Alors que l'on entend fleurir dans la presse officielle la grande fraude du consensus scientifique, concernant la question pourtant épineuse et loin d'être résolue du réchauffement climatique, d'origine humaine ou non, il serait temps de se demander ce qu'est ce consensus si opportun; si consensus il peut y avoir en science ou ailleurs; ce qu'il convient de comprendre quand on invoque la méthode du consensus.
L'attente la plus naïve tient à la réconciliation du sens. Le sens apaisé. Le sens définitif. Le sens consensuel. Le consensus. Le sens impossible? Le sens asensé - au sens où le sens indique une direction quand le sens apaisé tourne en rond? La guimauve rationnelle. Le sens apaisé évoque le consensus.
Dès qu'il y a consensus, il y a contestation. Impossible qu'il y ait consensus sur quelque question. Attention : le consensus ne signifie jamais qu'une certitude provisoire sur des faits extrêmement définis - savoir constitué qui devient incertitude plus ou moins prononcée dès qu'on élargit un tant soit peu ce fait délimité, a fortiori quand on passe de la phase du factualisme à l'interprétation.
Pourquoi n'est-il pas possible qu'un sens fasse consensus? Tout simplement parce que la partie n'est pas le tout. Pour s'exprimer en langage monothéiste, il faudrait être Dieu pour faire consensus. Le consensus est le fantasme de l'immanentiste - puisque le transcendantaliste ne saurait rêver d'être le divin et que cette simple prétention constituerait son péché capital et capiteux.
Le consensus signifie soit l'accord très largement majoritaire, soit l'unanimité. Le sens classique tend vers l'unanimité; c'est un sens récent qui en fait l'opinion plus nuancée d'une large majorité. Encore que la fausse nuance cache sans doute le totalitarisme idéologique, du style : la large majorité indique la vérité plus sûrement que l'unanimité. L'opinion consensuelle remplace le verdict démocratique du vote et l'énoncé contesté et anticonsensuel de la vérité.
Ceux qui invoquent le consensus pour emporter l'adhésion usent d'une rhétorique qui diffère de la recherche de vérité. Nous nous trouvons dans un cadre de référence immanentiste, où c'est en fin de compte l'utilité qui importe - et l'emporte. Parfois, on emploie le terme de pragmatisme en expliquant que le consensus tend à satisfaire le plus d'individus possibles au sein d'un groupe. Le plus scandaleux dans l'apologie du consensus, c'est sa finalité : l'important est le groupe. Le groupe est la référence ultime, celle qui a remplacé la vérité.
Plus que la dépassée vérité, le groupe est la boussole du Nouveau sens. Dans cette optique, l'utilité prime sur la vérité. C'est tout le problème du consensus, qui est un compromis au sens le plus démagogique et irrationnel qui soit : le compromis du groupe ne renvoie pas du tout aux critères de la vérité. L'étymologie du consensus exprime l'action de sentir ensemble. Nous revenons à l'éloge irrationnel des sens contre la raison classique. C'est le problème de l'approche immanentiste de la vérité classique.
La vérité classique part du principe que la vérité est transcendantale, ce que les immanentistes résument de manière approximative et caricaturale par : la vérité est ailleurs. Nulle part ailleurs. On peut fort bien corriger cette erreur de mauvaise foi en expliquant qu'aucune partie, aussi lucide soit-elle, ne saurait atteindre la vérité. De ce point de vue, la méthode pour obtenir la vérité est une méthode dynamique - jamais statique. Il faut se mouvoir dans un univers immanentiste pour avaliser la staticité du statisticien véreux et illusionné.
Celui qui vous débite avec conviction qu'il adhère à l'objectivité comme si l'objectivité coulait de source est un faussaire, souvent un imbécile. C'est ce qu'on nomme la méthode socratique, dont je m'empresse de souligner qu'elle a toujours existé, notamment sous la forme antédiluvienne et africaine du conseil des anciens. Selon Platon, la vérité est présente en chacun de nous, y compris chez le plus méprisé des êtres (à l'époque de Platon, c'est l'esclave qui occupe le statut le moins enviable).
