lundi 25 octobre 2010

La Fronde

Le pouvoir oligarchique ne supporte pas qu'on le dévoile, mais supporte qu'on le voile.


Qu'est-ce que l'oligarchie? Ce n'est pas un pouvoir occulte unifié qui serait calqué sur le même modèle que le pouvoir visible. C'est un pouvoir affaibli, diffracté, éclaté. Il n'existe pas de pouvoir unifié, pyramidal et fort dans le régime de l'occulte et dans le registre du secret. Raison pour laquelle les complots, s'ils existent bel et bien, signalent un affaiblissement des structures de pouvoir, pas du tout la manifestation de la toute-puissance maléfique et/ou diabolique. Le délire complotiste, au sens strict du terme, et pas dans une acception de mauvaise foi (pour ceux qui veulent éviter les problèmes pourtant effectifs), signale l'affaiblissement, pas la force dans l'occulte.
Le délire de toute-puissance du mal n'existe pas. Le mal est tout-faible au sens où il se présente comme tout-puissant. C'est une toute-puissance de l'instant qui sur la durée est toute-faiblesse. C'est un instant qui se voudrait éternité. Le subterfuge de cette supercherie consiste à faire comme si l'instant était l'éternel. Déni aussi impossible qu'improbable. Prenez le cas Montbrial. Notre économiste brillant, ultradiplômé, est un cas d'oligarchie. Il appartient à ces conseillers économiques français qui opèrent au plus haut niveau de la stratégie économique française, en lien avec les institutions internationales les plus éminentes.
Montbrial est accessoirement membre du fantasmé Bilderberg, mais surtout provient du cénacle de ces stratèges économiques qui oeuvrent au Conseil d'Analyse et de prévision et qui ont fondé des relais privés de ces partenariats publics (comme les think tanks IFRI ou CEPII). En France, Montbrial est une des ces têtes (dé)pensantes qui ont garanti le passage du régime républicain gaulliste au régime oligarchique de facture ultralibérale avec le passage de l'indépendance française (dont le républicanisme intérieur était additionné de néo-colonialisme à l'extérieur) à l'indexation aux normes de l'Empire britannique (l'Empire français existait avant qu'il ne soit avalé par l'Empire britannique).
On s'émeut aujourd'hui du spectacle sinistre d'un président français néoconservateur et ultralibéral, mais le parcours d'un Montbrial rappelle que cette évolution n'est pas récente, mais provient de ces quarante dernières années. Montbrial a commencé à investir au plus haut niveau économique de l'Etat français sous VGE. Un Montbrial n'est pas davantage le maître tout-puissant et occulte de l'oligarchie française que David Rockefeller (que l'on présente parfois comme le premier ministre occulte du capitalisme mondialisé!) ou même un Jacob Rothschild, pourtant assez influent dans ces arcanes nauséabondes de la finance justement baptisée de folle.
Montbrial prouve seulement que le pouvoir oligarchique est multiple, éclaté et affaibli. C'est une mentalité qui ne procède pas de décisions concertées et pyramidales. Un Montbrial illustre le fait que le pouvoir s'est affaibli au sens où la prise de décision s'est élargie et s'est diminuée. Alors que le pouvoir des Trente glorieuses concentrait les décisions entre quelques mains, le pouvoir ultralibéral est oligarchique au sens où il dissémine les décisions entre les mains d'une infinité croissante de cerveaux.
Paradoxe oligarchique au sens où le peu accouche d'un nombre croissant de membres. Un Montbrial illustre ce glissement vers le pouvoir oligarchique au sens où il enseigne la science économique ultralibérale et monétariste dans des institutions prestigieuse comme l'Ecole Polytechnique, qui est le reflet actuel de la mentalité oligarchique et immanentiste (trahison complète de sa fondation te de l'histoire d'un Carnot).
Montbrial est un symptôme et un indicateur de ces élites oligarchiques qui révèrent le paraître financier, mais qui ne cessent de croître comme les métastases d'un cancer. L'image du cancer est l'indicateur de l'oligarchie, comme l'avait bien senti le candidat présidentiel Cheminade en 1995 (largement calomnié et ruiné par ce même pouvoir oligarchique qui ne supporte pas qu'on le dévoile, mais qui supporte qu'on le voile). Le cancer est cette maladie qui prospère tant qu'elle gangrène un corps. Mais paradoxalement le triomphe suprême du cancer signe aussi sa défaite inéluctable : car le triomphe du cancer implique la défaite du corps contre lequel il lutte et qu'il habite contradictoirement.
Du coup, si le corps parasité meurt, le cancer victorieux précipite aussi sa disparition définitive. Ainsi de l'oligarchie qui gagne en pouvoir tant qu'elle métastase les institutions républicaines mais qui a besoin de ces institutions pour prospérer. L'oligarchie n'est pas un système alternatif et pérenne du système républicain. C'est un système vicieux qui tel le coucou parasite le système majoritaire et qui besoin de l'existence de ce corps qu'elle prétend combattre. Encore un signe qui manifeste l'infériorité et le caractère autodestructeur plus encore destructeur de ce système vicié.
Le fonctionnement de l'oligarchie n'est pas pérenne et ne respecte pas le principe de non contradiction. D'ailleurs, les immanentistes terminaux comme Rosset s'en vantent : ils soutiennent l'irrationalisme, ainsi que le réclamait un Leopardi, qui demande rien moins que l'accession supérieure au principe de contradiction. Ben voyons. Bien entendu, les théoriciens lucides du nihilisme ne sont pas légions, car le propre du nihilisme est d'avancer masqué ou plutôt dénié.
