mercredi 27 avril 2011

Black blanc beur : beauf 2.0

"Personne me berne, j'garde mon cul au sec donc
Personne me baise, tout le monde s'observe mais boy
Personne ne gère, en fait tout l'monde tape dans ton échec
Inutile de t'dire que j'suis le best
Je pense que tu le sais."
Flag the Name, Rap français.

Si vous voulez découvrir les goûts musicaux du beauf 2.0, le beauf made in 2011, n'écoutez pas les anciens labels gaulois à forte imprégnation américano-anglaise Johnny Halliday ou Pascal Obispo, mais des musiques vulgaires tout aussi sous-américanisés, peut-être encore en pire, de style black ou beur. Par exemple : du rap ou du raï. Le mieux n'est pas de se rendre compte qu'un Joey Starr porte l'archétype actuel du beauf black rap décérébré et fier de sa bêtise, la possibilité évidente et déniée que le beauf soit aussi Africain. Flag The Name, rappeur underground d'Evry, inconnu propageant un discours frimeur et stéréotypé, incarne au plus près la beaufitude actuelle, en tant que l'underground recèle une avant-garde aussi prestigieuse que mystérieuse, alors que ce qui est sous terre soit sort de sa cache, soit pourrit dans sa gangue. C'est le destin qui attend les membres fascinants de l'underground, à commencer par ces collectifs blacks et beurs qui ont pris la relève des rockers blancs ridiculisés, non de l'avant-garde artistique, mais de l'avant-garde de la beaufitude. Loin d'incarner une alternative qualitative supérieure au médiatique, l'underground exprime une fausse différence maquillée en conformisme aussi prévisible que risible.



On nous a démystifié et légitimé, souvent de manière cocasse et indulgente, la figure du beauf, dont l'origine étymologique demeure entourée d'un certain mystère, mais qui désigne la figure de la vulgarité intellectuelle replète et autosatisfaite. Au passage, si le beauf pourrait indiquer la contraction morpho-syntaxique du beau-frère, cela en dit long sur la haine familiale que l'on peut porter envers l'intrus par excellence. Quand on y ajoute la réputation consternante que traîne la belle-mère, on mesure que les pièces rapportées sont toujours dénigrées.
La figure emblématique de la vulgarité sympathique et égocentrique dans la BD Tintin est ce Séraphin Lampion qui pour le plus grand plaisir des lecteurs de la série déclare à un moment à son interlocuteur médusé qu'il n'a rien contre la musique, mais que là, franchement, en pleine journée, il préfère un bon demi. Qu'est-ce que la vulgarité? Sans doute entre-t-il certains préjugés, fondés ou non, de classe sociale, où l'on se moque des beaufs comme d'inférieurs tant intellectuels que sociaux. Peut-être même trouve-t-on une équivalence entre l'évaluation intellectuelle et le statut social.
Mais pas toujours, si l'on s'avise que le beauf peut relever d'une certaine mentalité vulgaire et gagner très correctement sa vie, comme un patron de bar, un artisan ou un commerçant - sans toutefois appartenir à de hautes classes sociales, ou alors par provocation. L'on se moque de nos jours souvent des beaufs à raison, mais depuis des milieux dits bobos, alors que ces milieux peuvent révéler une vulgarité obvie, de type écolo (comme l'atteste l'un des fondateurs du terme beauf, le caricaturiste Cabu). Qu'est-ce que la vulgarité?
Étymologiquement, elle désigne le comportement émanant du bas peuple, ce qui indique une classification sociale tout aussi fondée qu'en grande partie amalgamante et méprisante. Leçon notamment proustienne : on est toujours le vulgaire de quelqu'un - et l'on mesure la pertinence cruelle de cette assertion à l'aune de la critique proustienne des snobs, qui peuvent se monter vulgaires et parvenus comme le médecin Cottard ou l'universitaire Brichot : le grand bourgeois type Verdurin serait le vulgaire de l'aristocrate type Saint-Germain.
