mercredi 27 octobre 2010

Renabot

Un Daudet au Renaudot? - Comment être contre le système qui vous le rend bien.

Si nous remettons les choses en place concernant un événement insignifiant fort significatif (ce qui donne sens sur le moment est souvent insignifiant, ce qui dure souvent insignifiant sur le moment), restaurons une lucide vision : à propos de la nomination en seconde liste au Renaudot d'un Marc-Edouard Nabe, pseudonyme pour un certain fils de, un jazzman qui s'est rendu célèbre (et aisé) par un tube fameux quoique médiocre. Si tant est que nous ayons un peu de goût et un peu de distance, nous pouvons nous rendre compte que notre turbulent écrivain contemporain vaut mieux qu'un Beigbeder, moins que la cheville d'un Céline, qui est l'un de ses auteurs de révérence. Un mineur - de l'écriture.
Mais assez perdu de temps à jauger d'un style sans fond et plein de fard qui ne passera pas la rampe de la décennie. Nabe aurait-il gâché sa gouache? Pas sûr - quand on contemple ses tableaux. Depuis peu, après une saison en enfer, c'est-à-dire dans l'ostracisme mondain et médiatique (relatif), Nabe a trouvé son annabase. Nabe a cru rebondir en passant la postérité puisqu'il ne passerait pas à la postérité - la fausse invention du concept d'anti-édition. Un peu de lucidité, bonnes gens, Nabe n'a rien inventé du tout.
Une fois de plus, il a fait montre de sa mentalité people outrancière et désuète en tirant Internet vers Gutenberg et en parodiant l'autoédition qui a eu ses grandes modèles entre le dix-neuvième et le vingtièmes siècles. A part insulter copieusement les critiques, ce qui en dit long sur son talent de haine et l'importance qu'il leur accorde, notre soi-disant Grand Ecrivain pour rebelles fascinés par la contre-culture médiatique, celle qui croit qu'on est pour quand on est contre, montre de plus en plus ouvertement qu'il ne vaut guère mieux que ceux qu'il assaille de ses sarcasmes.
A force d'être contre, Nabe est tout contre. Nabe se trouve nominé en seconde liste pour le Renaudot, un de ces innombrables prix parisiens, totalement sous la coupe des milieux de l'édition que notre Nabe prétend combattre et quitter. Comment expliquer ce miracle? Des malhonnêtes médiocres qui soudain deviendraient des saints? Une explication : Nabe fait partie de ce milieu et a rendu service à ce milieu en prétendant le desservir. Il joue à l'ostracisé, mais c'est en tant que people (marginal) qu'il incarne la figure de l'écrivain maudit. Notre Nabe veut bien être anarchiste, maudit, décrié, banni, à condition qu'il soit people.
Autrement dit, Nabe est un élitiste fervent qui joue à fond sur la montée en puissance de la mentalité oligarchique dans notre époque. Il n'est pas anarchiste, mais individualiste, égocentrique et arrogant. Ses journaux intimes narrent en détail cette croissance impudente de la mondanité comme reflet de l'oligarchie, mentalité détestable à laquelle Nabe adhère sous le masque de l'anarchie. Comment être soutenu par ceux qu'on attaque en apparence? Se moquer de l'intérieur, sans esprit d'extérieur. Nabe est un terrible aveu de ce qu'est un petit écrivain mondain (un salonnard à la Léon Daudet) qui croit que c'est en invectivant de haine le milieu auquel il appartient qu'il accédera à la postérité. Malheureusement, Proust le montre, on ne peut sortir de son milieu qu'en se montrant capable de porter un regard critique.
Avant d'y parvenir, Proust écrit Jean Santeuil, un roman encore sous la coupe de Saint-Germain. Proust a réussi à sortir La Recherche, Nabe ne passera pas la barre - à thym. Anti-Proust, sous-Céline, Nabe reste à l'intérieur en confondant l'extérieur et la méchanceté. Nabe accepte de détruire l'objet auquel il appartient à condition que cet objet demeure son cocon protecteur. C'est en apparence irrévérencieux, mais c'est tout à fait contradictoire. Pour critiquer son milieu social, il faut inventer un nouvel endroit où se tenir. Proust inventera un lieu supérieur à la mondanité, qui sera l'adhésion à une métaphysique d'inspiration platonicienne, quoique de réalisation contestable, entre Bergson et Schelling.
Nabe n'a rien inventé du tout puisque les valeurs qu'il promeut, outre qu'elles sont contradictoires, superficielles et à courte vue, comme son anarchie mondaine dans la droite ligne du professeur Choron, ne mènent que vers le soutien objectif des valeurs dominantes qu'on prétend combattre. Nabe serait un rebelle qui soutiendrait les valeurs musulmanes contre le libéralisme occidental? Comment ne pas voir qu'il s'agit d'une parade où l'Islam (avec sa variante géographique l'Orient) se trouve largement fantasmé, quand aucune alternative politique n'est proposée pour remplacer le libéralisme?
L'événement capital qui fonde notre époque est le 911. Ceux qui comprennent que la VO est fausse n'ont certes pas toutes les chances d'avoir compris, car ils peuvent se tromper du tout au tout concernant la véritable version des faits (ainsi de ceux qui s'arrêtent à l'accusation contre les sionistes, alors que la participation des sionistes ne peut qu'être subordonnée à la commande supérieure des financiers de l'Empire britannique); mais ceux qui soutiennent la VO du 911, qui sont-ils? Ils ont toutes les chances de n'avoir rien compris.