Surtout, c'est la méthode du dialogue qui permet de parvenir à la vérité. La confrontation des points de vue permet de parvenir à la vérité, une fois rappelé que cette vérité n'est de toute manière jamais conquise intégralement. On reprochera sans doute à cette méthode de donner raison au point de vue de Socrate le porte-parole de la vision platonicienne des Idées, mais en tout cas, il est une constante chez Platon qui mérite d'être rappelée, c'est qu'il situe son modèle de dialogue et de vérité au-delà du point de vue initial des contradicteurs.
Contrairement à Aristote, Platon estime que l'univers n'est pas fini et que le monde des Idées s'oppose au sensible dégénéré qu'il intègre et dont nous sommes parties. Platon est un partisan d'un modèle dynamique en ce qu'il s'agit toujours de parvenir à un point de vue qui n'est pas contenu dans les points de vue initiaux. A propos de la faiblesse du modèle dynamique platonicien (le changement est contenu dans le point de vue socratique), Platon avoue une faiblesse théorique en faisant de Socrate un personnage aussi transcendantal au sens kantien que mythique au sens religieux. Toujours est-il que cette faiblesse de Platon ne nie pas l'aspect dynamique du dialogue par opposition à la staticité du modèle immanentiste dont le consensus est l'expression moderne la plus extrémiste et caricaturale.
Chez Platon, il s'agit de dépasser le cadre en intégrant de manière assez ambiguë ce changement normatif dès - et dans le cadre dépassé. Malgré cette contradiction, Platon propose une méthode qui est sans doute insuffisante, ne serait-ce que par sa contradiction logique, mais qui est aussi fascinante et qui donne lieu à des dialogues philosophiques qu'aucun autre philosophe n'a jamais égalés (au point qu'on a égaré les dialogues de l'élève dissident Aristote, pour mieux prétendre aujourd'hui, avec Cicéron, qu'ils étaient les œuvres égales de Platon).
L'opposition entre Platon et Aristote est ontologique. En guise de dialogues, Aristote a promu une science consensuelle et une métaphysique posthume. Il est en faveur de l'oligarchie antirépublicaine et d'un système de cours magistraux (dans tous les sens du terme) où le consensus se fait autour du modèle fini et statique du maître. Dans l'histoire du modèle par consensus qui succède au modèle de la vérité, nous retombons sur l'affrontement ente la méthode socratique et la méthode aristotélicienne.
Le transcendantalisme contre le nihilisme. Il importe de comprendre que le critère du consensus est irrationnel et légitime le droit a priori anticonsensuel du plus fort. Le consensus serait-il l'expression de l'élitisme - en plus d'être une méthode fausse? Le modèle du consensus succède au modèle de vérité suite à la mort de la vérité. Cette mort a été théorisé par la saint de l'immanentiste, Spinoza. Puis, un Nietzsche s'est appliqué à lui substituer le concept de la force créatrice et aristocratique (Nietzsche aime le masque).
Enfin, à l'époque postmoderne, on a décrété que l'ère postvérité était arrivée. Un Derrida s'y est attaché avec une emphase amphigourique rare et précieuse - ridicule. Derrida explique avec sa clarté légendaire que la différance est le statut postmoderne du sens toujours différé. Entendre : la vérité classique est toujours différée. Comment cette annonce théâtrale s'accommode-t-elle de la méthode scientifique moderne?
Contrairement à une légende tenace, elle en est le corolaire compatible, à condition que l'on note que la vérité scientifique est une vérité objective est tout à fait lacunaire. Je veux dire : la science examine des objets souvent arbitraires et se garde bien de se prononcer au-delà des phénomènes. Le succès du scientisme (et de son cousin le positivisme) ne s'explique pas autrement : il s'agit de prolonger dans le domaine métaphysique le succès et la supériorité phénoménale de la méthode scientifique.