Une définition qui recoupe l'étymologie : la vulgarité serait l'adhésion totale, naïve et innocente, à l'apparence sociale, le social délivrant certes un sens, une hiérarchie et des valeurs, mais qui se révèlent cependant réducteurs, puisque ne rendant compte que de manière superficielle du réel. Le vulgaire serait un réducteur social important et borné, qui viendrait du bas peuple en ce que le bas peuple propose la plus forte faculté de réduction sociale qui soit, notamment par sa faible éducation majoritaire et par les goûts souvent stupides qu'on y glâne. La vulgarité serait l'apanage de tout individu qui réduit le sens réel au sens social.
On pourrait à ce titre opérer une comparaison entre vulgarité et snobisme, puisque le snobisme consiste à tenir certains codes sociaux pour des codes ontologiques. Dans les deux cas, l'erreur est comique en ce qu'elle réduit le réel au social. Le snob est vulgaire en ce qu'il veut faire plus, quand le beauf est vulgaire en ce qu'il est heureux de ce qu'il est - de sa croyance manifestement fausse et simpliste selon laquelle le moins est le plus. On tenait avec le chanteur Brel le slogan "beau et con à la fois", si vérifiable (heureusement pas toujours); on pourrait corriger : "Beauf et con à la fois" - ou "heureux d'être beauf et con".
L'une des principales caractéristiques retenues dans la définition du beauf tient dans ses choix vestimentaires improbables ou dans son langage empreint d'énormités dénotant l'absence de réflexion, voire le culte pour ce qui est faux et crédule. L'aspect attachant du beauf (la gentillesse du crétin) se révèle en faits toujours faux et dangereux. Dans les cas obvies où le beauf se montre frimeur et menteur; mais aussi dans les cas où il serait sympa et simplet, puisqu'au sens nietzschéen, sa gentillesse sociale reposerait fondamentalement sur le ressentiment ontologique.
Cette gentillesse vulgaire cache en son sein la haine d'admettre que l'on est justement vulgaire, soit réducteur en diable. Gentillesse qui se commuera en méchanceté agressive et sotte à partir du moment où elle se trouvera révélée et prise en défaut (et plus elle se trouvera contestée, plus elle se montrera agressive, comme pour parer de manière inappropriée et désespérée à son identification démasquée). Le beauf est ainsi celui qui prend le social pour le réel, qui réduit le réel au social. D'où cette confusion entre simplicité et simplisme. Le charme du beauf, si l'on peut oser cette énormité confirmée par les faits, viendrait de cette confusion béate et bienheureuse, selon laquelle le beauf a forcément l'air en apparence de quelqu'un de simple et sympa, alors qu'il est seulement de tendance simpliste et simplette.
Raison pour laquelle le beauf désigne le beau-frère, avec l'association sémantique, encore une fois, de beau et de beauf, dans la mesure où la crainte principale concernant le beau-frère est la mésalliance de nature sociale : "Ma soeur sort avec un beauf" signifierait "Je crains que ma soeur sorte avec un simplet simpliste et dégradant". C'est malheureusement parfois le cas et pour les mêmes raisons que selon La Rochefoucauld il est très malaisé de faire admettre à un interlocuteur lucide qu'un tiers est fou; il est périlleux et tortueux de persuader son interlocuteur que son beauf est un type réellement stupide, vulgaire, menteur, pas du tout enjoué et dynamique. La catastrophe survient quand le beauf, heureusement non beau-frère, se révèle vulgaire, mais encore frimeur et cassant, comme s'il y avait lieu de tirer supériorité de son infériorité. Sans doute cette morgue proprement insolente, consistant à renverser le moins en plus, dans une perversion aussi stupéfiante qu'irritante, provient au fond d'un sentiment d'infériorité, voire d'humiliation sociale : j'ai été méprisé par mes éducateurs, mes parents ou mes camarades, donc j'en suis venu pour me protéger de ma faiblesse intellectuelle et humaine à renverser de manière simpliste et fumiste l'inférieur de ma condition en supérieur d'imitation (voire d'irritation lucide, quoique vaine).