Leur masque tombe, car quelle que soit la position dont ils se réclament, ils soutiennent le système au moment où il tombe. Ils ne se plantent pas, ils récoltent leur ivraie. On a vu le masque tomber chez ces hideux gauchistes des Etats-Unis qui défendaient d'autant plus la VO du 911 qu'ils s'en prenaient à l'impérialisme américain (comme si l'impérialisme actuel émanait d'un Etat-nation, alors qu'il prend en orage les Etats-nations et qu'il est le fait de factions oligarchiques, mondialistes et apatrides). L'identité de Nabe est encore plus tragique : c'est en anarchiste qu'il défend la VO au moment où elle est sur le point de s'effondrer.
Est-ce parce qu'on ne peut accéder à la vérité quant au fonctionnement du système mondialiste quand on est un people parisianiste et salonnard, un mondain qui trompe son monde et qui se trompe de monde? Non seulement Nabe s'égare du tout au tout, mais il ne peut pas ne pas se rendre compte qu'il se plante - à moins de manifester une gaucherie moins gauchiste que veule. La deuxième option est malheureusement crédible. En tout cas, son livre anti-édité n'est possible que parce que Nabe le people mondain a les relations et les moyens pour réaliser ce genre de prouesses financières et alors que la qualité littéraire Gutenberg est tout à fait médiocre.
La nomination indirecte au Renaudot, pour très peu valorisante qu'elle soit (même relativement), indique ce qui se passe dans les cercles oligarchiques du milieu littéraire : la crise de valeurs est tellement grave (et tellement plus qu'économique) qu'on encense celui qui défend le fonctionnement oligarchique, quelles que soient les conditions qu'il y met. Défendre la VO du 911, c'est être pire qu'aveugle. C'est être le pire des collaborateurs - pour celui qui osa dénoncer les collabeurs. Quant à produire des romans d'autofriction sur un monde d'anti qui défendent la VO et attaque les élites parisianistes, cette mascarade situe l'usage que Nabe fait de la littérature.
Comme ceux qu'il dénonce, lui aussi est un imposteur, mais un imposteur contre le système qui le lui rend bien. Etre anti, c'est apparemment pour ce genre de milieu être entier. Las! C'est Gutenberg qui se frotte les mains. La preuve que l'antiédition est l'allié objectif, voire l'idiot utile de Gutenberg (des maisons d'édition honnies), c'est que Gutenberg fait cas du faux rival rivé sur ses apparitions télévisées. Nabe peut bien se moquer des cercles oligarchiques avec un mauvais goût impayable - et croire de surcroît dans un élan d'individualisme grotesque et narcissique qu'il est trop fort, la vérité est que les premiers à le défendre sont les plus attaqués.
On mesure à ce genre de pitrerie la valeur effective des attaques. Nabe aurait attaqué des figures sacrées comme FOG, le méphistophélique patron du Point, qui représente une certaine tradition oligarchique française, celle des intérêts Pinault et de l'ultralibéralisme Sarko? Eh bien, d'après les confidences du Monde, un organe de l'ultralibéralisme de gauche, Giesbert en personne parrainerait la promotion de Nabe. Giesbert le cynique, qui n'en est pas à un calcul, se moque bien que Nabe se moque de lui! Entre people, on se comprend.
Ce qui intéresse notre Raminagrobis médiatique, c'est que Nabe, en défendant la VO du 911, soutient le milieu littéraire qu'il vomit. Beurk! L'anti-édition menace tant l'édition classique que Nabe lui-même avoue : en toute humilité, il faut être un écrivain de sa stature pour recourir à un système d'édition aussi coûteux. Au fait, qui soutient financièrement Nabe pour qu'il imprime son antiroman? Encore des mécènes aveuglés par son génie artistique si criard? Toujours cette clique qui accepte qu'on dénonce le système pourvu qu'on ne se presse surtout pas de changer le système si détesté? Qu'un Giesbert ait pu selon Le Monde soutenir Nabe en dit long sur l'engagement politique de Nabe, qui est une tartufferie vicieuse, et qui est connecté avec sa littérature.
Quand Nabe se trompe sur le 911, il se trompe par ricochet et plus fondamentalement sur son art. Il se trompe sur tout. Il trompe ses lecteurs enthousiastes qui croient défendre un véritable artiste résistant contre le système, alors qu'ils promeuvent une voix hystérique qui soutient le système oligarchique sous prétexte de la dénoncer - et promouvoir des valeurs individualistes exacerbées, comme l'anarchisme... L'affaire du Renaudot serait un gag tout à fait anodin (tellement dérisoire pour le prix Renaudot lui-même) s'il ne dévoilait le fonctionnement du système : tant qu'on collabore avec lui, il passe tout, y compris les pires insultes.
La fausse opposition est une posture. Le problème pour situer la valeur littéraire (et morale) de Nabe, c'est que notre romancier romancé se met à défendre le système au moment où il s'effondre. La nomination secondaire au Renaudot, prix de troisième catégorie, n'est pas seulement une insulte à l'effort de collaboration active de Nabe. C'est aussi la preuve que dans les milieux autorisés, la crise est passée par là et tout le monde se porte mal. Ceux qui soutiennent ouvertement comme ceux qui font mine de s'opposer en apparence.

3 commentaires:

Samuel a dit…

Dans le mille Emile, merci!

Koffi Cadjehoun a dit…

Merci à vous!

simplesanstete a dit…

Tout à fait d'accord
FOG est un gros enculeur par devant, air force 1, je l'avais déclaré sur le forum de Nabe et Mandrake, le proprio l'avait mis à la poubelle, of course. Nabe est acceptable pour les hauts parleurs. /