mardi 22 décembre 2009

La casse de la démocrasse



« La démocratie a toujours été mon échelle de valeur. Ma lutte n’a pas changé »

Philippe Val.
« (...) ploucs humains obtus, rendus courageux par la vinasse ou la bière locale qui leur gargouille dans le bide. »
Philippe Val, Charlie Hebdo, 14 juin 2000.

Cette démocratie-là n'est pas de la démocratie.

Si l'on suit la première déclaration du sieur Val, on ne peut qu'être d'accord avec notre grand démocrate. Bien entendu, on peut critiquer la démocratie, c'est même nécessaire en régime démocratique, et les plus grands esprits s'y sont attelés, à commencer par Platon (qui était républicain, mais pas démocrate). Aristote aussi, mais Aristote était favorable à un système oligarchique et antirépublicain. Pourtant, si l'on lit la seconde déclaration de Val, toujours le même, son ferment antidémocratique, élitiste et oligarchique coule de source.
Un démocrate qui méprise les ploucs n'est pas un démocrate. Le propre du démocrate est de considérer que le pouvoir appartient au peuple. Si l'on méprise les ploucs, c'est qu'on considère que certains éléments parmi le peuple ne sont pas dignes d'appartenir au régime démocratique. Dans ce cas, on ne se situe plus dans une démocratie. Par ces deux déclarations, nous voyons que le sieur Val n'est pas démocrate. Il utilise la démocratie à des fins subversives et entristes qui ne sont pas démocrates. Pervers, notre rhéteur?
Pourtant, il se réclame de la démocratie. Quelle est cette démocratie qui contredit manifestement les principes démocratiques? Comme l'explique Mona Chollet, "dans son zèle à défendre la politique israélienne, Val répète qu’Israël, après tout, est « une démocratie ». « Démocratie », dans sa bouche et sous sa plume, comme pour ses nouveaux amis, ce n’est pas une conquête fragile, nécessitant une vigilance constante, mais une notion quasiment ethnique, une actualisation de ce qu’était le concept de « civilisation » dans la pensée coloniale. Une démocratie, quoi qu’elle fasse, est intrinsèquement vertueuse."
http://lmsi.net/spip.php?article968
Val est-il un cas isolé ou représente-t-il une certaine mentalité? On notera qu'en tant qu'ancien directeur de Charlie-Hebdo et actuel directeur de France-Inter, Val appartient au sérail du journalisme parisianiste et à la mode. C'est un ami de la clique à Carla Bruni. Les positions antidémocratiques au nom de la démocratie de Val sont emblématiques de certains milieux fort influents en France qui commencent à piétiner les principes républicains et démocratiques français au nom de conceptions népotiques, élitistes, oligarchiques.
Il ne s'agit pas de minorer ces dérives, ni d'estimer que le fait de se réclamer de la démocratie suffit à être démocrate. Au contraire, le vrai démocrate critique par esprit démocratique la démocratie. Cette mentalité que représente Val est-elle l'apanage d'une coterie de pseudo-socialistes libéraux qui auraient trahi leurs engagements socialistes et libéraux pour défendre en fait des positions porches du néo-conservatisme et de l'islamophobie? De minorités déviantes, mais - minoritaires?
Vraie question qui embarrasse ceux qui ne veulent ni histoires, ni histoire, alors qu'elle en dit long sur le dérapage de ces milieux de la gauche démocratique française qui en sont venus à trahir la gauche et la démocratie - au nom de la gauche et de la démocratie. C'est en fait l'ensemble d'un système politique qui est en train de s'effondrer et de perdre peu à peu l'ensemble de ses vertus. Ce système se situe en Occident, a pour nom démocraties libérales occidentales, et l'on se rend compte que plus le temps passe, plus le libéralisme devient un ultra-libéralisme extrémiste, voire fasciste - la démocratie un impérialisme occidentaliste.