Le gueux parfaitement vulgaire joue au grand seigneur et se prend pour un grand seigneur dans la mesure où il se comporte en petit parvenu vulgaire et grotesque. Il met de l'affectation à s'habiller comme un plouc, achète des voitures au-dessus de ses moyens et estime que ce qui a de la valeur consiste non seulement dans le pur social, mais dans les objets qui aux yeux du social vulgaire deviennent les symboles de la réussite sociale (un indice du beauf est son désintérêt pour le théorique et l'intellectuel). Le personnage de cette farce serait le très vulgaire Jacques-Henri Jacquard du film Les Visiteurs, qui refuse d'autant plus en parvenu snob et hystérique sa parenté avec son aïeul pouilleux Jacquouille la Fripouille qu'il estime avoir réussi dans la vie en embrassant les valeurs les plus médiocres de l'argent et du chic bling-bling. (Un rappeur pourrait aussi dans une large mesure incarner cette figure.)


Jacquard est le beauf péteux contemporain, hôtelier friqué et plus encore thuné que tuné, qui réussit dans la mesure où il a de l'argent sans guère d'intelligence et où il croit que la fin de l'existence intervient quand on a de l'argent. Du coup, il flambe et s'achète un château qu'il loue à des bourgeois, couples en villégiature ou marchands en séminaires. Notre hôte maniéré et haut en couleurs (un tic du beauf que le souci du vestimentaire à la mode médiocre et outrancière) est méprisé par les grands banquiers qui viennent organiser leur séminaire dans son château, mais qui le moquent du fait de leurs savoirs additionnés à leur argent (ces banquiers prétentieux mais pas beaufs savent que le social n'est pas la fin du réel). Difficile néanmoins de juger qui est le plus détestable entre le banquier savant et prétentieux et le beauf ignare et prétentieux (fier de son ignorance et de sa bêtise casse). Quant à Jacquouille la Fripouille, notre valet-paysan médiéval et arriéré en devient par contrecoup presque attachant puisqu'il fait rire et qu'il présente au moins l'insigne mérite de ne pas se prendre au sérieux. Il serait ainsi le beauf sympa dans ce film très grinçant et lui-même vulgaire, dans une mise en abîme sinistre pour le cinéma français (plus beauf que comique?).
Mieux vaut certes être bête et gentil que bête et méchant (même si cette gentillesse est tout aussi superficielle que le social pris pour finalité). L'aspect comique du beauf est aussi récurrent, puisque la bêtise du beauf donne largement à rire, qu'il soit gentil ou méchant. Tant Jacquouille que Jaccard sont hilarants dans leur processus de gradation beauf, du puant au péteux. Quant à Lampion, il n'est pas seulement ridicule. Il donne aussi à rire (et à réfléchir, les deux pouvant aller de pair). Cette drôlerie s'explique par le décalage entre ce que le beauf croit réel et ce qui est réel. La musique est plus profonde que la bière, mais Lampion les estime équivalentes. Écouter de la musique en pleine chaleur est moins agréable que de boire une bière fraîche si et seulement si les deux activités sont équivalentes.
Mais cette bonhomie qui s'affiche au grand jour comme de la placidité n'est pas du tout inébranlable. Que l'on s'avise de chatouiller un Lampion dans ses retranchements de mélomane sous (triple) pression en lui expliquant que la musique est plus profonde que la bière - et il s'énervera immanquablement, perdant sa légendaire bonne humeur hilare et figée. Le comique de Lampion vient du fait que l'on ne prend pas au sérieux la rhétorique imbécile de Lampion. Si on la prenait au sérieux, Lampion serait effrayant et monstrueux. Car pour boire une bière devant un parterre de musiciens, notre assureurs tous risques se montrerait fort capable d'interdire toute musique de qualité et d'exiger en lieu et place de Bach ou Mozart la convocation in petto de hard rockers vociférant leur haine affectée et diaboliquement puérile sur des airs de guitare électrique saturée (ou des airs de lampion, ce qui expliquerait le patronyme retenu par Hergé).
Cela m'évoque une anecdote personnelle où, contraint de subir les énormités lourdingues d'un jeune homme manifestement imbécile, quoique passablement frimeur aussi, je fus contraint à expliquer dans ma propre naïveté (croyant qu'un beauf pouvait se corriger) que la contemplation d'un chef-d'oeuvre de Rembrandt n'impliquait pas le même coefficient de réalité que le spectacle d'un beau paysage rempli de pâquerettes et de lilas en fleurs. Loin d'écouter ce que je lui argumentais et qu'il ne comprenait pas, du fait de sa cuistrerie plus que de ma qualité, ce beauf à baffes biffées me rétorqua sans rougir et sans honte apparente qu'il préférait de loin faire l'amour à sa femme que de s'attarder devant un tableau, fût-ce un chef-d'oeuvre.