L'échec du scientisme à imposer un sens objectif au-delà des objets était sans doute prévisible. On se gausse aujourd'hui de Comte et de ses vicomtes en oubliant un peu vite que la plupart des commentateurs actuels auraient tressé des couronnes de lauriers à Comte en hommage à sa célébrité prodigieuse - et à leur mimétisme creux et pompeux. L'absence de discernement d'un commentateur n'a d'égale que son orgueil replet de créateur frustré. L'échec prévisible du scientisme et du positivisme accroît la décrépitude du sens classique décrié et déconsidéré.
Puisqu'on ne parvient à proposer un rationalisme intégral, une phénoménologie ontologique, n'en déplaise aux phénomènes de la phénoménologie, on verse par dépit dans l'extrême opposé : si le sens métaphysique objectif est impossible, alors c'est la preuve des preuves (roulement de tambour) que le sens n'existe pas. On se met à baver devant cette trouvaille conceptuelle sans égale. Spinoza devient un génie prophétique et tous ceux qui ont péroré à partir de cette découverte bouleversante se trouvent dignes d'intérêt.
Un commentateur masqué et aveuglé comme Derrida, qui croit philosopher quand il commente, comme Monsieur Jourdain compose de la prose sans le savoir, lance son grand concept de différance. Monsieur Derrida serait-il le Jourdain de la philosophie postmoderne? C'est possible, tant il se méprend au sérieux. S'il est certain que la stature philosophique de Derrida équivaut à peu près à l'aura poétique de Jourdain, le seul mérite de Derrida est symptomatique : par ses chichis ulmiens, il a contribué à expliciter une vérité qui est inavouable.
L'absence de sens de type postmoderne n'est que le prolongement du scientisme déçu et honteux. C'est dans cet univers que s'installe le consensus, qui part du principe que la vérité est une valeur dépassée et qu'il existe de nouvelles valeurs plus fines et plus opérantes. Ces valeurs sont pourtant connues : le droit du plus fort, l'irrationalisme, la primauté accordée au groupe. La trouvaille éventée du groupe comme consensus est d'une redoutable hypocrisie en ce qu'elle ne garantit nullement de parvenir à un sens certain.
Tout au contraire, il n'est pire inégalitarisme et élitisme que dans cette notion de consensus, car on fait mine de croire dans un grand consensus miraculeux et démocratique alors qu'on sait très bien que le critère du consensus cache, derrière le bel accord du groupe, la fausse osmose par excellence, soit la dictature des plus forts. Quand on invoque le critère de sens du consensus modélisé à partir du sentiment du groupe, on se doute que ce sont les voix dominantes de ce groupe qui vont primer et que le paramètre de la persuasion fondée sur la force l'emportera sur le beau rationalisme.
D'autant plus que la démocratie véritable se fonde sur le principe du vote indépendant et secret. Dans le cadre du consensus, le secret est éventé pour des raisons de dépassement et de plus fiable démocratie. Plus faible - ou plus fiable? Cette démocratie-là n'est rien d'autre que le travestissement du droit du plus fort en consensus. Le consensus n'est de toute façon pas imaginable dans le cadre de la démocratie. Dès qu'une question surgit, il y a débat - et débat souvent passionné.
Soit on accepte le débat, soit on refourgue le droit du plus fort sous les atours reluisants du consensus supérieur. La démocratie est dans le débat. Le consensus réfute le débat et la démocratie. C'est une conception si irrationaliste du droit du plus fort qu'elle fait la part belle au mythe impossible et irréalisable du consensus. Soit le consensus est impossible, soit il cache de vilaines intentions. Un peu comme ces dictateurs qui truquent les élections et annoncent triomphalement leur énième réélection avec des taux de vote frôlant l'unanimité, les adeptes du consensus sont des zélateurs de la loi du plus fort.
Platon enseigne la manière dont se présente la loi du plus fort. Toujours de manière biaisée. Jamais de manière directe. Le consensus cache le totalitarisme comme la démocratie porte en son sein l'oligarchie. L'avènement récent du principe de consensus pourrait être considéré comme un progrès démocratique. On sait maintenant que ce progrès a des relents de totalitarisme et qu'il est le masque du plus fort. Sinistre.
