impossible détruit l'être et inféode tout type d'être au néant.
Mais l'impossible recoupe aussi la catégorie du miracle, car dans la concpetion cartésienne, Dieu existe d'autant plus qu'il est miraculeux, c'est-à-dire qu'il se soustrait aux lois du réel, qui sont considérées comme les lois de la physique définitivement définies. La physique désigne la conception d'un réel fini - surtout stagne, figé, fixe, immobile. Dans cette conception, effectivement, qui chez Descartes prend l'aspect du mécanisme quasi radical, Dieu est impossible (et miraculeux) en ce qu'il ne peut être selon les lois de la physique. S'Il est, c'est de manière miraculeuse. L'arationnel prend la forme du miracle, de l'inexplicable, de l'incompréhensible.
L'impossible réfute la catégorie de l'être sans en proposer de substitut. Sans être, il n'est que du non-être. Le non-être prend une forme explicite chez un Gorgias; il prend une forme implicite chez un Descartes. Le scepticisme n'est pas une trouvaille au sens où l'on trouve quelque chose. C'est un moyen de légitimer, voire d'escamoter le nihilisme en le faisant passer sous l'explication (inexplicable) du négatif (on ne trouve rien). L'impossible devient la catégorie de l'arationnel. Malheureusement, cette tentative de faire entrer le loup dans la bergerie (le nihilisme dans le quelque chose) ne contribue nullement à apaiser les choses.
Il serait temps de définir (à l'aune de la définition de Leibniz) l'arationnel, le rationnel et l'irrationnel. Si l'on se souvient qu'il n'est pas de rien, qu'il n'est que du quelque chose, sans quoi l'homme se promet au néant qu'il introduit par faiblesse (vrai visage de ce consensus mou sceptique), il convient de rattacher l'impossible à l'irrationnel. Mais l'irrationnel n'est irrationnel que positivement. L'irrationnel comme l'illusion sont des concepts qui n'existent pas positivement au sens où le néant n'existe pas positivement.
La négativité exprime seulement le fait qu'une idée est mal posée. C'est le cas de l'impossible et de la démarche du scepticisme. Ce que cette idée de scepticisme (et d'impossible) signifie, c'est que la notion d'arationnel transcendant ou englobant est fausse. Du coup, Marion et les cartésiens essayent de concilier ce qui est mal posé (le transcendantalisme) avec ce qui ressort, la question nihiliste originale (que l'on pourrait rapprocher du péché originel). Le nihilisme aurait disparu si le transcendantalisme était parvenu à éradiquer la question qu'il pose. Cette question étant : que fait-on du néant?
Le transcendantalisme évacue le néant sans le reconnaître. Du coup, le néant ressurgit à mesure que le transcendantalisme s'essouffle et s'effondre. L'irrationnel n'existe pas en tant qu'irrationnel, mais surgit chaque fois que le rationnel est mal posé. L'arationnel n'existe pas en tant qu'impossible, mais en tant que possible. L'arationnel était ce qui englobe aux yeux du transcendantaliste. Les sceptiques comme Marion essayent de concilier l'impossible nihiliste avec l'arationnel transcendantaliste.
Mais l'arationnel désigne la différence entre la représentation rationnelle finie et imparfaite de la partie et la représentation rationnelle infinie et parfaite du tout. Dans l'inconnu, le rationnel est confronté à l'inconnu rationnel d'éléments finis comme lui dont il ignore l'existence et le fonctionnement, mais dont il peut acquérir la connaissance du fait du caractère identique de leur finitude. Cet inconnu connote aussi l'arationnel qui ne peut être jamais tout à fait connu en tant que l'infini ne peut être connu tout à fait du fini.
L'irrationnel désigne la croyance en l'incapacité de la raison à comprendre quoi que ce soit de l'inconnu. L'irrationnel est l'antonyme du rationnel en ce qu'il existerait à côté d'un réel rationnellement connaissable un réel rationnellement inconnaissable. Cette conception rejoint la doctrine nihiliste, selon laquelle le néant est l'antagoniste absolu du réel. Ce n'est pas la même chose de décider que l'arationnel ne peut être jamais compris ou qu'il ne peut jamais être tout à fait compris.
L'irrationnel n'existe que dans cette idée de l'existence de l'incompréhensible radical. Il est impossible de comprendre dans l'hypothèse de l'incompréhensible radical. Est irrationnel non ce est inconnu, mais ce qui est inconnaissable. Ce qui n'est pas connu et qui est fini est rationnel et rationalisable. Ce qui n'est pas connu et qui est infini n'est pas rationnel, mais est rationalisable. Ce constat implique l'idée que l'arationnel est rationalisable en partie, mais rationalisable.
La rationabilisation de l'arationnel est toujours soumise à l'imperfection constitutive de la rationalité. Ce n'est pas la même chose que de considérer que l'arationnel n'est pas rationalisable du tout (est irrationnel) ou que l'arationnel n'est jamais totalement rationalisable, bien que rationalisable en partie (imparfaitement). Le caractère rationnel de l'arationnel est imparfait mais existe. Le caractère irrationnel indique que tout effort de rationalisation est impossible.
C'est pourtant ce choix que le sceptique Marion élabore dans le droit fil du scepticisme antique (l'arationnel est évacué) et de la forme moderne de type cartésien (un scepticisme qui aboutit à l'amalgame de l'irrationnel et de l'arationnel). Marion franchit un pas par rapport à Descartes en explicitant le rapport d'impossible. Mais si l'on en revient à cette idée que l'arationnel est rationalisable en partie, le caractère infini de l'arationnel indique que cette rationalisation ne sera jamais complète tout autant qu'elle sera toujours en progrès.