Les bras m'en sont tombés et j'ai regretté d'avoir perdu du temps à expliquer à ce crétin quelques vérités esthétiques élémentaires pour tout esprit utilisant ses facultés de réflexion - un tant soit peu. Ce beauf jeune et à la mode ne pouvait pas plus saisir la grande peinture que Lampion la grande musique, déstructuré par une courte existence consacrée à l'hédonisme cuistre et repu, sans doute subi, et non à l'exercice de l'intelligence; fait aggravant quoique prévisible, notre beauf 2.0 s'interdisait encore plus de comprendre quoi que ce soit de théorique et de classique, dans un réflexe d'autodéfense à court terme, car cette compréhension salutaire aurait été fort dévastatrice pour ses valeurs médiocres et rabougries, sa personnalité déstructurée et son environnement (justement) social. Moralité : face à un imbécile, le plus sage est de s'éloigner poliment que de s'irriter inutilement, même si l'on doit de temps à autre subir certaines remarques impertinentes et imprévues jusqu'alors.
Lampion semblait préférer la bière à la musique; notre lapin crétin quant à lui préférait de loin faire l'amour à sa femme que de contempler un tableau (exercice intellectuel fastidieux et éreintant). Dans les deux cas, il est vraisemblable que ces prétentions exorbitantes et impertinentes soient juste destinées à ajuster le réel à ses propres conceptions étriquées et hilarantes. Variante 2.0 de la répartie savoureuse de Lampion : je n'ai rien contre la peinture, mais là, franchement, en pleine journée, je préfère faire l'amour à ma femme. Le plus drolatique étant sans doute que notre impétrant, non seulement se vante de sa puissance sexuelle dans sa grande folie de passer pour impuissant ou peu viril, mais encore opère un rapprochement qui démasque et sa véritable obsession médiocre du sexe comme fin de l'existence - et sa probable limite sexuelle dans le champ auquel il accorde l'importance primordiale et suprême de sa valorisation obtuse et myope.
Tant il est certain qu'un lapin ne peut se montrer à la fois chaud et crétin - ou alors le chaud lapin convertit sa crétinerie impayable en raté prétentieux et fier de ses (contre) performances. Au demeurant, qu'est-ce que le sexe comme fin, sinon l'aveu de son impuissance intellectuelle plus que sexuelle (le sexuel étant inféodé à l'intellectuel, sauf dans une conception perverse et fausse comme celle d'un beauf)? Le sexe incarne l'application de l'argent-roi, et l'on retrouve la voiture comme expression de la puissance virile, l'objet sexuel de la femme et l'argent bling bling dans une expression à la mode du beauf 2.0, les productions commerciales savoureuses quoique périssables du rap, tant underground que médiatique. Mais je m'écarte de mon sujet, quoique ce soit dans les digressions que se trouvent les réflexions les plus instructives. La vulgarité qui marque et démarque le beauf, expression dénaturée d'ordre social, se trouve tout à fait reconnue concernant les beaufs historiques, soit les Français blancs moqués et ridiculisés (voir notamment la BD cruelle et lucide Les Bidochon); mais reste peu remarquée concernant la possibilité que les beaufs actuels puissent aussi être arabes ou noirs.
Sans doute entre-t-il dans ce préjugé inversé une forte part de peur de se trouver accusé de racisme ou de préjugé. On dédouane volontiers les gens de couleur (expression dénuée de sens et remplie de préjugé) de toute caractérisation sociale péjorative par crainte d'être taxé de racisme, alors qu'il est frappant de s'aviser que les rappeurs sont souvent des beaufs complets et stéréotypés, qu'ils soient Noirs ou Blancs (ou autres). Je prendrai pour exemple les deux lascars du groupe NTM, dont le look vestimentaire avant qu'ils n'accèdent à la célébrité éphémère était explicitement du plus mauvais goût de beauf visible et risible (ci-dessous NTM avec un groupe de rap à textes, soit rappant mal te avec des textes d'une qualité seulement anodine).Avec leur réhabillage médiatique, ils sont passés du statut de beaufs naïfs à celui moins identifié et sans doute plus insupportable de beaufs branchés.