L'attente la plus naïve tient à la réconciliation du sens. Le sens apaisé. Le sens définitif. Le sens consensuel. Le consensus. Le sens impossible? Le sens asensé - au sens où le sens indique une direction quand le sens apaisé tourne en rond? La guimauve rationnelle. Le sens apaisé évoque le consensus.
Dès qu'il y a consensus, il y a contestation. Impossible qu'il y ait consensus sur quelque question. Attention : le consensus ne signifie jamais qu'une certitude provisoire sur des faits extrêmement définis - savoir constitué qui devient incertitude plus ou moins prononcée dès qu'on élargit un tant soit peu ce fait délimité, a fortiori quand on passe de la phase du factualisme à l'interprétation.
Pourquoi n'est-il pas possible qu'un sens fasse consensus? Tout simplement parce que la partie n'est pas le tout. Pour s'exprimer en langage monothéiste, il faudrait être Dieu pour faire consensus. Le consensus est le fantasme de l'immanentiste - puisque le transcendantaliste ne saurait rêver d'être le divin et que cette simple prétention constituerait son péché capital et capiteux.
Le consensus signifie soit l'accord très largement majoritaire, soit l'unanimité. Le sens classique tend vers l'unanimité; c'est un sens récent qui en fait l'opinion plus nuancée d'une large majorité. Encore que la fausse nuance cache sans doute le totalitarisme idéologique, du style : la large majorité indique la vérité plus sûrement que l'unanimité. L'opinion consensuelle remplace le verdict démocratique du vote et l'énoncé contesté et anticonsensuel de la vérité.
Ceux qui invoquent le consensus pour emporter l'adhésion usent d'une rhétorique qui diffère de la recherche de vérité. Nous nous trouvons dans un cadre de référence immanentiste, où c'est en fin de compte l'utilité qui importe - et l'emporte. Parfois, on emploie le terme de pragmatisme en expliquant que le consensus tend à satisfaire le plus d'individus possibles au sein d'un groupe. Le plus scandaleux dans l'apologie du consensus, c'est sa finalité : l'important est le groupe. Le groupe est la référence ultime, celle qui a remplacé la vérité.
Plus que la dépassée vérité, le groupe est la boussole du Nouveau sens. Dans cette optique, l'utilité prime sur la vérité. C'est tout le problème du consensus, qui est un compromis au sens le plus démagogique et irrationnel qui soit : le compromis du groupe ne renvoie pas du tout aux critères de la vérité. L'étymologie du consensus exprime l'action de sentir ensemble. Nous revenons à l'éloge irrationnel des sens contre la raison classique. C'est le problème de l'approche immanentiste de la vérité classique.
La vérité classique part du principe que la vérité est transcendantale, ce que les immanentistes résument de manière approximative et caricaturale par : la vérité est ailleurs. Nulle part ailleurs. On peut fort bien corriger cette erreur de mauvaise foi en expliquant qu'aucune partie, aussi lucide soit-elle, ne saurait atteindre la vérité. De ce point de vue, la méthode pour obtenir la vérité est une méthode dynamique - jamais statique. Il faut se mouvoir dans un univers immanentiste pour avaliser la staticité du statisticien véreux et illusionné.
Celui qui vous débite avec conviction qu'il adhère à l'objectivité comme si l'objectivité coulait de source est un faussaire, souvent un imbécile. C'est ce qu'on nomme la méthode socratique, dont je m'empresse de souligner qu'elle a toujours existé, notamment sous la forme antédiluvienne et africaine du conseil des anciens. Selon Platon, la vérité est présente en chacun de nous, y compris chez le plus méprisé des êtres (à l'époque de Platon, c'est l'esclave qui occupe le statut le moins enviable).