Bien entendu, l'impérialisme est dénié - expliqué au nom des plus nobles engagements. Parmi ces engagements figurent en première ligne, tels des snippers, la démocratie et la liberté. Ah! Raaah! On justifie l'impérialisme au nom de la démocratie et de la liberté. Un homme politique lucide sur ce coup, un certain Chevènement, a expliqué que le droit d'ingérence au nom de la démocratie était toujours le fait des pays dominants sur des pays plus faibles et dominés. Jamais on n'a constaté de droit d'ingérence démocratique de la part de pays faibles envers des pays plus forts.
Et pour cause : l'ingérence démocratique (et autres appellations du même acabit) est de l'impérialisme travesti en démocratie. Cette démocratie-là n'est pas de la démocratie. C'est une perversion sémantique particulièrement nocive qui se pare des atours de la démocratie pour faire fonctionner son cheval de Troie : l'impérialisme. J'ai déjà évoqué le cas de ce petit fasciste mou et anodin qui se destine à la carrière de médecin du travail et qui prône des valeurs antidémocratiques sous couvert d'ingérence démocratique angélique. Notre énergumène se réclame bien entendu des Valeurs Démocratiques, si bien que si l'on suit son raisonnement (pervers), ses idées impérialistes sont démocratiques, quand l'opposition à ses idées serait antidémocratique.
L'appartenance de notre médiocre à la bourgeoisie moyennement aisée montre que ce ne sont pas seulement quelques élitistes à la Val qui pervertissent et subvertissent la démocratie. Ce sont des cohortes d'individus qui cautionnent l'impérialisme occidental et qui lui donnent des noms positifs : démocratie, liberté, laïcité... Ce sont des mentalités qui fonctionnent sur le prétexte de la démocratie. Démocratie - perverse? Quelle est le vrai nom de cette démocratie?
Les populations occidentales cautionnent depuis deux cents ans le fonctionnement impérialiste et colonialiste de leur société. C'est le même argument qui est recyclé : nous sommes à la fois plus évolués et plus généreux. Nous allons aider les autre parties du monde à acquérir la démocratie, la liberté et la laïcité, soit le système de valeurs le plus évolué que l'humanité ait connue. Moyennant quoi, nous arrivons toujours au même constat d'échec : si les attentes n'ont pas fonctionné, c'est du fait de l'impéritie des autres populations, qui ne sont pas capables de vivre en régimes démocratiques, libéraux et laïcs.
Spécifiquement, notre cas caractériel pathologique néo-fasciste et néo-conservateur défend des positions tout fait raisonnables :
1) c'est la loi du plus fort qui régit les rapports humains, en particulier au niveau politique et historique;
2) depuis octobre 2001, les alliés occidentaux sont allés en Afghanistan pour aider le peuple afghan à acquérir la démocratie contre les méchants talibans dégénérés et sous-évolués.
Dans la mentalité dégénérée et confusionnelle de cet individu symptomatique du mal qui ronge l'Occident, on est démocrate quand on défend le droit d'ingérence démocratique. On est pro-taliban quand on rappelle que les méthodes de la coalition occidentale en Afghanistan ne sont pas démocratiques et ont eu pour principaux effets d'accentuer la guerre civile et le trafic de drogue. Autant dire qu'on est calomnié, discrédité et insulté si l'on dit l'irréfutable vérité factuelle et si l'on ne suit pas la propagande impérialiste - travestie en apologie de la démocratie.
Il faudrait procéder à un renversement salutaire pour comprendre la mentalité qui domine en Occident : notre grand bourgeois entriste Val qui se présente comme un saltimbanque bohème (néo-conservatisme sous des oripeaux de socialisme pseudo-libéral) - et notre moyen bourgeois crypto-fasciste qui se présente comme un écologiste (dont les positions concordent avec le néo-conservatisme, voire carrément le fascisme historique) ne sont pas des symptômes minoritaires ou isolés. A la limite, on peut considérer que chacun suivant ses positions de déni caractérisé, ils sont des lopettes dures.