Pourtant, le vrai antiraciste considère que l'on est humain avant de relever de telle culture ou, plus superficiel encore, de telle couleur. L'humain vulgaire et heureux de sa vulgarité serait le beauf universel, qui aurait suivi le développement de la mondialisation. Selon cette acception cohérente et rationaliste, il est tout sauf surprenant que les membres des classe défavorisées, quelles que soient leur origine géographique ou leur couleur de peau, relèvent en premier lieu des beaufs, qu'ils soient Blancs, Noirs ou Arabes. On aimerait tant que les immigrés d'Afrique échappent à cette malédiction exclusive qui avait été diagnostiquée par les bobos comme Cabu ou Renaud contre les seuls ouvriers blancs vulgaires ou les patrons de bistrot franchouillards et au verbe bas.

On se moque de la beaufitude à condition qu'elle soit exclusivement centrée sur la beaufitude blanche et occidentale. C'est oublier que tous les êtres humains se trouvent intéressés au diagnostic de beaufitude comme d'intelligence, et qu'il est légitime d'estimer que la plupart des Noirs et des Arabes qui peuplent les banlieues françaises se trouvent aussi imprégnés de culture beauf que les autochtones dont ils partagent les paliers de HLM. Du coup, ils sont plus intégrés socialement qu'on le prétend chez les bobos journalistes, mais par le bas - les contre-cultures faméliques et démultipliées. Pour échapper à cette description aussi infamante que lucide du beauf 2.0, tout aussi Blanc qu'Africain, on aime à fabriquer du Noir ou de l'Arabe une image de toute-diférence qui l'exclut du jugement ordinaire.
Pour son avantage? Cette manière de (dé)classer, si elle présente dans l'immédiat l'avantage d'échapper au racisme, réinstaure paradoxalement à plus long terme une forme inversée de préjugé et de racisme par la différence exclusive et excluante qu'on instaure sous couvert de tolérance. Si l'on exclut les Africains de la sphère des Blancs, en bien ou en mal, il s'agit de racisme inversé autant que patenté. L'Africain est un homme comme un autre; ni plus ni moins - affirmation banale, irréfutable et consolante. C'est à ce prix que l'on échappe au racisme. La vulgarité n'est certainement pas l'apanage des Blancs. Les Noirs ou les Arabes qui ont débarqué en France depuis quarante ans environ peuvent tout aussi bien manifester de la beaufitude que les Blancs, que ce soient par leurs origines ou par leur imprégnation à la culture dans laquelle ils baignent.
On a du mal à admettre que la beaufitude est une expression de vulgarité qui touche toutes les cultures, autant celles d'Afrique que celles d'Occident. De ce point de vue, les Africains sont en moyenne plus beaufs que les Blancs vu qu'ils sont victimes par le fait du néo-colonialiste et impérialiste de la misère économique et culturelle (misère avant tout sociale). On a encore plus de mal à admettre que l'intégration des immigrés venant pour la plupart de couches défavoriseés dans leur pays d'origine s'est réalisée de manière tout-à-fait prévisible par l'acclimatation aux couches sociales défavorisées auxquelles les immigrés ont pour beaucoup appartenu.
De ce fait, on voit mal pourquoi les prolétaires africains échapperaient au syndrome de la beaufitude qui touche le prolétariat occidental dans certains cas remarqués et dénoncés. Enfin, on a du mal à admettre que la plupart des Noirs et Arabes français nés ne France, qui constituent la majorité des Français d'origine africaine, sont culturellement des Français de souche et se définissent par leur éducation française. Que cette éducation soit riche ou pauvre, longue ou frustre, elle est - française. La surrevendication des origines africaines fantasmatiques et fantasmées par les immigrés français d'origine africaine s'inscrit dans l'expression de certains mal-êtres, pas de la réalité. Ce sont ces populations immigrées, déracinées et perdues culturellement, qui constituent le terreau privilégié du développement de l'influence beauf, soit de la vulgarité.