Surtout, c'est la méthode du dialogue qui permet de parvenir à la vérité. La confrontation des points de vue permet de parvenir à la vérité, une fois rappelé que cette vérité n'est de toute manière jamais conquise intégralement. On reprochera sans doute à cette méthode de donner raison au point de vue de Socrate le porte-parole de la vision platonicienne des Idées, mais en tout cas, il est une constante chez Platon qui mérite d'être rappelée, c'est qu'il situe son modèle de dialogue et de vérité au-delà du point de vue initial des contradicteurs.
Contrairement à Aristote, Platon estime que l'univers n'est pas fini et que le monde des Idées s'oppose au sensible dégénéré qu'il intègre et dont nous sommes parties. Platon est un partisan d'un modèle dynamique en ce qu'il s'agit toujours de parvenir à un point de vue qui n'est pas contenu dans les points de vue initiaux. A propos de la faiblesse du modèle dynamique platonicien (le changement est contenu dans le point de vue socratique), Platon avoue une faiblesse théorique en faisant de Socrate un personnage aussi transcendantal au sens kantien que mythique au sens religieux. Toujours est-il que cette faiblesse de Platon ne nie pas l'aspect dynamique du dialogue par opposition à la staticité du modèle immanentiste dont le consensus est l'expression moderne la plus extrémiste et caricaturale.
Chez Platon, il s'agit de dépasser le cadre en intégrant de manière assez ambiguë ce changement normatif dès - et dans le cadre dépassé. Malgré cette contradiction, Platon propose une méthode qui est sans doute insuffisante, ne serait-ce que par sa contradiction logique, mais qui est aussi fascinante et qui donne lieu à des dialogues philosophiques qu'aucun autre philosophe n'a jamais égalés (au point qu'on a égaré les dialogues de l'élève dissident Aristote, pour mieux prétendre aujourd'hui, avec Cicéron, qu'ils étaient les œuvres égales de Platon).
L'opposition entre Platon et Aristote est ontologique. En guise de dialogues, Aristote a promu une science consensuelle et une métaphysique posthume. Il est en faveur de l'oligarchie antirépublicaine et d'un système de cours magistraux (dans tous les sens du terme) où le consensus se fait autour du modèle fini et statique du maître. Dans l'histoire du modèle par consensus qui succède au modèle de la vérité, nous retombons sur l'affrontement ente la méthode socratique et la méthode aristotélicienne.
Le transcendantalisme contre le nihilisme. Il importe de comprendre que le critère du consensus est irrationnel et légitime le droit a priori anticonsensuel du plus fort. Le consensus serait-il l'expression de l'élitisme - en plus d'être une méthode fausse? Le modèle du consensus succède au modèle de vérité suite à la mort de la vérité. Cette mort a été théorisé par la saint de l'immanentiste, Spinoza. Puis, un Nietzsche s'est appliqué à lui substituer le concept de la force créatrice et aristocratique (Nietzsche aime le masque).
Enfin, à l'époque postmoderne, on a décrété que l'ère postvérité était arrivée. Un Derrida s'y est attaché avec une emphase amphigourique rare et précieuse - ridicule. Derrida explique avec sa clarté légendaire que la différance est le statut postmoderne du sens toujours différé. Entendre : la vérité classique est toujours différée. Comment cette annonce théâtrale s'accommode-t-elle de la méthode scientifique moderne?
Contrairement à une légende tenace, elle en est le corolaire compatible, à condition que l'on note que la vérité scientifique est une vérité objective est tout à fait lacunaire. Je veux dire : la science examine des objets souvent arbitraires et se garde bien de se prononcer au-delà des phénomènes. Le succès du scientisme (et de son cousin le positivisme) ne s'explique pas autrement : il s'agit de prolonger dans le domaine métaphysique le succès et la supériorité phénoménale de la méthode scientifique.