Le progrès de la rationalisation de l'infini est indéfini. Dans cette perspective, la dynamique indique le caractère indéfini du progrès fini face à l'infini. Le changement est indéfini puisque l'infini n'est pas limitable. L'idée selon laquelle il n'est de connaissance globale que négative, telle que le scepticisme la développe, telle qu'elle apparaît chez Marion, est fausse. Marion, qui est un brillant commentateur, mais pas un penseur, reprend une idée fausse en se révélant aveuglé par le prestige de ceux qui se trompent (en particulier de Descartes).
Il convient de distinguer entre l'incertitude positive et la certitude négative. Selon un sceptique, l'incertitude positive étant impossible, seule la certitude négative est possible. Cette possibilité incomplète et imparfaite ouvre le champ soit pour que l'incomplétude finie soit complétée par du néant (hypothèse nihiliste); soit que l'incomplétude finie soit complétée par du miraculeux (hypothèse cartésienne, que prolonge Marion).
Mais l'incertitude positive rend impossible au sens nihiliste d'un faux fuyant la certitude négative. Dans cette configuration, il convient d'affirmer haut et fort que l'incertitude positive n'est pas dévolue seulement (et arbitrairement) aux sciences du fait de la réduction épistémologique qu'elles induisent; mais que les sciences sont des incertitudes positives partielles au sens où tout type de connaissance est incertitude positive.
Les sciences sont des incertitudes positives partielles de la connaissance en général, qui se définit comme indéfinie incertitude positive. La connaissance est une incertitude positive perpétuelle et indéfiniment changeante. Cette définition caractérise l'ontologie en premier lieu. C'est la raison pour laquelle on nomme l'ontologie la science des sciences. Non qu'elle soit une science rigoureuse au sens où la science désigne une démarche d'objectivation et de réduction du réel à un objet d'étude. Mais que l'objectivation ne soit possible que dans une réduction, alors que le réel n'est pas réductible au fini (il est infini).
Dans cette optique, il est urgent de réhabiliter l'incertitude positive contre la certitude négative. La certitude négative tend vers le nihilisme. Pour preuve, dans la logique de Marion, elle aboutit à faire de Dieu une intervention miraculeuse. Dans le nihilisme, le rationnel est limité par l'irrationnel, et même le rationnel est dominé par l'irrationnel (selon les arguties de Gorgias). Dans un monde où la connaissance est possible, il n'est pas possible d'opposer l'irrationnel miraculeux de Dieu au rationnel sensible. Le réel au néant. L'incertitude positive signifie en premier lieu que la connaissance rationnelle finie est possible.
C'est la possibilité de connaissance que le scepticisme détruit sous prétexte d'apporter une certaine dose de certitude (frelatée). La certitude négative contre l'incertitude positive. Sous prétexte qu'il n'y a pas de certitude positive, mieux vaudrait conserver la certitude même négative que de recourir à l'incertitude même positive. En réalité, l'immanentisme a pu détruire le transcendantalisme parce que le transcendantalisme a montré que son incertitude positive devenait de plus en plus incertitude et de moins en moins positive. Face à l'arnaque théorique immanentiste, la seule connaissance rationnelle renvoie à l'incertitude positive.
Dans une représentation du réel, la démarche de connaissance qui n'est pas adossée à une représentation du réel de type religieux est vouée à la disparition de type nihiliste. Face à l'extension démesurée du fini (l'espace qui ne se réduit ni au bassin méditerranéen, ni à la Terre, mais à des univers de plus en plus gigantesques), le schéma théorique religieux classique (de nature ontologique) a volé en éclat. L'hypothèse transcendantaliste n'est plus viable, car l'Être de Dieu est introuvable.
Il convient d'intégrer le néant comme quelque chose qui complète le fini incomplet. Dans ce schéma, l'enversion néanthéiste remplace l'englobement transcendantaliste. La connaissance dans le schéma néanthéiste implique moins la conquête finie (de type scientifique) que la redéfinition de l'infini. L'immanentisme a permis de faire progresser le domaine du fini à un point tel qu'il a révolutionné la science tout en faisant exploser le schéma transcendantaliste. Pour que la connaissance finie puisse continuer à poursuivre sa croissance, il convient de redéfinir l'infini. Selon le néanthéisme, l'infini signifie le néant néanthéiste, soit le quelque chose enversé.
Dans ce schéma, la connaissance incertaine redevient envisageable et la connaissance certaine est une aberration. Pour poursuivre sa croissance historique, l'homme doit se rendre dans l'espace. Cette croissance physique ira de pair avec une mutation religieuse. Il n'est pas possible d'opérer cette mutation en recourant à des alliances entre modèles sclérosées, comme le fait Marion entre son scepticisme néo-cartésien et le christianisme. Ce n'est pas en pactisant avec le diable que l'on renouvelle le divin. Ce n'est pas en pactisant avec le nihilisme (sous sa mouture immanentiste) que l'on renouvelle le religieux.
Renouveler Dieu : faire de Dieu non pas le modèle de complétude impossible, mais le modèle d'incomplétude possible.
1 commentaire:
Si vraiment tu trouves Dieu, en toi, dans ton corps... mais c'est très bien! Alors, on devrait pouvoir en parler, se comprendre. Il serait même possible de partager l'expérience mystique.
Bonjour chez vous!
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