Des théoriciens comme Montbrial n'ont aucun regard lucide sur le mécanisme ontologico-religieux qui les meut. Au contraire, ils suivent des principes économiques comme l'ultralibéralisme qu'ils mâtinent parfois de considérations keynésiennes (qu'ils tiennent pour progressistes). Mais des Montbrial sont des stratèges qui se meuvent à l'intérieur de l'immanentisme, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas conscience de son extériorité et qu'ils le prennent pour un substrat dogmatique indéboulonnable.
Les théoriciens qui sont mis en avant actuellement et qui défendent les principes du libéralisme (que ce soit progressiste ou conservateur) n'ont pas la faculté d'analyser le champ du réel par rapport à l'homme. Ils réduisent, ils réduisent. Ils pensent à l'intérieur de la société humaine, mais ils vont bien plus loin que la réduction d'obédience positiviste intentée par les sciences humaines. A l'intérieur de la société humaine, ils pensent en termes d'économie et plus encore de financier (monétariste).
Ces types (au sens balzacien) sont des hyperréducteurs, qui ont de tels prismes déformants qu'ils sont incapables de remettre en question les postulats infranchissables et irréfutables qu'ils estiment réels alors qu'ils ont été instaurés seulement par la mentalité humaine et étriquée d'où il viennent. Quand on comprend Montbrial comme un type du monétarisme assez conservateur, on mesure l'aspect aussi emblématique que roboratif de son analyse. Il prétend apporter, en qualité de président de l'IFRI et créateur d'un énième think tank consacré à la mondialisation libérale (en phase ultra), son analyse qui est assez surfaite.
En gros, Montbrial est en faveur du droit des plus forts, qu'il remet à la sauce mondialiste du jour. Rien de bien original. Les théoriciens de son acabit sont souvent formatés, peu originaux et ne font que renvoyer à la mentalité de ceux qui ne versent pas dans l'analyse, mais dans l'action purement économique. Montbrial se montre fasciné par la culture libérale anglo-saxonne et par le côté international du mondialisme (la mondialisation à la sauce libérale). Quels sont les adjectifs qu'il emploie pour qualifier la mondialisation qu'il entrevoit en stratège ventriloque des élites acquises au libéralisme? "Multipolaire, hétérogène et global". Ce triptyque très professoral lui permet de se glisser dans la peau d'un théoricien travaillant à partir du kéynésisme, en tout cas à partir de l'idée selon laquelle la mondialisation suppose une gouvernance. Désormais que l'unipolarité est un concept faisandé et périmé, faisant trop impérialiste, il convient de l'habiller du doux nom de multipolarité - et de s'attacher aux deux autres adjectifs que Montbrial emploie pour comprendre cette mentalité.
Tout d'abord, global (pour ne pas suivre l'ordre qu'il privilégie). On aura un aperçu de cette globalité en reprenant le modèle actuel de l'Union européenne. Alors que les fondateurs de l'Europe l'avait axée sur un projet politique (l'Europe des nations), nous sommes passés à un modèle qui pour trouver un point fédérateur rapide a abandonné toute prétention politique, qu'il a remplacée par de l'économique le plus dévalué - du financier.
Le fonctionnement de l'Union européenne est ultralibérale suivant de petites inflexions qui entérinent les fondamentaux les plus radicaux et impérialistes. Or c'est ce modèle postimpérialiste (selon les termes des gourous de cette Union européenne) que Montbrial reprend pour qualifier la future globalité. L'humanité mondialiste sera gouvernée par des critères purement financiers et avec l'apologie inconditionnée du droit du plus fort. Marche ou crève - malheur aux vaincus. Le pire est que Montbrial, saisi par une démesure qui rappelle celle des concepteurs de la tour de Babel, n'imagine que son alternative ou le chaos.
L'excuse est toute trouvée pour ces sbires cyniques et sinistres : c'est soit le droit du plus fort, soit rien. Et après, comment voulez-vous ne pas qualifier cette mentalité de nihiliste (même déniée et inconsciente)? Mais alors quelle est cette hétérogénéité que Montbrial entrevoit comme inévitable?
- Elle cache un cynisme invraisemblable, car Montbrial use d'une litote pour ne pas dire que ce monde multipolaire mais globalisé qu'il entrevoit implique des inégalités assez flagrantes. Sans le vernis jargonnant qu'emploie Montbrial pour se parer du prestige professoral, c'est un modèle classique d'oligarchie, dans lequel très peu de gens concentrent la majorité des richesses, quand la plupart vivent plus ou moins dans la misère.
- Cette hétérogénéité est un terme technique dérivé de la multiplicité chère aux atomistes et aux écoles d'obédience nihiliste de l'Antiquité. Un monde qui serait unipolaire serait au fond incompatible avec le principe oligarchique dérivé de l'ontologie nihiliste. Montbrial évoque l'erreur de l'unipolarité avec une certaine satisfaction, car elle lui permet de passer pour un progressiste; mais aussi de ne pas sombrer dans une vision simpliste qu'il estime pour sa part fausse. Montbrial est un conservateur mâtiné de progressisme, qui se montre favorable à la liberté d'expression pourvu qu'elle ne remette pas en question son cadre de penser.
Dans la conception antique, le monde ne peut qu'être multipolaire si l'infini est déni ou est plus explicitement défini comme le synonyme du néant. Cas d'un Aristote pour le déni; cas d'un Démocrite pour l'atomisme. Dans tous les cas, la multiplicité ontologique est prolongée par l'hétérogénéité politique. Certes, cette hétérogénéité est source de multiples scandales pratiques, mais elle devient nettement plus acceptable quand on la domine et qu'elle est tenue pour nécessaire.

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