Le lien entre vulgarité et déculturation est intéressant, car la beaufitude possible des Français issus de l'Afrique, mais nés en France, indique que la contre-culture beauf remplit l'espace du vide laissé par la carence identitaire ou culturelle. Ces Français se déniant Français alors que l'évidence indique l'inverse ressentent un fort malaise du fait qu'ils sont de nulle part, ni d'Europe, ni d'Afrique, d'aucune culture. La beaufitude en tant que contre-culture serait la première forme de parade culturelle face à l'absence de culture, à la perte radicale et inquiétante de culture. La vulgarité serait ainsi une proposition simpliste, immédiate et superficielle face au néant.
La proposition d'identité sociale pure ou finaliste (fondamentale) joue le rôle de proposition identitaire et culturelle au rabais. Mieux vaut peu que rien. La nature a horreur du vide, selon certains biologistes et philosophes (Leibniz ayant résumé cette position avec l'adage : "Pourquoi quelque chose plutôt que rien?"). Beaufitude et contre-culture seraient-elles synonymes? Si l'on prend les goûts musicaux de la plupart des banlieusards occidentaux issus de l'immigration, ils se portent autour du rap, du nouveau R&B ou de toutes ces musiques que l'on surnomme musiques blacks, qui sont des chansons éphémères et qui disparaissent avec le défilé des modes.
Le rap pourrait jouer comme un résumé parcellaire quoique emblématique de ce phénomène de la beaufitude qui frappe de manière inobservée et faussement inattendue les Français issus de l'immigration : d'ordinaire, on taxe de beaufitude l'autochtone blanc qui écoute du rock et qui prend plaisir à boire des bières en regardant un match de foot (auquel il ne comprend rien la plupart du temps et sans s'en rendre compte). Mais si l'on accepte de dépasser les préjugés antiracistes simplistes, selon lesquels la critique qui s'appliquent aux Blancs ne saurait s'attacher avec pertinence aux Africains du fait de leur culture différente et de leur couleur de peau qui constituerait le véritable dénominateur commun de cette différence creuse, on se rend compte que les valeurs prônées par le rap recoupent de manière très ethnique et stupide les valeurs dénoncées comme beauf, rock et blanches.
Comment définirait-on cette manière typiquement contre-culturelle de porter au pinacle du sens et des valeurs le sexe, l'argent, les femmes, la drogue, toutes valeurs que l'on retrouve à l'identique dans la culture rock? Preuve que par leurs goûts musicaux souvent vulgaires, les beaufs de nos jours sont blacks blancs beurs. Cette appellation censée sanctionner de manière stupide et irrationnelle l'égalitarisme qui serait né de la victoire sportive de la France à la Coupe du monde de football de 1998 est tout aussi beauf.
Le sport populaire de masse, gangréné par le dopage et le trucage, n'est pas né de l'idéologie raciste de Coubertin et autres apôtres du culte du corps. Elle rejoint les Jeux du cirque romains et toutes ces fadaises physiques où l'on endort depuis toujours les revendications sociales et politiques du peuple par des dérivatifs hallucinatoires et stupides. L'appellation black blanc beur découle directement d'une conception beauf élémentaire véhiculée par le sport de masse et de mensonge : la génération qui aurait assisté à la victoire éternelle de la France en 1998. Elle convient à la beaufitude actuelle, d'autant mieux qu'elle exprime l'une des dimensions les plus cardinales du beauf d'aujourd'hui : le sport comme finalité de vie.
Et après on s'étonne que nos avatars contemporains de gladiateurs antiques, ces sportifs professionnels comme Virenque ou Zidane en France, se montrent si stupides et hilarants quand ils prennent la parole et révèlent aux yeux du monde à quel point ils sont littéralement bêtes comme leurs pieds? Puisqu'on a pris l'habitude de se moquer des Johnny en référence au chanteur Johnny Halliday (qui s'appelle selon son identité réelle et non américanisée Jean-Philippe Smet et qui est belge de père), on pourrait tout aussi bien constater que le chanteur Joey Starr est un clone transposé au rap et à la culture black blanc beur de Johnny le rocker franchouillard et conservateur (comble du rocker).
