samedi 16 octobre 2010

Tant de crise


Dans cette vidéo, Serres donne son avis par rapport à la crise - avis qui sera développé dans son livre Temps de crise. Pour lui, la crise n'est pas seulement économique - et c'est juste. Pour lui, il faut du nouveau et du long, mais il se garde de proposer quoi que ce soit de positif. En fait, il n'a rien à proposer. Il se contente de mettre en garde contre les moralisateurs, voire de manière plus générale contre la morale. N'est-ce pas un moyen d'empêcher ce nouveau qu'il appelle de ses voeux?
Genre : je n'ai rien à proposer, donc j'appelle au nouveau tout en l'empêchant soigneusement... Je me dédouane de mes contradictions par ce terme péjoratif de moralisateur. A quoi sert Serres si son rôle est impossible à définir? Si le nouveau est moral, comment créer du nouveau sans verser dans la morale? Au lieu de faire preuve d'humilité, reconnaître qu'il ne détient aucun élément de nouveau, Serres recycle les poncifs de Heidegger (et sans doute d'autres phénoménologues tributaires de Husserl) quant à l'ouverture d'une "sorte de crevasse". Propos entièrement négatifs et qui en font que traduire le désarroi de Heidegger, incapable de définir l'Etre.
Pourtant, loin de cet échec travesti en réussite pédante, Serres avait bien commencé : il avait diagnostiqué une crise d'importance qui n'était pas seulement économique et il avait filé à ce propos la métaphore médicale : dans une crise de santé, l'organisme n'a d'autre choix que de créer un nouvel état de santé pour remédier à l'état de crise pathologique, qui est l'acmé de l'issue caduque. Changer signifie : instiller une nouvelle voie qui sorte de la voie préétablie et qui lui soit supérieure (si elle veut dépasser la crise et fonctionner de manière pérenne).
Dans ce cas, le choix de Serres d'opter pour la décroissance est conséquent et rejoint son symptôme mental quasiment pervers, consistant à appeler au nouveau tout en se gardant bien de proposer quoi que ce soit - et pis, en empêchant toute possibilité de nouveauté. Selon les termes de ce raisonnement pour le moins tortueux, alors l'option décroissance s'explique. Car la décroissance joue exactement ce rôle : prétendre proposer du nouveau tout en se gardant bien d'y apporter la moindre vérétille.
Qu'est-ce que la décroissance sinon l'idée qu'il faudrait un nouveau mode de production s'adaptant aux ressources finies (première erreur) tout en restant dans les bornes strictes de l'ancien monde soi disant caduc? Décroître consiste à décroître là où auparavant on prônait de croître. La décroissance recule alors qu'auparavant on avançait. La décroissance considère que le nouveau devient l'inverse de ce qui est. Le négatif du positif. Selon les propres termes de cette explicitation, la supercherie se trouve démentie par Serres lui-même, qui nous déclare qu'on ne fait pas de nouveau avec de l'ancien - qu'on ne peut revenir en arrière pour produire du nouveau.
Mais c'est exactement ce que propose la décroissance : décroître n'exprime rien d'autre que la proposition selon laquelle face à l'échec d'un certain type de croissance, il conviendrait d'opter pour l'opposé strict, l'inverse qui n'exprime rien d'autre que le retour en arrière le plus implacable et le plus irréfutable. Conclusion : aussi harmonieuse et contrôlée soit la décroissance (une utopie qui ne ferait qu'ajouter l'impossible à l'impossible), elle se traduit par l'expression de l'impossibilité.
Serres se contredit lui-même. Dernière perle dans ce bréviaire des contradictions (alors que la crise signifie peut-être la contradiction) : le nouveau selon Serres l'emblème de l'historien de la philosophie signifie que l'on demeure dans ce qui est sous prétexte de changer. Le changement est intégré dans le processus existant, ce qui fait que la solution de la nouveauté (la décroissance) consiste à produire du changement à condition que ce changement permette de ne pas changer.

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