Mais leurs positions outrées et caricaturales ne font qu'accentuer la mentalité majoritaire de l'Occident, qui cautionne plus ou moins consciemment, plus ou moins directement l'impérialisme. La plupart des citoyens des démocraties occidentales sont individualistes, dépolitisés, perclus de problèmes personnels. Ils ne sont pas ouvertement en faveur de l'impérialisme et ne prônent pas des arguments aussi ridicules que ceux de Val ou de notre crypto-fasciste insulteur. Mais nous ne pouvons comprendre les politiques des démocraties libérales occidentales qu'en entérinant leurs applications manifestement répétées et continues depuis (symboliquement) quatre cents ans.
C'est l'impérialisme et le colonialisme qui définissent les politiques occidentales depuis ce temps, domination qui se fonde sur la supériorité technologique, notamment militaire. Dans cet impérialisme, on trouve à différentes échelles les impérialistes convaincus - aussi cons que vaincus. Ce sont des individus égarés, pervers, voire carrément fascistes, qui défendent l'impérialisme sous le sceau de la démocratie. Ces gens sont en général une minorité dont la justification morale immorale repose sur la fameuse loi du plus fort.
Partisans de Calliclès et de Gorgias, ce sont des oligarques. Au vingtième siècle, ils adhèrent (parfois à l'insu de leur plein gré) aux programmes des fascistes historiques, des ultra-libéraux dans le sillage de von Mises et des néo-conservateurs zélateurs impudents de l'ingérence démocratique et de l'impérialisme atlantiste. La plupart des populations occidentales ne suivent pas ce modèle violent et dur d'impérialisme. Ils forment plutôt les moutons bêlants de l'impérialisme. Ils se veulent cool, en tout cas modérés. Ils ne sont jamais favorables à l'impérialisme. D'ailleurs, ils considèrent que l'impérialisme est l'exception des régimes démocratiques et libéraux. Ils tiennent pour hautement improbable l'existence de l'Empire financier britannique et si on commence à leur expliquer des faits sur les factions financières et sur le caractère irréfutable de cet impérialisme, ils n'écoutent plus, lassés du propos.
A côté des mous durs qui cautionnent l'impérialisme sous le nom de démocratie, l'impérialisme ne fonctionne en Occident qu'avec le soutien tacite de la majorité qui est impérialiste sans le savoir. En fait, nos impérialistes ignorants sont individualistes, dépolitisés et se désintéressent des problèmes qui nécessitent de la réflexion. Ce sont les Œdipe de l'impérialisme. Aristote, qui n'est pas suspect de sympathie démocratique, expliquait que la démocratie était seulement possible si chaque citoyen était capable de gouverner et d'être gouverné.
Raison principale pour laquelle Aristote se montre défavorable à l'idéal démocratique : il le tient pour une utopie dangereuse qui ne peut dégénérer qu'en démagogie et en tyrannie. A l'aune de ce principe, nous ne sommes pas en démocratie, car nous sommes dans un régime où la plupart des citoyens sont individualistes et dépolitisés, donc incapable de gouverner et d'être gouvernés. Rien ne fait plus défaut à la majorité des populations occidentales que l'esprit critique.
Ils remplacent cet esprit critique par un esprit moutonnier terriblement intolérant, selon lequel si l'on n'est pas favorable d'une manière ou d'une autre à l'impérialisme auquel ils appartiennent à l'insu de leur plein gré, on est extrémiste antidémocratique. C'est un comble, le démocrate antidémocratique, l'anti-impérialiste extrémiste, venant d'impérialistes antidémocratiques qui utilisent le label démocratie pour imposer l'impérialisme et qui font parade d'individualisme plus ou moins hédoniste, plus ou moins dépolitisé.
Pour finir, sur une note d''optimisme, s'il est certain que les problèmes ne cesseront pas avec la fin de l'impérialisme occidentaliste, il est des signes que l'impérialisme britannique que dénonçait le chanteur jamaïcain Peter Tosh est sur le point de s'effondrer. "400 years and it's the same philosophy" : enfin la fin de cette philosophie? La fin de l'impérialisme occidentaliste - oui.

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