mercredi 13 octobre 2010

La vache et les laitiers

A 99 ans, l'économiste et physicien (deux caractéristiques parentes) Maurice Allais est mort. C'était le seul prix Nobel d'économie que la France comptait dans ses rangs (déclinants) depuis la Seconde guerre mondiale. Cet homme vif et intraitable, parfois bourru, était entré en économie pour conjurer la crise économique qui avait frappé les années d'avant-guerre (la Grande Dépression) et qui aboutit aux fascismes européens, en particulier le virulent nazisme suivant la période démagogique de la république de Weimar en Allemagne.
Cet homme illustre, qui compte parmi les grands esprits français de son époque (des intelligences mineures, aussi instructives soient-elles) et qui dépasse de loin la stature médiocre des conseillers actuels prétendant édifier la France ultralibérale (les Attali, Minc et consorts), a connu depuis le début des années 80 le sort emblématique qui a frappé ceux qui dérangent parce qu'ils rappellent des vérités de bon sens : que certaines méthodes financières mènent tout droit vers l'écroulement économique et le fascisme. Que ces méthodes se nomment libéralisme sous la forme caractéristique de l'ultralibéralisme.
Ce qui restera d'Allais sont ses travaux autour de la Grande Dépression et pour une séparation des banques d'affaires et de dépôt, même si son positionnement de libéral-socialiste repose sans doute sur une dénomination assez complaisante des deux termes et si les idées qui fondent la valeur d'Allais sont mineures. N'oublions jamais qu'Allais a prévu et expliqué la crise qui est survenue entre 2007 et 2009 (et qui n'est certainement pas finie). C'est d'autant plus intéressant qu'Allais, en France comme dans le monde, reste un des seuls économistes à avoir vu venir ce qui allait se passer.
Bien qu'Allais ait eu raison, ou plus justement parce qu'il a eu raison, son destin médiatique depuis son opposition à l'ultralibéralisme en dit long sur la mentalité qui définit nos médias contemporains démocratiques en tant qu'ils sont le reflet de la mentalité dominante au pouvoir en Occident et dans le monde (l'Occident dominant le monde). C'est l'idéologie libérale qui domine - un libéralisme qui grade en radicalité et qui aujourd'hui s'exprime sous la forme de l'ultralibéralisme de Friedmann ou Hayek (des amis d'Allais). A mesure que le libéralisme s'effondre, il croît en virulence et en intolérance.
Allais ayant été un critique acerbe et intransigeant de cet ultralibéralisme qui affermit les plus forts tout en créant de plus en plus d'inégalitarisme et de pauvreté, il s'est trouvé exclu par ces médias qui ne donnent pas la parole aux plus compétents ou aux plus sages parmi les experts, mais à ceux qui satisfont au dogme ultralibéral. Vous ne rêvez pas : alors que les journaux invitaient les experts pontifiants qui (se) trompent, on excluait le seul prix Nobel d'économie en France parce que ce qu'il disait dérangeait la bien-pensance. Pourtant, à l'aune de la grave crise qui nous secoue, on peut mesurer que celui qui était lucide est exclu, quand ceux qui utilisent des méthodes fausses se trouvent toujours consultés en tant que symboles faisandés de la compétence.
Ceux qui n'ont pas vu venir la crise et qui continuent à raconter des fadaises, ne pouvant comprendre ce qui se passe, souvent se montrant de mauvaise foi, continuent à être les phares d'un système qui agonise. Aucune remise en question, aucune accession à la vérité, toujours le déni. L'exclusion médiatique d'Allais, qui ne repose pas sur des fantasmes paranoïaques ou des affabulations complotistes, est le symbole de l'état d'esprit de ces médias et des élites qu'ils représentent : quoi qu'il arrive, poursuivre dans cette mentalité prédatrice qui commence par la destruction extérieure et qui finit par l'autodestruction (le retour du boomerang).
Dans une lettre récente (27 novembre 2009), Allais indique que ses travaux économiques et sa lucidité le poussent à soutenir les idées politiques et économiques défendues par les organisations larouchistes dans le monde. On sait que les larouchistes sont marginalisés et calomniés. Exclus des médias. Leur point commun avec Allais, c'est qu'ils ont eux aussi prévu la crise que l'on subit et que personne ne les a écoutés. On peut ne pas être d'accord avec eux comme on peut ne pas être d'accord avec Allais (je parle de leurs idées, non de leur personne); mais si l'on est rationnel, ce qui est peu fréquemment le cas, on comprend ce qui se passe : ceux qui contestent le libéralisme dominant, en particulier son inflexion ultralibérale inévitable, se trouvent calomniés par les cercles médiatiques entièrement dévoués et dévolus à leur cause.
Peu importe qu'on soit ultralibéral de gauche ou de droite, l'important est de ne pas critiquer le libéralisme. Dans le cas d'Allais, cette faute demeura assez supportable puisque Allais se présentait comme libéral critique. Il refusait l'ultralibéralisme tout en restant fidèle au libéralisme, en particulier à une forme interne qu'il qualifiait de socialiste (dans un bel effort pour définir les fondements des collectivismes comme libéraux). La faute d'Allais, qui fait suite à son paradoxe, conduit seulement à une exclusion quasi totale des lieux médiatiques porte-paroles du système politiqueet à une glorification post mortem (du genre que les crapules vouent à leurs ennemis honnêtes) par les mêmes dévots qui l'avaient exclu. Dans le cas de LaRouche et des larouchistes, elle se révèle plus importante.
Non seulement nos militants politiques sont bannis des circuits médiatiques, mais de surcroît, tels des martyrs des premiers temps chrétiens, ils ont été en nombre emprisonnés, diffamés, poursuivis en justice, ruinés. Il faut être très solide pour endurer ce régime. On a la preuve que de tels gens vivent pour des idées, pas pour des intérêts pratiques. Raison de cet acharnement supérieur à celui qui a censuré Allais : avoir osé souffler, un cran critique au-dessus d'Allais, que non seulement le libéralisme pouvait être critiqué, mais surtout qu'il existait d'autres formes de capitalisme que le libéralisme, dont la toute-puissance exprime une telle faiblesse qu'elle conduit à refuser toute entreprise critique à son endroit.

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