On incrimine les beaufs quand ils sont blancs et franchouillards - pas quand ils sont blacks ou beurs. Ce pourrait être une définition spécifique du Black ou du Beur comme dénomination significative du Noir ou de l'Arabe : pourquoi le vocable branché à la sauce américaine (black) et non pas - noir? Pourquoi le néologisme verlan antiraciste beur au lieu d'arabe? Réponse : ce serait des mots beaufs pour qualifier de manière faussement positive et superficielle les Occidentaux venus d'Afrique. Un Joey pourrait rentrer dans le vocabulaire populaire pour désigner ces beaufs blacks ou beurs qui n'auraient pas à rougir de leur vulgarité par rapport aux Johnny blancs. Même changement de nom chez Joey que chez Johnny : on change d'identité quand on manque d'identité et quand on estime que l'identification à la réalité est in fine sociale. L'identification superficielle aux pires valeurs de l'Amérique contre-culturelle peut jouer ce rôle de catalyseur identitaire carencé, tant dans le rock que le rap.
Quant à ceux qui, prenant la pose d'experts musicaux underground alors qu'ils nagent dans l'inculte ignare, prétendent que le vrai rap serait à distinguer du rap commercial majoritaire, ils ne se rendent pas compte qu'ils opèrent la même justification oiseuse et contradictoire que ceux qui, pour réfuter les critiques peu douteuses concernant les stars ridicules du rock et la contre-culture qu'ils charrient, nous expliquent que le vrai rock country ou authentique se distingue du rock médiatique de toc. Le rap de toc médiatique représenterait le rap caricaturé et dénaturé par le système capitaliste; tandis que le vrai rap exprimerait la contestation sociale et la profondeur marginale et calomniée.
Malheureusement, une simple écoute de ce rap underground, de caractéristique contestataire et à vocation sociale, indique que l'on ne dépasse pas le niveau de la critique négative purement sociale, soit de la vulgarité typiquement beauf; et que du coup, on ne peut qu'émettre des critiques qui, si elles ne tombent plus dans l'insulte et la violence revendiquées hardcores, se révèlent minables, anodines, banales, confuses et stéréotypées.


On en viendrait presque à préférer le rap harcore au rap soi-disant plus intello et nuancé, en réalité mollasson et à peine moins médiocre (ce qui est meilleur que le nul n'est pas forcément le bon, tant s'en faut). Rien n'est pire que la bêtise travestie en apologie de l'intelligence (comme dans le cas de ces rappeurs underground de La Rumeur, dont le patronyme évoque leur identité peu existante). Il n'est pas possible de produire une musique de qualité qui s'en tiendrait à des standards purement et seulement sociaux, que ce soient dans le rap (musique black) ou dans le rock (musique blanche). L'ethnicisation programmée de ces différents genres chansonniers mineurs, compartimentés et labellisés indique à quel point l'on segmente les parts de marché commerciales et l'on dénature l'expression artistique sous prétexte de donner la parole à des artistes incompris et marginalisés (la preuve enter autres avec le simpliste et beauf black rappeur Flag The Name, qui s'il vaut sans doute au moins aussi bien que son jumeau médiatique Booba ne devint pas un grand chanteur, tant il est patent que le meilleur des nuls demeure un nul).
Un dernier point : non seulement il importe, quand on a caractérisé la figure du beauf, de comprendre qu'à l'heure actuelle les derniers standards beaufs sont les moins reconnus, - standards blacks blancs, beurs; mais encore cette appellation assez précieuse (précieuse et fidèle) de black blanc beur nous rappelle un denier point ironique dans l'entreprise de dynamitage que nous propose l'étude de la beaufitude (où l'on mesure que la beaufitude ne fonctionne que selon une forme renouvelée mais déniée, comme en témoigne le prestige que le rap peut receler pour ses thuriféraires bornés et jeunes) : selon un cercle vicieux assez savoureux et prévisible, l'effondrement culturel généralisé de la beaufitude s'est attaqué aux Africains rendus blacks et beurs sous couvert de leur apporter de la différence (avec le slogan stupide et contradictoire : "Nous sommes tous différents"). Désormais, en un processus de retour du boomerang social, cet effondrement exponentiel à mesure qu'il s'approche de son terme s'attaque aux générations de jeunes beaufs blancs qui estiment s'écarter de la ringardise de leurs parents beaufs en promouvant contre le rock de Johnny le rap de Joey - ou, quand on veut faire branché, le rap underground et marginal d'inconnus fiers de l'être.

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