L'échec du scientisme à imposer un sens objectif au-delà des objets était sans doute prévisible. On se gausse aujourd'hui de Comte et de ses vicomtes en oubliant un peu vite que la plupart des commentateurs actuels auraient tressé des couronnes de lauriers à Comte en hommage à sa célébrité prodigieuse - et à leur mimétisme creux et pompeux. L'absence de discernement d'un commentateur n'a d'égale que son orgueil replet de créateur frustré. L'échec prévisible du scientisme et du positivisme accroît la décrépitude du sens classique décrié et déconsidéré.
Puisqu'on ne parvient à proposer un rationalisme intégral, une phénoménologie ontologique, n'en déplaise aux phénomènes de la phénoménologie, on verse par dépit dans l'extrême opposé : si le sens métaphysique objectif est impossible, alors c'est la preuve des preuves (roulement de tambour) que le sens n'existe pas. On se met à baver devant cette trouvaille conceptuelle sans égale. Spinoza devient un génie prophétique et tous ceux qui ont péroré à partir de cette découverte bouleversante se trouvent dignes d'intérêt.
Un commentateur masqué et aveuglé comme Derrida, qui croit philosopher quand il commente, comme Monsieur Jourdain compose de la prose sans le savoir, lance son grand concept de différance. Monsieur Derrida serait-il le Jourdain de la philosophie postmoderne? C'est possible, tant il se méprend au sérieux. S'il est certain que la stature philosophique de Derrida équivaut à peu près à l'aura poétique de Jourdain, le seul mérite de Derrida est symptomatique : par ses chichis ulmiens, il a contribué à expliciter une vérité qui est inavouable.
L'absence de sens de type postmoderne n'est que le prolongement du scientisme déçu et honteux. C'est dans cet univers que s'installe le consensus, qui part du principe que la vérité est une valeur dépassée et qu'il existe de nouvelles valeurs plus fines et plus opérantes. Ces valeurs sont pourtant connues : le droit du plus fort, l'irrationalisme, la primauté accordée au groupe. La trouvaille éventée du groupe comme consensus est d'une redoutable hypocrisie en ce qu'elle ne garantit nullement de parvenir à un sens certain.
Tout au contraire, il n'est pire inégalitarisme et élitisme que dans cette notion de consensus, car on fait mine de croire dans un grand consensus miraculeux et démocratique alors qu'on sait très bien que le critère du consensus cache, derrière le bel accord du groupe, la fausse osmose par excellence, soit la dictature des plus forts. Quand on invoque le critère de sens du consensus modélisé à partir du sentiment du groupe, on se doute que ce sont les voix dominantes de ce groupe qui vont primer et que le paramètre de la persuasion fondée sur la force l'emportera sur le beau rationalisme.
D'autant plus que la démocratie véritable se fonde sur le principe du vote indépendant et secret. Dans le cadre du consensus, le secret est éventé pour des raisons de dépassement et de plus fiable démocratie. Plus faible - ou plus fiable? Cette démocratie-là n'est rien d'autre que le travestissement du droit du plus fort en consensus. Le consensus n'est de toute façon pas imaginable dans le cadre de la démocratie. Dès qu'une question surgit, il y a débat - et débat souvent passionné.
Soit on accepte le débat, soit on refourgue le droit du plus fort sous les atours reluisants du consensus supérieur. La démocratie est dans le débat. Le consensus réfute le débat et la démocratie. C'est une conception si irrationaliste du droit du plus fort qu'elle fait la part belle au mythe impossible et irréalisable du consensus. Soit le consensus est impossible, soit il cache de vilaines intentions. Un peu comme ces dictateurs qui truquent les élections et annoncent triomphalement leur énième réélection avec des taux de vote frôlant l'unanimité, les adeptes du consensus sont des zélateurs de la loi du plus fort.
Platon enseigne la manière dont se présente la loi du plus fort. Toujours de manière biaisée. Jamais de manière directe. Le consensus cache le totalitarisme comme la démocratie porte en son sein l'oligarchie. L'avènement récent du principe de consensus pourrait être considéré comme un progrès démocratique. On sait maintenant que ce progrès a des relents de totalitarisme et qu'il est le masque du plus fort. Sinistre.
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